Quels sont les écueils à la simplification des ordures ?
Question d'origine :
Bonjour, le moins d'ordures est souvent traité de façon angélique ou moralisatrice. D'où ma question :
Quels sont les écueils à la simplification des ordures ?
Merci pour vos recherches précieuses
Réponse du Guichet
La France semble très en retard en matière de tri et de réduction des déchets. Récemment des mesures de simplification de tri ont été mises en place concernant les emballages, notamment pour inciter les français à trier plus. Mais cette simplification ne s’applique pas encore à tous types de déchets ménagers.
Bonjour,
Il semblerait en effet que la France soit assez mauvaise élève en matière de réductions de ses déchets. Cette année encore Bruxelles a épinglé notre pays à ce sujet comme vient le rappeler l'article du Monde publié en juin dernier La France est très en retard sur ses objectifs de recyclage, alerte la Commission européenne :
La France, qui défend un texte de «haute ambition» pour mettre un terme à la pollution plastique d’ici à 2040, fait même partie des mauvais élèves européens. Sur le plastique, elle stagne en dessous de 27% de recyclage (et tombe même à 22% si on prend en compte les nouvelles règles de calculs pour les emballages). Très loin de l’objectif fixé par l’Union européenne (UE) (au moins 50% en2025), très en dessous de la moyenne européenne (près de 40%) et à des années-lumière des résultats des champions européens comme l’Autriche ou les Pays-Bas (57%).
La France accuse le même retard en matière de déchets ménagers. L’objectif européen est d’atteindre au moins 55% de taux de recyclage en2025, puis 60% d’ici à 2030 et 65% à l’horizon 2035. Alors qu’elle s’était engagée à aller plus vite – 55% dès 2020 et 65% en2025 –, elle plafonne aujourd’hui à 42%. Là aussi, la France fait moins bien que la moyenne de l’UE (49%) et reste à la traîne de l’Autriche (58%) ou de l’Allemagne (67%), les meilleurs élèves européens. Motif d’inquiétude supplémentaire pour la Commission: ses performances se dégradent même puisque la France atteignait 45% en2018.
(...)
Plus globalement, la France se montre incapable de réduire le volume de ses déchets ménagers. Avec environ 580kg par an et par personne, il stagne à unniveau élevédepuis dix ans, bien au-dessus de la moyenne européenne (520kg).
«Soutenir le réemploi»
Bruxelles a identifié plusieurs «difficultés» auxquelles se heurte la France dans sa gestion des déchets et préconise autant d’«actions prioritaires». Le «meilleur» déchet étant celui que l’on ne produit pas, la Commission presse la France de «soutenir le réemploi». Ainsi, elle se dit favorable à la mise en place d’un système de consigne pour les bouteilles en plastique qui ne vise pas seulement le recyclage mais aussi le réemploi. Le gouvernement a lancé une concertation publique sur l’introduction éventuelle d’une consigne des bouteilles – les collectivités locales ont déjà fait savoir leur opposition à une consigne pour recyclage.
Deuxième lacune: la collecte et les capacités de traitement des biodéchets (principalement les restes alimentaires) sont jugées «insuffisantes». Seule une petite partie de la population française (environ 10%) est couverte par un service de collecte séparé (contre 60% des Allemands ou 80% des Autrichiens) et seulement 60% des biodéchets collectés sont «valorisés» sous forme de compost ou de méthane. Résultat, ils représentent encore un tiers de la poubelle verte, celle dont les déchets sont incinérés ou enfouis.
La loi antigaspillage prévoit que tous les Français disposent d’une solution pratique de tri à la source de leurs biodéchets à partir du 1erjanvier2024. Un objectif ambitieux de plus qui semble hors de portée. La Commission européenne recommande notamment de mettre en place une collecte en porte à porte dans les grandes agglomérations.
Troisième levier à développer, la tarification incitative, où l’usager paie en fonction de la quantité d’ordures qu’il met à la poubelle. Partout où ce dispositif est mis en place, on constate une baisse de la production de déchets et un meilleur tri. Mais là aussi, son déploiement stagne: moins de 6millions de Français en bénéficient alors que la mesure était censée en toucher 15millions en2020 et 25millions en 2025.
Taux d’incinération élevé
La dernière grande recommandation formulée par la Commission n’est pas spécifique à la France: améliorer et étendre les systèmes de collecte séparée pour les déchets plastiques afin de garantir qu’ils soient tous collectés. Depuis le 1erjanvier, la poubelle jaune est censée accueillir tous les déchets plastiques sans distinction. Mais cela ne signifie pas pour autant qu’ils sont tous recyclés.
Seuls 65% des emballages en plastique sont recyclables (bouteilles, flacons…). 20% ne le sont pas (ceux composés de plusieurs matériaux comme les paquets de chips qui associent plastique et aluminium), et 15% font l’objet de filières de recyclage encore en développement. C’est le cas du polystyrène que l’on retrouve dans la plupart des pots de yaourts, qui a jusqu’en2025pour créer une filière de recyclage. A défaut, ils risquent une interdiction. En attendant, les pots de yaourts continuent à être brûlés.
C’est une autre particularité française, la France continue à incinérer beaucoup d’ordures ménagères: 38% des déchets, contre 27% pour la moyenne européenne. Et de nouveaux projets d’incinérateurs sont en cours à Paris, à Toulouse, en Bretagne ou en Charentes.
Comme mentionné dans l’article ci-dessus, la simplification du tri des déchets permettant aux habitants de mettre tous les emballages dans le bac de tri est entrée en vigueur en janvier 2023. Le principe, ainsi que les freins actuels à l’augmentation du recyclage sont expliqués sur le site de Citeo dans l’article suivant. Car tout ce que nous trions n’est pas encore recyclé :
La simplification du geste de tri consiste à étendre les règles de tri pour permettre aux habitants de mettre tous les emballages dans le bac de tri et de développer le recyclage des emballages en plastique qui n'étaient pas recyclés jusqu'alors : films, pots,barquettes, tubes, sachets… etc. En effet, en France, les règles de tri pour les emballages en plastique étaient limitées aux bouteilles et flacons (en résine PET, celle des eaux minérales,et PEHD, celle des flacons de lessives). Leur recyclage s'est vite organisé et développé en France ; il est aujourd'hui totalement pérenne avec une filière de recyclage efficace en France et en Europe. A fin 2019, 61% des bouteilles et flacons en plastique sont triés et recyclés pour être transformés en nouveaux flacons ou bouteilles, ou en produits textiles par exemple. Mais le choix d’une filière prioritaire pour le PET et le PEHD a entraîné 2 freins à l'augmentation du recyclage en France, qu'il est nécessaire de lever : premièrement, il n'a pas permis de développer le recyclage des autres emballages en plastique comme les barquettes, les pots ou encore les films. Deuxièmement, il a introduit une exception dans les règles de tri, rendant plus complexe le geste de l'habitant. Ce que l’on appelle la simplification du geste de tri répond à ces deux nécessités : un geste de tri simplifié et une massification des emballages collectés pour faciliter la mise en place de solutions industrielles de recyclage.
Pourquoi mettre en oeuvre cette simplification?
Pour augmenter le recyclage de tous les emballages. La simplification du tri active deux principaux leviers pour atteindre cet objectif : d'abord, elle contribue à systématiser le geste de tri des citoyens. Elle aide à lever les doutes, exprimés par 4 Français sur 5 au moment de trier leurs emballages. Les emballages en plastique, tels que le blister, la barquette, le film plastique, le tube de dentifrice, le pot de yaourt, etc... constituent les erreurs de tri les plus fréquentes, même chez les bons trieurs. En simplifiant les règles des emballages en plastique, on permet aux Français de ne plus se poser de question. Et on peut attendre un geste de tri plus systématique car plus assuré : tous les emballages sont à déposer dans le bac de tri quelle que soit leur matière.
Ensuite, la simplification permet de développer le recyclage des emballages en plastique autres que les bouteilles et flacons, dont le recyclage est déjà pérenne. En ouvrant la collecte sélective à ces emballages en plastique, on permet aux entreprises de recyclage de disposer de matière pour expérimenter les process et développer les technologies nécessaires à leur recyclage à grande échelle.Que deviennent les emballages en plastique après le geste de tri?
Ils sont très majoritairement recyclés en France et en Europe. Mais tous ne peuvent pas l’être. Le frein majeur : la recyclabilité. Aujourd’hui, 65% des emballages en plastique sont recyclables comme les bouteilles, les flacons, les films des packs de bouteilles d’eau ou les boites de chocolat en poudre. 15% disposent de filières de recyclage en développement qui doivent donc encore faire leurs preuves ; c’est notamment le cas des barquettes de jambon par exemple. Pour les rendre pérennes, plusieurs axes de travail : les collecter plus (c’est ce que permet de faire la simplification du geste de tri !) pour avoir suffisamment d’emballages à recycler et être économiquement viable, trouver des débouchés à forte valeur ajoutée (pour refaire un emballage avec de la matière recyclée par exemple) et résoudre certaines problématiques de recyclabilité (compatibilité des opercules, colles, encres …). Les 20% restants ne sont pas du tout recyclables. Ils s'agit de certains emballages souples complexes (composés de plusieurs matériaux ou plusieurs résines), par exemple, associent plastique et aluminium, comme les paquets de chips. Comme les ordures ménagères, ils sont aujourd’hui incinérés et valorisés en énergie.
(…)
Si certains emballages en plastique ne sont pas encore recyclables, alors pourquoi demander aux habitants de les trier ?
D'abord car cela simplifie le geste de tri de l'habitant et c'est primordial pour qu'il trie plus (quand c'est plus facile, on le fait plus souvent !). C'est bien notre objectif 1er : faire trier plus, installer cette habitude chez tous les Français (même si, dans un 1er temps, cela génère un peu plus de refus de tri).
Ensuite, en triant plus, on obtient plus de quantité d'emballages à envoyer aux recycleurs qui produisent donc plus de matières recyclées (qui entrent ensuite dans les procédés de fabrication d'emballages et d'objets du quotidien). La demande en matière recyclée est forte pour le plastique PET clair (celui des bouteilles d'eau) et le PEHD (celui des flacons de détergents ou d’hygiène), le verre, le métal et le papier-carton. Elle se développe sur les autres résines en plastique comme le PET des barquettes (aux caractéristiques différentes de celui des bouteilles) PET opaque, le PP et le PS (le polystyrène des pots de yaourt), dont les filières de recyclage en France sont en développement (les 15% cités plus haut).
Pour favoriser la R&D, Citeo a initié la création du flux développement. Il consiste à isoler ces emballages dans les centres de tri les mieux équipés (20 à 25 en 2020) qui assurent leur tri. Le flux est composé de 4 grands groupes d’emballages : emballages en PET coloré, emballages en PET opaque, barquettes en PET et emballages en PS. L’objectif est de rassembler, massifier puis surtrier et enfin recycler ces emballages par résine pour favoriser le développement de leur filière de recyclage respective (lire notre article sur la filière de « bottle to bottle » du PET opaque en développement). Les premiers milliers de tonnes recyclées ont été produites en 2019, avec une montée en puissance dans les années à venir. Citeo est un des repreneurs de ce flux développement.
Quant aux 20% des emballages en plastique qui ne sont pas recyclables, ils font l'objet de projets d'écoconception, de suppression ou de substitution. L'objectif de Citeo est qu'à court ou moyen terme, ils deviennent recyclables, réemployables ou qu’ils disparaissent si on peut s’en passer ou les remplacer par un matériau recyclable. Rappelons également que la loi Anti-gaspillage et pour une économie circulaire prévoit que tous les emballages disposent d’une filière de recyclage d’ici 2030.
De plus, comme l’a évoqué l'article du Monde plus haut, à partir du 1er janvier 2024 le tri des déchets à la source sera obligatoire :
À partir du 1er janvier 2024, le tri des biodéchets à la source sera obligatoire.
Par « biodéchets » on entend tous les produits biodégradables, c'est-à-dire pouvant être décomposés naturellement par des micro-organismes vivants ; et par « à la source », on entend un tri directement effectué chez les ménages, dans les restaurants, les cantines, les entreprises, les parcs et les jardins.
Les biodéchets représentent 30 % du contenu de la poubelle des Français.
Les restes alimentaires des ménages
Ainsi, les restes alimentaires - qui appartiennent à la famille des biodéchets - feront l'objet d'une valorisation agronomique (compostage, produit d’épandage ou méthanisation) pour permettre un épandage au sol approprié.
La loi de février 2020 contre le gaspillage et pour l’économie circulaire stipule en effet que tous les particuliers disposent d’une solution pratique de tri à la source de leurs biodéchets dès le 1er janvier 2024. Chaque foyer triera donc ses déchets alimentaires dans une poubelle dédiée, un « bio-seau », qui sera collecté par des camions bennes dédiés aux biodéchets.
Les collectivités devront étudier et identifier les solutions les plus pertinentes pour trier les déchets alimentaires à la source.
Source : Site du Gouvernement
Cependant, comme le précise l’ORDIF (l’Observatoire régional des déchets) dans son article intitulé «Le tri des déchets alimentaires, enfin ?», la mise en place du tri des biodéchets pour tous les français en ce début de l’année 2024 semble assez improbable. Il identifie notamment 4 leviers sous employés pour favoriser le développement national du tri des biodéchets :
UN ENJEU DE TRANSITION ET QUATRE LEVIERS
Il apparaît clairement que la mise en place du tri ne sera pas généralisée à l’échéance de la fin 2023. Même si elle l’était dans les mois ou années à venir, aujourd’hui, le compte n’y est pas et la marche reste haute pour réduire de manière significative les biodéchets dans le flux résiduel. Un sursaut est-il encore possible ? Il impliquerait une mobilisation massive, en actionnant concomitamment les quatre leviers nécessaires à un changement généralisé de comportement.
La communication
Claire, systématique et coordonnée, elle permettrait de diffuser largement un même message du niveau local au niveau national. La communication semble aujourd’hui n’atteindre que des publics motivés. Et la multiplication des prescriptions contradictoires selon les territoires (avec ou sans viande ; plastiques et bois « compostables » ou pas…) n’est pas sans rappeler l’éventail des consignes sur le tri des emballages et papiers, notamment sur les plastiques, qui a longtemps éloigné les citoyens du tri.
L’ergonomie
Trier doit être simple, efficace et agréable. Après vingt ans d’expérimentations et d’opérations pilotes, les solutions de tri et de collecte sont aujourd’hui bien connues, y compris dans l’habitat dense. Elles appellent un accompagnement technique systématique des trieurs, une surveillance et un traitement des événements – il y en a toujours – entraînant une démotivation (compost mal géré source de mauvaises odeurs, nombre de tournées insuffisantes, incidents de collecte, etc.). Distribuer un composteur individuel à l’aveugle ou livrer un bac de tri supplémentaire dans un immeuble ne suffit pas.
La réglementation
Ce troisième levier n’est pas utilisé en France, pays connu pour son droit de « grands objectifs ambitieux » sans véritable coercition. Le paradoxe d’avoir en même temps pour chaque citoyen deux dispositifs de collecte concurrents, dans lesquels un même déchet est accepté, s’est ainsi installé comme un fait normal. Quasiment partout aujourd’hui, rien n’oblige à mettre ses emballages dans le flux dédié. Les investissements publics, les tournées de collecte et les centres de tri construits par les collectivités peuvent être boudés par les contribuables sans aucune conséquence. Avec le tri des déchets alimentaires, un dispositif supplémentaire va être proposé, sans davantage d’obligations. On le voit déjà avec les restaurateurs, à qui la loi demande de trier depuis 2016 : beaucoup de collectivités acceptent toujours leurs déchets non triés, souvent gratuitement… Nombre de nos voisins européens n’ont pas oublié ce levier réglementaire. Dernière en date, la Région de Bruxelles-Capitale a rendu le tri des emballages et des biodéchets obligatoire, le 25 mai 2023. La règle est sanctionnable à partir de septembre après une phase « pédagogique ».
L’incitation
Enfin, il ne peut y avoir de tri massif sans incitation. L’expérience montre l’efficacité de ce levier : quand les trieurs y ont intérêt, les performances de recyclage sont au rendez-vous. C’est le cas, par exemple, au sud de l’Essonne, en territoire rural, où les collectivités sont en tarification incitative : les citoyens paient moins pour leurs déchets s’ils trient plus. Mais dans le contexte dense, voire ultra-dense, de l’agglomération parisienne, le dispositif doit être adapté de manière significative. La mutualisation des moyens dans l’habitat collectif rend en effet inopérant le caractère incitatif d’un tarif à l’immeuble. C’est pourquoi la gratification du geste de tri doit prendre de nouvelles formes, probablement basées sur des incitations positives : « Je trie donc je gagne » (bons d’achat, prime au retour de la consigne, monnaies locales, etc.). Si de nombreuses expériences existent à petite échelle, leurs modes de généralisation et leur application à la collecte des déchets alimentaires sont encore à inventer. Sans l’utilisation coordonnée de ces quatre leviers simultanément, le tri des déchets alimentaires risque de rejoindre ces nombreuses politiques environnementales dites « de témoignage », incapables de participer significativement à la nécessaire transition écologique.
Bonne journée