Que représente Jacques de Molay pour les Francs-maçons ?
Question d'origine :
Bonjour,
Merci pour votre concours. Ma question est la suivante:
Je recherche des documents sur Jacques de MOLAY.
Que représente Jacques de Molay pour les Francs-maçons?.
Cordialement
Réponse du Guichet

L'Ordre du temple et son dernier grand maître Jacques de Molay, exécuté pour hérésie en 1314, ont une grande importance pour certaines branches de la franc-maçonnerie, qui se considèrent comme leurs héritières et leur attribuent des savoirs ésotériques particuliers.
Bonjour,
Tout d'abord voici quelques sources biographiques concernant Jacques de Molay, dernier grand-maître de l'Ordre du temple et exécuté en 1314 sous de Philipe le Bel :
Jean FAVIER, dans l'Encyclopedia universalis (consultable en ligne avec un abonnement BmL), dresse ce protrait du dernier grand-maître des templiers :
MOLAY Jacques de (1243 env.-1314)
Templier, élu grand-maître en 1298, alors que l'ordre venait de s'établir à Chypre, d'où étaient lancées quelques opérations contre l'Islam. Venu en Occident, où les maisons de l'ordre étaient nombreuses, Jacques de Molay composa en particulier deux mémoires destinés au pape, l'un pour donner son point de vue sur le projet pontifical de croisade, l'autre pour envisager — et surtout réfuter— la possibilité d'une fusion des ordres militaires, souhaitée depuis un quart de siècle par les papes et les conciles. La réfutation de Molay, surtout animée par le désir de conserver au Temple ses avantages et au grand-maître ses prérogatives, fit mauvaise impression. En apprenant les dénonciations dont était victime l'ordre, il demanda lui-même une enquête.
Arrêté avec les autres Templiers de France le 13octobre 1307, Molay avoua — sans avoir, semble-t-il, été torturé— les erreurs de l'ordre en matière de foi et de morale; il écrivit à tous ses frères pour les inciter à révéler ce qu'ils savaient. Il renouvela en août1308, devant la commission cardinalice désignée par le pape, les aveux qu'il avait faits devant les enquêteurs royaux et l'Inquisition. Le pape s'étant réservé le jugement des personnes de quelques dignitaires, Molay refusa de coopérer avec la commission pontificale en novembre 1309. C'est donc sans l'avoir entendu que ClémentV, en avril1312, supprima l'ordre et, en décembre, déféra le jugement des dignitaires à trois cardinaux.
Molay ne changea probablement pas de position, avouant les vices généraux de l'ordre, tout en se reconnaissant modérément coupable, et c'est pour ces crimes avoués qu'il fut, le 19mars 1314, condamné par les cardinaux à la prison perpétuelle. En six ans d'enquête, le grand-maître avait à plusieurs reprises soulevé des points de procédure, mais n'avait jamais protesté contre la fausseté des accusations portées par les gens du roi. La perspective d'un emprisonnement perpétuel lui insuffla un courage que l'espoir d'un accord possible avec le pape lui avait sans doute enlevé jusque-là: il protesta contre sa condamnation et déclara regretter surtout l'aveu de faux crimes. Les cardinaux se donnèrent la nuit pour réfléchir. Le soir même, les gens du roi firent exécuter Molay et le précepteur de Normandie, Charnay, conformément au droit médiéval qui punissait de mort les relaps. Molay monta sur le bûcher avec résignation et courage.
C'est au XVIIIe siècle qu'une branche de la franc-maçonnerie s'empare de la figure de Molay et se réclame de l'Ordre du Temple, lequel aurait, tout ce temps, survécu dans la clandestinité :
Lorsqu’il mourut sur le bûcher le 18 mars 1314, le dernier Grand Maître des Templiers, Jacques de Molay, pensait certainement que s’éteignait avec lui l’ordre des pauvres chevaliers du Christ. Pourtant, quatre cents ans après, au temps de Voltaire et Rousseau, certains groupes secrets prétendirent être la survivance cachée de l’ordre du Temple injustement persécuté. Des Loges maçonniques affirmaient en effet que quelques chevaliers qui avaient échappé à la persécution s’étaient réfugiés dans la lointaine Écosse et avaient survécu jusqu’au XVIIIe siècle sous le voile de la franc-maçonnerie. Le mythe de la survivance secrète des Templiers était né.
(Source : France Inter)
D'après Universalis, entrée "Franc-maçonnerie" par Roger Nachez et Luc Nefontaine, l'héritage direct entre les templiers et la franc-maçonnerie semble relever d'une création a posteriori :
S'agissant de l'ordre du Temple, aboli en 1312 sous les coups conjugués du roi de France Philippe IV le Bel et du pape Clément V, l'idée qu'il aurait secrètement subsisté pour donner naissance à la maçonnerie s'est formée au cours du XVIIIe siècle. Il s'y associa la conviction qu'un enseignement secret était dispensé aux templiers et qu'il avait existé un « ésotérisme du Temple » : cette croyance n'a jamais reçu la moindre confirmation documentaire et tous les spécialistes de l'histoire de l'ordre s'accordent pour n'y voir qu'une légende tardive et sans fondement. Du reste, en 1736, si André Michel de Ramsay (1686-1743), disciple de Fénelon et de souche écossaise, franc-maçon à Londres et à Paris, assigne le premier à la franc-maçonnerie une origine chevaleresque remontant aux croisades, c'est aux chevaliers de Malte (ou de Saint-Jean de Jérusalem) qu'il pense, et non aux templiers. Cela n'empêchera nullement des francs-maçons imaginatifs de créer, dans les années 1750, plusieurs hauts grades s'inspirant d'un ordre du Temple rêvé, voire d'en revendiquer – jusqu'à nos jours pour certains – l'héritage à la fois spirituel et matériel.
Toujours est-il que dès le XVIIIe siècle, la "symbolique templière" intègre la franc-maçonnerie, au même titre que les symboliques biblique, militaire, astrologique, animale : "De la symbolique de la construction, qui est première, on est passé avec aisance à la symbolique biblique et à la symbolique du temple, et de celle-ci à l'univers templier", celui-ci étant utilisé comme réserve de mythes.
Selon Pierre Mollier dans son article "Malte, les chevaliers et la Franc-maçonnerie", Cahiers de la Méditerranée, 2006, lisible sur OpenEdition, les francs-maçons prêtent aux templiers des connaissances occultes, notamment en numérologie :
Lors des débats autour de la question de savoir si les Templiers étaient détenteurs de connaissances occultes, le Frère Willermoz fait un parallèle avec l’Ordre de Malte et évoque le cas de chevaliers versés dans ces questions. L’argument qui est alors discuté est la présence dans la structure même de l’Ordre du Temple d’éléments qui renvoient à la symbolique des nombres si importante dans la Franc-maçonnerie en général et dans la gnose professée par ces maçons théosophes en particulier:
«On observe qu’à l’époque de sa plus grande splendeur, il a été divisé en neuf Provinces, gouvernées chacune par un Chef Provincial, que le nombre de ces neuf chefs, correspondant à celui des fondateurs, complète avec son Grand Maître Général le nombre dix, & quelques-uns attribuent à ce nombre d’exprimer de grandes choses: cette observation, assez indifférente à mon sujet, sera peut-être méprisée & persiflée par quelques-uns, & peut-être elle fixera aussi l’attention de quelques-autres; quant à moi, je l’abandonne à chacun selon le sens qu’il y voudra attacher, en remarquant seulement que lorsque l’on veut vérifier l’origine et le but d’un Ordre ou d’une Société, on ne doit négliger aucune des clefs qui peuvent aider à cette vérification; en remarquant encore que l’Ordre de Malte, qui a pris naissance dans le même lieu & presque à la même époque, paraît institué sur la même base qu’il conserve encore, quoiqu’il y ait des langues de cet Ordre qui ont cessé d’être en activité, & qu’aujourd’hui même, il est représenté à Malte par 9 piliers ou chefs d’Ordre sous différentes dénominations, lesquels avec leur Gr. Maître donnent 10 &, dans les Chapitres Généraux, par 27 représentants, qui avec le même Gr. Maître complètent 28, ce qui revient au même; cette conformité paraît intéressante, & peut-être pourrait-on parvenir à en trouver dans les anciennes archives de cet Ordre quelques causes plus intéressantes encore, je connais plusieurs de ses membres qui en sont persuadés».
Selon l'article de C-H CHevalier "Maçons écossais au XVIIIe siècle" (Annales historiques de la Révolution française, 1969, consultable sur Persée), cette filiation ne fait pas l'unanimité chez les francs-maçons :
Après Ramsay, la légende d’une création de l’Ordre par Hugues de Payens ou quelqu’un de ses disciples fut diffusée largement, notamment en Scandi¬ navie, vers 1745, par le docteur EcklefF, et, en Allemagne, par l’académicien berlinois Nicolaï . Or, à part quelques allusions, cette paternité n’est revendiquée en France que très rarement, et encore, le plus souvent, comme dans les études de Paul Naudon, par le biais des relations protectrices des Templiers à l’égard des maçons opératifs ou d’un refuge des membres de l’Ordre. Mais Jacques de Molay est honoré comme un précurseur par les francs-maçons allemands et américains. Diverses associations, maçonniques ou prémaçon¬ niques, comme l’Ordre de Molay, vouent aux Templiers un attachement particulier. En franc-maçonnerie, l’éloignement dans le temps, mais aussi l’éloignement dans l’espace accrois¬ sent, parfois, singulièrement la ferveur.
Aujourd'hui encore, toutefois, un ordre appelé les Chevaliers templiers est très actif dans la franc-maçonnerie anglo-saxonne. Il existe également un Rite de la stricte observance templière auquel nous avons consavré une précédente réponse que nous vous invitons à consulter.
Mais nous n'avons fait qu'ébaucher le sujet que nous vous invitons à approfondir grâce aux ouvrages suivants :