Question d'origine :
Bonjour,
Enfant, j'ai entendu dire dans ma famille maternelle, qu'un arrière, arrière grand-oncle avait été déporté à Guerseney avec Victor Hugo.
Aujourd'hui, dans mes recherches généalogiques je m'interroge sur cet
ancêtre, et tous ces hommes déportés dans l'île de Guernesey. De quoi étaient-ils
coupables ? Cela a-t-il un rapport avec le coup d'état du 2 Décembre 1851 ?
Existe-t-il un registre de ces déportés ? Est-il possible de consulter cet éventuel
registre sur internet ?
Merci très sincèrement de votre réponse, et savoir !
Réponse du Guichet
bml_civ
- Département : Civilisation
Le 07/01/2009 à 15h01
Pour comprendre qui sont ces proscrits qui se retrouvent à Guernesey dans les années 1850, il faut retracer le contexte historique européen et français.
« L’année 1848 allait être celle du test décisif. Précédée par divers mouvements insurrectionnels italiens, la révolution française de février déclencha une immense vague révolutionnaire à travers l’Europe n’épargnant que l’Europe du Nord-Ouest (au prix de réformes cependant) déjà libérale, et l’Empire russe, fortement armé contre toute subversion.
Attisé par la révolution de Vienne du 13mars, le « printemps des peuples » embrase toute l’Europe, de la Sicile à la Baltique, de la France aux confins polonais.[…]Le continent tout entier semble se régénérer et certains, tel V. Hugo, appellent à la création des Etats-Unis d’Europe.
Cet immense espoir ne se concrétisera pas. En Italie , les partisans de la maison de Savoie et les républicains de Rome et de Venise furent battus par les Autrichiens et, paradoxe, par les Français qui aidèrent à rétablir l’autorité du pape dans ses Etats. En Allemagne le refus du roi de Prusse d’accepter la couronne impériale des mains du peuple précipita l’échec des révolutionnaires. Dans le même temps les divers mouvements insurrectionnels de l’empire des Habsbourg étaient écrasés. Fin 1849, le statu quo d’avant 1848 semblait partout rétabli. »
Précis d’histoire européenne. 19°-20° siècle
En France :" La Révolution française de 1848 est la seconde révolution française du XIXe siècle ; elle se déroule à Paris les 23, 24 et 25 février 1848. Sous l'impulsion des libéraux et républicains et suite à une fusillade malheureuse, Paris se soulève à nouveau et parvient à prendre le contrôle de la capitale. Louis-Philippe, refusant de lancer l’assaut sur les Parisiens, est donc contraint d'abdiquer en faveur de son petit-fils le 24 février. Mais les révolutionnaires imposent un gouvernement provisoire républicain, tuant la Monarchie de Juillet et créant la Deuxième République le 25 février 1848. "Wikipedia
Puis ce sont Les journées de Juin , révolte du peuple de Paris du 22 au 26 juin 1848 pour protester contre la fermeture des Ateliers nationaux . . Wikipedia
De nombreux dirigeants de ces insurrections sont proscrits et s’exilent .
Ils seront rejoints par ceux qui vont s’opposer au coup d’état de 2 décembre 1851. Wikipedia
« La première opposition au coup d’Etat et au rétablissement de l’Empire est venue de l’exil . Le 2 décembre a provoqué une certaine résistance à Paris ; il a surtout entraîné l’insurrection de nombreux départements du Centre, du Sud-Ouest et du Sud-Est, qui connurent plusieurs batailles rangées . 26 000 personnes furent arrêtées ou poursuivies, qui passèrent devant des commissions mixtes , composées dans chaque département du préfet , du général et d’un magistrat. 9500 accusés furent condamnés à la déportation en Algérie (quelques uns à Cayenne) , 2800 internés, et 5100 placés sous surveillance de la police. La proscritpion frappa les représentants emprisonnés ou déjà exilés, parmi lesquels 70 républicains ( Hugo, Schoelcher, Raspail, Nadaud, Perdiguier, Quinet, Leroux…) Une grande partie des élites intellectuelles partirent pour la Suisse, l’Angleterre ou la Belgique , comme le philosophe Jules Barni, introducteur de Kant en France ; d’autres comme Michelet, refusant de prêter serment au nouveau maître, choisirent l’exil intérieur, quittant leurs fonctions dans l’université (Michelet déjà chassé du collège de France perd la direction des Archives nationales).
La grande voix de la proscription qui s’impose d’emblée est celle de Victor Hugo, qui dès 1852 , fait paraître Napoléon le Petit, pamphlet véhément , nourri d’émotion et de colère.»
L’invention de la démocratie 1789-1914, par Serge BERSTEIN et Michel WINOCK.
Ce cadre étant fixé, on trouve quelques renseignements plus précis sur des sites. A vous de les approfondir en prenant éventuellement contact avec leurs concepteurs.
Sur Groupe Hugo de l’université Paris VII , on trouve des renseignements intéressants dans un article sur l’exil d’Hugo:
Voici quelques extraits mais l’article mérite une lecture plus globale .
"Moins d'un an après, il ne reste plus grand chose de cette effervescence pleine d'espoir. Il y eut encore banquets, toasts et discours lorsque, à la demande du gouvernement belge [6] , Hugo quitta Bruxelles pour Jersey; rien lorsqu'il en est expulsé trois ans après [7] et l'histoire de son exil fut celle d'un continuel assombrissement.
A la pauvreté près [8] , ses souffrances furent celles des autres exilés. Isolement d'abord, d'autant plus dur à Hugo et aux siens que leur vie mondaine avait été brillante. A Bruxelles la proscription forme une société; à Jersey les Français sont une centaine [9] ; 75 à Guernesey toutes nationalités confondues ; après l'amnistie de 59, pas plus d'une dizaine » (les numéros renvoient à des notess de bas de page que vous trouverez sur le site)
« Il existe encore à Jersey une sorte de tombeau des proscrits inconnus [19] ; on y lit 10 noms d'exilés, morts entre avril 1853 et janvier 1856, liste déplorable qui contraste avec une autre, glorieuse : Napoléon le Petit, Les Châtiments, Les Contemplations, La Légende des siècles, Les Misérables, William Shakespeare... »
« Jusqu'à la publication de Châtiments, la simultanéité de l'échec des révolutions républicaines et nationales en Europe, la fragilité apparente du régime en France, le nombre et la qualité des exilés, désignés par leur proscription même comme les chefs naturels du mouvement républicain, mettent Hugo en situation sinon de leader du moins d'animateur d'une contre-offensive générale, intellectuelle et politique, française et mondiale [38] . C'est le temps flamboyant où il rédige les attendus des mots d'ordre donnés par Londres et Bruxelles [39] ; où il explique à Girardin, qui déjà n'en croit rien et rentre à Paris, que, très bientôt, "la quantité de pouvoir se mesurera à la quantité de proscription" [40] ; où il entreprend de construire, basée sur Londres, Bruxelles et New-York, "une citadelle.... d'où nous bombarderons le Bonaparte" [41] ; où il s'écrie, débarquant à Jersey : "Il faut qu'on puisse dire, en comparant Jersey à la France : c'est cette petite île qui a délivré ce grand peuple" [42] ; où il écrit à J. Janin : "Dans le triomphe de la violence inepte sur la liberté, dans cette expulsion de l'intelligence par la force brutale, j'ai été choisi, parmi tant d'hommes qui valent mieux que moi, pour représenter l'intelligence, choisi, non par le Bonaparte qui ne sait ce qu'il fait, le pauvre imbécile, mais par la Providence que je remercie. Quel immense honneur pour moi! Enviez-moi tous, je vous représente!" [43] . L'union de la proscription française anticipe le moment où "tous les démocrates et tous les socialistes ne [feront] plus qu'un seul républicain" [44] , et celle des exilés européens préfigure les Etats-Unis d'Europe. Passant à Londres, sur le chemin de Buxelles à Jersey, Hugo y rencontre Ledru-Rollin, Louis Blanc, Mazzini et peut-être Kossuth, pour une sorte de sommet, qui d’ailleurs ne va pas sans divergences[45] »
Un article très complet présente la situation de répression au lendemain du coup d’Etat : Les commissions mixtes de 1852
CriminoCorpus
Un article sur la fraternisation des conscrits resitue les liens entre tous les proscrits des différentes révolutions européennes. Dans la note 9, il est écrit :
Proscrits de Jersey : A. C. Wiesener, Jean Manessi et Théordor Karcer, (Autrichiens) ; Ed. Reminyi, P. Tafery, Koziell et le Colonel Sandor Teleki, (Hongrois) ; Alfieri, E. Biffi, L. Pianciani, Guiseppe Rancan, (Italiens) ; Arnold Ruge, Frank, Kesler, (Allemands) ; Alexandre Hertzen, Golovine, (Russes) ; Lud. Kordecki, Joachim Leiewel, Roch Rupnienshi, Zeno Swietolawski, K. Balinskiegu, Tchozeswki, (Polonais) ; Jal. Bulharyn, (Lithuanien) ; Victor Hugo, Charles Hugo, François-Victor Hugo, Cahaigne (La Commune de Paris), Colfavru (Le Père Duchêne), les frères Pierre et Jules Leroux, Charles Riberolles, Philippe Berjean, Martin Bernard, Jules Allix, Bonnet-Duverdier, A. Talandier, Cauvet, F. Collet, Théophile Guérin, A. Hayes, Roumilhac, Gornet Aîné, J.-B. Amiel, Barbier, A. Barbieux, Lefebvre, Fombertaux Père et Fils, G. Chardenal, H. Préverand, Fulbert Martin, Bouillard, Dr Deville, B. Collin, F. Bony, Gafney, Goupil, (Français). Commission des Proscrits de Jersey :V. Hugo, Barbier, A. Barbieux, A. Teleki, L. Pianciani, Z. Swietoslawski ; puis : Dulac, A. Schmitt, Quenec, Alavoine, A. Bianchi. Correspondants de L’Homme : Jules Michelet, Edgard Quinet, Louis Blanc, Kossuth, Mazzini, Ledru-Rollin, Constantin Pecqueur, Eugène Pelletan, Hippolyte Magen, Watripon, F. Pyat, Philippe Faure, V. Schœlcher;
La revue d’histoire du XIX° siècle
On trouve énormément d’informations sur Le XIX° siècle
Enfin, le site de l’association 1851 pour la mémoire des résistances républicaines fourmille de renseignements. Il propose un forum qui vous permettait peut-être d’aller plus loin dans vos recherches.
DANS NOS COLLECTIONS :
Commentaires 0
Connectez-vous pour pouvoir commenter.
Se connecter