Question d'origine :
Quelle était l'ambiance en France et à Paris juste avant la guerre, en main, juin et juillet 14 ? Ainsi que la première quinzaine d'août avant que la guerre n'éclate.
Comment s'y prenait-on pour savoir si tous les hommes appelés étaient mobilisés, et savoir s'ils s'étaient présentés le jour du départ ?
Merci beaucoup d'avance !
Réponse du Guichet
bml_civ
- Département : Civilisation
Le 05/06/2020 à 12h33
Bonjour,
Concernant votre première question , il est évidemment difficile de vous livrer une réponse univoque et définitive... Les traces et matériaux historiques qui permettent la reconstitution du climat d’une époque donnée, dans un pays particulier revêtent inévitablement des aspects divers, contradictoires, subjectifs.
Quelques historien.nes et témoignages peuvent toutefois nous permettre d’approcher cette « ambiance ».
Rappelons d’abord que la première quinzaine d’août, la guerre a déjà éclaté puisque l’Allemagne a déclaré la guerre à la France le 3 août 1914.
Les deux premières semaines d’août sont donc particulièrement marquées par la mobilisation qui débute le 1er août.
Dans La République imaginée (1870-1914), l’historien Vincent Duclert évoque cette entrée des Français dans la guerre : « le pays se couvrit d’affiches appelant les conscrits à rejoindre les casernes. Le 3 août, l’Allemagne déclarait la guerre. L’étude de la mobilisation menée par JJ Becker a fait un sort à la vulgate très longtemps développée “que ce qui a motivé les soldats, ce sont les idées de Revanche ou de reprise de l’Alsace-Lorraine”. On observe une mutation de l’opinion, qui n’est plus celle des années 1870 ou 1880 : “Elle exprime l’indignation d’un peuple qui, convaincu de son pacifisme, a eu pleinement conscience d’être provoqué. D’où un premier temps, réserve devant une mobilisation qui le surprend, dans un second temps ardeur dans la volonté de se défendre ».
L’historien Marc Bloch, dans ses Souvenirs, témoigne (avec toutes les déformations possibles du temps qui a passé) de l’attitude des Parisiens suite à la mobilisation : « Le tableau qu’offrit Paris pendant les premiers jours de la mobilisation demeure un des plus beaux souvenirs que m’ait laissé la guerre. La ville était paisible et un peu solennelle. La circulation très ralentie, l’absence des autobus, la rareté des auto-taxis rendaient les rues presque silencieuses. La tristesse qui était au fond de tous les cœurs ne s’étalait pas […]. Dans la rue, les magasins, dans les tramways, les gens causaient entre eux familièrement ».
D’autres témoignages viennent ajouter des touches à ce tableau. Ainsi, dans L’honneur de vivre, Robert Debré raconte son août 14 : « samedi 1er août […]. Les rues sont vides, le quartier est silencieux. J’aperçois un agent de police […]. Du haut du balcon, je lui parle : on se sentait désireux de parler à chaque Français rencontré. IL m’annonce l’assassinat de Jaurès. Je suis accablé de chagrin et d’inquiétude […]. Vint le jour de la mobilisation, le dimanche 2 août 1914. La foule est dans les rues : un peuple immense, rassemblée, de grands courants de piétons s’entrecroisent, la chaussée envahie comme les trottoirs. Je n’ai le souvenir ni de cris, ni de manifestations, ni de défilés ».
Vous trouverez des descriptions plus générales du climat en France dans Les jours de guerre : la vie des Français au jour le jour entre 1914 et 1918, d’Yves Pourcher. « Le pays s’échauffe pour les élections législatives [avril – mai 1914], les préfectures se préparent et les candidats sont déjà sur les chemins de la campagne électorale […]. En ce temps-là, la France besogne, s’active au-delà des mers et s’enrichit. 1914 sera une bonne année paysanne car la terre travaille bien, les blés poussent, les arbres ont des fleurs… ».
Yves Pourcher évoque également la visite de l’écrivain Stefan Zweig à Tours, au printemps 1914, accompagné par une amie : « La ville leur paraissant un peu endormie, ils décident pour occuper la soirée d’aller au cinéma. La salle est remplie d’ouvriers, de soldats, de maraîchères, de petites gens qui bavardent et lancent de tout côté des nuages de fumée de cigarettes […] ». Au moment des actualités présentant l’Empereur Guillaume II en visite à Vienne, Zweig assiste à des assauts de haines : « tout le monde criait et huait, les femmes, les hommes et les enfants conspuaient, comme s’ils étaient personnellement offensés […]. Quand succédèrent d’autres tableaux, tout était oublié. Les gens riaient à ventre déboutonné au film comique ».
Nous vous invitons à consulter un peu plus avant cet ouvrage qui décrit les mois précédant le conflit et ce, dans différentes régions du pays.
Enfin, vous pourriez lire à profit Veillée d’armes 1913-1914 : la presse de Rhône-Alpes dans l’attente de la guerre, d’Alain Eck qui vous donnera une idée un peu plus précise de l’ambiance et de l’opinion publique à cette période.
Comment s'y prenait-on pour savoir si tous les hommes appelés étaient mobilisés, et savoir s'ils s'étaient présentés le jour du départ ?
Le site du musée de la Grande Guerre indique à ce sujet :
« Les classes 1911, 1912 et 1913 sont déjà sous les drapeaux (la classe se calcule en ajoutant vingt ans à l’année de naissance, ainsi, une personne née en 1893 appartient à la classe 1913). Elles participent à l’incorporation des réservistes et des territoriaux appelés à rejoindre leur régiment dans une caserne qui se trouve en ville. Lorsque le trajet se fait par le train, c’est un moment collectif où les sentiments intimes peuvent être différents du comportement que les mobilisés doivent montrer au moment du départ.Aucun homme mobilisé n’est autorisé à refuser ce premier acte de son devoir militaire. Les gendarmes ont la mission de s’assurer que chaque mobilisé rejoint son régiment, sinon il est considéré comme insoumis et encourt une très lourde punition ».
Vous trouverez également d’autres éléments sur la mobilisation sur www.centenaire.org.
« Depuis Paris, l’ordre de mobilisation a été télégraphié aux préfectures. Chaque commune, par le relais des maires, gendarmes, gardes-champêtres, doit alors informer la population et procéder à l’affichage de l’ordre. Mais l’apposition d’une simple affiche ne saurait suffire. En 1914, même dans les villes, les annonces officielles se diffusent la plupart du temps par leur proclamation dans l’espace public ».
En réalité, l’Etat-Major prévoyait des désertions dès août 14, de l’ordre de 10%. Mais dans les faits, le dictionnaire de la Grande guerre, sous la direction de François Cochet et Rémy Porte indique que seul 1.5% des mobilisés refusèrent de rejoindre la mobilisation.
L’article de Wikipedia « Déserteur au cours de la Première Guerre mondiale en France » précise la situation dans la capitale : « La situation à Paris est connue par l’étude des registres des commissariats car la recherche des déserteurs était une des missions des 7 000 agents de la préfecture de police de Paris. Sur 12 000 dossiers étudiés, 6 000 concernent des permissionnaires n’ayant pas rejoint leur corps et 4 000 déserteurs de la zone des armées ayant réussi à échapper aux contrôles militaires pour se réfugier à Paris. Cette étude ne permet cependant pas une évaluation quantitative de la désertion car il est certain qu'une partie des déserteurs a échappé aux contrôles et le degré d'efficacité de la police n'est pas connu ».
Le chapitre d’Emmanuelle Cronier sur « Les déserteurs à Paris pendant la Première Guerre mondiale » publié dans Clandestinités urbaines vous permettra d’approfondir cette question.
l’article Wikipedia consacré à la mobilisation française de 1914 vous donnera des informations relatives à l’organisation administrative de ce dispositif exceptionnel :
« Chaque homme a dans son livret militaire une feuille de route (« fascicule de mobilisation », le modèle A est rose si le mobilisé doit utiliser le chemin de fer, le modèle A1 est vert clair s'il doit marcher18) avec sa date d'appel et son trajet (gratuit) jusqu'à son dépôt, où il doit être habillé, équipé et armé ».
Bonnes lectures !
Quelques historien.nes et témoignages peuvent toutefois nous permettre d’approcher cette « ambiance ».
Rappelons d’abord que la première quinzaine d’août, la guerre a déjà éclaté puisque l’Allemagne a déclaré la guerre à la France le 3 août 1914.
Les deux premières semaines d’août sont donc particulièrement marquées par la mobilisation qui débute le 1er août.
Dans La République imaginée (1870-1914), l’historien Vincent Duclert évoque cette entrée des Français dans la guerre : « le pays se couvrit d’affiches appelant les conscrits à rejoindre les casernes. Le 3 août, l’Allemagne déclarait la guerre. L’étude de la mobilisation menée par JJ Becker a fait un sort à la vulgate très longtemps développée “que ce qui a motivé les soldats, ce sont les idées de Revanche ou de reprise de l’Alsace-Lorraine”. On observe une mutation de l’opinion, qui n’est plus celle des années 1870 ou 1880 : “Elle exprime l’indignation d’un peuple qui, convaincu de son pacifisme, a eu pleinement conscience d’être provoqué. D’où un premier temps, réserve devant une mobilisation qui le surprend, dans un second temps ardeur dans la volonté de se défendre ».
L’historien Marc Bloch, dans ses Souvenirs, témoigne (avec toutes les déformations possibles du temps qui a passé) de l’attitude des Parisiens suite à la mobilisation : « Le tableau qu’offrit Paris pendant les premiers jours de la mobilisation demeure un des plus beaux souvenirs que m’ait laissé la guerre. La ville était paisible et un peu solennelle. La circulation très ralentie, l’absence des autobus, la rareté des auto-taxis rendaient les rues presque silencieuses. La tristesse qui était au fond de tous les cœurs ne s’étalait pas […]. Dans la rue, les magasins, dans les tramways, les gens causaient entre eux familièrement ».
D’autres témoignages viennent ajouter des touches à ce tableau. Ainsi, dans L’honneur de vivre, Robert Debré raconte son août 14 : « samedi 1er août […]. Les rues sont vides, le quartier est silencieux. J’aperçois un agent de police […]. Du haut du balcon, je lui parle : on se sentait désireux de parler à chaque Français rencontré. IL m’annonce l’assassinat de Jaurès. Je suis accablé de chagrin et d’inquiétude […]. Vint le jour de la mobilisation, le dimanche 2 août 1914. La foule est dans les rues : un peuple immense, rassemblée, de grands courants de piétons s’entrecroisent, la chaussée envahie comme les trottoirs. Je n’ai le souvenir ni de cris, ni de manifestations, ni de défilés ».
Vous trouverez des descriptions plus générales du climat en France dans Les jours de guerre : la vie des Français au jour le jour entre 1914 et 1918, d’Yves Pourcher. « Le pays s’échauffe pour les élections législatives [avril – mai 1914], les préfectures se préparent et les candidats sont déjà sur les chemins de la campagne électorale […]. En ce temps-là, la France besogne, s’active au-delà des mers et s’enrichit. 1914 sera une bonne année paysanne car la terre travaille bien, les blés poussent, les arbres ont des fleurs… ».
Yves Pourcher évoque également la visite de l’écrivain Stefan Zweig à Tours, au printemps 1914, accompagné par une amie : « La ville leur paraissant un peu endormie, ils décident pour occuper la soirée d’aller au cinéma. La salle est remplie d’ouvriers, de soldats, de maraîchères, de petites gens qui bavardent et lancent de tout côté des nuages de fumée de cigarettes […] ». Au moment des actualités présentant l’Empereur Guillaume II en visite à Vienne, Zweig assiste à des assauts de haines : « tout le monde criait et huait, les femmes, les hommes et les enfants conspuaient, comme s’ils étaient personnellement offensés […]. Quand succédèrent d’autres tableaux, tout était oublié. Les gens riaient à ventre déboutonné au film comique ».
Nous vous invitons à consulter un peu plus avant cet ouvrage qui décrit les mois précédant le conflit et ce, dans différentes régions du pays.
Enfin, vous pourriez lire à profit Veillée d’armes 1913-1914 : la presse de Rhône-Alpes dans l’attente de la guerre, d’Alain Eck qui vous donnera une idée un peu plus précise de l’ambiance et de l’opinion publique à cette période.
Le site du musée de la Grande Guerre indique à ce sujet :
« Les classes 1911, 1912 et 1913 sont déjà sous les drapeaux (la classe se calcule en ajoutant vingt ans à l’année de naissance, ainsi, une personne née en 1893 appartient à la classe 1913). Elles participent à l’incorporation des réservistes et des territoriaux appelés à rejoindre leur régiment dans une caserne qui se trouve en ville. Lorsque le trajet se fait par le train, c’est un moment collectif où les sentiments intimes peuvent être différents du comportement que les mobilisés doivent montrer au moment du départ.
Vous trouverez également d’autres éléments sur la mobilisation sur www.centenaire.org.
« Depuis Paris, l’ordre de mobilisation a été télégraphié aux préfectures. Chaque commune, par le relais des maires, gendarmes, gardes-champêtres, doit alors informer la population et procéder à l’affichage de l’ordre. Mais l’apposition d’une simple affiche ne saurait suffire. En 1914, même dans les villes, les annonces officielles se diffusent la plupart du temps par leur proclamation dans l’espace public ».
En réalité, l’Etat-Major prévoyait des désertions dès août 14, de l’ordre de 10%. Mais dans les faits, le dictionnaire de la Grande guerre, sous la direction de François Cochet et Rémy Porte indique que seul 1.5% des mobilisés refusèrent de rejoindre la mobilisation.
L’article de Wikipedia « Déserteur au cours de la Première Guerre mondiale en France » précise la situation dans la capitale : « La situation à Paris est connue par l’étude des registres des commissariats car la recherche des déserteurs était une des missions des 7 000 agents de la préfecture de police de Paris. Sur 12 000 dossiers étudiés, 6 000 concernent des permissionnaires n’ayant pas rejoint leur corps et 4 000 déserteurs de la zone des armées ayant réussi à échapper aux contrôles militaires pour se réfugier à Paris. Cette étude ne permet cependant pas une évaluation quantitative de la désertion car il est certain qu'une partie des déserteurs a échappé aux contrôles et le degré d'efficacité de la police n'est pas connu ».
Le chapitre d’Emmanuelle Cronier sur « Les déserteurs à Paris pendant la Première Guerre mondiale » publié dans Clandestinités urbaines vous permettra d’approfondir cette question.
l’article Wikipedia consacré à la mobilisation française de 1914 vous donnera des informations relatives à l’organisation administrative de ce dispositif exceptionnel :
« Chaque homme a dans son livret militaire une feuille de route (« fascicule de mobilisation », le modèle A est rose si le mobilisé doit utiliser le chemin de fer, le modèle A1 est vert clair s'il doit marcher18) avec sa date d'appel et son trajet (gratuit) jusqu'à son dépôt, où il doit être habillé, équipé et armé ».
Bonnes lectures !
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