Comment s'est-on rendu compte que Christophe Colomb n'était pas arrivé aux Indes ?
Question d'origine :
Bonjour,
Comment s'est-on rendu compte que Christophe Colomb n'était pas arrivé aux Indes?
Merci.
Réponse du Guichet

Dès le début du XVIe siècle, Amerigo Vespucci émet l'hypothèse que C. Colomb a accosté sur une terre inconnue des européens, et non aux Indes.
Bonjour,
Jusqu'à sa mort en 1506, Christophe Colomb resta persuadé d'avoir rallié les Indes au cours de ses 3 voyages à travers l'Atlantique. Nous ne saurions vous dire exactement comment et quand les européens de l'époque se sont rendus compte de l'erreur de Colomb. Il semblerait toutefois que Vespucci ait mentionné la chose dès le début du XVIe siècle, mais les historiens ne s'étendent pas vraiment sur cette question.
Voici néanmoins quelques éléments qui vous permettront de comprendre la mentalité de C. Colomb et de son époque, puisque disons-le tout net, Christophe Colomb n'a donc pas découvert l'Amérique. Il n'a effectivement pas compris qu'il y avait, derrière les îles, un continent immense. Il était conditionné par sa vision théorique du monde. C'est Amerigo Vespucci qui, au début des années 1500, prend conscience que les îles des Caraïbes sont les avant-postes d'un continent immense, qui portera son nom. Il en parlera comme tel dans une lettre à un Medicis en 1510, qui sera reproduite et transmise à toutes les cours d'Europe.
En 1510, l'Amérique est encore ignorée de la plupart des habitants d'Europe. Il n'y a guère que les Espagnols et les Portugais qui se lancent dans l'exploration, puis la conquête. Même Charles Quint, pourtant Roi d'Espagne, ne semble pas s'en préoccuper. Il faut attendre 1513 pour qu'enfin un diplomate à Lisbonne, ambassadeur de la République de Florence, mentionne Colomb. Mais il parle d'abord de l'arrivée d'une immense flotte d'épices venues des Indes, puis il mentionne que les rois catholiques organisent des expéditions qui ne ramènent que de l'or. L'or étant là, la renommé des Indes Occidentales ne peut que croître. Il faut réellement attendre 1525 pour que l’ensemble de l’Europe ait entendu parler des Amériques.
Cet article issu de la revue Psychiatries dans l’histoire propose une explication de l'état d'esprit de C. Colomb et sa confusion entre Indes et Amérique :
"La personnalité de Colomb, telle que tous les commentateurs nous la décrivent, intervient dans son erreur. On connaît la ténacité grâce à laquelle il arriva à convaincre les Rois Catholiques de lui laisser conduire sa première expédition. Las Casas nous parle de « l’extraordinaire confiance qu’il avait conçue dans son cœur qu’il trouverait ce qu’il disait » (la route des Indes en naviguant vers l’ouest). Certes il espérait découvrir sur son chemin avant d’y arriver « de grands pays, îles et terre ferme, très heureux, très riches en or, en argent, en perles, en pierres précieuses » mais il cherchait surtout par là à allécher ses commanditaires. Son but, nous dirons sa Mission, était d’atteindre les Indes par l’ouest. C’est donc la postérité qui en fit le découvreur de l’Amérique car pour sa part il crut toujours avoir trouvé sinon les Indes, du moins des terres avoisinantes. Salvador de Madariaga dans son remarquable ouvrage rapproche sa personnalité de celle de Don Quichotte dont il serait une préincarnation : « c’était un contemplatif dont l’imagination s’enflamme, pour qui la réalité prend une valeur purement subjective, avec le sentiment qu’il a d’être élu pour quelque haute mission ».
De même, voilà comment le magazine l'Histoire refait le point sur les erreurs lumineuses de Colomb :
Une série d'erreurs de calcul et une détermination inébranlable : c'est à ce prix que Christophe Colomb a posé le pied en Amérique ! Grâce au Journal de bord du navigateur, nous pouvons suivre jour après jour son épopée. A lire Colomb, c'est moins l'homme d'une rupture que l'on découvre qu'un esprit dont l'audace a germé au sein même des modes de pensée propres au Moyen Age. La détermination inébranlable avec laquelle il surmonte tous les obstacles aurait été inconcevable sans une formidable série d'erreurs de calcul. Sous-estimant la circonférence de la Terre tout autant qu'il surestime l'étendue des terres eurasiatiques, Colomb conclut qu'entre le Japon et le Portugal « il y a une mer de petites dimensions » qu'il est possible de traverser. Les savants et les princes qui examinèrent son projet étaient donc parfaitement fondés à rejeter ses hypothèses et à estimer, comme Jean II du Portugal, qu'une distance trop grande rendait le Japon inaccessible par l'ouest...
Il s'est donc abusé sur le diamètre de la terre. Il pensait que naviguer un mois vers l’ouest lui permettrait d’atteindre les rivages de Chine, de convertir le Grand Khan évoqué par Marco Polo au catholicisme, de récolter l’or qui abondait là-bas, d’accumuler assez de richesses pour lever une nouvelle croisade qui reprendrait Jérusalem… Colomb s’était persuadé d’être le nouvel Élie, le prophète qui allait hâter le jour du Jugement dernier. Et Colomb a trébuché sur un Nouveau Monde. Nouveau pour les Européens. Il était peuplé depuis au moins 15 000 ans par des « indigènes ». Colomb a défendu jusqu’à son lit de mort qu’il était arrivé dans les Indes, il n’admit jamais être le « découvreur » d’un Nouveau Monde, et ces indigènes devinrent Indiens. Quand la méprise devint évidente, à savoir que les Amériques – ainsi nommées parce que le premier opportuniste à les avoir mentionnées sur une carte, Vespucci, se prénommait Amerigo – n’étaient pas l’Asie, on parla d’Indes occidentales et d’Amérindiens.
La revue des deux mondes retranscrit l'avis de l'historien Jean-Luc Barré sur la "découverte" de Colomb de ce nouveau monde.
" En 1492, la découverte de l’Amérique est un non-événement. […] la réalité de la découverte ne se révèle que douze à quinze ans plus tard à ses contemporains. Le temps pour le navigateur de se voir dépouillé de la paternité de ses œuvres au profit d’Amerigo Vespucci. “ Dix ans après le retour de Colomb, aucune conscience de l’Amérique, aucune idée de l’Amérique n’existait en Europe, sinon les soupçons vague d’une terre nouvelle et, hors d’Espagne, les voyages de l’Amiral ne suscitèrent pas la moindre passion. (1492, un monde nouveau ? / Lucile et Bartolomé Bennassar). "
Persuadé d’avoir atteint l’Extrême-Orient, Christophe Colomb meurt sans savoir qu’il avait « découvert » l’Amérique. Amerigo Vespucci, navigateur italien, est le premier Européen à évoquer l’idée que les terres découvertes par son compagnon n’étaient pas l’Asie mais le Nouveau Monde, désormais nommé « Amérique » en référence à cet autre navigateur.
Pour creuser la question :
1492, un monde nouveau? / Bartolomé Bennassar, Lucile Bennassar
Christophe Colomb contre ses mythes / Michel Lequenne
Sur la route de Colomb et Magellan : idées reçues sur les grandes découvertes / Michel Chandeigne, Jean-Paul Duviols
Christophe Colomb : 1447-1506 / Henri Houben
Christophe Colomb / Marie-France Schmidt