Question d'origine :
Bonjour,
Je n'arrive pas à trouver de référence qui appuie quelque chose que j'ai appris par le passé.
A savoir que, dans les environnements de travail à risque (je crois que c'est le cas dans les centrales nucléaires), les salariés commettant une erreur humaine grave ne sont délibérément pas punis, afin d'éviter que l'erreur soit dissimulée et ait finalement des conséquences bien plus graves.
Pourriez-vous m'aider à trouver quelque chose qui appuie cela ?
Merci !
Réponse du Guichet
gds_ctp
- Département : Equipe du Guichet du Savoir
Le 03/04/2019 à 14h45
Bonjour,
D’après les sources que nous avons pu consulter, la non-punition des erreurs humaine est une politique de prise de décision défendue en France par le sociologue et ex-DRH Christian Morel dans son livre Les décisions absurdes. 02 [Livre] : Comment les éviter. Elle fait partie de ce que l’auteur appelle «métarègles de fiabilité », dont il ébauchait quelques principes dans une interview accordée auMonde à la sortie de son livre :
« Le meilleur exemple est celui de la check-list (« liste de contrôle ») qui, dans un bloc opératoire, permet de réduire de moitié la mortalité chirurgicale. Elle est directement tirée de l'aéronautique. La check-list du cockpit est aujourd'hui considérée comme un standard du métier.
D'autres processus sont transférables d'un secteur à l'autre. Ainsi la collégialité, dont l'efficacité a été mise en évidence dans les cockpits d'avion après bien des accidents, favorise tout autant la fiabilité des décisions prises au sein du conseil d'administration d'une entreprise, tout simplement parce qu'on se trompe moins à plusieurs que tout seul. Ce même constat a été fait dans les sous-marins nucléaires, en médecine, et même dans les équipes de randonnées de montagne. Un Américain a observé que les randonnées de ski hors piste avec un guide avaient au moins autant d'accident que sans guide. L'explication est qu'il vaut mieux une discussion de groupe sans leader qu'un leader sans discussion.
Qu'appelez-vous les métarègles de fiabilité?
Ce sont les principes fondamentaux de fiabilité des décisions qui sont entre autres : lacollégialité , le débat contradictoire , le droit de veto de l'expert, la non-punition des erreurs non intentionnelles et le retour d'expérience . Ce sont des règles qui se situent au niveau de la culture, et non au niveau des outils opérationnels.
Pour assurer la fiabilité, les instruments ne suffisent pas, il faut agir en amont. En médecine, par exemple, il existe des « revues morbi-mortalité » : les médecins et infirmières se réunissent régulièrement,font la revue des incidents passés (décès après opération, rechute, etc.) et les analysent afin d'éviter qu'ils se reproduisen t. Mais si une infirmière a peur de la punition, elle ne donnera pas toutes les informations à l'origine de l'incident . Sans l'application des métarègles en amont, ces comités seraient donc peu efficaces. »
Il faut noter que si Morel est le principal zélateur de ce dispositif en France, il ne prétend pas en être l’auteur – de fait, il s’inspire des pratiques en cours dans l’aéronautique, qui par ailleurs avaient déjà intéressé Karl Weick et Kathleen Sutcliff dans leur ouvrage Managing the Unexpected: Resilient Performance in an Age of Uncertainty, dont vous pourrez parcourir quelques passages sur Google Livres.
Les « métarègles de fiabilité sont listées et expliquées par Morel dans un articles accessible en bibliothèque sur cairn.info ; concernant la non-punition précisément, Anaïs Saint Jonsson a remarqué dans sa thèse soutenue en 2017 (et en ligne sur archives-ouvertes.fr que les erreurs (et leur aveu) étaient en fait indispensable à la marche et au progrès d’une organisation de pointe :
« Il faut toutefois remarquer que cette culture de rapports des erreurs n’est pas toujours si évidente dans les organisations, surtout celles qui fonctionnent en silos ou lorsqu’il règne une importante habitude de punition des erreurs : si les individus ne se sentent pas à l’aise pour rapporter les erreurs, alors ils vont les ignorer ou les dissimuler (Weick & Sutcliffe, 2007 ; Morel & Oury, 2012). A ce sujet, un grand nombre d’auteurs ont décrit les méfaits des pratiques de type « recherche de coupables » dans les organisations (Leveson, 2004 ; Marais et al., 2006 ; Weick et al., 2007; Morel, 2012; Morel & Oury, 2012...) : en plus de dissimuler les erreurs, la pratique traditionnelle qui consiste à punir un individu à cause d’une erreur empêche de remonter à la source de cette erreur, et donc de comprendre précisément comment les accidents se sont produits (Morel & Oury, 2012).
En outre, pour Marais et al. (2006),le risque est grand de rendre le système « muet » au sujet de ses dysfonctionnement s ; car en récompensant les individus qui ne rapportent pas d’erreurs, l’incitation à cacher l’information crée l’illusion temporaire que le système est devenu plus sûr . Or, l’attention sur la situation du système est en réalité seulement diminuée, et les managers ne sont plus conscients de son état réel, tant sur ses aspects techniques que sociaux. Les erreurs jouent en fait un rôle écologique dans le contrôle de la performance (Marais et al., 2006) : sans erreur portée à connaissance, l’organisation est tentée d’augmenter ses objectifs de performance et de productivité sans être consciente des risques qu’elle prend se faisant ; les risques accumulés peuvent alors se matérialiser sous la forme d’un accident catastrophique (Rasmussen, 1997). En outre, en faisant taire les échecs de l’organisation, cette dernière perd la seule information qu’elle peut retirer de ces incidents et qui lui serait utile pour s’adapter.
Il faut également prendre en compte que les écarts vis-à-vis des procédures étant monnaie courante, lorsqu’un accident survient, il est toujours facile de trouver quelqu’un qui n’a pas respecté la procédure. Désigné coupable parce qu’il aura suivi une pratique informelle et non formelle (Leveson, 2004), le premier individu dont le comportement sera prouvé comme déviant vis-à-vis des procédures deviendra le bouc-émissaire de l’affaire (Morel, 2012). L’organisation aura alors l’impression d’avoir réglé le problème survenu alors qu’en réalité, si une personne a commis une erreur, un autre pourra la commettre de nouveau : c’est donc un problème structurel qui persistera dans l’organisation ! Ceci est en cohérence avec notre société dont l’héritage chrétien nous pousse à rechercher un pêcheur avant de rechercher une cause à un accident (Morel, 2012). Il apparaît donc essentiel d’accompagner l’organisation vers une politique de non-punition des erreurs (Weick & Sutcliffe, 2007 ; Morel, 2012 ; Morel & Oury, 2012) car « la punition est mère du silence » […] Certaines organisations vont jusqu’àpunir le fait de dissimuler les erreurs pour montrer qu’elles privilégient leur connaissance (Morel, 2012) ! »
Bonne journée.
D’après les sources que nous avons pu consulter, la non-punition des erreurs humaine est une politique de prise de décision défendue en France par le sociologue et ex-DRH Christian Morel dans son livre Les décisions absurdes. 02 [Livre] : Comment les éviter. Elle fait partie de ce que l’auteur appelle «
« Le meilleur exemple est celui de la check-list (« liste de contrôle ») qui, dans un bloc opératoire, permet de réduire de moitié la mortalité chirurgicale. Elle est directement tirée de l'aéronautique. La check-list du cockpit est aujourd'hui considérée comme un standard du métier.
D'autres processus sont transférables d'un secteur à l'autre. Ainsi la collégialité, dont l'efficacité a été mise en évidence dans les cockpits d'avion après bien des accidents, favorise tout autant la fiabilité des décisions prises au sein du conseil d'administration d'une entreprise, tout simplement parce qu'on se trompe moins à plusieurs que tout seul. Ce même constat a été fait dans les sous-marins nucléaires, en médecine, et même dans les équipes de randonnées de montagne. Un Américain a observé que les randonnées de ski hors piste avec un guide avaient au moins autant d'accident que sans guide. L'explication est qu'il vaut mieux une discussion de groupe sans leader qu'un leader sans discussion.
Qu'appelez-vous les métarègles de fiabilité?
Ce sont les principes fondamentaux de fiabilité des décisions qui sont entre autres : la
Pour assurer la fiabilité, les instruments ne suffisent pas, il faut agir en amont. En médecine, par exemple, il existe des « revues morbi-mortalité » : les médecins et infirmières se réunissent régulièrement,
Il faut noter que si Morel est le principal zélateur de ce dispositif en France, il ne prétend pas en être l’auteur – de fait, il s’inspire des pratiques en cours dans l’aéronautique, qui par ailleurs avaient déjà intéressé Karl Weick et Kathleen Sutcliff dans leur ouvrage Managing the Unexpected: Resilient Performance in an Age of Uncertainty, dont vous pourrez parcourir quelques passages sur Google Livres.
Les « métarègles de fiabilité sont listées et expliquées par Morel dans un articles accessible en bibliothèque sur cairn.info ; concernant la non-punition précisément, Anaïs Saint Jonsson a remarqué dans sa thèse soutenue en 2017 (et en ligne sur archives-ouvertes.fr que les erreurs (et leur aveu) étaient en fait indispensable à la marche et au progrès d’une organisation de pointe :
« Il faut toutefois remarquer que cette culture de rapports des erreurs n’est pas toujours si évidente dans les organisations, surtout celles qui fonctionnent en silos ou lorsqu’il règne une importante habitude de punition des erreurs : si les individus ne se sentent pas à l’aise pour rapporter les erreurs, alors ils vont les ignorer ou les dissimuler (Weick & Sutcliffe, 2007 ; Morel & Oury, 2012). A ce sujet, un grand nombre d’auteurs ont décrit les méfaits des pratiques de type « recherche de coupables » dans les organisations (Leveson, 2004 ; Marais et al., 2006 ; Weick et al., 2007; Morel, 2012; Morel & Oury, 2012...) : en plus de dissimuler les erreurs, la pratique traditionnelle qui consiste à punir un individu à cause d’une erreur empêche de remonter à la source de cette erreur, et donc de comprendre précisément comment les accidents se sont produits (Morel & Oury, 2012).
En outre, pour Marais et al. (2006),
Il faut également prendre en compte que les écarts vis-à-vis des procédures étant monnaie courante, lorsqu’un accident survient, il est toujours facile de trouver quelqu’un qui n’a pas respecté la procédure. Désigné coupable parce qu’il aura suivi une pratique informelle et non formelle (Leveson, 2004), le premier individu dont le comportement sera prouvé comme déviant vis-à-vis des procédures deviendra le bouc-émissaire de l’affaire (Morel, 2012). L’organisation aura alors l’impression d’avoir réglé le problème survenu alors qu’en réalité, si une personne a commis une erreur, un autre pourra la commettre de nouveau : c’est donc un problème structurel qui persistera dans l’organisation ! Ceci est en cohérence avec notre société dont l’héritage chrétien nous pousse à rechercher un pêcheur avant de rechercher une cause à un accident (Morel, 2012). Il apparaît donc essentiel d’accompagner l’organisation vers une politique de non-punition des erreurs (Weick & Sutcliffe, 2007 ; Morel, 2012 ; Morel & Oury, 2012) car « la punition est mère du silence » […] Certaines organisations vont jusqu’à
Bonne journée.
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