Frontières, passeports, visas... De quand ça date ?
DIVERS
+ DE 2 ANS
Le 08/07/2015 à 09h10
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Question d'origine :
Bonjour,
J'ai entendu / lu(?) récemment à propos d'un débat sur l'ouverture des frontières une allusion au "monde d'avant 1914" où n'importe qui était libre de franchir les frontières.
Je ne suis sûre ni d'avoir bien compris, ni d'avoir bien retenu cette information et depuis le sujet et cette date me restent en tête. (On parle d'il y a à peine plus d'1 siècle !)
Du coup je me pose plein de questions :
Depuis quand existent les frontières et les postes de douanes ?
Depuis quand a-t-on besoin de passeport pour les franchir ?
Depuis quand certains pays délivrent des visas ? Et quelles sont les raisons invoquées pour de telles pratiques ?
Existe-t-il un endroit sans frontière sur Terre ? (où n'importe qui serait libre de se rendre et de s'installer, sans qu'on lui demande qui il est)
Je triche un peu, je pose bien plus d'une question à la fois, j'espère que vous ne m'en voudrez pas...
Merci d'avance !
Réponse du Guichet
gds_et
- Département : Équipe du Guichet du Savoir
Le 09/07/2015 à 10h48
Bonjour,
Vaste question ! Pour commencer, qu’est-ce qu’une frontière, et quel est son rôle ? Il s’agit d’une limite, imaginaire ou physique, qui détermine l’étendue d’un territoire, ou sépare deux Etats.
Etymologiquement, frontière vient de front :
Frontière n. f. est un dérivé (1213) de front (faire front), le sens moderne venant sans doute d’expressions du type « pays de frontière », c’est-à-dire gardé par une armée, une place forte qui fait front à l’ennemi ; le moyen français connait l’adjectif « frontier », d’où « ville frontière ».
En ancien français, le mot désigne le front d’une armée, puis (1292) une place fortifiée faisant face à l’ennemi. Frontière se dit aujourd’hui de la limite séparant deux Etats (v. 1360) et par extension de la limite d’un territoire. Par analogie, on parlera (1770) des « frontières d’une région » ou de « frontières linguistiques », etc. Au figuré frontière s’emploie (1700) pour « limite » séparant des domaines abstraits ou concrets.
Source : Dictionnaire historique de la langue française
Précisons qu’en Europe les premières frontières modernes, comme limites de souveraineté, sont très anciennes :
Elles datent du XIIe-XIIIe siècle entre Portugal et Espagne. C’est évidemment lié à la Reconquista, les territoires étant regagnés sur les princes musulmans du Nord au Sud. Le Portugal est une des plus vieilles nations d’Europe. Mais il faut attendre le XVIIe siècle pour que des traités posent des délimitations plus claires. Les traités de Westphalie de 1648 concluant la guerre de Trente Ans marquent de ce point de vue une étape fondamentale puisque le principe de reconnaissance mutuelle entre des Etats-nations souverains fonde désormais l’ordre européen.
Et, face à chaque tentative hégémonique, se nouent des systèmes provisoires de contre-alliances redéfinissant les équilibres et les frontières. Le congrès de Vienne en 1815 tourne la page de l’aventure napoléonienne et voit s’affronter les anciens alliés, l’Autriche cherchant à contenir l’influence de la Prusse sur les Etats allemands et le Royaume-Uni celle de la Russie sur le continent et ses abords maritimes. Aucune sanction territoriale majeure n’est prise contre la France qui retrouve ses frontières de 1789-1791, à l’exception de quelques villes et de la Savoie. Le concept d’équilibre européen ne vaut que pour les grands acteurs représentés, dont la France de Talleyrand, et ne fait guère de place aux aspirations populaires. Elles se manifesteront plus tard, avec le printemps des peuples de 1848 (et en 1989-1991, après l’implosion de l’URSS), modifiant les configurations impériales.
Source :Une histoire de frontières… , entretien avec Michel Foucher, géographe et diplomate, Les collections de l’histoire n°41, p60-65.
Il n'y a pas de définition universelle, a-historique, de la frontière internationale. Comme l'a notamment montré le géographe Michel Foucher, le statut et le fonctionnement des frontières ont considérablement varié selon les époques et les lieux de la planète (Foucher, 1991). La frontière contemporaine, telle qu'elle sous-tend aujourd'hui la définition des relations internationales, a fini par s'imposer au monde entier vers la deuxième moitié du XIXe siècle, en même temps que s'établissait un système international unifié à l'échelle planétaire. Cette universalisation, à défaut d'universalité intrinsèque, de la frontière internationale est l'aboutissement d'un long processus historique, fait d'innombrables négociations locales et régionales et, par ailleurs, sous-tendu par un rapport de forces de plus en plus marqué des plus puissantes nations européennes sur le reste du monde, culminant à la fin du XIXe siècle. C’est en gardant à l'esprit cette historicité de la notion de frontière, que l’on pourra mieux comprendre les différences de perspectives et d'interprétations qui persistent aujourd'hui quant à la signification des frontières dans la politique mondiale.
On sait, et cela a été maintes fois souligné, souvent à la lumière crue de conflits meurtriers, combien l'héritage du tracé des frontières internationales par la colonisation européenne, particulièrement en Afrique, est resté problématique. Par ailleurs, le sens même que l'on donne au rôle des frontières dans la vie internationale continue de varier sensiblement selon les trajectoires historiques des uns et des autres. L'expérience européenne à cet égard est fortement singulière. Source de droit et de régulation, source de conflit, voire de destruction abyssale, la frontière internationale en Europe a fini par prendre une nouvelle signification : celle d'un objet sublimé, dont la sublimation a éclairé la construction européenne après 1945, et qui n'a pas vraiment d'équivalent ailleurs. Hors d'Europe, le vécu de la frontière, en tant que marqueur physique de la souveraineté, est très différent, pour une raison première aussi profonde qu'évidente. La souveraineté comme principe d'organisation des relations internationales est une notion inventée par les Européens, puis exportée par ces derniers à travers le monde. Cette division historique des rôles, entre exportateurs et importateurs du principe hérité des traités de Westphalie, le principe de souveraineté et ses attributs fondamentaux, dont la frontière nationale/internationale -, s'est traduite de manière durable dans la manière dont Européens et non-Européens appréhendent la valeur politique de la frontière.
Source : La frontière ou l'invention des relations internationales, Karoline Postel-Vinay, CERISCOPE Frontières, 2011
La douane existe depuis l’Antiquité :
D'après les étymologistes, le terme de douane - mot d'origine arabe (dont divan constitue un curieux doublet) - existe de longue date.
En France, dès le XIIe siècle, on trouve trace de perceptions opérées sur les marchandises en mouvement, sous des appellations variées et pittoresques droit de rêve, droit de haut passage. Il existait alors au moins un régime douanier par province, sinon par ville (douane de Lyon, douane de Valence, douane de Paris).
De l'Antiquité à la ferme générale
Les douanes dans l'Antiquité
Dès la plus haute antiquité, les Etats ont prélevé des impôts sur les marchandises franchissant les frontières. Ces impôts, surtout perçus à l'importation, répondent pour l'essentiel à une préoccupation fiscale: celle de remplir les caisses publiques. La prohibition est également pratiquée. Elle vise, à l'exportation, à protéger la collectivité contre les risques de pénurie des denrées et autres produits indispensables.
La préoccupation fiscale est largement dominante dans le teloneion d'Athènes et dans les portoria de Rome. Ces droits perçus à l'importation sont modérés : en général, le quarantième ou le cinquantième de la valeur de la marchandise.
Le recouvrement est effectué, selon un usage largement répandu dans le monde jusqu'à la fin du 18e siècle, par des employés de compagnies privées auxquelles l'Etat rétrocède la perception de l'impôt. C'est la pratique de l'affermage.
Ainsi en est-il des portitores romains ou publicani, qui sont chargés d'apprécier la valeur des marchandises imposables et disposent à cette fin du droit de les déballer, dénombrer, peser... même si elles sont la propriété de hauts personnages.
Après la conquête des Gaules, Rome introduit les portoria. Des postes douaniers installés aux frontières et dans les ports. Leur centre de commandement est Lugdunum (Lyon).
L'impôt alors perçu est de 2,5% de la valeur des marchandises importées. Il est connu sous l'appellation de "quarantième des Gaules" et coexiste avec les portoria perçus dans les autres parties de l'Empire romain. Il s'agit là de la première administration douanière gallo-romaine.
Le caractère douanier des portoria s'altère avec la perception des ces impôts aux limites intérieures de l'Empire. Ils tendent alors à se transformer en droits de circulation, en péages. Cette évolution s'accentue sous le Bas-Empire. L'octavia, droit de 12,5% qui apparaît au 4e siècle, est ainsi perçu non seulement aux frontières mais aussi aux limites des circonscriptions fiscales.
Bysance connaît cette situation jusqu'à sa chute. Les impôts douaniers ont repris l'appellation grecque de teloneion.
Leur recouvrement est confié à des fermiers, les Commerciaires (commerciarii) entre lesquels le territoire est réparti.
Source : Histoire de la douane
L’histoire du passeport éclairera peut-être ce que vous avez lu / entendu à propos de la Première Guerre mondiale :
L’une des premières allusions au passeport remonte aux environs de l’an 450 avant Jésus-Christ, alors que Néhémie, fonctionnaire auprès du roi Artaxerxès de la Perse ancienne, demande la permission de se rendre en Judée. Le roi acquiesce à sa demande et lui remet une lettre à l’intention « des gouverneurs de la province au-delà de la rivière », les sollicitant de lui assurer un sauf-conduit durant son passage sur leurs territoires.
[…]
Il faut attendre le règne de Louis XIV de France pour que ces « lettres de sollicitation » deviennent populaires. Le roi lui-même signe des documents en faveur de ses courtisans. Toute lettre du genre est appelée « passe port », ce qui signifie littéralement « passer dans un port », la plupart des voyages internationaux se faisant par bateau. D’où le mot « passeport ».
Au cours des cent années suivant le règne de Louis XIV, presque tous les pays d’Europe mettent sur pied un système leur permettant de délivrer des passeports. En plus d’un passeport provenant de leur propre pays, les voyageurs doivent obtenir un visa délivré par le pays où ils désirent se rendre, tout comme notre visa d’aujourd’hui.
Au milieu du XIXe siècle, la popularité grandissante du chemin de fer donne lieu à une explosion du tourisme dans toute l’Europe, faisant ainsi éclater le système de passeports et de visas. En 1861, la France réagit à cette crise en abolissant le passeport et le visa. Les autres pays européens en font autant et, en 1914, le passeport est éliminé presque partout en Europe. Cependant, la Première Guerre mondiale ravive les inquiétudes touchant la sécurité internationale et les passeports et les visas sont à nouveau requis, à titre de mesure « temporaire » .
Source : Les premiers passeports, Gouvernement du Canada
Vous pouvez aussi consulter le dossier de Gérard Noirel : Surveiller les déplacements ou identifier les personnes ? Contribution à l'histoire du passeport en France de la Ie à la IIIe République (Genèses, 1998, vol. 30, n°30) :
Le passeport, en tant que document autorisant des individus à se déplacer est une réalité qui, en France en tout cas, est aussi ancienne que l’Etat, puisqu’il était déjà en usage à l’époque de Louis XI. Néanmoins,c’est seulement à partir de la Première Guerre mondiale que le passeport est devenu une « pièce certifiant l’identité, délivrée par la préfecture à un ressortissant pour lui permettre de se rendre à l’étranger » , selon la définition qu’en donne le Petit Robert. Il y a un peu plus d’un siècle, Littré voyait dans le « passe-port » (notez le trait d’union) « la permission de passer en des lieux où autrement on ne pourrait aller » : permission accordée « par l’autorité et garantissant la liberté et la sûreté de ceux qui voyagent ».
De fait, même avant 1914, l’Etat se sert du passeport pour contrôler le flux de la population, notamment sous la Révolution :
Si le clivage intérieur/extérieur acquiert une importance centrale à partir de 1792, c’est bien sûr aussi parce que la France révolutionnaire doit se protéger contre les menaces que font peser sur elle les puissances voisines. D’un côté, la fuite du roi, arrêté à Varennes (21 juin 1791), et l’émigration d’une partie de la noblesse désireuse de prêter main forte aux armées contre-révolutionnaires exigent l’adoption de mesures permettant d’interdire aux citoyens de quitter le royaume. D’un autre côté, il faut pouvoir empêcher les étrangers appartenant aux nations voisines de pénétrer librement sur le territoire national. C’est pour faire face à cette double exigence que la loi du 28 mars 1792 rend obligatoire le passeport pour tout français souhaitant sortir du royaume et pour tout étranger désireux de séjourner en France. Bien que la paix ait été rétablie en Europe après le congrès de Vienne, les étrangers resteront soumis à des contraintes particulières en matière de passeport durant toute la première moitié du XIXe siècle. Ces pratiques sont généralement justifiées par référence au Code Civil. Comme le souligne le ministre de la Police générale, « la résidence en France d’un étranger n’est pas pour lui, comme pour le régnicole, la jouissance d’un droit acquis, c’est l’effet d’une simple tolérance ». C’est la raison pour laquelle, « un étranger ne peut être admis sur le territoire français qu’en vertu d’une autorisation de l’autorité supérieure accordée par un visa officiel ».
Source : Surveiller les déplacements ou identifier les personnes ? Contribution à l'histoire du passeport en France de la Ie à la IIIe République, Gérard Noirel, Genèses, 1998, vol. 30, n°30
L’histoire du visa est directement liée à celle du passeport . Le dictionnaire historique de la langue française fait remonter ce mot à son origine latine : c’est la reprise (1527) d’un mot latin signifiant « choses vues » ; le mot visa se plaçait chez les Romains sur des actes qui avaient été vérifiés. Neutre pluriel, il représente la substantivation de visus, participe passé du latin videre (->voir).
Le mot se dit d’une formule ou d’un sceau accompagné d’une signature, qu’on appose sur un acte pour le valider, et spécialement (1912) d’une formule exigée en sus du passeport. Par figure, il s’emploie pour « approbation ».
Enfin, concernant votre dernière question :existe-t-il sur Terre un lieu sans frontières ?
Si par « frontières » on entend le sens premier des délimitations physiques, alors par définition, non : qu’elles soient naturelles ou non, tout territoire a des limites. Une île est délimitée par la mer ou l’océan, par exemple.
Quant au sens où vous l’entendez : un lieu où chacun est libre de circuler et de s’installer, il s’agit plutôt de frontières ouvertes, que d’une absence de frontières.
Dans l’état actuel du monde, cette situation semble relever de l’utopie :
La libre circulation des personnes, pourtant mentionnée dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, reste encore aujourd’hui une utopie politique – ou un cauchemar, selon les points de vue. En matière de droit international public comme de politiques publiques nationales, régionales ou multilatérales, l’asymétrie est évidente entre les pays de départ et les pays d’arrivée des migrants. Si le droit d’émigrer n’est que marginalement contesté au sein de la communauté internationale notamment depuis l’effondrement de l’Union soviétique, le droit d’immigrer relève à l’échelle mondiale de la fiction. Quelques expériences de libre circulation des personnes ont été tentées à l’échelle régionale – l’espace Schengen bien sûr mais aussi l’accord trans--‐tasman entre l’Australie et la Nouvelle-Zélande renforcé en juillet 2013 par un système de transférabilité des droits sociaux – qui s’appuient sur des marchés économiques uniques pour encourager la circulation des personnes, des activités commerciales et des capitaux. Ces initiatives sont néanmoins souvent accompagnées d’un durcissement des frontières extérieures à ces espaces de libre circulation régionaux.
Au--‐delà de la tension entre ouverture régionale et globale et les échelles de libéralisation de la mobilité, la littérature a largement mis en avant le « paradoxe libéral » qui marque ces dispositifs. Les dynamiques économiques (commerce, investissement, migrations…) devraient amener les Etats à ouvrir leurs frontières à l’immigration de travail à l’échelle régionale et mondiale : le libéralisme les incite en effet à abandonner le contrôle des territoires et des échanges au profit d’une régulation discrète de ceux-ci. Or, les gouvernements comme les système étatiques régionaux assurent la fermeture des espaces migratoires soit nationaux, soit régionaux. Ce paradoxe souligne les contradictions inhérentes au libéralisme, traits caractéristiques de la mondialisation..
Alors que la libre Circulation des biens et des capitaux à l’échelle régionale, par des accords de libre échange notamment, s’est assez largement globalisée, alors que la circulation de l’information, du savoir et des idées s’est fluidifiée par le biais de nouvelles technologies entre autres, la libre circulation des personnes reste une pierre d’achoppement de la mondialisation. Malgré une augmentation des flux migratoires à l’échelle mondiale, les contraintes aux mouvements des individus semblent se durcir, pour répondre à une volonté accrue de contrôle territorial et social dans les pays d’accueil. Celle-ci s’accompagne de plus en plus d’une perception négative de l’immigration, notamment des migrations peu qualifiées. Ainsi, envisager la libre circulation des personnes reste aujourd’hui le fait de discours militants et n’a pas droit de cité dans l’agenda politique. Elle n’a par conséquent que très rarement été explorée scientifiquement. Ainsi, un scénario de libre circulation des personnes à l’échelle de la planète semble souvent impossible, dangereux voire absurde. Parce qu’il est considéré comme irréaliste, il n’est simplement pas envisagé, ou il est présenté comme un renversement de l’ordre politique, social, économique, culturel existant, effrayant et partant inenvisageable.
Source : Libre circulation et frontières ouvertes : Quels impacts sur les flux migratoires ? Séminaire de recherche La Valette, Malte, 4-7 décembre 2013, iddri.org
Même s’il existe encore des territoires « à l’écart de la civilisation », ceux-ci ont tendance à disparaître au profit de la déforestation, de l’agriculture, de la construction de routes et d’habitations, du tourisme... De plus, les populations isolées qui vivent dans ces territoires voient leur nombre se réduire dramatiquement du fait du grignotement progressif de leur territoire, de la disparition des ressources naturelles nécessaires à leur survie… quand elles ne sont pas victimes de maladies ou de trafic humain, à l’exemple des Jarawas, habitants des îles Andaman au sud-est de l’Inde.
Pour aller plus loin :
- Des frontières indépassables : des frontières d'État aux frontières urbaines, sous la direction de Frédérick Douzet, Béatrice Giblin
- Frontières : [actes du] / 125e Congrès national des sociétés historiques et scientifiques, Lille, 2000, textes réunis et présentés par Christian Desplat
Bonne journée.
Vaste question ! Pour commencer, qu’est-ce qu’une frontière, et quel est son rôle ? Il s’agit d’une limite, imaginaire ou physique, qui détermine l’étendue d’un territoire, ou sépare deux Etats.
Etymologiquement, frontière vient de front :
Frontière n. f. est un dérivé (1213) de front (faire front), le sens moderne venant sans doute d’expressions du type « pays de frontière », c’est-à-dire gardé par une armée, une place forte qui fait front à l’ennemi ; le moyen français connait l’adjectif « frontier », d’où « ville frontière ».
En ancien français, le mot désigne le front d’une armée, puis (1292) une place fortifiée faisant face à l’ennemi. Frontière se dit aujourd’hui de la limite séparant deux Etats (v. 1360) et par extension de la limite d’un territoire. Par analogie, on parlera (1770) des « frontières d’une région » ou de « frontières linguistiques », etc. Au figuré frontière s’emploie (1700) pour « limite » séparant des domaines abstraits ou concrets.
Source : Dictionnaire historique de la langue française
Précisons qu’en Europe les premières frontières modernes, comme limites de souveraineté, sont très anciennes :
Elles datent du XIIe-XIIIe siècle entre Portugal et Espagne. C’est évidemment lié à la Reconquista, les territoires étant regagnés sur les princes musulmans du Nord au Sud. Le Portugal est une des plus vieilles nations d’Europe. Mais il faut attendre le XVIIe siècle pour que des traités posent des délimitations plus claires. Les traités de Westphalie de 1648 concluant la guerre de Trente Ans marquent de ce point de vue une étape fondamentale puisque le principe de reconnaissance mutuelle entre des Etats-nations souverains fonde désormais l’ordre européen.
Et, face à chaque tentative hégémonique, se nouent des systèmes provisoires de contre-alliances redéfinissant les équilibres et les frontières. Le congrès de Vienne en 1815 tourne la page de l’aventure napoléonienne et voit s’affronter les anciens alliés, l’Autriche cherchant à contenir l’influence de la Prusse sur les Etats allemands et le Royaume-Uni celle de la Russie sur le continent et ses abords maritimes. Aucune sanction territoriale majeure n’est prise contre la France qui retrouve ses frontières de 1789-1791, à l’exception de quelques villes et de la Savoie. Le concept d’équilibre européen ne vaut que pour les grands acteurs représentés, dont la France de Talleyrand, et ne fait guère de place aux aspirations populaires. Elles se manifesteront plus tard, avec le printemps des peuples de 1848 (et en 1989-1991, après l’implosion de l’URSS), modifiant les configurations impériales.
Source :
Il n'y a pas de définition universelle, a-historique, de la frontière internationale. Comme l'a notamment montré le géographe Michel Foucher, le statut et le fonctionnement des frontières ont considérablement varié selon les époques et les lieux de la planète (Foucher, 1991). La frontière contemporaine, telle qu'elle sous-tend aujourd'hui la définition des relations internationales, a fini par s'imposer au monde entier vers la deuxième moitié du XIXe siècle, en même temps que s'établissait un système international unifié à l'échelle planétaire. Cette universalisation, à défaut d'universalité intrinsèque, de la frontière internationale est l'aboutissement d'un long processus historique, fait d'innombrables négociations locales et régionales et, par ailleurs, sous-tendu par un rapport de forces de plus en plus marqué des plus puissantes nations européennes sur le reste du monde, culminant à la fin du XIXe siècle. C’est en gardant à l'esprit cette historicité de la notion de frontière, que l’on pourra mieux comprendre les différences de perspectives et d'interprétations qui persistent aujourd'hui quant à la signification des frontières dans la politique mondiale.
On sait, et cela a été maintes fois souligné, souvent à la lumière crue de conflits meurtriers, combien l'héritage du tracé des frontières internationales par la colonisation européenne, particulièrement en Afrique, est resté problématique. Par ailleurs, le sens même que l'on donne au rôle des frontières dans la vie internationale continue de varier sensiblement selon les trajectoires historiques des uns et des autres. L'expérience européenne à cet égard est fortement singulière. Source de droit et de régulation, source de conflit, voire de destruction abyssale, la frontière internationale en Europe a fini par prendre une nouvelle signification : celle d'un objet sublimé, dont la sublimation a éclairé la construction européenne après 1945, et qui n'a pas vraiment d'équivalent ailleurs. Hors d'Europe, le vécu de la frontière, en tant que marqueur physique de la souveraineté, est très différent, pour une raison première aussi profonde qu'évidente. La souveraineté comme principe d'organisation des relations internationales est une notion inventée par les Européens, puis exportée par ces derniers à travers le monde. Cette division historique des rôles, entre exportateurs et importateurs du principe hérité des traités de Westphalie, le principe de souveraineté et ses attributs fondamentaux, dont la frontière nationale/internationale -, s'est traduite de manière durable dans la manière dont Européens et non-Européens appréhendent la valeur politique de la frontière.
Source : La frontière ou l'invention des relations internationales, Karoline Postel-Vinay, CERISCOPE Frontières, 2011
D'après les étymologistes, le terme de douane - mot d'origine arabe (dont divan constitue un curieux doublet) - existe de longue date.
En France, dès le XIIe siècle, on trouve trace de perceptions opérées sur les marchandises en mouvement, sous des appellations variées et pittoresques droit de rêve, droit de haut passage. Il existait alors au moins un régime douanier par province, sinon par ville (douane de Lyon, douane de Valence, douane de Paris).
Les douanes dans l'Antiquité
Dès la plus haute antiquité, les Etats ont prélevé des impôts sur les marchandises franchissant les frontières. Ces impôts, surtout perçus à l'importation, répondent pour l'essentiel à une préoccupation fiscale: celle de remplir les caisses publiques. La prohibition est également pratiquée. Elle vise, à l'exportation, à protéger la collectivité contre les risques de pénurie des denrées et autres produits indispensables.
La préoccupation fiscale est largement dominante dans le teloneion d'Athènes et dans les portoria de Rome. Ces droits perçus à l'importation sont modérés : en général, le quarantième ou le cinquantième de la valeur de la marchandise.
Le recouvrement est effectué, selon un usage largement répandu dans le monde jusqu'à la fin du 18e siècle, par des employés de compagnies privées auxquelles l'Etat rétrocède la perception de l'impôt. C'est la pratique de l'affermage.
Ainsi en est-il des portitores romains ou publicani, qui sont chargés d'apprécier la valeur des marchandises imposables et disposent à cette fin du droit de les déballer, dénombrer, peser... même si elles sont la propriété de hauts personnages.
Après la conquête des Gaules, Rome introduit les portoria. Des postes douaniers installés aux frontières et dans les ports. Leur centre de commandement est Lugdunum (Lyon).
L'impôt alors perçu est de 2,5% de la valeur des marchandises importées. Il est connu sous l'appellation de "quarantième des Gaules" et coexiste avec les portoria perçus dans les autres parties de l'Empire romain. Il s'agit là de la première administration douanière gallo-romaine.
Le caractère douanier des portoria s'altère avec la perception des ces impôts aux limites intérieures de l'Empire. Ils tendent alors à se transformer en droits de circulation, en péages. Cette évolution s'accentue sous le Bas-Empire. L'octavia, droit de 12,5% qui apparaît au 4e siècle, est ainsi perçu non seulement aux frontières mais aussi aux limites des circonscriptions fiscales.
Bysance connaît cette situation jusqu'à sa chute. Les impôts douaniers ont repris l'appellation grecque de teloneion.
Leur recouvrement est confié à des fermiers, les Commerciaires (commerciarii) entre lesquels le territoire est réparti.
Source : Histoire de la douane
L’une des premières allusions au passeport remonte aux environs de l’an 450 avant Jésus-Christ, alors que Néhémie, fonctionnaire auprès du roi Artaxerxès de la Perse ancienne, demande la permission de se rendre en Judée. Le roi acquiesce à sa demande et lui remet une lettre à l’intention « des gouverneurs de la province au-delà de la rivière », les sollicitant de lui assurer un sauf-conduit durant son passage sur leurs territoires.
[…]
Il faut attendre le règne de Louis XIV de France pour que ces « lettres de sollicitation » deviennent populaires. Le roi lui-même signe des documents en faveur de ses courtisans. Toute lettre du genre est appelée « passe port », ce qui signifie littéralement « passer dans un port », la plupart des voyages internationaux se faisant par bateau. D’où le mot « passeport ».
Au cours des cent années suivant le règne de Louis XIV, presque tous les pays d’Europe mettent sur pied un système leur permettant de délivrer des passeports. En plus d’un passeport provenant de leur propre pays, les voyageurs doivent obtenir un visa délivré par le pays où ils désirent se rendre, tout comme notre visa d’aujourd’hui.
Source : Les premiers passeports, Gouvernement du Canada
Vous pouvez aussi consulter le dossier de Gérard Noirel : Surveiller les déplacements ou identifier les personnes ? Contribution à l'histoire du passeport en France de la Ie à la IIIe République (Genèses, 1998, vol. 30, n°30) :
Le passeport, en tant que document autorisant des individus à se déplacer est une réalité qui, en France en tout cas, est aussi ancienne que l’Etat, puisqu’il était déjà en usage à l’époque de Louis XI. Néanmoins,
De fait, même avant 1914, l’Etat se sert du passeport pour contrôler le flux de la population, notamment sous la Révolution :
Si le clivage intérieur/extérieur acquiert une importance centrale à partir de 1792, c’est bien sûr aussi parce que la France révolutionnaire doit se protéger contre les menaces que font peser sur elle les puissances voisines. D’un côté, la fuite du roi, arrêté à Varennes (21 juin 1791), et l’émigration d’une partie de la noblesse désireuse de prêter main forte aux armées contre-révolutionnaires exigent l’adoption de mesures permettant d’interdire aux citoyens de quitter le royaume. D’un autre côté, il faut pouvoir empêcher les étrangers appartenant aux nations voisines de pénétrer librement sur le territoire national. C’est pour faire face à cette double exigence que la loi du 28 mars 1792 rend obligatoire le passeport pour tout français souhaitant sortir du royaume et pour tout étranger désireux de séjourner en France. Bien que la paix ait été rétablie en Europe après le congrès de Vienne, les étrangers resteront soumis à des contraintes particulières en matière de passeport durant toute la première moitié du XIXe siècle. Ces pratiques sont généralement justifiées par référence au Code Civil. Comme le souligne le ministre de la Police générale, « la résidence en France d’un étranger n’est pas pour lui, comme pour le régnicole, la jouissance d’un droit acquis, c’est l’effet d’une simple tolérance ». C’est la raison pour laquelle, « un étranger ne peut être admis sur le territoire français qu’en vertu d’une autorisation de l’autorité supérieure accordée par un visa officiel ».
Source : Surveiller les déplacements ou identifier les personnes ? Contribution à l'histoire du passeport en France de la Ie à la IIIe République, Gérard Noirel, Genèses, 1998, vol. 30, n°30
Le mot se dit d’une formule ou d’un sceau accompagné d’une signature, qu’on appose sur un acte pour le valider, et spécialement (1912) d’une formule exigée en sus du passeport. Par figure, il s’emploie pour « approbation ».
Enfin, concernant votre dernière question :
Si par « frontières » on entend le sens premier des délimitations physiques, alors par définition, non : qu’elles soient naturelles ou non, tout territoire a des limites. Une île est délimitée par la mer ou l’océan, par exemple.
Quant au sens où vous l’entendez : un lieu où chacun est libre de circuler et de s’installer, il s’agit plutôt de frontières ouvertes, que d’une absence de frontières.
Dans l’état actuel du monde, cette situation semble relever de l’utopie :
La libre circulation des personnes, pourtant mentionnée dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, reste encore aujourd’hui une utopie politique – ou un cauchemar, selon les points de vue. En matière de droit international public comme de politiques publiques nationales, régionales ou multilatérales, l’asymétrie est évidente entre les pays de départ et les pays d’arrivée des migrants. Si le droit d’émigrer n’est que marginalement contesté au sein de la communauté internationale notamment depuis l’effondrement de l’Union soviétique, le droit d’immigrer relève à l’échelle mondiale de la fiction. Quelques expériences de libre circulation des personnes ont été tentées à l’échelle régionale – l’espace Schengen bien sûr mais aussi l’accord trans--‐tasman entre l’Australie et la Nouvelle-Zélande renforcé en juillet 2013 par un système de transférabilité des droits sociaux – qui s’appuient sur des marchés économiques uniques pour encourager la circulation des personnes, des activités commerciales et des capitaux. Ces initiatives sont néanmoins souvent accompagnées d’un durcissement des frontières extérieures à ces espaces de libre circulation régionaux.
Au--‐delà de la tension entre ouverture régionale et globale et les échelles de libéralisation de la mobilité, la littérature a largement mis en avant le « paradoxe libéral » qui marque ces dispositifs. Les dynamiques économiques (commerce, investissement, migrations…) devraient amener les Etats à ouvrir leurs frontières à l’immigration de travail à l’échelle régionale et mondiale : le libéralisme les incite en effet à abandonner le contrôle des territoires et des échanges au profit d’une régulation discrète de ceux-ci. Or, les gouvernements comme les système étatiques régionaux assurent la fermeture des espaces migratoires soit nationaux, soit régionaux. Ce paradoxe souligne les contradictions inhérentes au libéralisme, traits caractéristiques de la mondialisation..
Alors que la libre Circulation des biens et des capitaux à l’échelle régionale, par des accords de libre échange notamment, s’est assez largement globalisée, alors que la circulation de l’information, du savoir et des idées s’est fluidifiée par le biais de nouvelles technologies entre autres, la libre circulation des personnes reste une pierre d’achoppement de la mondialisation. Malgré une augmentation des flux migratoires à l’échelle mondiale, les contraintes aux mouvements des individus semblent se durcir, pour répondre à une volonté accrue de contrôle territorial et social dans les pays d’accueil. Celle-ci s’accompagne de plus en plus d’une perception négative de l’immigration, notamment des migrations peu qualifiées. Ainsi, envisager la libre circulation des personnes reste aujourd’hui le fait de discours militants et n’a pas droit de cité dans l’agenda politique. Elle n’a par conséquent que très rarement été explorée scientifiquement. Ainsi, un scénario de libre circulation des personnes à l’échelle de la planète semble souvent impossible, dangereux voire absurde. Parce qu’il est considéré comme irréaliste, il n’est simplement pas envisagé, ou il est présenté comme un renversement de l’ordre politique, social, économique, culturel existant, effrayant et partant inenvisageable.
Source : Libre circulation et frontières ouvertes : Quels impacts sur les flux migratoires ? Séminaire de recherche La Valette, Malte, 4-7 décembre 2013, iddri.org
Même s’il existe encore des territoires « à l’écart de la civilisation », ceux-ci ont tendance à disparaître au profit de la déforestation, de l’agriculture, de la construction de routes et d’habitations, du tourisme... De plus, les populations isolées qui vivent dans ces territoires voient leur nombre se réduire dramatiquement du fait du grignotement progressif de leur territoire, de la disparition des ressources naturelles nécessaires à leur survie… quand elles ne sont pas victimes de maladies ou de trafic humain, à l’exemple des Jarawas, habitants des îles Andaman au sud-est de l’Inde.
- Des frontières indépassables : des frontières d'État aux frontières urbaines, sous la direction de Frédérick Douzet, Béatrice Giblin
- Frontières : [actes du] / 125e Congrès national des sociétés historiques et scientifiques, Lille, 2000, textes réunis et présentés par Christian Desplat
Bonne journée.
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