Question d'origine :
Bonjour, Difficile de voir clair sur cette controverse, chacun, selon les lobbys qu'il défend, propose sa version, comme ici cet élu suisse du Parti Libéral Radical (droite) : https://twitter.com/nantermod/status/14 ... 02370?s=20 Les études, optimistes ou pessimistes, sont sujettes à caution. Le Monde : https://www.lemonde.fr/sciences/article ... 50684.html Merci de bien vouloir éclaircir la situation, dans la mesure du possible, sachant que sciemment on tente de nous masquer la réalité. Bonbagna
Réponse du Guichet

Bonjour,
Précisons tout d’abord qu’en tant que bibliothécaires, nous ne sommes ni des scientifiques ni des spécialistes : il ne nous appartient pas de trancher le débat scientifique que vous pointez du doigt. Nous ne pouvons que rendre compte des arguments avancés et de l’état de la recherche sur ce sujet.
L’article du Monde que vous citez, Vive controverse autour du déclin des insectes (disponible en intégralité dans Europresse), s’intéresse aux critiques adressées aux chercheurs Roel van Klink et Jonathan Chase, auteurs d’une méta-analyse publiée dans la revue Science en avril 2020, qui relativise fortement le déclin des populations d’insectes dans le monde : Meta-analysis reveals declines in terrestrial but increases in freshwater insect abundances.
Nous citons ci-dessous les passages de l’article du Monde relayant les critiques adressées aux deux chercheurs :
« […] Des chiffres plutôt rassurants : une baisse d'abondance des insectes terrestres limitée à 9 % par décennie, et une surprenante hausse de 11 % par décennie pour les insectes aquatiques. Loin de l' « Armageddon des insectes » suggéré par les études le plus souvent citées sur le sujet l'une des plus récentes estimait par exemple la perte d'abondance des arthropodes (in sectes, araignées, mille-pattes) à 78 % entre 2007 et 2018, sur un échantillon de 150 prairies allemandes. »
[…] « Pour estimer les variations moyennes du nombre d'insectes terrestres et aquatiques, les chercheurs allemands ont inclus 166 études, rassemblant des mesures faites sur près de 1 700 sites dans le monde entier la plupart en Amérique du Nord et en Europe. Parmi les équipes critiques, celle de dix chercheurs conduite par Marion Desquilbet (Inrae) et Laurence Gaume-Vial (CNRS) a procédé à un travail de fourmi : ces scientifiques ont passé en revue l'ensemble des études incluses dans la fameuse méta-analyse. Et ont décortiqué la méthode utilisée pour assembler ces données.
Leur commentaire critique, publié le 18 décembre dans Science, identifie des biais importants et des problèmes méthodologiques dans 113 des 166 études utilisées dans la méta-analyse. « Un problème fondamental est qu'un tiers des 166 études vise en réalité à évaluer l'effet d'une perturbation spécifique sur un milieu donné, explique Marion Desquilbet.Par exemple, lorsque vous créez des mares artificielles et que vous observez leur colonisation par des libellules, vous obtenez mécaniquement une tendance à la hausse de leur abondance. Idem lorsque vous comptez les insectes après un feu de forêt, vous allez observer leur retour, du fait de la fin d'une perturbation ponctuelle. Ou encore, si vous commencez à dénombrer des moustiques après la fin de l'utilisation d'insecticide... Tout cela ne dit rien de l'évolution de l'abondance générale des insectes dans l'environnement ! »
Une soixantaine d'études incluses dans le jeu de données des chercheurs allemands relèvent ainsi d' « expériences naturelles » ou d'expériences scientifiques contrôlées. Comme celle conduite sur un champ de 7 hectares, dont chacune des 172 microparcelles est soumise à différentes conditions expérimentales : les variations d'abondance d'insectes au cours du temps sur chacune de ces zones qui pèsent plus de 15 % de l'ensemble des sites terrestres mondiaux inclus dans l'étude ont été indistinctement utilisées dans la méta-analyse.
« Une telle approche est jugée irresponsable par de nombreux spécialistes des méta-analyses, explique l'écologue Bradley Cardinale (université de Pennsylvanie), extérieur à la controverse. Cela consiste à rassembler dans une analyse commune toutes les études documentant les changements dans l'abondance des insectes, sans tenir compte des différences dans la conception ou l'objectif de ces études. » Cela revient, illustre le chercheur américain, « à comparer des pommes et des oranges .
[…] Les griefs ne s'arrêtent toutefois pas là. « Une des premières failles identifiées, c'est que 27 des 63 études utilisées pour évaluer l'abondance des insectes aquatiques portent sur des assemblages d'invertébrés qui comprennent des insectes, mais aussi des mollusques, des vers ou des crustacés, explique Laurence Gaume-Vial. Or, on ne peut pas déduire de tendance pour les insectes à partir des tendances de l'ensemble des invertébrés. D'autant que certains mollusques peuvent proliférer. »
[…] Les contradicteurs relèvent également l'inclusion d'une vingtaine d'études ne comportant que deux années d'observations, ou encore la prise en compte de certains jeux de données aberrants. « On trouve une série dans laquelle la quantité de papillons migrateurs en Belgique a été multipliée par 300 entre 1983 et 1996 », dit Mme Desquilbet. Et ce, alors que la grande majorité des études montre une forte chute de l'abondance et de la diversité des lépidoptères, partout en Europe... « Après examen, nous avons réalisé que cette série était biaisée par l'accroissement de l'effort d'échantillonnage, détaille la chercheuse française. Quand le nombre d'observateurs est décuplé, on trouve forcément beaucoup plus de papillons ! »
[…]Comment trancher ? Roel van Klink rétorque malicieusement à ses contradicteurs que les données et les méthodes d'analyse employées sont ouvertes. « S'ils veulent refaire l'analyse, dit-il, ils sont les bienvenus. » Mais pour l'entomologiste et systématicien Philippe Grandcolas (CNRS), ce n'est peut-être pas la peine. « Les critiques envers cette méta-analyse semblent assez justes, dit-il. Avant de conduire une méta-analyse, il faut cadrer précisément la question à laquelle on veut répondre. Ici, on essaie de trouver une estimation globale et chiffrée à partir de situations locales sans aucun rapport. Je ne suis pas certain que cela ait un sens. » »
De son côté, l’Académie des sciences a publié un avis le 26 janvier 2021, avec une prise de position très claire :
« L’érosion de la biodiversité des Insectes, de plus en plus décrite et analysée dans les travaux scientifiques, représente une grave menace pour nos sociétés.
Les Insectes constituent un des groupes d’organismes les plus importants et les plus diversifiés. Présents dans tous les écosystèmes terrestres et comportant plus d’un million d’espèces, ils assurent des services essentiels comme la pollinisation, le recyclage de la matière organique et une participation à la plupart des réseaux alimentaires. L’ensemble de ces services représente une valeur monétaire de plusieurs centaines de milliards d’euros à l’échelle mondiale.
Depuis plusieurs décennies, de nombreux travaux scientifiques dans des écosystèmes variés montrent des baisses très importantes et durables des populations d’Insectes, voire des extinctions d’espèces, et leur attribuent quatre causes principales :
• la très forte conversion des milieux terrestres, avec notamment la supression ou la fragmentation des forêts naturelles, des zones humides et des milieux herbacés ;
• l’usage croissant et non ciblé de pesticides à haute toxicité (notamment néonicotinoïdes) ;
• les effets divers et complexes du dérèglement climatique ;
• l’introduction de très nombreuses espèces exotiques envahissantes.
L’Académie des sciences recommande de prendre urgemment les mesures suivantes :
• le lancement de programmes de suivi des Insectes dans différents écosystèmes permettant de préciser l’évolution à long terme des populations, ceci à l’aide de nouvelles technologies et en référence aux collections muséales ;
• une réduction significative de l’usage des pesticides pour conduire à terme à leur remplacement intégral par d’autres méthodes de lutte, par exemple celles fondées sur l’agro-écologie ;
• la limitation de la conversion des milieux, non seulement en préservant et en restaurant la complexité des habitats naturels mais aussi en restreignant le développement de nouveaux élevages ou de nouvelles cultures (par exemple certains sojas) qui contribuent à la conversion ;
• la lutte contre le dérèglement climatique et contre les espèces exotiques envahissantes ;
• la revalorisation de l’image et de l’importance des insectes au bénéfice de la Nature et de l’Humanité à travers l’engagement indispensable de la société civile. »
Le texte intégral de son compte-rendu sur le déclin des insectes est disponible en ligne (le texte en français suit la version anglaise) : Jactel, H., Imler, J.L., Lambrechts, L., Failloux, A.B., Lebreton J.D., Le Maho, Y., Duplessy, J.C ., Cossart, P. & Grandcolas, P. (2021). Le déclin des insectes : il est urgent d’agir ; Insect decline: immediate action is needed. Comptes Rendus Biologies
En voici un extrait qui nous intéresse particulièrement, puisqu’il rend compte des études menées sur le sujet depuis une vingtaine d’années :
«4. La réalité du déclin des populations d’Insectes
4.1. Le déclin de l’entomofaune: faits et perceptions
Depuis une vingtaine d’années, les observations de terrain et les analyses comparatives de bases de données de biodiversité pointent une diminution du nombre d’Insectes. La signification globale de ces observations, souvent réalisées dans des conditions non standardisées et limitées à un lieu et/ou une famille d’Insectes, n’était cependant pas établie de façon consensuelle. En outre, si la disparition annoncée des abeilles ou des papillons a pu émouvoir le public, la perception générale de l’importance du déclin des Insectes est brouillée par l’image négative associée à certains Insectes nuisibles et par la menace que représentent des espèces invasives comme le moustique tigre Aedes albopictus, vecteur de virus humains comme celui de la dengue, ou les Insectes ravageurs de culture, comme les essaims de sauterelles qui menacent cette année l’Afrique de l’Est, le Moyen-Orient et l’Asie. Les vecteurs de pathogènes humains ne représentent cependant que 1% des espèces de moustiques, et seulement 1% des Insectes sont considérés comme des ravageurs de culture.
Au cours des dernières années, plusieurs études publiées sont venues confirmer un appauvrissement de la faune des Insectes, que ce soit en termes d’abondance ou de disparition d’espèces dans les régions tempérées, mais aussi les tropiques et l’arctique. Des baisses de biomasse d’Insectes allant jusqu’à 75% ont été rapportées dans des zones pourtant protégées en Allemagne et dans une forêt tropicale à Porto Rico. Le suivi par radar de l’envol des nuées d’éphémères au-dessus des grands lacs américains montre un déclin de plus de 50% depuis le début des années 2000. Des pertes importantes, allant jusqu’à 55%, ont également été mesurées pour les Insectes pollinisateurs en Grande-Bretagne depuis 1980. La confirmation d’un déclin des Insectes et l’ampleur du phénomène ont rencontré un fort écho médiatique, associé à l’utilisation d’un vocabulaire alarmiste (« apocalypse des Insectes », « effondrement », « extinction globale »).
Cependant, si ces études apportent un signal inquiétant sur un appauvrissement des espèces d’Insectes et de leur abondance, notamment en Europe de l’Ouest et du Nord, nous ne disposons pas encore de suffisamment de données pour évaluer la globalité du phénomène et son ampleur à l’échelle de la planète. Le déclin des Insectes est en effet un phénomène complexe et des nuances commencent à apparaître.
4.2. Un phénomène complexe
Les études les mieux documentées sur le déclin des Insectes concernent les pays européens, où l’empreinte anthropique sur les paysages (intensification agricole, urbanisation, voies de communication) est particulièrement marquée. Les études sont plus fragmentaires pour l’Amérique du Nord, et surtout sont lacunaires pour les régions tropicales, qui abritent pourtant la plus grande part de la biodiversité des Insectes. Il existe donc un biais géographique important dans les études publiées et de ce fait, il est encore difficile aujourd’hui de produire des conclusions globales sur le déclin observé. Des différences régionales ont en effet été observées, certaines zones ne semblant que peu affectées par le déclin des Insectes.
Des différences taxonomiques sont également observées et une analyse globale de la littérature traitant du déclin des Insectes indique que seuls 40% des taxa seraient affectés. Il existe en effet plusieurs exemples d’espèces d’Insectes dont le nombre ou la distribution géographique augmente, notamment des espèces exotiques (Figure 3). Une étude approfondie récente, analysant 166 études portant sur plus de 1600 sites et couvrant la période 1925–2018, observe par exemple des dynamiques opposées pour les Insectes terrestres, dont l’abondance décroit en effet, mais moins que dans les études précédentes (9% par décennie), et les Insectes aquatiques, dont l’abondance augmenterait. Mais l’analyse et le choix des données de cette dernière analyse ont récemment été critiqués et les conclusions des auteurs sont donc sujettes à caution.
La complexité de la mesure du déclin des Insectes est amplifiée par la difficulté d’évaluer le nombre et la diversité des Insectes dans leur milieu. Outre leur petite taille, ceux-ci sont en effet disséminés dans leurs micro-habitats, avec de fortes variations au niveau du sol en fonction de la présence de rochers, de bois morts, d’espèces végétales associées mais aussi en hauteur dans les forêts avec des espèces différentes au sol et dans la canopée ou en profondeur dans les milieux aquatiques. Cette partition des Insectes est aussi temporelle avec des espèces nocturnes et diurnes, qui ont plusieurs générations par an ou au contraire des cycles larvaires souterrains ou benthiques sur des périodes pouvant aller jusqu’à plusieurs années. Une telle variabilité spatiotemporelle peut entraîner des imprécisions ou des biais dans la collecte des informations puisqu’aucune méthode standard ne permet de répertorier les changements de population de toutes les espèces d’Insectes à un endroit donné. Ceci explique sans doute la dominance de certaines espèces emblématiques comme les abeilles, les scarabées et les papillons dans les études de suivi des populations d’Insectes et de leur diversité.
4.3. Le déclin des Insectes, un phénomène qui reste mal documenté
Si les études parues ces dernières années ont joué un rôle salutaire d’alerte sur un problème émergent, nous ne disposons pas à ce jour de suffisamment de données quantitatives et fiables pour évaluer globalement la sévérité du déclin des Insectes et ses variations spatiales ou taxonomiques.
Il convient donc de multiplier les études avec des protocoles standardisés prenant en compte les enseignements des travaux pionniers dans ce domaine. Ainsi, les changements de population doivent être étudiés dans la durée, sur des périodes suffisamment longues pour identifier des tendances significatives, plutôt que par comparaison entre des périodes différentes. En effet, le nombre d’Insectes fluctue naturellement de génération en génération, parfois de façon importante et des comparaisons ponctuelles peuvent donc être trompeuses. Les études disponibles montrent également l’importance de suivre plusieurs sites, si possible les mêmes, des variations considérables de tendance pouvant exister entre sites adjacents. Enfin, une attention particulière doit être portée aux variables mesurées (biomasse, abondance ou nombre d’espèces), qui fournissent des informations souvent différentes voire contradictoires sur la diversité des Insectes, et aux méthodes d’échantillonnage utilisées, qui doivent rester comparables dans le temps et adaptées aux taxons ciblés. Les recensements exhaustifs sont compliqués par le fait que les populations d’Insectes ont tendance à être composées de peu d’espèces communes et de nombreuses espèces rares. Ainsi, le maintien de l’abondance des individus au sein d’une communauté peut masquer la perte d’espèces rares du fait de la dominance d’un petit nombre d’espèces très abondantes dans l’échantillon, comme cela a pu être montré chez les Insectes pollinisateurs en Grande-Bretagne. Une alternative peut être apportée par l’utilisation des collections d’histoire naturelle qui offrent des points de référence anciens et permettent donc de détecter des variations significatives sur le long terme.
Le suivi rigoureux des populations d’Insectes, seule façon d’établir un diagnostic robuste de leur état de conservation, représente donc un investissement en temps et moyens important. La tâche est d’autant plus ardue que (i) seule une fraction des espèces est décrite, leur nombre total restant inconnu, (ii) peu de choses sont connues sur le cycle de vie et l’écologie de la plupart des espèces et (iii) le nombre de taxonomistes et de moyens pour financer leurs travaux demeurent insuffisants.
Certaines tendances se dégagent cependant en ce qui concerne les espèces les plus affectées. Il est par exemple apparent que les Insectes ayant une alimentation très spécialisée sont plus affectés que les Insectes généralistes, qui peuvent occuper des niches plus larges pour prospérer et étendre leur distribution géographique. Les espèces univoltines (une seule génération par an) ou sédentaires semblent aussi plus exposées que les plurivoltines (plusieurs générations par an), les espèces plus mobiles ou ayant des aires de répartition plus vastes. Ces observations fournissent de premiers éléments pour étudier les causes du déclin de l’entomofaune. »
Vous trouverez les références de toutes les études mentionnées dans la bibliographie à la fin de l’article.
Romain Garrouste, Chercheur à l’Institut de systématique, évolution, biodiversité (ISYEB) au Muséum National d’Histoire Naturelle décrit assez bien votre ressenti : « Sur ces sujets subsistent encore des polémiques issues de sources diverses, le plus souvent sans fondement scientifique, voire au-delà de toute rationalité.Et il existe aussi des controverses entre scientifiques. Les médias s’y engouffrent, les réseaux sociaux s’en nourrissent, le public s’y perd . »
Nous vous invitons à lire l’ensemble de cet article qui revient sur la controverse mentionnée plus haut. Nous citerons ici la fin de l’article :
«La question des états de référence
Cette controverse autour du recul des colonies d’insectes nous inspire plusieurs constats.
Rappelons en premier lieu que les insectes sont difficiles à étudier. Nous les connaissons mal en Europe – il y a de moins en moins d’enseignements naturalistes et taxonomiques – et ils souffrent d’un certain désintéressement. Pour eux, c’est la double peine : on a du mal à évaluer leur déclin, car ils ne nous ont jamais vraiment intéressés ; ils sont de fait trop nombreux et mal connus puisqu’ils ne nous intéressent pas beaucoup !
Second point, la disparition programmée des insectes, pourtant annoncée dès 1962 dans Le Printemps silencieux de Rachel Carlson, n’a jamais vraiment représenté une priorité pour la science. Autrement, les évaluations du danger des insecticides auraient reçu une tout autre attention. Quant aux études à long terme, elles auraient été lancées de longue date, s’appuyant sur des réseaux d’« observatoires » ou des sites ateliers comme on en trouve aujourd’hui.
Il n’existe donc, on le comprend, aucun protocole, aucune initiative à une échelle suffisamment large, et qui ai commencé suffisamment tôt, pour donner un état de référence de la situation des insectes.
Il est à ce titre intéressant de rappeler que c’est à une société savante d’amateurs que l’on doit les 27 années de données ayant permis à des chercheurs allemands de publier en 2017 dans la revue PLOS One un article sur le déclin global des insectes outre-Rhin qui a valeur d’exemple.
Dernier constat : si l’on a longtemps cru que les sciences participatives pourraient résoudre bien des problèmes de recherche sur la biodiversité – chaque citoyen pouvant potentiellement contribuer à la collecte de données –, elles ne peuvent toutefois régler les questions des états de référence dans lesquels s’engouffrent les contradicteurs, qu’ils soient de bonne ou de mauvaise foi.
Au-delà des controverses, un constat partagé
C’est donc bien de l’absence de programmes à long terme et des états de référence qui en découlerait pour comprendre la tendance et les changements d’état de la biodiversité dont nous souffrons et qui alimente les controverses.
Si des problèmes spécifiques à l’exercice de la science persistent de façon évidente, comme le souligne le débat autour de la méta-analyse évoquée plus haut, des milliers d’observateurs et des dizaines d’études locales ou nationales font sur le terrain le même constat d’un recul sans précédent du vivant.
Autrement dit : est-on toujours obligé d’avoir la preuve de cette action dans la nature quand on connaît les difficultés de ces expériences – dont celles liées répétons-le à l’absence d’état de référence –, et la pollution globale de nos écosystèmes
C’est un peu comme si nous avions la preuve d’une action délétère d’une molécule persistante sur des cultures cellulaires et que l’on doutait de son action sur l’organisme : on connaît le mode d’action de molécules comme les néonicotinoïdes, pour ne citer qu’elles ; on sait les mesurer partout dans l’environnement… Comment alors peut-on imaginer l’absence d’effet à l’échelle des biocénoses et des écosystèmes ?
Cette pollution généralisée (au demeurant tout à fait mesurable) réclamerait sans doute un ré-ensauvagement de la planète… A minima, une sérieuse réévaluation écotoxicologique des molécules que nous épandons par milliers de tonnes depuis des décennies. Sur les insectes, sur les biocénoses, sur les écosystèmes et sur nous-mêmes.
Une recherche de transition est nécessaire pour comprendre et corriger ce qui se passe dans nos écosystèmes. Elle passe par l’établissement d’états de références pour la science du futur ou de la recherche de compensation de leur absence en innovant, par exemple, dans l’étude de nos collections ; celles-ci constituent en effet des formes de références dans l’espace et le temps. Comme le souligne l’Académie des sciences dans son tout récent avis, il est désormais urgent d’agir. »
Bonne journée.
Précisons tout d’abord qu’en tant que bibliothécaires, nous ne sommes ni des scientifiques ni des spécialistes : il ne nous appartient pas de trancher le débat scientifique que vous pointez du doigt. Nous ne pouvons que rendre compte des arguments avancés et de l’état de la recherche sur ce sujet.
L’article du Monde que vous citez, Vive controverse autour du déclin des insectes (disponible en intégralité dans Europresse), s’intéresse aux critiques adressées aux chercheurs Roel van Klink et Jonathan Chase, auteurs d’une méta-analyse publiée dans la revue Science en avril 2020, qui relativise fortement le déclin des populations d’insectes dans le monde : Meta-analysis reveals declines in terrestrial but increases in freshwater insect abundances.
Nous citons ci-dessous les passages de l’article du Monde relayant les critiques adressées aux deux chercheurs :
« […] Des chiffres plutôt rassurants : une baisse d'abondance des insectes terrestres limitée à 9 % par décennie, et une surprenante hausse de 11 % par décennie pour les insectes aquatiques. Loin de l' « Armageddon des insectes » suggéré par les études le plus souvent citées sur le sujet l'une des plus récentes estimait par exemple la perte d'abondance des arthropodes (in sectes, araignées, mille-pattes) à 78 % entre 2007 et 2018, sur un échantillon de 150 prairies allemandes. »
[…] « Pour estimer les variations moyennes du nombre d'insectes terrestres et aquatiques, les chercheurs allemands ont inclus 166 études, rassemblant des mesures faites sur près de 1 700 sites dans le monde entier la plupart en Amérique du Nord et en Europe. Parmi les équipes critiques, celle de dix chercheurs conduite par Marion Desquilbet (Inrae) et Laurence Gaume-Vial (CNRS) a procédé à un travail de fourmi : ces scientifiques ont passé en revue l'ensemble des études incluses dans la fameuse méta-analyse. Et ont décortiqué la méthode utilisée pour assembler ces données.
Leur commentaire critique, publié le 18 décembre dans Science, identifie des biais importants et des problèmes méthodologiques dans 113 des 166 études utilisées dans la méta-analyse. « Un problème fondamental est qu'un tiers des 166 études vise en réalité à évaluer l'effet d'une perturbation spécifique sur un milieu donné, explique Marion Desquilbet.Par exemple, lorsque vous créez des mares artificielles et que vous observez leur colonisation par des libellules, vous obtenez mécaniquement une tendance à la hausse de leur abondance. Idem lorsque vous comptez les insectes après un feu de forêt, vous allez observer leur retour, du fait de la fin d'une perturbation ponctuelle. Ou encore, si vous commencez à dénombrer des moustiques après la fin de l'utilisation d'insecticide... Tout cela ne dit rien de l'évolution de l'abondance générale des insectes dans l'environnement ! »
Une soixantaine d'études incluses dans le jeu de données des chercheurs allemands relèvent ainsi d' « expériences naturelles » ou d'expériences scientifiques contrôlées. Comme celle conduite sur un champ de 7 hectares, dont chacune des 172 microparcelles est soumise à différentes conditions expérimentales : les variations d'abondance d'insectes au cours du temps sur chacune de ces zones qui pèsent plus de 15 % de l'ensemble des sites terrestres mondiaux inclus dans l'étude ont été indistinctement utilisées dans la méta-analyse.
« Une telle approche est jugée irresponsable par de nombreux spécialistes des méta-analyses, explique l'écologue Bradley Cardinale (université de Pennsylvanie), extérieur à la controverse. Cela consiste à rassembler dans une analyse commune toutes les études documentant les changements dans l'abondance des insectes, sans tenir compte des différences dans la conception ou l'objectif de ces études. » Cela revient, illustre le chercheur américain, « à comparer des pommes et des oranges .
[…] Les griefs ne s'arrêtent toutefois pas là. « Une des premières failles identifiées, c'est que 27 des 63 études utilisées pour évaluer l'abondance des insectes aquatiques portent sur des assemblages d'invertébrés qui comprennent des insectes, mais aussi des mollusques, des vers ou des crustacés, explique Laurence Gaume-Vial. Or, on ne peut pas déduire de tendance pour les insectes à partir des tendances de l'ensemble des invertébrés. D'autant que certains mollusques peuvent proliférer. »
[…] Les contradicteurs relèvent également l'inclusion d'une vingtaine d'études ne comportant que deux années d'observations, ou encore la prise en compte de certains jeux de données aberrants. « On trouve une série dans laquelle la quantité de papillons migrateurs en Belgique a été multipliée par 300 entre 1983 et 1996 », dit Mme Desquilbet. Et ce, alors que la grande majorité des études montre une forte chute de l'abondance et de la diversité des lépidoptères, partout en Europe... « Après examen, nous avons réalisé que cette série était biaisée par l'accroissement de l'effort d'échantillonnage, détaille la chercheuse française. Quand le nombre d'observateurs est décuplé, on trouve forcément beaucoup plus de papillons ! »
[…]Comment trancher ? Roel van Klink rétorque malicieusement à ses contradicteurs que les données et les méthodes d'analyse employées sont ouvertes. « S'ils veulent refaire l'analyse, dit-il, ils sont les bienvenus. » Mais pour l'entomologiste et systématicien Philippe Grandcolas (CNRS), ce n'est peut-être pas la peine. « Les critiques envers cette méta-analyse semblent assez justes, dit-il. Avant de conduire une méta-analyse, il faut cadrer précisément la question à laquelle on veut répondre. Ici, on essaie de trouver une estimation globale et chiffrée à partir de situations locales sans aucun rapport. Je ne suis pas certain que cela ait un sens. » »
De son côté, l’Académie des sciences a publié un avis le 26 janvier 2021, avec une prise de position très claire :
« L’érosion de la biodiversité des Insectes, de plus en plus décrite et analysée dans les travaux scientifiques, représente une grave menace pour nos sociétés.
Les Insectes constituent un des groupes d’organismes les plus importants et les plus diversifiés. Présents dans tous les écosystèmes terrestres et comportant plus d’un million d’espèces, ils assurent des services essentiels comme la pollinisation, le recyclage de la matière organique et une participation à la plupart des réseaux alimentaires. L’ensemble de ces services représente une valeur monétaire de plusieurs centaines de milliards d’euros à l’échelle mondiale.
Depuis plusieurs décennies, de nombreux travaux scientifiques dans des écosystèmes variés montrent des baisses très importantes et durables des populations d’Insectes, voire des extinctions d’espèces, et leur attribuent quatre causes principales :
• la très forte conversion des milieux terrestres, avec notamment la supression ou la fragmentation des forêts naturelles, des zones humides et des milieux herbacés ;
• l’usage croissant et non ciblé de pesticides à haute toxicité (notamment néonicotinoïdes) ;
• les effets divers et complexes du dérèglement climatique ;
• l’introduction de très nombreuses espèces exotiques envahissantes.
L’Académie des sciences recommande de prendre urgemment les mesures suivantes :
• le lancement de programmes de suivi des Insectes dans différents écosystèmes permettant de préciser l’évolution à long terme des populations, ceci à l’aide de nouvelles technologies et en référence aux collections muséales ;
• une réduction significative de l’usage des pesticides pour conduire à terme à leur remplacement intégral par d’autres méthodes de lutte, par exemple celles fondées sur l’agro-écologie ;
• la limitation de la conversion des milieux, non seulement en préservant et en restaurant la complexité des habitats naturels mais aussi en restreignant le développement de nouveaux élevages ou de nouvelles cultures (par exemple certains sojas) qui contribuent à la conversion ;
• la lutte contre le dérèglement climatique et contre les espèces exotiques envahissantes ;
• la revalorisation de l’image et de l’importance des insectes au bénéfice de la Nature et de l’Humanité à travers l’engagement indispensable de la société civile. »
Le texte intégral de son compte-rendu sur le déclin des insectes est disponible en ligne (le texte en français suit la version anglaise) : Jactel, H., Imler, J.L., Lambrechts, L., Failloux, A.B., Lebreton J.D., Le Maho, Y., Duplessy, J.C ., Cossart, P. & Grandcolas, P. (2021). Le déclin des insectes : il est urgent d’agir ; Insect decline: immediate action is needed. Comptes Rendus Biologies
En voici un extrait qui nous intéresse particulièrement, puisqu’il rend compte des études menées sur le sujet depuis une vingtaine d’années :
«
4.1. Le déclin de l’entomofaune: faits et perceptions
Depuis une vingtaine d’années, les observations de terrain et les analyses comparatives de bases de données de biodiversité pointent une diminution du nombre d’Insectes. La signification globale de ces observations, souvent réalisées dans des conditions non standardisées et limitées à un lieu et/ou une famille d’Insectes, n’était cependant pas établie de façon consensuelle. En outre, si la disparition annoncée des abeilles ou des papillons a pu émouvoir le public, la perception générale de l’importance du déclin des Insectes est brouillée par l’image négative associée à certains Insectes nuisibles et par la menace que représentent des espèces invasives comme le moustique tigre Aedes albopictus, vecteur de virus humains comme celui de la dengue, ou les Insectes ravageurs de culture, comme les essaims de sauterelles qui menacent cette année l’Afrique de l’Est, le Moyen-Orient et l’Asie. Les vecteurs de pathogènes humains ne représentent cependant que 1% des espèces de moustiques, et seulement 1% des Insectes sont considérés comme des ravageurs de culture.
Au cours des dernières années, plusieurs études publiées sont venues confirmer un appauvrissement de la faune des Insectes, que ce soit en termes d’abondance ou de disparition d’espèces dans les régions tempérées, mais aussi les tropiques et l’arctique. Des baisses de biomasse d’Insectes allant jusqu’à 75% ont été rapportées dans des zones pourtant protégées en Allemagne et dans une forêt tropicale à Porto Rico. Le suivi par radar de l’envol des nuées d’éphémères au-dessus des grands lacs américains montre un déclin de plus de 50% depuis le début des années 2000. Des pertes importantes, allant jusqu’à 55%, ont également été mesurées pour les Insectes pollinisateurs en Grande-Bretagne depuis 1980. La confirmation d’un déclin des Insectes et l’ampleur du phénomène ont rencontré un fort écho médiatique, associé à l’utilisation d’un vocabulaire alarmiste (« apocalypse des Insectes », « effondrement », « extinction globale »).
Cependant, si ces études apportent un signal inquiétant sur un appauvrissement des espèces d’Insectes et de leur abondance, notamment en Europe de l’Ouest et du Nord, nous ne disposons pas encore de suffisamment de données pour évaluer la globalité du phénomène et son ampleur à l’échelle de la planète. Le déclin des Insectes est en effet un phénomène complexe et des nuances commencent à apparaître.
Les études les mieux documentées sur le déclin des Insectes concernent les pays européens, où l’empreinte anthropique sur les paysages (intensification agricole, urbanisation, voies de communication) est particulièrement marquée. Les études sont plus fragmentaires pour l’Amérique du Nord, et surtout sont lacunaires pour les régions tropicales, qui abritent pourtant la plus grande part de la biodiversité des Insectes. Il existe donc un biais géographique important dans les études publiées et de ce fait, il est encore difficile aujourd’hui de produire des conclusions globales sur le déclin observé. Des différences régionales ont en effet été observées, certaines zones ne semblant que peu affectées par le déclin des Insectes.
Des différences taxonomiques sont également observées et une analyse globale de la littérature traitant du déclin des Insectes indique que seuls 40% des taxa seraient affectés. Il existe en effet plusieurs exemples d’espèces d’Insectes dont le nombre ou la distribution géographique augmente, notamment des espèces exotiques (Figure 3). Une étude approfondie récente, analysant 166 études portant sur plus de 1600 sites et couvrant la période 1925–2018, observe par exemple des dynamiques opposées pour les Insectes terrestres, dont l’abondance décroit en effet, mais moins que dans les études précédentes (9% par décennie), et les Insectes aquatiques, dont l’abondance augmenterait. Mais l’analyse et le choix des données de cette dernière analyse ont récemment été critiqués et les conclusions des auteurs sont donc sujettes à caution.
La complexité de la mesure du déclin des Insectes est amplifiée par la difficulté d’évaluer le nombre et la diversité des Insectes dans leur milieu. Outre leur petite taille, ceux-ci sont en effet disséminés dans leurs micro-habitats, avec de fortes variations au niveau du sol en fonction de la présence de rochers, de bois morts, d’espèces végétales associées mais aussi en hauteur dans les forêts avec des espèces différentes au sol et dans la canopée ou en profondeur dans les milieux aquatiques. Cette partition des Insectes est aussi temporelle avec des espèces nocturnes et diurnes, qui ont plusieurs générations par an ou au contraire des cycles larvaires souterrains ou benthiques sur des périodes pouvant aller jusqu’à plusieurs années. Une telle variabilité spatiotemporelle peut entraîner des imprécisions ou des biais dans la collecte des informations puisqu’aucune méthode standard ne permet de répertorier les changements de population de toutes les espèces d’Insectes à un endroit donné. Ceci explique sans doute la dominance de certaines espèces emblématiques comme les abeilles, les scarabées et les papillons dans les études de suivi des populations d’Insectes et de leur diversité.
Si les études parues ces dernières années ont joué un rôle salutaire d’alerte sur un problème émergent, nous ne disposons pas à ce jour de suffisamment de données quantitatives et fiables pour évaluer globalement la sévérité du déclin des Insectes et ses variations spatiales ou taxonomiques.
Il convient donc de multiplier les études avec des protocoles standardisés prenant en compte les enseignements des travaux pionniers dans ce domaine. Ainsi, les changements de population doivent être étudiés dans la durée, sur des périodes suffisamment longues pour identifier des tendances significatives, plutôt que par comparaison entre des périodes différentes. En effet, le nombre d’Insectes fluctue naturellement de génération en génération, parfois de façon importante et des comparaisons ponctuelles peuvent donc être trompeuses. Les études disponibles montrent également l’importance de suivre plusieurs sites, si possible les mêmes, des variations considérables de tendance pouvant exister entre sites adjacents. Enfin, une attention particulière doit être portée aux variables mesurées (biomasse, abondance ou nombre d’espèces), qui fournissent des informations souvent différentes voire contradictoires sur la diversité des Insectes, et aux méthodes d’échantillonnage utilisées, qui doivent rester comparables dans le temps et adaptées aux taxons ciblés. Les recensements exhaustifs sont compliqués par le fait que les populations d’Insectes ont tendance à être composées de peu d’espèces communes et de nombreuses espèces rares. Ainsi, le maintien de l’abondance des individus au sein d’une communauté peut masquer la perte d’espèces rares du fait de la dominance d’un petit nombre d’espèces très abondantes dans l’échantillon, comme cela a pu être montré chez les Insectes pollinisateurs en Grande-Bretagne. Une alternative peut être apportée par l’utilisation des collections d’histoire naturelle qui offrent des points de référence anciens et permettent donc de détecter des variations significatives sur le long terme.
Le suivi rigoureux des populations d’Insectes, seule façon d’établir un diagnostic robuste de leur état de conservation, représente donc un investissement en temps et moyens important. La tâche est d’autant plus ardue que (i) seule une fraction des espèces est décrite, leur nombre total restant inconnu, (ii) peu de choses sont connues sur le cycle de vie et l’écologie de la plupart des espèces et (iii) le nombre de taxonomistes et de moyens pour financer leurs travaux demeurent insuffisants.
Certaines tendances se dégagent cependant en ce qui concerne les espèces les plus affectées. Il est par exemple apparent que les Insectes ayant une alimentation très spécialisée sont plus affectés que les Insectes généralistes, qui peuvent occuper des niches plus larges pour prospérer et étendre leur distribution géographique. Les espèces univoltines (une seule génération par an) ou sédentaires semblent aussi plus exposées que les plurivoltines (plusieurs générations par an), les espèces plus mobiles ou ayant des aires de répartition plus vastes. Ces observations fournissent de premiers éléments pour étudier les causes du déclin de l’entomofaune. »
Vous trouverez les références de toutes les études mentionnées dans la bibliographie à la fin de l’article.
Romain Garrouste, Chercheur à l’Institut de systématique, évolution, biodiversité (ISYEB) au Muséum National d’Histoire Naturelle décrit assez bien votre ressenti : « Sur ces sujets subsistent encore des polémiques issues de sources diverses, le plus souvent sans fondement scientifique, voire au-delà de toute rationalité.
Nous vous invitons à lire l’ensemble de cet article qui revient sur la controverse mentionnée plus haut. Nous citerons ici la fin de l’article :
«
Cette controverse autour du recul des colonies d’insectes nous inspire plusieurs constats.
Rappelons en premier lieu que les insectes sont difficiles à étudier. Nous les connaissons mal en Europe – il y a de moins en moins d’enseignements naturalistes et taxonomiques – et ils souffrent d’un certain désintéressement. Pour eux, c’est la double peine : on a du mal à évaluer leur déclin, car ils ne nous ont jamais vraiment intéressés ; ils sont de fait trop nombreux et mal connus puisqu’ils ne nous intéressent pas beaucoup !
Second point, la disparition programmée des insectes, pourtant annoncée dès 1962 dans Le Printemps silencieux de Rachel Carlson, n’a jamais vraiment représenté une priorité pour la science. Autrement, les évaluations du danger des insecticides auraient reçu une tout autre attention. Quant aux études à long terme, elles auraient été lancées de longue date, s’appuyant sur des réseaux d’« observatoires » ou des sites ateliers comme on en trouve aujourd’hui.
Il n’existe donc, on le comprend, aucun protocole, aucune initiative à une échelle suffisamment large, et qui ai commencé suffisamment tôt, pour donner un état de référence de la situation des insectes.
Il est à ce titre intéressant de rappeler que c’est à une société savante d’amateurs que l’on doit les 27 années de données ayant permis à des chercheurs allemands de publier en 2017 dans la revue PLOS One un article sur le déclin global des insectes outre-Rhin qui a valeur d’exemple.
Dernier constat : si l’on a longtemps cru que les sciences participatives pourraient résoudre bien des problèmes de recherche sur la biodiversité – chaque citoyen pouvant potentiellement contribuer à la collecte de données –, elles ne peuvent toutefois régler les questions des états de référence dans lesquels s’engouffrent les contradicteurs, qu’ils soient de bonne ou de mauvaise foi.
C’est donc bien de l’absence de programmes à long terme et des états de référence qui en découlerait pour comprendre la tendance et les changements d’état de la biodiversité dont nous souffrons et qui alimente les controverses.
Si des problèmes spécifiques à l’exercice de la science persistent de façon évidente, comme le souligne le débat autour de la méta-analyse évoquée plus haut, des milliers d’observateurs et des dizaines d’études locales ou nationales font sur le terrain le même constat d’un recul sans précédent du vivant.
Autrement dit : est-on toujours obligé d’avoir la preuve de cette action dans la nature quand on connaît les difficultés de ces expériences – dont celles liées répétons-le à l’absence d’état de référence –, et la pollution globale de nos écosystèmes
C’est un peu comme si nous avions la preuve d’une action délétère d’une molécule persistante sur des cultures cellulaires et que l’on doutait de son action sur l’organisme : on connaît le mode d’action de molécules comme les néonicotinoïdes, pour ne citer qu’elles ; on sait les mesurer partout dans l’environnement… Comment alors peut-on imaginer l’absence d’effet à l’échelle des biocénoses et des écosystèmes ?
Cette pollution généralisée (au demeurant tout à fait mesurable) réclamerait sans doute un ré-ensauvagement de la planète… A minima, une sérieuse réévaluation écotoxicologique des molécules que nous épandons par milliers de tonnes depuis des décennies. Sur les insectes, sur les biocénoses, sur les écosystèmes et sur nous-mêmes.
Une recherche de transition est nécessaire pour comprendre et corriger ce qui se passe dans nos écosystèmes. Elle passe par l’établissement d’états de références pour la science du futur ou de la recherche de compensation de leur absence en innovant, par exemple, dans l’étude de nos collections ; celles-ci constituent en effet des formes de références dans l’espace et le temps. Comme le souligne l’Académie des sciences dans son tout récent avis, il est désormais urgent d’agir. »
Bonne journée.
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