Je recherche des textes littéraires et/ou philosophiques sur la guerre d'Algérie
Question d'origine :
Bonjour,
Dans le cadre de mon grand oral, je souhaiterais confronter des textes littéraires et/ou philosophiques sur la guerre d'Algérie pour opposer divers avis et montrer comment littérature et philosophie participent à la construction des mémoires.
Auriez vous des livres à me recommander ?
Merci d'avance.
Réponse du Guichet

Comment mettre en discours un récit commun quand des mémoires aussi concurrentielles se font face? Voici les enjeux auxquels se trouvent confrontés les historiens. Depuis quelques années, l’Etat français, après un silence de plus d’un demi-siècle, a fait le choix de reconnaître à égalité les mémoires des différentes communautés.
Bonjour,
Tout d’abord, il est troublant de constater combien la guerre d’Algérie a affecté la France. On se représente surtout un conflit qui a eu lieu «là-bas». On oublie que la guerre s’est importée sur le sol de la métropole et, qu’ensuite, la migration de populations importantes a contribué à diffuser le conflit dans toutes les couches de la société française. Ceci, à un tel point, que Paul Max Morin, chercheur au Cevipof, fait état d’un chiffre étonnant dans son enquête, Les jeunes et la guerre d’Algérie : 39% des Français de 18-25 ans déclarent aujourd’hui avoir un membre de leur famille affecté par la guerre d’Algérie (!) A ce sujet, nous vous recommandons vivement l’excellent podcast, Sauce algérienne, sur Spotify, qui explore les mémoires intimes et leurs mécanismes de transmission de génération en génération.
Le dramaturge Olivier Py raconte ainsi une identité complexe et difficile à assumer :
«Il est encore aujourd’hui très difficile de dire qu’on est «pied-noir», enfant de pied-noir. Il faut assurer son auditoire que dans cette déclaration il n’y a ni revendication identitaire, ni nostalgie coloniale, ni négativisme». (L'origine imaginaire dans le 1).
Nous l’évoquions précédemment, le non-dit a longtemps empêché la mise en place d’un discours sur la guerre d’Algérie. Il faut dire que l'Etat français a bien montré l'exemple.
Comme le souvenir de cette nuit du 17 au 18 octobre 1961, où des policiers français «d’une impassibilité toute allemande» (Nancy Huston) ont réprimé dans le sang une manifestation pacifique d’Algériens.
«C’est une chose curieuse avec les Algériens : ils ont de si jolies plages chez eux et ils ne savent pas nager ; c’est étonnamment facile de les noyer. Encore plus facile la nuit, bien sûr, et au milieu d’un orage violent. Et si d’aventure ils savent nager, on peut toujours accélérer le processus avec quelques balles de revolver bien placées. (…) Mais tous les manifestants musulmans de Paris et de sa banlieue ne sont pas morts cette nuit-là ; loin s’en faut. Plusieurs milliers n’ont eu pour tout dégât que leur carte d’identité déchirée. Onze mille cinq cent trente-huit n’ont été qu’arrêtés et conduits au Palais des Sports à la porte de Versailles. Là, on leur a simplement intimé l’ordre de passer, mains sur la nuque, entre deux rangées d’agents armés de matraques, de nerfs de bœuf, de gros souliers et de crosses de fusil. De ce fait, ils n’ont eu que le cuir chevelu éclaté, les tibias et les péronés brisés, les bras cassés, les rochers fracturés ou les dos bleuis; et même ceux qui ont subi ce traitement à deux reprises n’en sont pas morts pour la plupart» (L'Empreinte de l'ange de Nancy Huston ; p288-289)
De la même façon que la position de l’Etat français a évolué récemment, les œuvres de création se font aussi l’écho de ce passé traumatisant. Là aussi, l’évolution est saisissante. Il faut se rappeler comment la guerre d’Algérie restait tragiquement dans le hors-champ du film «Les parapluies de Cherbourg» (1964).
Des hommes, paru en 2010, restera assurément comme l’un des romans marquants sur la guerre d’Algérie. La langue de Laurent Mauvignier dissèque à merveille ce silence qui pèse sur ces appelés et sur la société française.
Le refoulé fait ainsi son retour parfois une ou deux générations plus tard. Des individus ressentent un vide et que quelque chose d’eux est resté en Algérie. C’est l’histoire de Lila et de son frère Harwan, dans Au cœur de l’hiver, j’ai ressenti comme un invincible été d’Anaïs Allais.
«Moi, je n’ai jamais appris à dire « je ». Je suis né dans un pays de « nous ». Dès qu’on sortait du ventre de nos mères, l’Histoire se penchait sur nos berceaux et nous empilait des « nous » sur les épaules. Elle nous chantait le nom de tous nos martyrs. De tous ceux qui sont morts pour qu’on vive. De tous ceux à qui on doit un pays. Un pays palpable quand il n’était que rêve, et qui est redevenu nuage une fois qu’il nous est tombé entre les mains. Un pays tout juste sorti du four et qui nous a tous brûlé la langue.»
C’est toujours ce silence assourdissant qui pousse Naïma, dans L’Art de perdre d’Alice Zeniter, à chercher les fantômes de l’histoire familiale, dans une grande saga romanesque. Le grand-père de Naïma est un Harki. Il est intéressant, d’ailleurs, de noter, grâce à ce livre, combien l’engagement de certaines populations algériennes au côté de l’armée française relevait davantage du hasard que de convictions profondes.
Cependant, les difficultés mémorielles ne sont pas l’apanage de la France puisque l’on a observé, ces dernières années, une remise en question, en Algérie, du récit fondateur de l’Etat algérien, instauré par le FLN et qui s’est exprimée notamment à travers les manifestations du Hirak et d'une nouvelle génération d'écrivains. (Article dans l'Influx, A saisir : jeune pays très peu servi)
Voici donc une sélection de titres qui explorent les différentes mémoires issues de la guerre d’Algérie: Indépendantistes du FLN ou Harkis, Musulmans ou Juifs, appelés ou Pied-noirs :
De nos frères blessés / Joseph Andras
Alger, rue des Bananiers / Béatrice Commengé
Maison Atlas / Alice Kaplan
Entendez-vous dans les montagnes / Maïssa Bey
Le tailleur de Relizane / Olivia Elkaïm
Un loup pour l’homme / Brigitte Giraud
Une vie brève / Michèle Audin
Le blanc de l’Algérie / Assia Djebar
Bonnes lectures.
Réponse du Guichet

une bibliographie indicative
Bonjour,
S’il y a eu de nombreux échanges, publications d’articles et d’ouvrages pendant la guerre de décolonisation algérienne, ils sont rarement à dominante philosophique. René Galissot, dans son ouvrage Le Maghreb de traverse répond à cette question : Pourquoi n’y a-t-il pas de philosophie de la décolonisation ? Les pages 263 à 290 de l’ouvrage s’attachent à l’exemple de la guerre d’Algérie. En voici les premières lignes: « Pourquoi ? Probablement au sens où Sartre ne se dit pas philosophe ; c’est cependant l’analyse existentialiste de l’affrontement qui s’approche le plus d’une réponse philosophique : elle est autant dire seule à donner sens à l’action de libération nationale, dans sa violence même. Les philosophes sont passés à côté des guerres coloniales et de la guerre d’Algérie, en France du moins. Ces prises de position sur la guerre d’Algérie valent par leur caractère d’exception. Hors Sartre et Albert Memmi avant lui, les commentaires et les explications ne nourrissent pas un dessein philosophique ou se tiennent sur les marges, dans une volonté de critique sociale et politique ou en passant à une argumentation économique et sociologique, que l’on pense aux gens de Socialisme ou Barbarie moins isolés dans les commémorations d’aujourd’hui qu’à l’époque, aux dissidents marxistes qui retournent Marx contre le communisme soviétique et français, aux intellectuels résistants d’Esprit et d’ailleurs qui s’élèvent contre la torture, à Raymond Aron qui témoigne d’une sociologie historique plus que d’une philosophie politique.[…]»
Notre bibliographie indicative portera donc sur des textes d’intellectuels (terme englobant des disciplines variées). Et bien sûr, des deux côtés de la méditerranée, les intellectuels algériens étant concernés au premier chef.
Romans :
Nedjma, Kateb Yacine, Seuil, Paris, édition 2010. Ce roman, paru en 1956, est considéré comme l’emblème de la lutte algérienne pour l’indépendance.
Qui se souvient de la mer, Mohammed Dib, Seuil, Paris, 1962
Journal 1955-1962, Mouloud Feraoun, Seuil, Paris, 1962 (témoignage)
L’opium et le bâton, Mouloud Mammeri, La Découverte, Paris, 1992 (1ère édition 1965)
Algérie : les romans de la guerre, textes réunis et présentés par Guy Dugas, Omnibus, Paris, 2002
Essais :
Portrait du colonisé, Albert Memmi, préface de Jean-Paul Sartre, Ed. JJ Pauvert, Paris, 1966 (1ère édition 1957)
La tragédie algérienne, Raymond Aron, Plon, 1957
L'an V de la révolution algérienne, Frantz Fanon, La Découverte, Paris, 2011 (1ère édition en 1959)
Les damnés de la terre, Frantz Fanon, préface de Jean-Paul Sartre (1961) ; préface de Alice Cherki et postface de Mohammed Harbi (2002), La Découverte, Paris, 2006
Albert Camus et la guerre d'Algérie : histoire d'un malentendu, Alain Vircondelet, Editions du Rocher, 2022
Ouvrages de synthèse :
Engagements et déchirements, les intellectuels et la guerre d’Algérie, Catherine Brun et Olivier Penot-Lacassagne, Gallimard, 2012
Cet excellent ouvrage exploite les nombreuses archives existantes, et présente en contexte plus de 350 documents. Comme le dit sa quatrième de couverture, «[…] il est temps, grâce à de nombreux documents inédits, d’écrire une histoire de la guerre d’Algérie fondée sur un autre point de vue: celui des intellectuels. On oublie le plus souvent des débats, les causes et les combats qui les agitèrent alors, comme si tous avaient été, d’emblée et unanimement, anticolonialistes, à moins que l’on cautionne l’opposition manichéenne et réductrice d’une gauche indépendantiste et d’une droite pro-Algérie française. […] Textes visionnaires de Camus, de Mounier, de Ricœur…, détermination des protagonistes – de Sartre à Domenach, Vidal-Naquet ou Paulhan, […] engagement des revues, combat des éditeurs…»
La guerre d'Algérie et les intellectuels français, sous la dir. de Jean-Pierre Rioux et Jean-François Sirinelli, Ed. Complexe, Bruxelles, 1991
Articles et revues :
Arrêtons la guerre d’Algérie, Revue Esprit n° 232, novembre 1955
L’Algérie et nous, Revue de deux mondes, septembre 2019 (article de Pierre Vermeren Les intellectuels français sur l’Algérie)
La guerre d'indépendance dans la littérature algérienne : de l'enthousiasme au désenchantement, interview d’Hervé Sanson, spécialiste des littératures francophones du Maghreb, RFI, 16 mars 2022
Kateb Yacine ou la naissance en guerre de l’écrivain, Catherine Milkovitch-Rioux, Université Blaise Pascal, Institut d’Histoire du temps présent, 2016
Mouloud Feraoun. Un écrivain dans la guerre d'Algérie, Thénault Sylvie, dans Vingtième Siècle, revue d'histoire, n°63, juillet septembre 1999. pp. 65-74;
Algérie : dès 1955, François Mauriac dénonçait la torture dans L'Express, article de François Mauriac republié le 20 décembre 2012, L’Express
Albert Camus face à la question algérienne, par Christiane Chaulet Achour, Histoire coloniale et postcoloniale, 28 août 2013
Les intellectuels français et l’Algérie, Camus contre Sartre, article en ligne extrait de la Revue des deux mondes, septembre 2019 intitulée L’Algérie et nous
Jean-Paul Sartre et la guerre d’Algérie, Anne Mathieu, Le Monde diplomatique, 2004
Paul Ricœur, Esprit et la guerre d’Algérie, Jean-Pierre Peyroulou, dans la Revue des revues n°66, 2021
Emmanuel Roblès : itinéraire d’un engagement, par Jacqueline Roblès Macek, Histoire coloniale et postcoloniale, 21 janvier 2014
Le Manifeste des 121: une "Déclaration sur le droit à l'insoumission dans la guerre d'Algérie". Signé par des intellectuels, universitaires et artistes, ce manifeste a été publié le 6 septembre 1960 dans le magazine Vérité-Liberté
Emissions :
Les intellectuels et la guerre d’Algérie, France Culture, diffusée le 4 janvier 2013
Les mémoires vives de la guerre d’Algérie, LSD, série documentaire en 4 épisodes, 2021, France Culture
Nous ne pouvons citer la totalité des intellectuels algériens, français et autres qui ont écrit sur cette guerre et la décolonisation algérienne. Aussi nous vous conseillons vivement la lecture de l’ouvrage précité de Catherine Brun et Olivier Penot-Lacassagne, véritable mine d’informations…
Bonne lecture !