Comment expliquer l'antisémitisme et qu'est-ce qu'un sémite ?
Question d'origine :
Pourquoi l' "Antisémitisme" ? Les raisons.
Qu'est-ce qu'un " Sémite" ?
Pourquoi cette haine des Juifs qui sont à l'origine des religions monothéistes ? ETC....Je voudrais comprendre ...
Réponse du Guichet

L'antisémitisme, cette haine à l'encontre de la communauté juive, a une histoire longue et dramatique. Les raisons de ce rejet ont des motivations religieuses, idéologiques et politiques.
Bonjour,
la question de l’antisémitisme a suscité une littérature innombrable que ce soit en religion, en philosophie, en histoire, etc… Nous ne saurions, et ne pourrions, synthétiser tant de parutions et de réflexions. En revanche, l’article sur l’Antisémitisme (rédigé par Esther BENBASSA), de l’Encyclopaedia Universalis (consultable intégralement et gratuitement à la BmL, et à distance pour les abonné.e.s) vous donnera les éléments nécessaires pour comprendre l’émergence de l’antisémitisme au fil de l’histoire.
Dans un pamphlet publié en 1879, La Victoire du judaïsme sur la germanité, le journaliste et agitateur politique allemand Wilhelm Marr utilise les mots de « sémitisme » et d'« aryanisme », dérivés des classifications de la linguistique et de l'anthropologie physique de la seconde moitié du XIXe siècle. La même année, il fonde la Ligue antisémite, qui consacre l'entrée du terme antisémitisme (Antisemitismus) dans le vocabulaire politique. Produite directement par les idéologies nationalistes et racistes alors en pleine expansion, cette expression nouvelle de la haine contre les juifs n'est cependant pas sans liens avec ce que Hannah Arendt désigne, dans la Préface de Sur l'antisémitisme, par « haine religieuse du Juif » (religious Jew-hatred) qu'on appelle aujourd'hui « antijudaisme », hostilité repérable dès l'Antiquité, qui va se prolonger et s'amplifier au Moyen Âge dans l'Occident chrétien, et finalement perdurer jusqu'au XXe siècle. L'antijudaïsme ne naît certes pas avec le christianisme, même si sa version chrétienne comporte une dimension théologique absente dans les sociétés païennes, déterminante pour comprendre les conditions spécifiques d'apparition de l'antisémitisme contemporain dans la culture occidentale. Il nous faut donc nécessairement faire retour sur cette « préhistoire » de l'antisémitisme avant d'aborder en tant que telles les causes immédiates de sa naissance et de son développement, aux XIXe et XXe siècles.
Esther Benbassa ne manque de souligner les différences entre antisémitisme et antijudaïsme et revient sur l’Antiquité qui verra, successivement, l'émergence du judaïsme et du christianisme :
L'hostilité aux juifs n'avait pas de caractère systématique dans les empires de l'Antiquité, qui étendaient leur domination sur de multiples peuples aux cultes les plus divers. En Perse, en Grèce ou à Rome, les tensions ne procédaient pas principalement d'une mise en accusation de la religion juive ni d'une volonté de la société dominante de démontrer les erreurs des juifs par rapport à ses propres croyances. La persécution déclenchée à partir de — 167 par Antiochus IV Épiphane, qui entend interdire la pratique de la religion juive en Judée et force les juifs à participer aux rites païens, fait de ce point de vue figure d'exception. La profanation et le pillage du Temple de Jérusalem, les massacres et conversions forcées et l'instauration, dans le Temple, du culte de Zeus Olympien traduisent, combinés aux intentions politiques, des motifs expressément religieux qu'on ne retrouve pas par exemple chez les Romains, lorsqu'ils répriment les insurrections juives des Ier et IIe siècles. On peut cependant repérer, chez les lettrés grecs et romains, la constitution précoce d'un discours a priori hostile aux juifs. Depuis Hécatée d'Abdère (fin du IVe siècle av. J.-C.) jusqu'à Dion Cassius (155-235), en passant par Diodore de Sicile, Cicéron, Sénèque ou Tacite, les Anciens ont colporté des récits sur l'origine, les croyances et les rites du peuple juif où le mépris le dispute à l'ignorance. L'opprobre frappant ce peuple de « lépreux » expulsés d'Égypte, son inconcevable prétention à ne reconnaître qu'une seule divinité sans effigie, ses pratiques « irrationnelles » avérées (circoncision, sabbat) ou inventées pour la circonstance (adoration d'un âne, meurtre rituel), enfin la menace que représenterait son influente diaspora, tels sont les principaux motifs ressassés par les auteurs païens pour le stigmatiser.
L'antijudaïsme chrétien procède de mobiles différents. Né de la prédication au Ier siècle de Jésus de Nazareth et de ses disciples, le christianisme est l'une de ces nombreuses sectes messianiques et apocalyptiques juives qui surgissent à l'époque, au sein d'un judaïsme profondément divisé sur l'attitude à adopter face à l'occupant romain et à l'hellénisation qui progresse grâce à lui…
Une précédente réponse du Guichet sur l’Antisémitisme vous conseille les ouvrages de Leon Poliakov, ainsi que d’autres essais qui font référence sur ce sujet :
Les sources païennes de l'antisémitisme / Georges Nataf
C'est en Egypte, et particulièrement à Alexandrie, que l'antijudaïsme apparaît pour la première fois dans la littérature.
Peuplée de colonies installées par les nouveaux souverains hellénistiques, Alexandrie est une ville où les communautés grecque et juive rivalisent, particulièrement dans le domaine économique. La prééminence à laquelle prétendent les Grecs les oppose aux Judéens. On trouve ailleurs des situations conflictuelles comparables entres des Grecs soucieux de préserver leurs privilège et d'autres éléments indigènes ou transplantés, mais c'est à Alexandrie que l'antijudaïsme "fonctionnel" prend véritablement figure.
Il faudra attendre la scission entre juifs et chrétiens, qui développèrent chacun de leur côté une théologie du rejet de l'autre, pour que les Pères de l'Eglise reprennent à leur compte l'antijudaïsme païen - dont les premiers chrétiens avaient eux aussi souffert - et lui donnent sa dimension théologique.
- Histoire générale de l'antisémitisme / Gerald Messadié
De fait il n'y a pas un seul antisémitisme, mais plusieurs. Postuler que l'antisémitisme aurait une cause unique reviendrait à mécaniser le phénomène, à lui prêter l'inéluctabilité d'une loi mystérieuse et, en fin de compte, à nier l'unicité de la shoah. Les mêmes effets ne sont pas toujours dus aux mêmes causes. L'antijudaïsme gréco-romain est intrinsèquement différent de l'antijudaïsme chrétien. Lequel, à son tour, est fondamentalement différent de l'antisémitisme nationaliste.
- Une histoire du racisme : des origines à nos jours / Christian Delacampagne
- L' Antisémitisme : le Juif comme bouc émissaire / Yves Chevalier
- L'antisémitisme : son histoire et ses causes / Bernard Lazare
- Genèse de l'antisémitisme / par Jules Isaac
- Les origines de l'antisémitisme moderne / Arthur Hertzberg
- Sur l'antisémitisme / Hannah Arendt
Voici d’autres références bibliographiques, plus récentes et très éclairantes sur le sujet. Citons entre autres :
- De la haine du Juif : essai historique / Pascal Ory
- Criminaliser les Juifs : le mythe du meurtre rituel et ses avatars (antijudaïsme, antisémitisme, antisionisme) / Pierre-André Taguief
- Une race imaginaire : courte histoire de la judéophobie / Shlomo Sand
- Un peuple paria : anthropologie de l'antisémitisme / Hyam Maccoby
- L'antisémitisme en questions / Stéphane Encel
Enfin, nous ne pouvons que vous recommander la série documentaire (en 4 volets) d’Arte sur l’histoire de l’antisémitisme, de Jonathan Hayoun, toujours disponible sur le site d’ARTE et bientôt dans nos collections.
A la question de savoir ce qu’est un sémite, nous vous renvoyons également à l’article « Sémites » de l’Encyclopaedia Universalis…
L'adjectif « sémitique » a été forgé par l'orientaliste allemand A. L. Schlözel dans le tome VIII (1781) du Repertorium für biblische und morgenländische Literatur de J. G. Eichhorn, pour désigner des langues dont la parenté était perçue dès le Moyen Âge par les docteurs juifs : l'hébreu, l'araméen et l'arabe. L'appellation était choisie par référence au « tableau des peuples » de la Genèse (X) où Sem, fils de Noé, est donné comme le père d'Abram et l'ascendant d'Eber, éponyme des Hébreux, ainsi que de Yoqtan, ancêtre de diverses populations d'Arabie.
Cela est purement conventionnel, puisque le texte biblique range parmi les descendants de Sem les Élamites et les Lydiens, dont les langues n'étaient pas sémitiques, et, en revanche, fait des Cananéens des enfants de Cham, alors même que l'hébreu est défini ailleurs (Isaïe, XIX, 18) comme la « langue de Canaan ». Néanmoins, l'usage s'en est universellement répandu et le terme « Sémites » a été appliqué à tous les peuples parlant ou ayant parlé des langues sémitiques, peuples qui ont joué un grand rôle dans le Proche-Orient asiatique dès l'aube de l'histoire et auxquels le monde actuel est redevable de l'écriture alphabétique et des trois grandes religions monothéistes : le judaïsme, le christianisme et l'islam. Le critère linguistique est le seul qui permette de définir avec certitude une famille sémitique et de postuler une unité préhistorique des Sémites
…ainsi qu’à de précédentes réponses du Guichet :
-« langues sémitiques et antisémites »
Bonnes lectures.