Une vague de suicides à Lyon en 1495
LYON, MÉTROPOLE ET RÉGION
+ DE 2 ANS
Le 20/11/2018 à 13h55
349 vues
Question d'origine :
Je lis dans Guide secret de Lyon et de ses environs, page 66, qu'il y eut à Lyon une épidémie de suicides parmi les jeunes femmes. La source semble être un traité de Jacques Ferrand, De la maladie d'amour ou mélancolie érotique.
Existe-t-il d'autre sources plus détaillées de cette étrange vague de suicides ?
Merci pour votre réponse.
Réponse du Guichet
bml_reg
- Département : Documentation régionale
Le 23/11/2018 à 10h50
On peut lire en effet dans Guide secret de Lyon et de ses environs par Claude Ferrero, éd. 2010, un petit chapitre intitulé : Sorcellerie et frustration sexuelle :
En 1495, une épidémie de suicides se répandit parmi les jeunes Lyonnaises qui se pendaient et se jetaient dans les puits de la ville. Des possédées du démon ? On décida, en guise de remède, de promener les jeunes filles nues et de les conduire au bûcher, ce qui incita les candidates au suicide à y renoncer rapidement. La contagion selon Jacques Ferrand (De la maladie d’amour ou mélancolie érotique), s’expliquait par l’insatisfaction sexuelle et le chagrin d’amour après le départ de leurs compagnons de la cour de France de Lyon.
Il en est fait mention également dans Histoire secrète de Lyon et du Lyonnais par Jean-Louis Bernard, ed. 1977, mais de manière encore plus succincte, page 183 :
(…) En 1495, une épidémie de suicides s’empara des jeunes Lyonnaises qui trouvaient « mauvais goût « à la vie, rapporte Albert Champdor. Elles se jetaient dans les puits ou se pendaient (…)
On trouve effectivement dans le livre d’Albert Champdor : Vieilles chroniques de Lyon, première série, un chapitre à ce sujet, page 41, nous vous le transmettons en entier :
Dans son livre, les Miscellanea, publié chez Jean Oporin, à Bâle, en 1555, Jean Brodeau, de Tours, relate un événement peu connu. En 1495 une étrange frénésie s’empara des filles de Lyon : elles trouvèrent un si mauvais goût à la vie que, tandis que les unes se jetaient dans les puits, les autre se pendaient. Ce fut, écrit l’auteur, « comme une épidémie ». Les autorités s’affolèrent et cherchèrent les moyens propres à conjurer les effets d’une telle panique. On multiplia les exhortations, on fabriqua des médecines, on ordonna que toutes les filles atteintes du mal de mort seraient portés nues en procession jusque sur les bûchers. Il paraît que ces remèdes furent suffisants pour arrêter l’épidémie de suicides et que les filles de Lyon redevinrent ce qu’elles n’auraient jamais dû cesser d’être : de beaux fruits dans le jardin des Hespérides…Et si nos lecteurs doutaient de la véracité de cette histoire, nous ajouterions, pour les convaincre, ce qu’écrivit un médecin nommé Jacques Ferrand, natif d’Agen, dans son ouvrage intitulé : De la maladie d’amour ou melancholie érotique, discours curieux qui enseigne à cognoistre l’essence, les causes, les signes et les remedes de ce mal. Après avoir avancé que la maladie des femmes de Milet n’était autre que celle qui sert de sujet à son livre, celle dont on ne guérit les filles qu’en les mariant, il ajoute : « J’ose encores faire le mesme jugement au sujet de ce qui se passa à Lyon à la fin du quinzième siècle, lorsque les femmes se précipitoient dans les puits, croyans trouver remede à leur feu : comme durant la grande peste d’Athenes, les malades, pour trouver soulagement à leur fièvre ardente, se précipitoient avec desespoir dans les fleuves ou cloaques, au rapport de Thucycide et de Lucrèce ».
Dans notre catalogue 3 ouvrages dont l’auteur est Jean Brodeau sont référencés, ils sont en latin.
De la maladie d’amour ou mélancolie érotique, 1623, est consultable en ligne.
Ces faits sont mentionnés également dans Lyon magique et secret / Jean-Jacques Gabut, 1993, page 243 :
(…) Chagrins d’amour… à répétition comme le croit Steyert, insatisfaction sexuelle – pour les chroniqueurs de l’époque, très phallocrates bien sûr ! – ou encore contagion de l’exemple comme on le voit bien dans les cas de possession de couvents ? (…) La peur des flammes et celle de l’enfer conjurées eurent raison de l’épidémie qui guérit aussi vite qu’elle était apparue…
Nous avons donc cherché l’information dans les ouvrages de Steyert. Dans Nouvelle histoire de Lyon et des provinces de Lyonnais, Forez, Beaujolais, T.3, page 20, encore une fois, ce sujet est abordé seulement en un paragraphe. Quelques extraits :
(…) Aussi la présence de cette cour de France, et de tant de nobles et riches seigneurs, eut-elle sur notre population une influence où la morale trouva souvent à redire, et produisit parfois d’étranges et tristes résultats dont la médecine eut à s’occuper. Sans parler d’une nouvelle lèpre honteuse que l’armée rapporta de Naples, sorte de présage de la lèpre morale qu’allait inoculer à la société française le retour à la civilisation païenne, nos docteurs lyonnais se trouvèrent une fois en présence d’une épidémie devant laquelle leur science fut en défaut. Après certain départ de la cour, il arriva que les jeunes filles de Lyon, sur lesquelles les séduisants chevaliers avaient fait une trop vive impression, tombèrent dans une telle mélancolie que, prises d’une sorte de frénésie, un grand nombre d’entre elles se suicidaient, se poignardant, s’étranglant ou se jetant dans les puits qui alors abondaient à Lyon. Les monastères eux-mêmes, celui de Saint-Pierre en particulier, se ressentirent de l’influence de ces désordres.
Cet inconvénient passager fut compensé par des avantages enviés. Tandis que les filles se tuaient par amour pour des gentilshommes, les pères se mettaient en mesure de le devenir eux-mêmes. (…)
En faisant des recherches dans Gallica, on peut trouver dans des ouvrages, des passages dans lesquels il est fait mention de ces faits :
Répression légale du suicide, éd. 1879, page 16, mais s’agit-il bien de 1495 ? :
(…) Primerose, Spon, Bonnet, cités par Brière de Boismont, racontent l’étrange manie qui portait les femmes de Lyon à se précipiter dans le Rhône. Esquirol rapporte qu’autrefois, à Marseille les jeunes filles se tuaient à cause de l’inconstance de leurs amants (…)
Nous avons consulté ces ouvrages, mais en vain :
Lyon entre Empire et Royaume (843-1601), ed. 2015
Histoire de Lyon tome 1 : Des origines à 1595 / par A Kleinclausz, ed. 1978
Histoire de Lyon des origines à nos jours / Pelletier, Rossiaud, Bayard, Cayez, 2007
DANS NOS COLLECTIONS :
Commentaires 0
Connectez-vous pour pouvoir commenter.
Se connecter