Question d'origine :
Cher guichet ,
Qu' en est-il en France, pendant et après la Grande Guerre du "deuil victorien" avec l'utilisation du papier à lettre ourlé de noir,le port des bijoux noir de jais ,les périodes de retrait de la société?
Je précise ma question:
1) quid du calendrier conventionnel du chagrin (époux,épouse,parents ou enfant,frère ou sœur,grand-parent etc.) avec les durées de deuil correspondantes
2)subdivision de ces périodes : premier,second deuil ,demi-deuil ?
3) Les enfants à partir d'un certain âge portent-ils le deuil ?
4Quand ces habitudes conventionnelles ont-elles cessé pour les familles des poilus?
Merci pour le travail que vous faites.
Réponse du Guichet
bml_civ
- Département : Civilisation
Le 30/01/2018 à 14h08
Bonjour,
En préambule une brève analyse des pratiques rituelles autour du deuil.
Fonctions et rituels du deuil :
Dans le cadre du rapport au mort, du culte funéraire comme fréquentation, le deuil est l’ensemble des conduites sacrificielles de ses plaisirs qu’on assume pour le défunt, comme ce qu’on lui doit et qui le fait être encore.
Le plus couramment sacrifie t–on ses plaisirs vestimentaires : ceux des étoffes chatoyantes pour les mates, comme le crêpe, le drap ; ceux des couleurs contrastées, pour les sombres et les unies, ceux des ornements divers du vêtement, particulièrement les bijoux – qui n’étaient pas abandonnés dans l’habit convenable de la bonne société bourgeoise, par exemple, mais qui n’en étaient pas moins remplacés par du jais ou de l’ébène…
Deuil, fonctions et rituels :
S’ils présentent une grande variabilité selon les cultures et les époques, ils s’inscrivent dans une constante universelle qui s’applique à formaliser la mort de chacun pendant un temps de transition, afin d’apaiser l’angoisse qu’elle procure…Comme l’explique Philippe Ariès dans son ouvrage « l’homme devant la mort », le deuil, sous sa forme ritualisée, est apparu en réponse à la nécessité de maintenir le bon fonctionnement des sociétés.
Ainsi, la mise en place d’un langage rituel et de conduites codifiées socialement participent de cette quête de sens et du besoin de se protéger, tant de la mort que du retour des morts. Décrits par L.V. Thomas (1975), les rituels funéraires s’organisent en trois temps distincts dans cette « prise en charge » collective du deuil. En premier lieu, les rites de »séparation » imposent une rupture entre les morts et les vivants, indiquant que leur destin est dorénavant différent. Ils varient selon l’âge, le sexe et la position sociale du défunt. Ensuite , « les rites de marge » qui couvrent le temps de transformation du corps en squelette. Pour le défunt comme pour les proches, cette période se situe dans un entre-deux-mondes. Les endeuillés suspendent les activités courantes liées à leur vie sociale et le défunt entame son voyage vers l’au- delà. Enfin les « rites de réintégration », qui marquent le retour de l’endeuillé au sein de sa communauté. Dans nos sociétés, ces mêmes étapes se retrouvent sous les noms de grand deuil, de demi-deuil et de petit deuil, avec diverses variantes (M.F. Bacqué,2000).
Ces rituels sont des modalités d’accompagnement qui visent à délimiter le territoire des vivants en offrant à l’endeuillé un soutien communautaire capable de le rassurer, le déculpabiliser et de le réconforter…le rituel n’est là que pour servir les vivants en tentant de maintenir un équilibre tant individuel que collectif (L.V. Thomas,1988…)
Le XXe siècle a donné lieu à un effacement marqué des rituels funéraires et au déplacement de l’expression des sentiments liés à la perte vers le domaine du privé. Ce constat s’inscrit dans un contexte historique particulièrement chargé d’évènements douloureux qui ont contribué à renforcer le sentiment de tournant décisif, voire de rupture entre les générations. Les pratiques officielles liées au deuil n’ont pas su répondre aux attentes de cette époque et n’ont pas pu jouer leur rôle fondamental envers les vivants. Ainsi, aujourd’hui, certains rites sont désormais perçus comme désuets tels la veillée mortuaire, ou encore le passage du cortège funéraire dans la ville, maintenant interdit. D’autres rituels ont été réduits à leur plus simple expression… Dans ce temps consacré au deuil, désormais réduit, les signes extérieurs utilisés pour signifier la mort et désigner les endeuillés ont disparu. L’arrêt momentané des activités sociales n’a plus cours, le port des habits noirs a été délaissé et les corbillards n’arborent plus de signes distinctifs…Le désinvestissement social, l’abandon des pratiques et le manque de croyance ont eu raison de la quête de sens mystique du deuil. Sous l’influence de la modernité, la ritualité funéraire s’inscrit comme une « modalité de traitement » des difficultés éprouvées par l’endeuillé. Les conduites et les attitudes ritualisées se sont effacées au profit de services techniques et professionnels……Si ces nouvelles conditions répondent efficacement aux attentes rationnelles des sociétés occidentales actuelles, elles contribuent à diminuer l’efficacité des rapports de sociabilité et encouragent l’endeuillé à l’isolement et à l’inhibition de ses émotions. C’est en ce sens que l’on assiste à une recrudescence des maladies de deuil. A défaut d’une mise à distance de la mort par les rituels de deuil et leurs symboliques, c’est un évitement ou une intégration mortifère de la mort qui s’opère.In
Dictionnaire de la mort
Nous possédons Les rites de la mort. Pour la paix des vivants et Anthropologie de la mort de L.V. Thomas cités à titre de référence dans le précédant article ; ils nous auraient été bien utiles mais sont empruntés.
Plus concrètement et pour répondre plus précisément à votre question, voir l’article de wikipédia :
Durée et modalités
La durée d'un deuil est très variable, suivant la souffrance de la personne. Elle peut s'étendre de plusieurs semaines à plusieurs mois ou même plusieurs années. Néanmoins quand le deuil fait suite à la perte d'un proche, la première année est souvent décisive afin de revisiter toutes les grandes dates anniversaires.
Autrefois, en France, la durée du deuil était généralement fixée, pour les conjoints, à un an pour le veuf et à deux ans pour la veuve. Lorsqu'il s'agissait du décès d'une personne n'ayant aucun lien de parenté, un deuil pouvait être respecté, uniquement par courtoisie, pendant une durée beaucoup plus courte. Pendant la période dite de « grand deuil » et qui durait généralement une année, la veuve ne devait porter que des vêtements de couleur noire. Encore ne devaient-ils être que de lainage ou de crêpe anglais. Pas de bijoux, excepté en bois noirci ou, plus tard, en jais. Le chapeau est accompagné d'un long voile de crêpe couvrant le visage et descendant jusqu'aux genoux. Il ne doit pas être levé avant six mois. Généreuse, la comtesse de Gencé précise toutefois dans Savoir-vivre et usages mondains qu'il est « permis, durant les grandes chaleurs, de ramener le voile sur l'épaule gauche »...
Passé ce délai, les conventions lui permettaient de revêtir du violet, du mauve ou du gris et ce, jusqu'au terme du deuil. C'est ce qu'on appelait la période de « demi deuil ». La veuve peut alors porter du velours ou du taffetas. Elle peut se remettre à porter des perles ou des améthystes.
Inutile de dire que, dans la France agricole, ces considérations n'ont pas cours. La parentèle est nombreuse, les décès fréquents, les revenus réduits, et le problème est résolu en s'habillant en noir durant la quasi-totalité de son existence.
Le veuf, quant à lui, devait porter des vêtements sombres, et éventuellement fixer un ruban de crêpe noir autour de son chapeau ou porter un bandeau noir autour du bras. Pour un militaire ou tout homme portant un uniforme (y compris les collégiens), c'est même la seule marque du deuil. La même comtesse de Gencé précise « que la hauteur du crêpe varie selon le degré de parenté ». C'est dire jusqu'où allait le détail ! La Loi dispose que le veuf peut se remarier après six mois de veuvage (dix-huit mois pour la veuve...). Les manuels précisent que « les convenances mondaines interdisent formellement de profiter de cette tolérance. »
Pour un autre membre de la famille (père, mère, enfant, frère, sœur…), les mêmes règles étaient appliquées mais dans des délais moindres. Néanmoins, le port du voile rabattu durant six mois est également imposé pour parents et enfants. Pour les frères et sœurs, il se porte rejeté sur l'épaule gauche ou enroulé en écharpe. Pour les parents plus lointains, le voile n'est pas exigé, sauf si l'on est héritière du défunt. À noter que l'on n'était pas tenu à un deuil sévère pour les enfants morts en bas-âge. Outre le deuil vestimentaire, aucune partie de plaisir, aucune fête, aucun dîner, aucun concert, aucune fleur ne sont autorisés durant les six premiers mois du deuil. Tout bruit est évité dans la maison, la musique proscrite, le piano fermé. Les activités sociales sont reprises à dose homéopathique durant la période de demi-deuil. Même le papier à lettres et les mouchoirs sont bordés d'une bande noire dont la largeur varie selon le degré du deuil.
La seconde guerre mondiale a signé le début du déclin du deuil, essentiellement avec les restrictions qui ne permettaient plus de se procurer les vêtements adaptés. Il a néanmoins continué d'être porté jusqu'à la fin des années soixante en zone rurale et dans les familles traditionnelles. Les évènements de 1968 et l'évolution des mœurs qui s'en est suivie lui ont porté le coup fatal.
Aujourd'hui, la couleur noire est portée par tout un chacun. Il n'y a en général plus de marque extérieure de deuil, et de fait plus de deuil social à proprement parler. Certains[Qui ?] regrettent cet état de fait : si l'entourage est au courant de la situation de la personne, ce n'est en revanche pas le cas des autres personnes, ce qui peut conduire à un manque de tact et donc à une souffrance supplémentaire dans certaines situations.
Le port du deuil est recommandé par certains psychiatres à leurs clients en souffrance après la perte d'un être cher. C'est une façon d'extérioriser son chagrin, cela peut être favorable à la thérapie. Cependant, cela diffère selon les cultures et traditions, pour lesquelles la vision de la mort peut diverger.
Temps de deuil
D'après Sandrine Sénéchal et Thierry Dehan4 :
Veuvage Père, mère, enfants, beau-père, belle-mère Grand-père, grand-mère Frère et sœur, beau-frère et belle-sœur, neveu et nièce Oncle et tante Cousin germain et parrain
Grand deuil (laine et crêpe) 1 an 9 mois 3 mois 6 mois
Période dite de la « soie noire » 6 mois 6 mois 6 mois 3 mois 3 mois
Demi-deuil 6 mois 3 mois 3 mois 3 mois 3 mois 3 mois
Durée totale Veuve : 1 an 6 semaines à Paris, jusqu'à 2 ans en province
Veuf : 6 mois
18 mois 1 an 10 mois 6 mois 3 mois
L’emploi du terme « demi-deuil » y compris en cuisine (la poularde demi-deuil de la Mère Brazier) laisserait à penser que le deuil sous sa forme ritualisée faisait bien partie du paysage culturel français au moins pendant la première moitié du 20e siècle mais nous nous égarons peut-être un peu.
Voir aussi :
La vraie histoire des femmes de 14-18
Le noir est largement porté pendant toute la durée du conflit. Les veuves doivent respecter le grand deuil 1 an, le deuil 9 mois et le demi-deuil 3 mois. Les couleurs sombres s’imposent aussi à la fratrie, aux parents et beaux-parents, aux grands parents et aux enfants. Elles concernent tant les vêtements que les accessoires. Autant dire que le noir, le gris, le violet, le mauve omniprésents plongent encore plus dans la tristesse toute une société déjà très touchée. D’autant que même les femmes qui ne sont pas veuves, ni même mariées, portent le noir en signe de deuil… de leur nation meurtrie.
On peut lire aussi dans cet ouvrage collectif :
Les étoffes du deuil, couleurs et symboles au chapitre intitulé: les pratiques du deuil féminin : de la grande guerre à la seconde guerre mondiale.
La guerre de 1914 à 1918 et le vêtement de deuil:
La mort fait très tôt partie du quotidien de guerre pour plusieurs années une culture du deuil qui frappe chaque famille par sa brutalité. Ces veuves de guerre aisément identifiables à leur robe noire et à la longueur de leur voile sont soumises à un code de convenances concernant leurs tenues étroitement planifiées. Contrairement à ce qui se passe pour d’autres vêtements au même moment, les habits de deuil ne se simplifient pas même s’ils diffèrent des deuils austères de jadis. Comme autrefois, ils font l’objet de règles spécifiques qui dépendent du du contexte et du degré de parenté.
Pendant la guerre, les pages consacrées aux vêtements de deuil ne sont pas négligeables dans les magazines féminins qui donnent à chacune de précieux conseils. Pour celles qui ont les moyens, Femina écrit dans son numéro du 15 mai 1915 : « le grand deuil et le deuil élégant ne se portent qu’en crêpe anglais ». L’emploi du crêpe, c’est la seule concession que fasse le deuil actuel aux usages d’autrefois. …Au fur et à mesure que l’on s’éloigne de la date du décès, la règle se fait moins stricte. Toutes les femmes sont concernées par l’usage du deuil y compris dans les milieux les plus simples. A la campagne, la tenue noire est de rigueur et des journaux, tels que « la mode pratique, s’efforcent de conseiller les lectrices modestes en leur adressant des patrons découpés. Dans un journal destiné aux classes moyennes, le « petit écho de la mode » du 21 octobre 1917, sont reproduites en couverture trois silhouettes féminines représentatives de l’époque. Elles portent des tenues dont on peut se procurer les patrons directement dans les bureaux du magazine. On comprend d’après le schéma que les enfants sont aussi touchés par ces prescriptions. La fillette est en noire y compris les bas et le chapeau ; à ses côtés une jeune fille en costume de serge noire, tissu toléré pour des raisons pratiques, et enfin une femme en manteau robe de gabardine et voile en crêpe anglais…
La guerre de 1939-1945 et la pratique du deuil :
Dès la défaite de juin 40, on assiste à un changement dans le paysage urbain et rural du à la présence allemande…Les vainqueurs réquisitionnent une grande partie des textiles pour les envoyer dans le Reich. Il en va de même pour le cuir, la pénurie vestimentaire s’installe aggravée par la coupure de la ligne de démarcation empêchant le commerce des tissus venant du nord du pays vers la zone libre. S’ajoute a cela le manque de main d’œuvre en raison du million et demi de prisonniers de guerre en Allemagne…Dans ces conditions, le gouvernement du maréchal Pétain impose à tous, après le système de bons d’achat en février 1941, une carte de vêtement sans laquelle il est impossible de se procurer la moindre tenue quelle que puisse être la raison. On compte à cette époque 300 000 veuves de guerre dont la plupart ont du mal à respecter les conventions qui jusque-là régissent le deuil.
Pour la minorité issue d’un milieu aisé, rien ne change, au moins les deux premières années. En cas de décès d’un proche, ces femmes ont la possibilité d’acheter une toilette de deuil pour respecter autant que faire se peut, les règles d’avant- guerre en dépit des entorses qu’elles sont obligées de subir. Ainsi, le voile en crêpe anglais, si présent au cours de la première guerre mondial et qui dissimulait le visage, est souvent diminué par manque de matières premières. Au fur et à mesure de la période, les matières changent…lainages et soieries disparaissent au profit de la rayonne…Quant aux accessoires, sacs, gants, leur prix grimpent dangereusement. Les chaussures dont rarement en cuir
La majorité de la population doit se débrouiller avec les moyens du bord. Les convenances se font surtout sentir dans la paysannerie où l’on reste attaché aux traditions mais il devient difficile sans prouesses de se plier aux rites d’autrefois, ce qui impose aux femmes d’avoir recours « au système D ». Le prêt en famille ou entre amies…. Mais la méthode la plus couramment employée reste la teinture. Bientôt, face aux difficultés, un manteau foncé, gris ou marron, est toléré. On se tourne vers les tissus de remplacement, fibranne ou rayonne…Porter des bas noirs est une gageure, on fait face avec des bas au crochet ou tricotés…. Bien souvent, la toilette est hétéroclite, les accessoires tranchant avec le reste de la tenue……
Toutes, lorsque les dernières restrictions de tissus sont levées, à nouveau les convenances dictent le retour aux tenues traditionnelles où la part des nouveaux tissus est importante. A partir des années soixante, on constate un abandon progressif de toutes les conventions vestimentaires dont 1968 sonnera le glas.
Voir aussi dans le même ouvrage les articles suivants :
Les classes d’enterrement : draps mortuaires, tentures funèbres et corbillards en France aux XIXe et XXe siècles.
Les ornements liturgiques funèbres du XIXe au début du XXe siècle.
Voir aussi :
le deuil, Marie- Frédérique Bacqué.
Mourir aujourd’hui, les nouveaux rites funéraires, Marie- Frédérique Bacqué.
Des rituels funéraires à l’intimisation du deuil.
Retour sur les rites piaculaires.
En préambule une brève analyse des pratiques rituelles autour du deuil.
Fonctions et rituels du deuil :
Dans le cadre du rapport au mort, du culte funéraire comme fréquentation, le deuil est l’ensemble des conduites sacrificielles de ses plaisirs qu’on assume pour le défunt, comme ce qu’on lui doit et qui le fait être encore.
Le plus couramment sacrifie t–on ses plaisirs vestimentaires : ceux des étoffes chatoyantes pour les mates, comme le crêpe, le drap ; ceux des couleurs contrastées, pour les sombres et les unies, ceux des ornements divers du vêtement, particulièrement les bijoux – qui n’étaient pas abandonnés dans l’habit convenable de la bonne société bourgeoise, par exemple, mais qui n’en étaient pas moins remplacés par du jais ou de l’ébène…
Deuil, fonctions et rituels :
S’ils présentent une grande variabilité selon les cultures et les époques, ils s’inscrivent dans une constante universelle qui s’applique à formaliser la mort de chacun pendant un temps de transition, afin d’apaiser l’angoisse qu’elle procure…Comme l’explique Philippe Ariès dans son ouvrage « l’homme devant la mort », le deuil, sous sa forme ritualisée, est apparu en réponse à la nécessité de maintenir le bon fonctionnement des sociétés.
Ainsi, la mise en place d’un langage rituel et de conduites codifiées socialement participent de cette quête de sens et du besoin de se protéger, tant de la mort que du retour des morts. Décrits par L.V. Thomas (1975), les rituels funéraires s’organisent en trois temps distincts dans cette « prise en charge » collective du deuil. En premier lieu, les rites de »séparation » imposent une rupture entre les morts et les vivants, indiquant que leur destin est dorénavant différent. Ils varient selon l’âge, le sexe et la position sociale du défunt. Ensuite , « les rites de marge » qui couvrent le temps de transformation du corps en squelette. Pour le défunt comme pour les proches, cette période se situe dans un entre-deux-mondes. Les endeuillés suspendent les activités courantes liées à leur vie sociale et le défunt entame son voyage vers l’au- delà. Enfin les « rites de réintégration », qui marquent le retour de l’endeuillé au sein de sa communauté. Dans nos sociétés, ces mêmes étapes se retrouvent sous les noms de grand deuil, de demi-deuil et de petit deuil, avec diverses variantes (M.F. Bacqué,2000).
Ces rituels sont des modalités d’accompagnement qui visent à délimiter le territoire des vivants en offrant à l’endeuillé un soutien communautaire capable de le rassurer, le déculpabiliser et de le réconforter…le rituel n’est là que pour servir les vivants en tentant de maintenir un équilibre tant individuel que collectif (L.V. Thomas,1988…)
Le XXe siècle a donné lieu à un effacement marqué des rituels funéraires et au déplacement de l’expression des sentiments liés à la perte vers le domaine du privé. Ce constat s’inscrit dans un contexte historique particulièrement chargé d’évènements douloureux qui ont contribué à renforcer le sentiment de tournant décisif, voire de rupture entre les générations. Les pratiques officielles liées au deuil n’ont pas su répondre aux attentes de cette époque et n’ont pas pu jouer leur rôle fondamental envers les vivants. Ainsi, aujourd’hui, certains rites sont désormais perçus comme désuets tels la veillée mortuaire, ou encore le passage du cortège funéraire dans la ville, maintenant interdit. D’autres rituels ont été réduits à leur plus simple expression… Dans ce temps consacré au deuil, désormais réduit, les signes extérieurs utilisés pour signifier la mort et désigner les endeuillés ont disparu. L’arrêt momentané des activités sociales n’a plus cours, le port des habits noirs a été délaissé et les corbillards n’arborent plus de signes distinctifs…Le désinvestissement social, l’abandon des pratiques et le manque de croyance ont eu raison de la quête de sens mystique du deuil. Sous l’influence de la modernité, la ritualité funéraire s’inscrit comme une « modalité de traitement » des difficultés éprouvées par l’endeuillé. Les conduites et les attitudes ritualisées se sont effacées au profit de services techniques et professionnels……Si ces nouvelles conditions répondent efficacement aux attentes rationnelles des sociétés occidentales actuelles, elles contribuent à diminuer l’efficacité des rapports de sociabilité et encouragent l’endeuillé à l’isolement et à l’inhibition de ses émotions. C’est en ce sens que l’on assiste à une recrudescence des maladies de deuil. A défaut d’une mise à distance de la mort par les rituels de deuil et leurs symboliques, c’est un évitement ou une intégration mortifère de la mort qui s’opère.In
Dictionnaire de la mort
Nous possédons Les rites de la mort. Pour la paix des vivants et Anthropologie de la mort de L.V. Thomas cités à titre de référence dans le précédant article ; ils nous auraient été bien utiles mais sont empruntés.
Plus concrètement et pour répondre plus précisément à votre question, voir l’article de wikipédia :
Durée et modalités
La durée d'un deuil est très variable, suivant la souffrance de la personne. Elle peut s'étendre de plusieurs semaines à plusieurs mois ou même plusieurs années. Néanmoins quand le deuil fait suite à la perte d'un proche, la première année est souvent décisive afin de revisiter toutes les grandes dates anniversaires.
Autrefois, en France, la durée du deuil était généralement fixée, pour les conjoints, à un an pour le veuf et à deux ans pour la veuve. Lorsqu'il s'agissait du décès d'une personne n'ayant aucun lien de parenté, un deuil pouvait être respecté, uniquement par courtoisie, pendant une durée beaucoup plus courte. Pendant la période dite de « grand deuil » et qui durait généralement une année, la veuve ne devait porter que des vêtements de couleur noire. Encore ne devaient-ils être que de lainage ou de crêpe anglais. Pas de bijoux, excepté en bois noirci ou, plus tard, en jais. Le chapeau est accompagné d'un long voile de crêpe couvrant le visage et descendant jusqu'aux genoux. Il ne doit pas être levé avant six mois. Généreuse, la comtesse de Gencé précise toutefois dans Savoir-vivre et usages mondains qu'il est « permis, durant les grandes chaleurs, de ramener le voile sur l'épaule gauche »...
Passé ce délai, les conventions lui permettaient de revêtir du violet, du mauve ou du gris et ce, jusqu'au terme du deuil. C'est ce qu'on appelait la période de « demi deuil ». La veuve peut alors porter du velours ou du taffetas. Elle peut se remettre à porter des perles ou des améthystes.
Inutile de dire que, dans la France agricole, ces considérations n'ont pas cours. La parentèle est nombreuse, les décès fréquents, les revenus réduits, et le problème est résolu en s'habillant en noir durant la quasi-totalité de son existence.
Le veuf, quant à lui, devait porter des vêtements sombres, et éventuellement fixer un ruban de crêpe noir autour de son chapeau ou porter un bandeau noir autour du bras. Pour un militaire ou tout homme portant un uniforme (y compris les collégiens), c'est même la seule marque du deuil. La même comtesse de Gencé précise « que la hauteur du crêpe varie selon le degré de parenté ». C'est dire jusqu'où allait le détail ! La Loi dispose que le veuf peut se remarier après six mois de veuvage (dix-huit mois pour la veuve...). Les manuels précisent que « les convenances mondaines interdisent formellement de profiter de cette tolérance. »
Pour un autre membre de la famille (père, mère, enfant, frère, sœur…), les mêmes règles étaient appliquées mais dans des délais moindres. Néanmoins, le port du voile rabattu durant six mois est également imposé pour parents et enfants. Pour les frères et sœurs, il se porte rejeté sur l'épaule gauche ou enroulé en écharpe. Pour les parents plus lointains, le voile n'est pas exigé, sauf si l'on est héritière du défunt. À noter que l'on n'était pas tenu à un deuil sévère pour les enfants morts en bas-âge. Outre le deuil vestimentaire, aucune partie de plaisir, aucune fête, aucun dîner, aucun concert, aucune fleur ne sont autorisés durant les six premiers mois du deuil. Tout bruit est évité dans la maison, la musique proscrite, le piano fermé. Les activités sociales sont reprises à dose homéopathique durant la période de demi-deuil. Même le papier à lettres et les mouchoirs sont bordés d'une bande noire dont la largeur varie selon le degré du deuil.
La seconde guerre mondiale a signé le début du déclin du deuil, essentiellement avec les restrictions qui ne permettaient plus de se procurer les vêtements adaptés. Il a néanmoins continué d'être porté jusqu'à la fin des années soixante en zone rurale et dans les familles traditionnelles. Les évènements de 1968 et l'évolution des mœurs qui s'en est suivie lui ont porté le coup fatal.
Aujourd'hui, la couleur noire est portée par tout un chacun. Il n'y a en général plus de marque extérieure de deuil, et de fait plus de deuil social à proprement parler. Certains[Qui ?] regrettent cet état de fait : si l'entourage est au courant de la situation de la personne, ce n'est en revanche pas le cas des autres personnes, ce qui peut conduire à un manque de tact et donc à une souffrance supplémentaire dans certaines situations.
Le port du deuil est recommandé par certains psychiatres à leurs clients en souffrance après la perte d'un être cher. C'est une façon d'extérioriser son chagrin, cela peut être favorable à la thérapie. Cependant, cela diffère selon les cultures et traditions, pour lesquelles la vision de la mort peut diverger.
Temps de deuil
D'après Sandrine Sénéchal et Thierry Dehan4 :
Veuvage Père, mère, enfants, beau-père, belle-mère Grand-père, grand-mère Frère et sœur, beau-frère et belle-sœur, neveu et nièce Oncle et tante Cousin germain et parrain
Grand deuil (laine et crêpe) 1 an 9 mois 3 mois 6 mois
Période dite de la « soie noire » 6 mois 6 mois 6 mois 3 mois 3 mois
Demi-deuil 6 mois 3 mois 3 mois 3 mois 3 mois 3 mois
Durée totale Veuve : 1 an 6 semaines à Paris, jusqu'à 2 ans en province
Veuf : 6 mois
18 mois 1 an 10 mois 6 mois 3 mois
L’emploi du terme « demi-deuil » y compris en cuisine (la poularde demi-deuil de la Mère Brazier) laisserait à penser que le deuil sous sa forme ritualisée faisait bien partie du paysage culturel français au moins pendant la première moitié du 20e siècle mais nous nous égarons peut-être un peu.
Voir aussi :
La vraie histoire des femmes de 14-18
Le noir est largement porté pendant toute la durée du conflit. Les veuves doivent respecter le grand deuil 1 an, le deuil 9 mois et le demi-deuil 3 mois. Les couleurs sombres s’imposent aussi à la fratrie, aux parents et beaux-parents, aux grands parents et aux enfants. Elles concernent tant les vêtements que les accessoires. Autant dire que le noir, le gris, le violet, le mauve omniprésents plongent encore plus dans la tristesse toute une société déjà très touchée. D’autant que même les femmes qui ne sont pas veuves, ni même mariées, portent le noir en signe de deuil… de leur nation meurtrie.
On peut lire aussi dans cet ouvrage collectif :
Les étoffes du deuil, couleurs et symboles au chapitre intitulé: les pratiques du deuil féminin : de la grande guerre à la seconde guerre mondiale.
La guerre de 1914 à 1918 et le vêtement de deuil:
La mort fait très tôt partie du quotidien de guerre pour plusieurs années une culture du deuil qui frappe chaque famille par sa brutalité. Ces veuves de guerre aisément identifiables à leur robe noire et à la longueur de leur voile sont soumises à un code de convenances concernant leurs tenues étroitement planifiées. Contrairement à ce qui se passe pour d’autres vêtements au même moment, les habits de deuil ne se simplifient pas même s’ils diffèrent des deuils austères de jadis. Comme autrefois, ils font l’objet de règles spécifiques qui dépendent du du contexte et du degré de parenté.
Pendant la guerre, les pages consacrées aux vêtements de deuil ne sont pas négligeables dans les magazines féminins qui donnent à chacune de précieux conseils. Pour celles qui ont les moyens, Femina écrit dans son numéro du 15 mai 1915 : « le grand deuil et le deuil élégant ne se portent qu’en crêpe anglais ». L’emploi du crêpe, c’est la seule concession que fasse le deuil actuel aux usages d’autrefois. …Au fur et à mesure que l’on s’éloigne de la date du décès, la règle se fait moins stricte. Toutes les femmes sont concernées par l’usage du deuil y compris dans les milieux les plus simples. A la campagne, la tenue noire est de rigueur et des journaux, tels que « la mode pratique, s’efforcent de conseiller les lectrices modestes en leur adressant des patrons découpés. Dans un journal destiné aux classes moyennes, le « petit écho de la mode » du 21 octobre 1917, sont reproduites en couverture trois silhouettes féminines représentatives de l’époque. Elles portent des tenues dont on peut se procurer les patrons directement dans les bureaux du magazine. On comprend d’après le schéma que les enfants sont aussi touchés par ces prescriptions. La fillette est en noire y compris les bas et le chapeau ; à ses côtés une jeune fille en costume de serge noire, tissu toléré pour des raisons pratiques, et enfin une femme en manteau robe de gabardine et voile en crêpe anglais…
La guerre de 1939-1945 et la pratique du deuil :
Dès la défaite de juin 40, on assiste à un changement dans le paysage urbain et rural du à la présence allemande…Les vainqueurs réquisitionnent une grande partie des textiles pour les envoyer dans le Reich. Il en va de même pour le cuir, la pénurie vestimentaire s’installe aggravée par la coupure de la ligne de démarcation empêchant le commerce des tissus venant du nord du pays vers la zone libre. S’ajoute a cela le manque de main d’œuvre en raison du million et demi de prisonniers de guerre en Allemagne…Dans ces conditions, le gouvernement du maréchal Pétain impose à tous, après le système de bons d’achat en février 1941, une carte de vêtement sans laquelle il est impossible de se procurer la moindre tenue quelle que puisse être la raison. On compte à cette époque 300 000 veuves de guerre dont la plupart ont du mal à respecter les conventions qui jusque-là régissent le deuil.
Pour la minorité issue d’un milieu aisé, rien ne change, au moins les deux premières années. En cas de décès d’un proche, ces femmes ont la possibilité d’acheter une toilette de deuil pour respecter autant que faire se peut, les règles d’avant- guerre en dépit des entorses qu’elles sont obligées de subir. Ainsi, le voile en crêpe anglais, si présent au cours de la première guerre mondial et qui dissimulait le visage, est souvent diminué par manque de matières premières. Au fur et à mesure de la période, les matières changent…lainages et soieries disparaissent au profit de la rayonne…Quant aux accessoires, sacs, gants, leur prix grimpent dangereusement. Les chaussures dont rarement en cuir
La majorité de la population doit se débrouiller avec les moyens du bord. Les convenances se font surtout sentir dans la paysannerie où l’on reste attaché aux traditions mais il devient difficile sans prouesses de se plier aux rites d’autrefois, ce qui impose aux femmes d’avoir recours « au système D ». Le prêt en famille ou entre amies…. Mais la méthode la plus couramment employée reste la teinture. Bientôt, face aux difficultés, un manteau foncé, gris ou marron, est toléré. On se tourne vers les tissus de remplacement, fibranne ou rayonne…Porter des bas noirs est une gageure, on fait face avec des bas au crochet ou tricotés…. Bien souvent, la toilette est hétéroclite, les accessoires tranchant avec le reste de la tenue……
Toutes, lorsque les dernières restrictions de tissus sont levées, à nouveau les convenances dictent le retour aux tenues traditionnelles où la part des nouveaux tissus est importante. A partir des années soixante, on constate un abandon progressif de toutes les conventions vestimentaires dont 1968 sonnera le glas.
Voir aussi dans le même ouvrage les articles suivants :
Les classes d’enterrement : draps mortuaires, tentures funèbres et corbillards en France aux XIXe et XXe siècles.
Les ornements liturgiques funèbres du XIXe au début du XXe siècle.
Voir aussi :
le deuil, Marie- Frédérique Bacqué.
Mourir aujourd’hui, les nouveaux rites funéraires, Marie- Frédérique Bacqué.
Des rituels funéraires à l’intimisation du deuil.
Retour sur les rites piaculaires.
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