Question d'origine :
Y a-t-il des personnes qui n'ont aucune morale (des personnes 'amorales')?
Réponse du Guichet
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Il existe des personnes qui se disent ou qu’on dit amorales, mais l’amoralité pose des problèmes tant existentiels que philosophiques.
Bonjour,
On pourrait commencer par dire que les personnes amorales existent, ne serait-ce que parce qu’il existe un mot pour les désigner ! Mais l’amoralité reste le sujet de nombreux questionnements parmi lesquels :
L’amoral l’est-il par défaut, incapacité ou par volonté? Et partant, la morale est-elle naturelle? Est-il possible d’être complétement amoral pour un être social et éduqué dans le sens d’une conscience morale? Dans l’action, la volonté de s’affranchir de la moralité commune ne requiert-elle pas l’appel à d’autres normes de jugement? Est-il possible de vivre une vie entièrement amorale?
Nous ne pourrons ici vous en donner qu’un aperçu.
Quelques définitions tout d’abord :
«Il ne faut pas confondre amoral et immoral. Une action immorale est directement opposée à la morale et aux bonnes habitudes/pratiques. Il s’agit d’un comportement négatif et incorrect. Une personne amorale, en revanche, est indifférente aux prescriptions morales, raison pour laquelle elle n’est pas en mesure de juger les actes comme étant bons, mauvais, corrects ou incorrects.»
Extrait de «Amoral», définition sur les Définitions
"L’amoralité suppose une indifférence à tout ce qui appartient au domaine moral (ne pas causer de torts, dire la vérité, respecter ses engagements, témoigner du respect, etc.), y compris une indifférence à l’égard d’autrui et de la société, alors que l’immoralité désigne une violation de règles ou de valeurs morales.
[…] Il faut dire que le mot «amoral» est d’un emploi ambigu, en particulier dans le domaine philosophique, ce que rappelle le Vocabulaire technique et critique de la philosophie d’André Lalande. Celui-ci souligne que l’amoral se distingue de l’immoral parce qu’«on veut laisser entendre que [les êtres amoraux] ont peut-être quelque excuse dans leur indifférence naturelle aux idées du bien et de mal, ou dans le développement incomplet de leur conscience morale»[…]"
Extraits de La frontière entre immoralité et amoralité, Alain Anquetil, ESSCA knowledge
L’article Amoralité, Wikipédia fait le même constat:
«L'amoralité est une absence de dépendance, ou indifférence, envers la moralité. Il s'agit d'une absence de dépendance individuelle ou collective avec toute notion de morale, que ce soit avec la morale religieuse, la morale laïque ou la morale sociale.»
Mais il pointe aussi un des problèmes que pose cette amoralité:
«La moralité chez les humains —voire aussi les animaux— est un sujet de litige parmi les scientifiques et les philosophes. Si la moralité est intrinsèque à l'humain, alors les humains amoraux n'existent pas ou sont déficients dans leur humanité. Si la moralité est extrinsèque à l'humanité alors des êtres humains amoraux peuvent exister et être pleinement humains, pouvant être amoraux par leur nature ou par choix.»
Voir aussi la réponse à une de vos précédentes questions :
Est-ce que tout le monde a un code moral personnel ?
Par ailleurs, récuser la morale peut être aussi le signe d’un besoin de valeurs autres, et donc d’une nouvelle morale. C’est ce que pointe l’introduction de l’anthologie La morale:
«La morale est un problème classique parce que la vie et l’action consistent à reprendre le problème, à révoquer la tradition et les mœurs pour répondre à l’appel du présent, à dépasser une tradition inapte à résoudre les difficultés. […] Il ne suffit donc pas de récuser la morale pour l’éviter, ni de la condamner pour ne pas en faire.»
A lire dans cet ouvrage, la partie I. Contestations de la morale.
Enfin, dans Notions d’éthique, Meriam Kericha fait de L’étranger d’Albert Camus une figure de l’homme amoral, personnage qui «vit sa vie comme une suite d’évènements sensoriels» et se coupe ainsi de la société comme de son humanité.
Quelques sujets corrigés du Bac en ligne pourraient répondre à vos questionnements :
Peut-on vivre sans morale? sur Bacfrançais.com.
Peut-on dire à chacun sa morale?, Philophore.
Faut-il avoir des principes? CaféPhilosophia.
Pour aller plus loin :
En philosophie, les questions soulevées par l’amoralité sont développées dans la doctrine de l’amoralisme.
«L'amoralisme (scepticisme moral), antonyme de moralisme, est une doctrine qui préconise l'ignorance ou le mépris de la morale. Elle complète le point de vue moral, à savoir les notions du bien et du mal, par le neutre ou la logique «indécidable» montrée par Kurt Gödel. Cette doctrine rejette la morale courante; elle prône l'ignorance complète d'intentions morales et la croyance que la théorie de la moralité est immatérielle. Par exemple, la science ou la vie organique sont amorales. Le bien et le mal, le droit et la justice sont des inventions humaines.
Paradoxalement, la dimension «neutre» de l'amoralisme réside dans le refus de porter un jugement sur la nature morale ou immorale d'un fait. L'amoralisme peut être défendu par les partisans de l'immoralisme sceptique ou nihiliste.»
Amoralisme, Wikipédia.
Trois exemples de recherche philosophique visant à se passer de la morale telle qu’on la définit communément :
La vertu sans la morale. À propos de : Valérie Aucouturier, Elizabeth Anscombe. L’esprit en pratique, CNRS, par Damien Couet, La vie des idées , le 14 novembre 2013
La morale introuvable, Ruwen Ogien, Raison publique 2017/2 (N° 22), pages 15 à 39
Pour un amoralisme : une polémique. Coda sous forme de dialogue entre un amoraliste et un minimaliste moral, Ronald De Sousa, Les Ateliers de l’éthique, vol. 14, n°1, 2014
A consulter également :
Gorgias, Platon avec le personnage de Calliclès, un des premiers amoralistes de la philosophie.
La psychopathie entre amoralité et immoralité, Mathieu Garcia, sur tétralogiques, notamment le paragraphe Qu’est-ce qu’être amoral? de l’introduction.
Ethique de la vertu, Wikipédia
Jusqu'où la morale est-elle naturelle ?, Georges Chapouthier, Dans Cités 2003/3 (n° 15), pages 163 à 167
L'Éthique et les limites de la philosophie / [Livre] / Bernard Williams ; trad. de l'anglais par Marie-Anne Lescourret
Motivation morale, Encyclopédie philosophique en ligne
Bonnes lectures!