Quelle fut l'attitude du Général de Lattre de Tassigny vis-à-vis des juifs ?
Question d'origine :
Bonjour
Suite à la lecture d'un article du "Progrès de Lyon " concernant l'attitude du Général de Saint-Vincent pendant les rafles des juifs en août 42 ,j'aimerai connaitre qu'elle fut l 'attitude du Général de Lattre de Tassigny ,commandant la région militaire à Montpellier dans cette même période et dans les mêmes circonstances.
Encore merci
Cordialement
Alain J.
Réponse du Guichet
Le maréchal de Lattre de Tassigny, entièrement dévoué au service de son pays, a osé désobéir lorsque la situation l’exigeait. Il a manifesté à plusieurs reprises son hostilité envers les décisions du gouvernement de Vichy et refusé catégoriquement de collaborer avec l'ennemi.
Bonjour,
Le général Pierre-Robert de Saint-Vincent, commandant de la région militaire de Lyon, a effectivement refusé de mettre à la disposition de l'intendant de police, des gendarmes pour encadrer l'embarquement de 545 juifs à destination de Drancy, puis Auschwitz. Il sera limogé le 1er septembre 1942 et passera dans la clandestinité pour éviter une arrestation. Sa désobéissance a retardé la rafle d'une journée, permettant à des dizaines de Juifs de s'enfuir.
source : Un nouveau lieu de mémoire 75 ans après le sauvetage des enfants juifs / Ken Fernandez - Le Progrès - mardi 29 août 2017
Qu'en est-il du Général de Lattre de Tassigny, commandant la région militaire à Montpellier dans cette même période ?
Dans les ouvrages biographiques que nous avons consultés, il n'est pas fait mention de faits similaires, mais a-t-on seulement demandé à son armée d'encadrer le départ de juifs pour Drancy ?
Nous vous laissons consulter ces extraits qui montrent clairement sa position vis à vis du gouvernement de Vichy et sa réaction face aux ordres qui ont pu lui être donnés.
Les quelques mois que passe de Lattre à Montpellier constituent une période particulière de son existence. Désavoué dans son commandement en Tunisie, voyant sa carrière marquer le pas, puisqu'une nouvelle fois affecté à la tête d'une grande unité, il se montre de plus en plus critique à l'encontre des orientations prises par le gouvernement de l'Etat français. Il dénonce ainsi avec virulence la politique de collaboration que défendent les partisans du rapprochement avec l'Allemagne, une attitude qui n'échappe pas au chef régional du Service d'ordre légionnaire, qui le fait surveiller. Hostile à toute démarche collaborationniste, de Lattre refuse d'assister aux conférences de propagande organisées à Montpellier, telles celles données par Philippe Henriot ou Friedrich Grimm, un proche de Goebbels qui, amené en France en 1940 par Otto Abetz, rencontre quelque succès en zone occupée (notamment par le biais de Radio-Paris) comme en zone libre. Le chef de la 16e division ordonne, d'ailleurs, expressément à ses officiers de ne pas paraître lors de ces allocutions. Ce comportement crée un malaise certain au sein des cercles collaborationnistes et, à la faveur du retour de Pierre Laval (qui remplace Darlan) au mois d'avril 1942, de Lattre craint d'être relevé de son commandement.
source : De Lattre / Ivan Cadeau
Jacques Dinfreville dans Le Roi Jean : vie et mort du maréchal de Lattre de Tassigny témoigne également des manquements à la discipline de Jean de Lattre :
Déjà, il n'accepte aucune de ces compromissions, aucune de ces manifestations que l'on appelle alors le double jeu. Il ne paraît pas aux conférences organisées ou tolérées par Vichy, boude Philippe Henriot et l'amiral Abrial, autant que le professeur Grimm. Il accueille ceux qui s'insurgent contre le régime ou lui manifestent de la froideur : Giraud, évadé de Koenigstein, Linarès, Charles Vallin qui va gagner l'Afrique du Nord, François Valentin qui a donné sa démission de secrétaire général de la Légion des Combattants, Massigli, Capitant, Cochet, Ronie de Reuter, un journaliste britannique. Lorsque le colonel allemand chef de la Commission d'armistice locale demande à le voir, il le reçoit son sabre d'une main, son képi de l'autre, prend la parole, sans lui laisser placer un mot et conclut par un tranchant "Merci et au revoir". A la suite de cette visite, l'interprète dit à un Français : "C'est un sacré type, votre général..."
Cette attitude péremptoire coupe court à toutes les tentatives d'inquisition. Jean de Lattre se sait soupçonné, surveillé. Il n'en a cure.
Face à cette attitude hostile aux décisions du gouvernement français et aux Allemands, nous supposons qu'il aurait refusé d'encadrer la déportation des juifs. Mais nous doutons qu'une telle demande ait été formulée :
A Montpellier, ville universitaire et capitale de l’Hérault, les Juifs bénéficient de l’aide de la population et d’une attitude marquée par un manque de zèle dans l’application des lois antisémites de Vichy de la part de la préfecture, de la police et de certains fonctionnaires. Comment expliquer cette situation ? Selon le rapport préfectoral datant de 1941, de nombreux juifs sont maintenus dans les différents services de la préfecture contrairement aux diverses lois publiées par Vichy. Grâce aux lettres d’introduction délivrées par Camille Ernst, secrétaire à la préfecture de l’Hérault, à l’intention du sous-préfet, du maire et du président du Secours national, un nombre important de femmes, d’hommes et d’enfants sont accueillis ou répartis dans toute la région, moins exposée pour le moment aux persécutions. Ernst connaît personnellement les responsables de la communauté juive, qu’il peut informer des éventuelles arrestations. Toute une équipe de fonctionnaires recrutée par ses soins était mise à sa disposition. Ce fut le cas du commissaire de police Massez, qui par ailleurs renseigna la Résistance locale. L’intendant régional de police Paul Durafour, ancien capitaine d’infanterie, se révèle pendant son séjour dans la région de l’Hérault comme un policier et un administrateur adroit, sachant appliquer avec souplesse et bienveillance les consignes qu’il reçoit de Vichy. Il ne cache pas son admiration pour le général de Lattre de Tassigny. Il prend l’habitude de prévenir ceux qui sont menacés par une rafle ou par des perquisitions, et sauve ainsi de nombreuses vies humaines. Malheureusement, cette attitude lui fit perdre son poste. Selon les différents rapports de police, les services de la préfecture et des mairies favorisent le reclassement agricole de nombreux juifs dans le cadre de la politique « du retour à la terre ». […] Le préfet régional, Roger Hontebeyrie, nommé en octobre 1942, rend divers services à la Résistance, notamment en prévenant des militants susceptibles d’être arrêtés. Tout l’enjeu de la préfecture de Montpellier durant les années 1940-1942, et même au-delà, consiste à appliquer superficiellement la politique de Vichy, à envoyer des signaux de loyauté à son intention tout en édifiant de facto un contre-pouvoir local, discret et toujours fondé sur d’autres personnes de la société civile. […]
source : Désobéir : des policiers et des gendarmes sous l'Occupation, 1940-1944, dans lequel Limore Yagil ajoute :
Jean de Lattre de Tassigny ne manqua pas de désobéir lui aussi aux ordres de Vichy lors de l'invasion des allemands en zone sud. Le 11 novembre 1942, lorsque les troupes allemandes franchissent la ligne de démarcation, Jean de Lattre de Tassigny, refuse l'ordre de ne pas combattre donné par le gouvernement de Vichy et commande à ses troupes de s'opposer aux Allemands. Placé à la tête de la 16e région militaire, il quitte Montpellier avec son état-major dans l'intention de s'opposer à ceux qui viennent de rompre l'accord de Rethondes. Arrêté le 12 novembre, il est emprisonné à Toulouse, puis au fort Montluc à Lyon. Condamné le 9 janvier 1943, il s'évade de la prison de Riom dans la nuit du 2 au 3 septembre 1943.
Le 11 novembre 1943, il est promu général d’armée par le Général de Gaulle qu’il rejoint à Alger.
Pour en savoir plus, peut-être devriez-vous consulter le dossier d'archives de l'Hérault 18 W 283 sur les Rafles d'août 1942 et de février 1943 : instructions, comptes rendus d'opérations, listes, états numériques, correspondance. 1942-1943
CONTENU ET STRUCTURE :
Présentation du contenu :
Rafle d'août 1942
- Instructions du Secrétaire général à la police, correspondance, télégrammes.
- Procès-verbal de réunion du 8 août 1942 présidée par le préfet régional avec les préfets départementaux, les chefs de la police et de l'armée ayant pour but de mettre au point les mesures prescrites contre les Israélites.
- Rapport du préfet délégué de l'Hérault sur les opérations du 26 août dans l'Hérault avec indication du nombre de Juifs "ramassés" (3 septembre 1942).
- Rapport du préfet de l'Aveyron au ministre de l'Intérieur rendant compte des opérations du 26 août 1942 dans le département (27 août 1942).
- États numériques des Juifs "ramassés" et à "ramasser", exemptés et manquants dans l'Hérault et à Béziers-ville, Béziers-Campagne, Agde, Pézenas, Bédarieux, Lodève et Sète (28 août 1942).
- Attitude de l'Eglise catholique : appels contre les persécutions antisémites de l'archevêque de Lyon, de l'archevêque de Toulouse et de l'évêque de Montauban, rapport sur la diffusion de tracts relayant ces appels.
- Attitude de l'Eglise réformée : courrier intercepté d'un pasteur de Perpignan au pasteur Marc Boegner sur les sympathies des protestants à l'égard de la communauté juive, rapport de police sur la lecture d'un message de Marc Boegner au temple de Perpignan.
Il semble par ailleurs difficile de douter de l'amitié portée par les De Lattre de Tassigny au peuple juif. Mme de Lattre de Tassigny a offert une photographie montrant l'Évacuation des objets de culte de la synagogue de Herrlisheim, 1939.
A lire aussi :
- Un préfet dans la résistance / Arnaud BENEDETTI
- Winock, Michel. 11. La part des justes, in « La France et les Juifs de 1789 à nos jours. sous la direction de Winock Michel. Le Seuil, 2004, pp. 245-266.
Bonne journée