Les mouvements identitaires en milieu mandingue*
CIVILISATION
+ DE 2 ANS
Le 06/03/2005 à 21h06
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Question d'origine :
Monsieur,
Je suis un étudiant malien, section Anthropologie(Maîtrise).Je viens de faire connaissance de votre site .Alors ,vue la pauvrété de nos bibliothèques ici au Mali,Je me suis dit que votre aide me serait la bien vénue.Monsieur je travaille sur le thème:Les mouvements identitaires en milieu mandingues:le cas du N'ko.
Comment saisir les mouvements identitaires en tant que système?
Comment se manifeste ces mouvements?
Comment les caractériser?
Pourai-je avoir le résumé du livre de Jean-Loup Amselle sur le mouvement N'ko?
Merci.
Réponse du Guichet
bml_civ
- Département : Civilisation
Le 09/03/2005 à 09h22
Jean-Loup Amselle est anthropologue et directeur d’études en anthropologie et historicité à l’Ecole des Hautes Etudes en sciences sociales .
Il a publié dans les Cahiers d’Etudes africaines un article intitulé
Jean-Loup Amselle y annonce en conclusion un ouvrage dans lequel il se proposerait « de saisir l’évolution de ce mouvement et d’apprécier sa place dans le spectre politique malien. Une approche comparative, centrée sur l’étude de ce mouvement dans d’autres pays (Guinée, Côte d’Ivoire) devrait également permettre d’appréhender la façon dont une doctrine se modèle – et est modelée – dans et par des contextes sociaux différents. »
Cet ouvrage a été publié en février 2001 sous le titre :
En voici deux exemples :
* Chapitre.com
« Ce livre, qui procède d'un travail de terrain éclaté, nous promène à travers les capitales de trois pays africains : Bamako au Mali, Le Caire en Egypte et Conakry en Guinée. En cela, il rompt avec l'approche classique de l'anthropologie, qui privilège le local par rapport au global, et répond au souci de cerner au plus près les contours d'une véritable multinationale culturelle : le N'ko. Fondé en 1949 pour exprimer l'identité d'un peuple opprimé, le peuple mandingue, ce mouvement doit beaucoup à l'Europe et à l'islam - l'alphabet dont il s'est doté évoque ainsi les alphabets latin et arabe, tout en possédant ses caractéristiques propres. A ce titre, le N'ko illustre les "branchements" possibles d'une culture sur une autre, phénomène de dérivations multiples qui montre bien que notre monde globalisé n'est pas une simple juxtaposition d'univers étanches. De la globalisation à l'afrocentrisme, de l'écriture à la philosophie africaine et au génocide, la thématique du branchement permet de décliner les différentes figures qui font de l'Afrique un concept à géométrie variable, un élément essentiel de l'imaginaire planétaire. »
* Anthropologie et Sociétés - Stéphane Vibert
« Ce nouvel ouvrage de l’anthropologue spécialiste de l’Afrique noire se décline selon deux axes complémentaires, l’étude de terrain venant enrichir réflexions épistémologiques et discussions de l’objet « mondialisation ». L’auteur prolonge sa visée théorique, élaborée dans ses livres précédents, consistant non seulement à récuser tout « essentialisme culturel », mais plus encore à démontrer l’inanité des discours postmodernes révérant le « métissage », « l’hybridation », « la créolisation », qu’il considère comme autant d’avatars d’une pensée « biologico-culturelle » vouée à reproduire ce qu’elle croit combattre, « l’idée d’une pureté originaire » (p. 22). Contre cette illusion, Amselle développe la thématique métaphorique du « branchement », comme interconnexion constante des « cultures » sur « un réseau de signifiants planétaires » toujours « déjà-là », résultat de toutes les globalisations historiques, antérieures à celles de l’islam, de la colonisation européenne ou de l’actuelle « mondialisation ». Cette thèse est illustrée par un exemple « africain » : la création en 1949 d’une véritable « multinationale culturelle » (présente à Conakry, au Caire, à Bamako), le mouvement n’ko, grâce à l’inspiration d’un penseur mandingue, Souleymane Kanté, inventeur d’un alphabet apte à sortir les cultures africaines de « la malédiction de l’oralité ». Jouant l’une contre l’autre les références à l’Occident et à l’islam, S. Kanté reconstruit une « tradition mandingue » par réappropriation de catégories « étrangères » (anthropologie de l’africaniste M. Delafosse, religion musulmane, droits de l’homme, décentralisation) et retournement nationaliste, incarnant comme tous les prophétismes afrocentristes la quête d’une « essence africaine qui est l’exact symétrique d’une modernité à laquelle ils ne peuvent participer » (p. 100).
Le créateur du N’ko, Souleymane Kanté (1922-1987), visait « la sauvegarde de la civilisation mandingue » (p. 163) mais surtout la régénération de cette culture, par la diffusion d’un islam « indigénisé » et la rationalisation de thérapies traditionnelles. La décentralisation malienne se nourrit des ouvrages du « Dr Kanté » — pédagogue, écrivain, médecin, mathématicien, philosophe, historien — consacrés aux empires du Soso et du Mali, hagiographies faisant de l’empereur du Manden, Sunjata, « l’inventeur de la “démocratie” et le pionnier des droits de l’homme » (p. 198), à la suite de l’assemblée de Kurukan Fuga (1236), réinterprétée en termes de « contrat social ». Le « nationalisme culturel mandingue » répondrait aux réquisits de l’espace interculturel contemporain, selon une « déconstruction » des identités « essentialisées », car « pas plus qu’il n’est de philosophie africaine, il n’est de philosophie occidentale, chacune de ces entités étant pensée dans les termes de filiations largement fictives, c’est-à-dire oubliant les branchements latéraux » (p. 176).
Si la description du mouvement n’ko permet bien de saisir la « réinvention des traditions » à l’œuvre dans la pensée postmoderne, la « déconstruction constructiviste » (Caillé 2001) d’Amselle pose problème. Quasi-homologue à la problématique des « réseaux » (Latour 1991), la thématique des « branchements » favorise certes la relecture critique du « culturalisme » classique de la discipline anthropologique (ici Malinowski), trop portée à négliger l’histoire coloniale et le rapport structurant aux sociétés environnantes, accréditant ainsi l’image homogénéisée de pseudo-isolats culturels, « primitifs » et auto-suffisants. Mais cette remise en question frise l’auto-contradiction performative, continuant par défaut à utiliser les termes « culture », « société », « authenticité » ou « identité ». Une fois acceptée l’idée anti-essentialiste des « cultures » comme autant de branchements connectés sur un « réseau » planétaire, jamais totalités closes (car toujours construites de l’extérieur), mais toujours aveuglées par leur illusion auto-référentielle, rien n’est dit quant à la cohérence effective de ces « entités », pourtant horizons de signification pourvoyeurs d’un « monde commun », articulé et hiérarchisé dans ses idées-valeurs, sources de jugement, de décision et d’action.
La figure postmoderne du « branchement sur l’universel », comme interaction dialogique horizontale récusant toute « quête des origines » manque à cerner le lien social comme rapport vertical des individus à une « totalité signifiante », à « des principes d’intelligibilité des pratiques pour autant qu’elles font système et qu’elles font système du point de vue du sens » (Descombes 1996), ce qu’évoque implicitement l’auteur par la notion de « milieu de réception », qu’il ne problématise malheureusement pas (p. 23). Si l’anthropologue peut montrer que « toute société est métisse et donc que le métissage est le produit d’entités déjà mêlées, renvoyant à l’infini d’une pureté originaire » (p. 22), il n’en demeure pas moins que reste irrésolue la question de stabilisation du sens dans et par des « institutions » (Mauss), d’un ordre cohérent pour les membres de la société hors de toute réflexion sur « l’origine », pure ou non (la question a-t-elle même un intérêt?), des valeurs, des normes ou des objets « mis en forme » d’une manière spécifique. S’il y a bien « production différentielle des cultures », l’idée de « continuum » choyée par l’auteur tend à confondre la « communication » avec l’extérieur et une indistinction des entités « branchées » les unes sur les autres. Toujours relationnelle, la hiérarchie de valeurs (Dumont 1983) propre à une société ne doit pas se confondre avec une représentation en termes de « choix » et « stratégies » des cultures comme autant d’acteurs collectifs, pianotant sur la gamme des produits disponibles sur le marché « universel » des identités afin de se composer une mélodie mythiquement « authentique » et « vendable ». La façon dont l’auteur évoque les « objets culturels » rapatriés et réinterprétés (le Coca-Cola en Afrique, le base-ball au Japon, le McIntosh chez les intellectuels français) pour souligner que c’est « à travers la consommation de produits importés ou l’importation d’idées étrangères que se manifeste le plus fortement l’identité culturelle ou nationale » (p. 23) incarne cette mécompréhension, qui est également celle d’Appadurai (1996) par exemple : ce n’est pas à travers des « éléments » discrets, toujours bien entendu transmissibles, que peut se comprendre une « culture », mais bien comme l’a enseigné Mauss (1969 : 306), à travers l’organisation, la complémentarité, l’articulation des « systèmes de sens » comme parties hiérarchisées d’une totalité signifiante globale. »
Enfin, sur la problématique plus générale des mouvements identitaires, vous pouvez aussi consulter le site de l'Institut de recherche pour le développement.
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