Question d'origine :
Bonjour. J'aimerais connaitre l'organisation des noblesses chinoises et tibétaines, leurs titulatures et modes de transmission.
Merci.
Réponse du Guichet
bml_chin
- Département : Fonds Chinois
Le 15/03/2006 à 17h42
Votre question, telle qu’elle est posée, est beaucoup trop vaste pour que nous puissions l’aborder d’une façon exhaustive. Il n’est pas aisé de traiter dans le cadre du Guichet du Savoir de l’histoire de la noblesse en Chine et au Tibet et les évolutions marquantes qu’elle a subies des origines jusqu’à nos jour – pour ainsi dire, notamment pour ce qui est de leur titres, des modes de transmission de leurs titulatures et de leur rôle au sein des sociétés respectives : cela sort largement du cadre de nos missions. A vrai dire, nous ignorons tout du contexte précis de vos recherches et en l’absence de précisions de votre part, en particulier de type chronologique, il n’est pas aisé non plus pour nous de vous indiquer des pistes de recherche par le biais d’une bibliographie ‘sur mesure’…
Néanmoins, voici un cadre général pour ce qui est des deux pays abordés, la Chine et le Tibet :
En préambule, nous tenons à vous indiquer que depuis la fin de l’Antiquité la population chinoise était traditionnellement divisée en quatre catégories (si min 四民, litt. quatre peuples) : les lettrés (shi 士), les paysans (nong 農), les artisans (gong 工) et les marchands (shang 商) (en ordre décroissant de prestige). Cette hiérarchie ne recouvrait pas forcément celle de la richesse, car cette société faisait une différence bien nette entre le prestige et l’argent.
En haut de la hiérarchie sociale et ce jusqu’à la chute de la dernière dynastie des Qing en 1911, on trouve évidemment l’empereur.
Sans même compter le cas encore bien plus particulier des dynasties étrangères, on peut indiquer que « [l’empereur] ou ses ancêtres avaient conquis le trône de haute lutte et le succès de la force lui avait valu son titre. L’origine sociale des empereurs était diverse. Dans la période des troubles des nobles ou de grands propriétaires fonciers [à l’origine de nombre de dynasties chinoises] ont pris le pouvoir en main […] pour assurer la paix de l’empire […] ; d’autres prétendants furent de simples aventuriers […] : ils profitèrent des troubles pour s’arroger le pouvoir […] ; [d]es chefs de bandes paysannes essayèrent aussi de s’emparer du pouvoir […]. Mais si l’empire se conquiert à cheval, il ne se gouverne pas à cheval. Il se prend par la force, mais se conserve par adhésion des sujets et l’authorité du prestige. Le fondateur d’un dynastie essayait de faire oublier l’origine de son pouvoir et de s’assimiler le plus possible à sa fonction [...] L’empereur ne représentait pas une classe sociale ni des intérêts économiques : le pouvoir total lui était accordé parce qu’il était le garant d’une hiérarchie et d’un ordre ».
Dans l’Antiquité, le souverain (appelé wang 王 et non huangdi 皇帝, qui est d’usage plus tardif) « avait en dessous de lui des princes feudataires (zhuhou 諸侯) qui régnaient sur des fiefs souvent plus importants que celui qui appartenait personnellement à l’empereur. Ces seigneurs à leur tour partageaient leur principauté entre des vassaux (qingdaifu 卿大夫), qui jouissaient donc de fiefs tout en occupant la charge à la cour de leur seigneur. Ceux-ci avaient eux aussi des vassaux (shi 士), qui étaient pour la plupart des chefs militaires (wushi 武士). Les vassaux avaient une charge héréditaire à la cour du suzerain et avaient droit aux revenus d’un fief (caiyi 采邑). C’était donc un empire féodal. Après l’unification de la Chine en 221 av. J. C. par la seigneurie des Qin 秦, fut crée un empire bureaucratique administré par des fonctionnaires (guanliao 官僚), nommés, révoqués et mutés par l’empereur ou ses assistants à leur guise. Ils n’étaient plus héréditaires et au lieu de recevoir des fiefs touchaient des émoluments en nature ou en espèces ; ceci correspondit à un renforcement du pouvoir central ».
(cf. l’entrée ‘Société’, p. 11-27, de l’ouvrage Chine : culture et traditions, par Jacques Pimpaneau, d’où les citations, auquel nous renvoyons pour un aperçu général de la société dans la Chine classique).
En effet, comme l’explique plus en détail Ivan P. Cameranovič dans son ouvrage La Chine classique, pour ce qui est de la hiérarchie de la noblesse, établie donc en fonction de la seule naissance :
« La dynastie des Han (206 av. J. C. – 220 ap. J. C.) s’était trouvée [...] devant un problème complexe qui était demeuré sans solution satisfaisante.
Tout d’abord, il n’était pas concevable de laisser la famille impériale au même niveau social que le reste de la population. Et il en allait de même pour les familles de ceux qui soit avaient aidé le fondateur de la dynastie à accéder au trône, soit avaient rendu à l’Empereur ou au pays des services éminents. Mais les souverains Han se souvenaient de la perte du pouvoir des Fils du Ciel de la dynastie des Zhou (1121-256 av. n. è.), submergés progressivement par la puissance et l’ambition des princes feudataires. Ils avaient donc imaginé un système faisant des princes feudataires des quasi-fonctionnaires, susceptibles d’être déplacés d’un fief à l’autre, surveillés en outre par des commissaires impériaux. Enfin, pour achever d’amoindrir le pouvoir de ces princes, les Han avaient rendu obligatoire la partition des fiefs en parts égales entre tous les fils d’un prince défunt. Cela n’était pas allé sans mécontentements, révoltes et complots.
C’est une solution radicalement nouvelle que trouvent les Tang (618-907), tirant leçon de l’expérience des Han. Non seulement ils décident l’intégration pure et simple de la noblesse dans la hiérarchie mandarinale, mais ils convertissent les fiefs en revenus […].
Une façon de rendre plus efficaces encore ces mesures de protection du trône contre les ambitions potentielles de noblesse, fut de la reconnaître certes héréditaire mais de façon dégressive. C’est-à-dire que qu’un fils ne put hériter que d’un titre inférieur au degré dans l’échelle mandarinale à celui que portait son père. Ainsi, au but de quelques générations, ceux qui se contentent d’hériter se trouvent-ils, même s’ils sont membres lointains de la famille impériale, réduits au rang de simples particuliers. En effet, même si […] les degrés supérieurs de de la hiérarchie mandarinale sont recrutés par appel et ne nécessitent pas formellement le passage d’un examen, la descente d’un degré par génération empêche assez vite les descendants de la noblesse de prétendre pouvoir occuper de telles fonctions. Pour illustrer de façon tangible cette intégration de la noblesse au reste de la société et pour montrer symboliquement que la priorité va à la hiérarchie du mérite [soit : celle du mandarinat] sur celle de la naissance, la seconde étant supposée découler de la première, le bureau des titres nobiliaires dépend directement du Ministère des Fonctionnaires [Li bu 禮部]. Il constitue le second des quatre bureaux entre lesquels sont reparties les tâches de ce ministère équivalent à notre Ministère de l’Intérieur […]
La noblesse comporte neuf échelons, traduits ici selon les titres en usage en France :
Wang 王 : Prince
Junwang 君王: Prince successeur de Prince = Prince de Commanderie
Guogong 國公 : Duc de principauté
Jungong 軍公 : Duc de commanderie
Xiangong 縣公 : Duc de sous-préfecture
Xianhou 縣侯 : Marquis de sous-préfecture
Xianbo 縣伯 : Compte de sous-préfecture
Xianzi 縣子 : Vicomte de sous-préfecture
Xiannan 縣男 : Baron de sous-préfecture
Ces échelons ont leur équivalence respective dans la hiérarchie mandarinale. Ils assurent à leurs titulaires un rang déterminé lors des audiences à la Cour. Les mots chinois désignant ces titres sont empruntés à une terminologie en usage à l’époque des Royaumes combattants (453 av. J.C. – 222 av. J. C.) et remontant à des temps plus anciens encore. » (Cameranovič, op. cit., p. 83 et seq.).
Quelques références (en langues occidentales uniquement) :
* Chinese nobility [Entrée de la Wikipedia anglaise].
* La Chine antique, par Henri Maspero (v. en particulier le Livre II ‘La vie sociale et religieuse’, chapitre 1 ‘La société chinoise ancienne’, p. 89-129).
* La Féodalité chinoise, par Marcel Granet
* La civilisation chinoise : la vie publique et la vie privée, par Marcel Granet; postface de Rémi Mathieu (éd. mise à jour).
* Johnson, David G., The medieval Chinese oligarchy, Boulder (Colorado) : Westview Press, 1977.
* Ebrey, Patricia, The Aristocratic families of Early Imperial China, Cambridge: Cambridge Unversity Press, 1978.
« La société tibétaine repose sur un système féodal qui a perduré au cours des siècles. Avant l’empire tibétain, la société était divisée en seigneurs (rje) et en sujets (‘bangs). Le clan seignural […] se distinguait par son passé guerrier qui lui conférait un ascendant naturel sur les biens et les hommes. Toutes les familles, nobles ou non, se rattachaient à un clan […]
Une première noblesse se forma dès le 6e siècle. A l’époque de la grandeur du Tibet impérial (6e-9e siècle), le souverain confirmait aux familles seigneuriales leurs droits sur leurs domaines et pouvait leur octroyer de nouvelles terres en fief. Les seigneuries religieuses sont apparues très tôt après l’introduction du bouddhisme. Dès la constitution, au 8e siècle du premier monastère bouddhiste, Samyé, des familles lui ont été attachées pour subvenir à ses besoins et le monastère est devenu une véritable entité seigneuriale. A compter du 11e siècle, avec la seconde diffusion du bouddhisme, les seigneuries laïques ont été égalées, surpassées ou dominées par ces nouvelles seigneuries religieuses, et les unes et les autres se sont souvent fondues.
Par la suite, les relations du Tibet avec les populations voisines (Mongols, Chinois, Mandchous) ont entraîné l’introduction de titres nobiliaires étrangers. A partir de la fin des années 1720, le père du Dalaï Lama s’est vu accorder un fief et un titre ; dès lors la famille des pontifes a formé la classe noble des yabshi, qui correspondait au premier rang de l’échelle sociale. Lorsqu’un Dalaï Lama était découvert dans une famille humble, celle-ci recevait tous les honneurs ; dès la première génération, les membres de cette famille recevaient des hautes fonctions […] Après les yabshi venaient les dépeun, dont certains membres se prétendaient descendants de ministres des premiers souverains, puis les noblesses koundra et guerpa, plus nombreuses, composées de familles modestes ne possédant souvent qu’une tenure.
Les familles de la noblesse, environ deux cent au milieu du 20e siècle, vivaient des revenus tirés de leur domaine et se partageaient l’essentiel des responsabilités politiques et économiques du pays, le reste revenant aux monastères. Par la suite, les familles les plus influentes s’arrangèrent pour obtenir par cooptation les responsabilités administratives ou militaires. Au début du 20e siècle le treizième Dalaï Lama, afin de briser ce pouvoir des nobles encouragea la promotion d’hommes d’un milieu modeste. La société des nobles était relativement fermée et immobile, les alliances matrimoniales se nouant de préférence entre familles d’une même classe, ou de puissance égale […] Les anoblissements se faisaient au grés des situations politiques et du bon vouloir de l’autorité suprême, laïque ou religieuse ». (tiré de Histoire du Tibet, par Laurent Deshayes, p. 34 et seq.).
Vous consulterez également :
* la Civilisation tibétaine, par Rolf A. Stein.
* Petech, Luciano, Aristocracy and Government in Tibet: 1728-1959, Roma: Istituto Italiano per il Medio ed Estremo Oriente, 1973.
Tous ces ouvrages peuvent être localisés en France via le Catalogue du Système universitaire de documentation(Sudoc). Prêt entre Bibliothèques (PEB) possible.
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