Question d'origine :
Bonjour,
En amont de la scolarisation sous la Troisième République, quelles sont les étapes historiques de la généralisation de l'usage de la langue française et de son adoption comme langue nationale dans l'Hexagone - alors que sous Louis XIV encore le royaume est constitué d'une mosaïque de langues régionales, qui restent vivaces jusqu'à la Première Guerre mondiale ?
Merci d'avance
Réponse du Guichet
bml_civ
- Département : Civilisation
Le 21/05/2019 à 10h43
Le français, issu du latin, mais éloigné de ses origines dès le VIIIe siècle, ressemble pendant longtemps à une mosaïque de dialectes. Ils varient considérablement d’une région à l’autre. On distingue principalement les parlers du Nord (langue d’Oïl) et ceux du Sud (langue d’Oc). C’est la langue d’Oïl qui s’affirme et s’impose lorsque les Capétiens renforcent leur pouvoir.
Selon Henriette Walter, professeure de linguistique à l’Université de Haute-Bretagne, une des spécificités de l’histoire de la langue française est le lien entre son évolution et la politique. C’est dans ce phénomène qu’il faut rechercher les leviers de la généralisation de l’usage du français.
En effet, en 1539, François Ier promulgue l’Ordonnance de Villers-Cotterêts, en faveur de la langue française. Elle remplace dorénavant le latin dans les écrits administratifs. L’acte de naissance du français comme langue officielle de l’administration et de l’appareil de justice est délivré e.a. dans un souci d’intelligibilité, afin de ne pas porter préjudice aux justiciables non lettrés. Avec cet acte, apparaît aussi la notion de « langaige maternel françois » qui doit être celle des écrits juridiques, à la place du latin, pour éviter toute incertitude ou incompréhension, comme précise l’article 111. L’aspect pratique de cette démarche semble évident.
Dix ans plus tard, la « Défense et illustration de la langue française » signé par la Pléïade, soulignera la prééminence du français en matière de poésie. Ainsi, la progression du français face au latin se poursuit progressivement – le français répond alors aux exigences à la fois politiques et juridiques que littéraires.
L’usage du français se répandant dans de nombreux domaines d’une part, et d’autre part, la présence de plus en plus accentuée de la langue française dans différentes régions de France, principalement en milieux urbains, entraînent la nécessité de la réguler d’avantage. C’est dans ce but que le Cardinal Richelieu crée en 1635 l’Académie française – pour assurer le « bon usage » du français. Les statuts de l’Académie précisent clairement la mission de « donner des règles certaines à notre langue et à la rendre pure, éloquente et capable de traiter les arts et les sciences ». Par conséquent, l’une des tâches attribuées à la nouvelle institution est la rédaction du « Dictionnaire universel » (1694), dont le rôle régulateur et normatif est indiscutable. On peut dire que la pratique du français devient une affaire d’Etat. C’est le grammairien Claude Favre de Vaugelas, auteur des « Remarques sur la langue française utiles à ceux qui veulent bien parler et bien écrire » (1647) qui fut le premier coordinateur des travaux du dictionnaire.
La Révolution, à son tour, promeut un usage harmonisé et normé du français. La politique révolutionnaire de la langue avance un objectif précis, celui de franciser le peuple pour qu’il coïncide avec la nation d’un point de vue linguistique. Les textes légaux en français prolifèrent, les imprimés se multiplient. Le refus catégorique de toute variante d’usage trouve son expression majeure en 1794, dans le discours de l’abbé Grégoire, évêque constitutionnel de Blois. Après avoir organisé, en 1790, une enquête que nous pourrions qualifier de sociolinguistique, il arrive à la conclusion qu’il faut abolir les patois pour mieux répandre la langue française. Une fois de plus, la langue devient un instrument d’unification politique, cette fois au service de la République.
Par ailleurs, le français sera la seule langue enseignée dans les écoles de l’Etat en 1793. « Dans une république une et indivisible, la langue doit être une. C’est un fédéralisme que la variété des dialectes ; il faut le briser entièrement » énonce on ne peut plus clairement la circulaire du 28 prairial an II. Il s’agit donc d’un véritable programme politique.
Le règne de Louis-Philippe reste dans la continuité de ces idées et met l'accent sur l'enseignement de la langue française dans l’ensemble de l’Hexagone.
Après ces étapes-clés de l’imposition du français sur le territoire national, c’est la IIIe République qui instaure une instruction primaire obligatoire, laïque et gratuite. L’application des lois Jules Ferry, ministre de l’instruction entre 1879 et 1880, est un moment crucial pour l’uniformisation linguistique du territoire, y compris dans l’empire colonial français.
Ces principales étapes de généralisation de la langue française ont été avant tout des outils politiques de communication et d’unification de la société, quelle que soit la nature du régime en place. Le français, répandu dans les milieux urbains et bourgeois, a progressivement éliminé les langues dites vernaculaires ou vulgaires, c.a.d. populaires. Langue d’élite, joignant pureté et classicisme, unité et uniformité, il a été un auxiliaire de la centralisation de l’Etat français. Son imposition a contribué à préparer les bases de l’Etat-Nation.
Pour aller plus loin :
Hervé Abalain, « Le français et les langues historiques de la France », Editions Gisserot, 2007
Jacques Chaurand, « Nouvelle histoire de la langue française », Editions du Seuil, 1999
Henriette Walter, « Aventures et mésaventures des langues de France », Editions du temps, 2008
Selon Henriette Walter, professeure de linguistique à l’Université de Haute-Bretagne, une des spécificités de l’histoire de la langue française est le lien entre son évolution et la politique. C’est dans ce phénomène qu’il faut rechercher les leviers de la généralisation de l’usage du français.
En effet, en 1539, François Ier promulgue l’Ordonnance de Villers-Cotterêts, en faveur de la langue française. Elle remplace dorénavant le latin dans les écrits administratifs. L’acte de naissance du français comme langue officielle de l’administration et de l’appareil de justice est délivré e.a. dans un souci d’intelligibilité, afin de ne pas porter préjudice aux justiciables non lettrés. Avec cet acte, apparaît aussi la notion de « langaige maternel françois » qui doit être celle des écrits juridiques, à la place du latin, pour éviter toute incertitude ou incompréhension, comme précise l’article 111. L’aspect pratique de cette démarche semble évident.
Dix ans plus tard, la « Défense et illustration de la langue française » signé par la Pléïade, soulignera la prééminence du français en matière de poésie. Ainsi, la progression du français face au latin se poursuit progressivement – le français répond alors aux exigences à la fois politiques et juridiques que littéraires.
L’usage du français se répandant dans de nombreux domaines d’une part, et d’autre part, la présence de plus en plus accentuée de la langue française dans différentes régions de France, principalement en milieux urbains, entraînent la nécessité de la réguler d’avantage. C’est dans ce but que le Cardinal Richelieu crée en 1635 l’Académie française – pour assurer le « bon usage » du français. Les statuts de l’Académie précisent clairement la mission de « donner des règles certaines à notre langue et à la rendre pure, éloquente et capable de traiter les arts et les sciences ». Par conséquent, l’une des tâches attribuées à la nouvelle institution est la rédaction du « Dictionnaire universel » (1694), dont le rôle régulateur et normatif est indiscutable. On peut dire que la pratique du français devient une affaire d’Etat. C’est le grammairien Claude Favre de Vaugelas, auteur des « Remarques sur la langue française utiles à ceux qui veulent bien parler et bien écrire » (1647) qui fut le premier coordinateur des travaux du dictionnaire.
La Révolution, à son tour, promeut un usage harmonisé et normé du français. La politique révolutionnaire de la langue avance un objectif précis, celui de franciser le peuple pour qu’il coïncide avec la nation d’un point de vue linguistique. Les textes légaux en français prolifèrent, les imprimés se multiplient. Le refus catégorique de toute variante d’usage trouve son expression majeure en 1794, dans le discours de l’abbé Grégoire, évêque constitutionnel de Blois. Après avoir organisé, en 1790, une enquête que nous pourrions qualifier de sociolinguistique, il arrive à la conclusion qu’il faut abolir les patois pour mieux répandre la langue française. Une fois de plus, la langue devient un instrument d’unification politique, cette fois au service de la République.
Par ailleurs, le français sera la seule langue enseignée dans les écoles de l’Etat en 1793. « Dans une république une et indivisible, la langue doit être une. C’est un fédéralisme que la variété des dialectes ; il faut le briser entièrement » énonce on ne peut plus clairement la circulaire du 28 prairial an II. Il s’agit donc d’un véritable programme politique.
Le règne de Louis-Philippe reste dans la continuité de ces idées et met l'accent sur l'enseignement de la langue française dans l’ensemble de l’Hexagone.
Après ces étapes-clés de l’imposition du français sur le territoire national, c’est la IIIe République qui instaure une instruction primaire obligatoire, laïque et gratuite. L’application des lois Jules Ferry, ministre de l’instruction entre 1879 et 1880, est un moment crucial pour l’uniformisation linguistique du territoire, y compris dans l’empire colonial français.
Ces principales étapes de généralisation de la langue française ont été avant tout des outils politiques de communication et d’unification de la société, quelle que soit la nature du régime en place. Le français, répandu dans les milieux urbains et bourgeois, a progressivement éliminé les langues dites vernaculaires ou vulgaires, c.a.d. populaires. Langue d’élite, joignant pureté et classicisme, unité et uniformité, il a été un auxiliaire de la centralisation de l’Etat français. Son imposition a contribué à préparer les bases de l’Etat-Nation.
Pour aller plus loin :
Hervé Abalain, « Le français et les langues historiques de la France », Editions Gisserot, 2007
Jacques Chaurand, « Nouvelle histoire de la langue française », Editions du Seuil, 1999
Henriette Walter, « Aventures et mésaventures des langues de France », Editions du temps, 2008
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