Question d'origine :
Bonjour, J'aimerai savoir à quelle époque la ville de Guernica a été reconstruiite suite au bombardement du 27 avril 1937. En vous remerciant par avance, je vous souhaite une belle journée DomdeV
Réponse du Guichet
gds_ctp
- Département : Equipe du Guichet du Savoir
Le 27/01/2021 à 13h51
Bonjour,
La reconstruction de Guernica (ou Gernika-Lumos, selon son nom basque) a commencé immédiatement après la destruction de la ville mais s'est étalée sur plusieurs décennies.
Selon les auteurs de Les dernières heures de Guernica [Livre] / Gordon Thomas ; Max Morgan-Witts ; préface de Patrick Pépin ; traduit de l'anglais par Marianne Véron, "La renaissance de Guernica [bombardée un jour de marché par l'aviation allemande et détruite à plus de 80%]date sans doute du samedi 1er mai 193 7, quand les nationalistes établirent une cuisine roulante sur l'emplacement de la place du marché. Les gens quittèrent les collines pour venir manger leur première nourriture chaude depuis près d'une semaine.
Le père Iturran vécut assez pour voir l'église Santa Maria complètement remise en état. [...] Le lundi 3 mai 1937, l'usine Unceta avait repris ses activités - produisant des armes pour les nationalistes. [...] Les ruines de l'église San Juan furent entourées d'une barrière pour empêcher les enfants d'aller y jouer."
L'ouvrage Gernika, 1937: The Market Day Massacre de Xabier Irujo, consultable sur Google livres (en anglais), évoque le traitement de la ville juste après le bombardement du 26 avril 1937 :
"Selon les ordres du général Mola, Guernica fut fermée à la presse internationale dès le 28 avril, à la Croix-Rouge, et, en général, à quiconque n'ayant pas un laisser-passer émis par les autorités rebelles [franquistes] [...]. Les premiers ordres des officiers rebelles furent d'occuper les usines d'armement de la ville, restées intactes, et de détruire toutes les preuves du bombardement. Les troupes comblèrent les immenses cratères provoqués par les bombes et récupérèrent et détruisirent toutes les bombes n'ayant pas explosé, ainsi que toute trace des projectiles incendiaires allemands.
[...]
La rapide reconstruction de la ville fut un enjeu politique et diplomatique du gouvernement de Franco pour trois raisons. D'abord, il était important d'effacer toute trace du bombardement aussi vite que possible. Ensuite, la reconstruction de Guernica devait étayer la fiction selon laquelle, alors que les nationalistes basques et les dynamiteurs asturiens avaient mis Guernica et d'autres villes à feu et à sang, le nouvel état franquiste était à même de faire renaître le pays de ses cendres. Enfin, le nouveau régime utilisa la reconstruction de la ville pour montrer qu'il apportait la paix sur des territoires où avaient régné guerre et instabilité politique.
Le 6 juillet 1937, un peu plus de deux mois après l'attaque, Salustiano Olazabal, nommé maire de la ville, rencontra la Junta Técnica de Reconstrucciones (Bureau technique des reconstructions) à Burgos pour entamer le travail de reconstruction le plus tôt possi ble. En décembre, le bureau technique dévoila un projet de reconstruction approuvé par le général Franco, mais rien ne fut mis en oeuvre. En effet, les services techniques de la Falange Española, seul parti reconnu par le régime, proposa en 1938 la reconstruction de Guernica en tant que nouvelle capitale nationale-syndicaliste du Pays Basque. Dans la lignée du projet d'Albert Speer pour la chancellerie du Reich [...], le projet incluait un stade colossal pour les parades militaires, une Place de l'Empire, un mémorial aux "croisés franquistes" morts au combat, et un Jardin de la guerre. Le projet ne vit jamais le jour."
D'après le même ouvrage, aucun chantier de reconstruction ne commença en Espagne avant la fin de la guerre civile, en avril 1939. En septembre de la même année, fut promulguée la "Loi d'adoption", plaçant les villes détruites sous le parrainage personnel de Franco, permettant à celui-ci de se montrer sous le jour d'un "père débonnaire" - une sorte de label indispensable pour obtenir des crédits de reconstruction.Guernica fut ainsi "adoptée" par Franco le 12 octobre 1939, et un nouveau projet de reconstruction fut finalisé en décembre. Les travaux purent commencer, notamment grâce à la main d'oeuvre gratuite que représentait les prisonniers de guerre, qui furent soumis dans toute l'Espagne à des travaux de reconstruction jusqu'en 1942 - voire 1947, pour certains groupes "disciplinaires". Ce quasi-esclavage, en totale violation de la Convention de Genève, concerna jusqu'à 50 000 prisonniers.
Le nouveau plan de reconstruction suivait le plan originel de la ville, avec quelques modifications (redressement et élargissement des rues, modernisation de la distribution d'eau et de l'éclairage public...), avec pour perspective l'augmentation de la population à environ 12 000 personnes sur vingt ans, soit environ un doublement de ladite population. Mais suite à de nombreux problèmes d'ordre juridique, matériel ou économique, liés à l'empiétement du plan d'urbanisme sur des terrains privés, au soupçon de nationalisme basque de certains propriétaires, ou encore à la crise économique qui succéda à la guerre et qui laissa le pays Basque exsangue, la reconstruction de Guernica prit pas moins de dix ans , et ce n'est qu'en 1947 qu'elle recouvra sa population de 1937 et un semblant de vie normale.
A cet époque, il semble toutefois que les nouveaux bâtiment aient gardé un caractère provisoire, puisque Luis Iriondo, témoin du bombardement pendant son adolescence, interrogé par le Parisien, affirme : « On a vécu longtemps dans les ruines. La reconstruction n'a vraiment commencé qu'en 1956… »
Cela paraît contradictoire, mais il faut se rappeler qu'à l'époque le pays vivait dans une relative autarcie, que la propagande franquiste rendait toute documentation de l'état réel du pays à peu près impossible, ainsi que la commémoration du massacre. Il semble d'ailleurs que si celle-ci est devenue possible, il n'en reste pas moins que l'après-guerre et la reconstruction restent un angle mort historiographie de la Guerre d'Espagne. Selon les mots de Robert Hérin dans son article "Gernika (Pays basque espagnol), ville martyre,ville reconstruite, ville emblématique", "Bien que reconstruite rapidement, la ville de Guernica de-meure aujourd’hui encore la ville détruite par un bombarde-ment préfigurant les horreurs des raids aériens de la Seconde Guerre mondiale et le symbole de l’inhumanité des régimes fascistes. La mémoire du bombardement guide les itinéraires des circuits proposés aux touristes de la ville. En revanche, la reconstruction de la cité, son architecture, ses monuments, ne suscitent guère d’intérêts et de recherches, comme si ce moment-là, pourtant essentiel dans l’histoire de la ville, res-tait dans l’oubli, ou même non mémorisé, comme si l’identité de Guernica s’était reconstruite quasi exclusivement dans le souvenir et la commémoration du 26 avril et aujourd’hui se développait sur d’autres références."
Ceci explique sans doute pourquoi nous avons vainement cherché des détails sur la reconstruction de Guernica dans les livres que nous avons pu consulter à la BmL. Pour aller plus loin dans votre recherche, sachez que l'article de Robert Hérin est inclus dans les actes du colloque De la ville perdue à la ville retrouvée, la ville en devenir, publiés en 2008 aux Presses universitaires de Caen. Cet ouvrage ne faisant pas partie de nos collection, nous n'avons malheureusement pas pu le consulter.
Bonne journée.
La reconstruction de Guernica (ou Gernika-Lumos, selon son nom basque) a commencé immédiatement après la destruction de la ville mais s'est étalée sur plusieurs décennies.
Selon les auteurs de Les dernières heures de Guernica [Livre] / Gordon Thomas ; Max Morgan-Witts ; préface de Patrick Pépin ; traduit de l'anglais par Marianne Véron, "La renaissance de Guernica [bombardée un jour de marché par l'aviation allemande et détruite à plus de 80%]
Le père Iturran vécut assez pour voir l'église Santa Maria complètement remise en état. [...] Le lundi
L'ouvrage Gernika, 1937: The Market Day Massacre de Xabier Irujo, consultable sur Google livres (en anglais), évoque le traitement de la ville juste après le bombardement du 26 avril 1937 :
"Selon les ordres du général Mola, Guernica fut fermée à la presse internationale dès le 28 avril, à la Croix-Rouge, et, en général, à quiconque n'ayant pas un laisser-passer émis par les autorités rebelles [franquistes] [...]. Les premiers ordres des officiers rebelles furent d'occuper les usines d'armement de la ville, restées intactes, et de détruire toutes les preuves du bombardement. Les troupes comblèrent les immenses cratères provoqués par les bombes et récupérèrent et détruisirent toutes les bombes n'ayant pas explosé, ainsi que toute trace des projectiles incendiaires allemands.
[...]
La rapide reconstruction de la ville fut un enjeu politique et diplomatique du gouvernement de Franco pour trois raisons. D'abord, il était important d'effacer toute trace du bombardement aussi vite que possible. Ensuite, la reconstruction de Guernica devait étayer la fiction selon laquelle, alors que les nationalistes basques et les dynamiteurs asturiens avaient mis Guernica et d'autres villes à feu et à sang, le nouvel état franquiste était à même de faire renaître le pays de ses cendres. Enfin, le nouveau régime utilisa la reconstruction de la ville pour montrer qu'il apportait la paix sur des territoires où avaient régné guerre et instabilité politique.
D'après le même ouvrage, aucun chantier de reconstruction ne commença en Espagne avant la fin de la guerre civile, en avril 1939. En septembre de la même année, fut promulguée la "Loi d'adoption", plaçant les villes détruites sous le parrainage personnel de Franco, permettant à celui-ci de se montrer sous le jour d'un "père débonnaire" - une sorte de label indispensable pour obtenir des crédits de reconstruction.
Le nouveau plan de reconstruction suivait le plan originel de la ville, avec quelques modifications (redressement et élargissement des rues, modernisation de la distribution d'eau et de l'éclairage public...), avec pour perspective l'augmentation de la population à environ 12 000 personnes sur vingt ans, soit environ un doublement de ladite population. Mais suite à de nombreux problèmes d'ordre juridique, matériel ou économique, liés à l'empiétement du plan d'urbanisme sur des terrains privés, au soupçon de nationalisme basque de certains propriétaires, ou encore à la crise économique qui succéda à la guerre et qui laissa le pays Basque exsangue,
A cet époque, il semble toutefois que les nouveaux bâtiment aient gardé un caractère provisoire, puisque Luis Iriondo, témoin du bombardement pendant son adolescence, interrogé par le Parisien, affirme : « On a vécu longtemps dans les ruines. La reconstruction n'a vraiment commencé qu'en 1956… »
Cela paraît contradictoire, mais il faut se rappeler qu'à l'époque le pays vivait dans une relative autarcie, que la propagande franquiste rendait toute documentation de l'état réel du pays à peu près impossible, ainsi que la commémoration du massacre. Il semble d'ailleurs que si celle-ci est devenue possible, il n'en reste pas moins que l'après-guerre et la reconstruction restent un angle mort historiographie de la Guerre d'Espagne. Selon les mots de Robert Hérin dans son article "Gernika (Pays basque espagnol), ville martyre,ville reconstruite, ville emblématique", "Bien que reconstruite rapidement, la ville de Guernica de-meure aujourd’hui encore la ville détruite par un bombarde-ment préfigurant les horreurs des raids aériens de la Seconde Guerre mondiale et le symbole de l’inhumanité des régimes fascistes. La mémoire du bombardement guide les itinéraires des circuits proposés aux touristes de la ville. En revanche, la reconstruction de la cité, son architecture, ses monuments, ne suscitent guère d’intérêts et de recherches, comme si ce moment-là, pourtant essentiel dans l’histoire de la ville, res-tait dans l’oubli, ou même non mémorisé, comme si l’identité de Guernica s’était reconstruite quasi exclusivement dans le souvenir et la commémoration du 26 avril et aujourd’hui se développait sur d’autres références."
Ceci explique sans doute pourquoi nous avons vainement cherché des détails sur la reconstruction de Guernica dans les livres que nous avons pu consulter à la BmL. Pour aller plus loin dans votre recherche, sachez que l'article de Robert Hérin est inclus dans les actes du colloque De la ville perdue à la ville retrouvée, la ville en devenir, publiés en 2008 aux Presses universitaires de Caen. Cet ouvrage ne faisant pas partie de nos collection, nous n'avons malheureusement pas pu le consulter.
Bonne journée.
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