Quelles différences entre un manuel universitaire et un autre ouvrage de niveau universitaire ?
Question d'origine :
Bonjour,
Quelles différences faire entre un manuel universitaire ( de type coll U chez Armand Colin par exemple) et un autre ouvrage de niveau universitaire. Les historiens ont-ils une vision particulière de ces ouvrages ? comment expliquer ces différences clairement ?
Merci pour votre réponse.
Réponse du Guichet

Il ne semble pas exister à proprement parler de définition du manuel universitaire. Nous vous proposons néanmoins des ressources sur le sujet, qui vous aideront à identifier ses caractéristiques et à alimenter votre réflexion.
Bonjour,
Il ne semble pas exister de définition formelle du manuel universitaire le distinguant des autres types d'ouvrages universitaires ou des manuels scolaires, comme en témoigne cette réponse de l'enssib.
Sonia Lehman-Frisch, dans son article Manuels ou anthologies ? Deux manières contrastées d'enseigner (et de penser) la géographie à l'université en France et aux Etats-Unis, fait le même constat mais tente de dessiner les contours de ce qui caractérise le manuel universitaire :
Si de nombreuses recherches se sont intéressées aux supports didactiques utilisés dans l'enseignement primaire et secondaire, questionnant leur histoire, leurs finalités et leurs effets, peu d'études ont été consacrées à ce jour à cette question dans le contexte de l'enseignement supérieur. [...]
Le manuel universitaire : une solide tradition française
Héritiers directs des manuels scolaires, qui constituent en France une tradition ancienne et solidement ancrée - au point qu'un rapport les a récemment qualifiés d' "objets sacralisés" (IGEN, 2010) -, les manuels universitaires tiennent une place conséquente dans les rayons de géographie des librairies universitaires en France [...].
La question de la définition de ces objets incontournables de l'enseignement supérieur est cependant moins évidente qu'il n'y paraît. En effet, le type de lectorat visé ne permet pas à lui seul de le caractériser, puisqu'il est bien plus varié que l'expression ne le laisse supposer : ainsi les éditeurs de manuels de géographie ciblent-ils explicitement, sur leurs quatrièmes de couverture, non seulement les étudiants, mais aussi les professionnels (issus notamment de bureaux d'études, d'administrations publiques ou de collectivités territoriales, et la plupart du temps dans le domaine de l'aménagement, de l'urbanisme), voire un lectorat plus large (le public dit "éclairé"). Cette diversification du lectorat, qui présente l'avantage évident pour les éditeurs d'accroître leur marché potentiel, contribue à brouiller la ligne de partage entre le manuel universitaire et d'autres types d'ouvrages.
Autre obstacle à une définition claire du manuel universitaire, la frontière avec les ouvrages dits scientifiques est loin d'être nette. Certains manuels sont en effet de simples ouvrages de vulgarisation, n'ayant d'autre ambition que de présenter une synthèse des recherches effectuées à ce jour sur un objet ou un champ donné de la discipline. D'autres, en revanche, sont des textes originaux signés par des chercheurs reconnus dans leur spécialité et constituent de véritables thèses scientifiques voire des propositions théoriques ou des visions programmatiques. [...] Cette ambiguïté pose d'ailleurs la question délicate et non résolue de la reconnaissance de ces publications par la communauté scientifique.
Aussi complexe et mal défini qu'apparaisse le manuel universitaire, il se caractérise par un mode de discours spécifique qu'il est important de cerner. On peut pour cela faire un détour par le manuel scolaire, ancêtre éditorial du manuel universitaire. Le manuel scolaire est historiquement lié aux idéaux républicains : la mission de l'Ecole étant de transmettre un savoir uniforme destiné à garantir l'éducation scientifique, humaniste et morale de tous les citoyens, le livre scolaire est vite apparu comme un outil privilégié de l'homogénéisation des contenus et des méthodes d'enseignement, et est devenu un symbole emblématique de l'Ecole et de la nation, entraînant par ailleurs une autonomisation de l'édition scolaire (Choppin, 1992). Dans cette perspective, le manuel scolaire s'est présenté (et se présente encore) en France, de façon quasi exclusive, sous la forme de textes constituant "un discours clos, achevé et a-historique" (Lebrun, 2007). [...] Autrement dit, les manuels reposent sur un certain nombre de présupposés qui sont rendus invisibles, et ce n'est qu'au prix d'un véritable effort de distanciation que l'on peur "voir les implicites, juger de ses fondements scientifiques et (les) comprendre en fonction de son époque" (Lebrun, 2007).
De ce point de vue, les manuels universitaires, comme les manuels scolaires, se présentent la plupart du temps comme des synthèses prétendant à une certaine exhaustivité des dimensions de la question abordée. Les preuves du discours en sont plus ou moins gommées, alors même que les recherches académiques ne valent que par elles (citation des références bibliographiques sur lesquelles un texte s'appuie, mention des sources des données utilisées, explicitation des méthodes employées, etc.). Et les évolutions de la pensée sur la question traitée au cours des décennies, les débats contemporains de la communauté scientifique, tout cela est effacé ou y tient une place marginale. Les manuels construisent donc un savoir clos, univoque et tendent à masquer le contexte scientifique, social, politique et idéologique dont ils sont pourtant le produit."
Nous vous recommandons également la lecture du dossier de la Revue d'histoire des sciences humaines : Les sciences de l’homme en manuels. Voici un extrait de l'introduction d'Anne-Sophie Chambost (l'ensemble du dossier peut être librement consulté en ligne) :
En quête d’une spécificité des manuels de l’enseignement supérieur
On caractérise souvent l’enseignement supérieur par la distinction très peu marquée entre la production du savoir et sa transmission par les enseignants-chercheurs, à la différence de ce qui se passe dans l’enseignement secondaire (comme enseignants-chercheurs, les professeurs du supérieur sont supposés être aussi des auteurs). La finalité de l’université étant de transmettre « le savoir hautement spécialisé de la science en train de se faire » (Magro, 2000), il faut pourtant rappeler que cette vocation est relativement récente, les universités françaises n’étant devenues des lieux de science qu’avec la IIIe République. En vertu de quoi, les historiens des sciences universitaires ont longtemps focalisé leur attention sur l’histoire des idées et les historiens de l’éducation se sont davantage intéressés aux pratiques éducatives scolaires qu’à celles de l’enseignement supérieur. Alors qu’on dispose de nombreuses études sur les manuels scolaires, les recherches sur les manuels universitaires sont encore relativement peu nombreuses (Chambost, 2014), justifiant le choix de ce thème pour ce volume de la Revue d’histoire des sciences humaines. À travers différents cas de manuels, qui mettent en forme et font circuler les savoirs dispensés dans l’enseignement supérieur, les travaux réunis ici analysent en effet le caractère finalement assez intriqué des pratiques pédagogiques et des élaborations intellectuelles au sein des universités.
Mais alors, en quoi le manuel de l’enseignement supérieur se distingue-t-il de celui de l’enseignement secondaire ? Si le recours aux manuels est une évidence pédagogique dans le primaire et le secondaire (où leur distribution est obligatoire et/ou leur acquisition exigée des élèves), ce n’est pas le cas dans le supérieur, où leur achat ne peut être que recommandé. En effet, le manuel n’y est généralement pas tant un support du professeur pour la réalisation de son cours (en tout cas pas pendant le cours magistral) qu’un prolongement du cours sur lequel l’étudiant devrait s’appuyer a posteriori pour compléter ses notes, préparer ses travaux dirigés et ses examens. D’où l’attention portée par les auteurs et par les éditeurs à la manière dont le manuel sera lu, et l’élaboration de véritables protocoles de lecture en fonction de l’usage qui doit/devrait en être fait : mise en forme du texte principal, taille variable des caractères, notes de bas de pages, index, supplément bibliographique (comme en atteste la rubrique Pour aller plus loin de la collection « Droit fondamental » des PUF).
Si le livre scolaire est conditionné par l’élaboration de programmes, qu’en est-il des manuels de l’enseignement supérieur, autour desquels n’existe aucun débat, comme s’ils étaient libres par principe ? La liberté de l’enseignant du supérieur le dégage-t-elle de toute pression dans l’écriture des manuels ? Il faut évidemment rappeler que cette liberté est relativement récente (au xixe siècle, les cahiers de cours des professeurs étaient envoyés au ministère de l’Instruction publique) et l’exemple des manuels de français dans la Russie soviétique montre que cette situation n’est pas générale (contribution de Nataliya Yatsenko).
La plupart des professeurs revendiquent en outre la neutralité axiologique comme base de leur approche scientifique, valable aussi bien dans leurs cours que dans leurs écrits. Les recherches de Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron ont toutefois mis au jour les inégalités sociales cachées derrières les formes apparemment neutres de la transmission du savoir universitaire ; de sorte que l’argument de la neutralité masquant les valeurs dont les manuels sont porteurs (et dont ils favorisent l’actualisation) a trop longtemps couvert le lien qui devait pourtant être fait entre l’arrivée de nouveaux publics dans les universités, non dotés du capital culturel, et la question de l’inégalité des chances (voir infra sur l’adaptation des manuels à ces nouveaux publics). Pour les manuels de droit, la prétendue neutralité de l’approche du droit a néanmoins fait l’objet d’une remise en cause très sévère par les membres du Courant critique du droit dans les années 1970 (Kalunszunski, 2010) : les manuels, produits dans le cadre de facultés refusant l’esprit pluridisciplinaire associé au mouvement de 1968, étaient accusés de présenter un droit technicien, peu ancré dans la réalité sociale… ce qui serait, en soi, un choix idéologique. L’exposition du droit dans les manuels présentait en effet aux étudiants juristes un monde artificiellement unifié autour d’un droit apolitique, occultant le jeu complexe des forces (sociales, politiques, économiques) auxquelles est soumise toute règle de droit. Au contraire de l’analyse purement descriptive diffusée dans les manuels au service d’un enseignement dogmatique, les membres du Courant critique plaidaient donc pour une restitution du juridique dans son contexte social et politique. Le projet, autant pédagogique que scientifique, était clair : puisqu’en présentant le droit, tout manuel le représente (en informant du droit, il informe le droit), le manuel était autant conçu en termes de reproduction (pour le critiquer dans ses aspects normatifs) qu’en termes d’émancipation (peser, par la pédagogie, sur la production future du droit) ; de 1976 à 1987, une série de contre-manuels fut donc publiée par les éditions Maspero, éditeur non spécialisé en droit, en association avec les Presses universitaires de Grenoble et les Presses universitaires de Lyon. Si cette expérience critique représente sans doute une exception dans le rapport que les disciplines juridiques entretiennent aux manuels (et plus généralement aux controverses, sur lesquelles elles se font généralement plutôt discrètes), force est évidemment d’admettre que d’autres disciplines des sciences humaines assument au contraire un certain pluralisme interprétatif ; ainsi, la sociologie ou l’économie, dans la large place qu’elles accordent à l’histoire de leur discipline, ne font pas l’impasse sur les controverses (épistémologiques, méthodologiques, politiques) qui les ont agitées. De sorte que si les manuels y font valoir la part de débats qui agitent ces disciplines et les constituent, on aurait là un critère de distinction avec les manuels des sciences dures, dont le discours articule des états de fait.
Bonnes lectures.