J.-M. Jancovici
DIVERS
+ DE 2 ANS
Le 23/06/2020 à 18h39
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Question d'origine :
Quels sont les solutions écologiques de J.-M. Jancovici ?
Peut-on être écologistes et pronucléaire ?
Réponse du Guichet
gds_et
- Département : Équipe du Guichet du Savoir
Le 24/06/2020 à 13h39
Bonjour,
Il vous suffira d’explorer le site internet de Jean-Marc Jancovici pour vous faire une idée des solutions qu’il propose, et de son point de vue sur l’énergie nucléaire.
Voici par exemple le début d’un billet où il présente sa vision d’un monde qui serait « énergétiquement vertueux » :
« Il est de fait que la consommation d’énergie que connaît le monde actuellement – et plus encore celle qu’il s’apprête à connaître si nous prolongeons les tendances – est excessive si nous entendons que notre monde soit « durable ». Cette assertion se base notamment sur un triple constat, désormais bien connu :
• les ressources énergétiques que nous utilisons actuellement sont essentiellement (plus des trois quarts) des ressources fossiles (charbon, pétrole, gaz). Ce sont des énergies de stock (nous nous en servons par ponction sur un stock), et le stock, quoi qu’inconnu avec précision, est limité. A une échéance indéterminée, mais de manière certaine, nous ferons sans.
• ces ressources fossiles contribuent puissamment à l’accroissement de l’effet de serre (lecture conseillée avant ce qui suit), dont les effets sont irréversibles à l’échelle d’une vie humaine. La différence entre ce que nous émettons actuellement et ce qu’il faudrait émettre pour stabiliser les concentrations n’est pas mince !
• Le mode de vie des sociétés « en développement » et le nôtre étant destiné à converger, par suite de la circulation rapide de l’information (je suis de ceux qui pensent que, en laissant les choses se faire d’elles mêmes, la société de l’information renforce la société de consommation), il n’est pas possible qu’il converge vers un niveau de consommation qui est le nôtre actuellement : appliquer à 9 milliards d’individus mon style de vie ou le vôtre ne permet pas de « tenir dans la boîte » (quelques calculs peuvent se trouver ici)
Un monde « énergétiquement vertueux » serait donc un monde compatible avec l’idée du développement durable (encore que d’aucuns feront remarquer, non sans raison, que le développement est, par essence, non durable, et qu’il vaudrait mieux parler de « sous-développement acceptable » !). Nous devrions en particulier éviter :
• de créer ou accroître une dépendance peu réversible à court terme envers une énergie de stock (les énergies fossiles en font partie), un tel système débouchant inéluctablement sur la pénurie,
• de laisser aux générations futures (à commencer par nos enfants et petits enfants) plus de déchets (de toute nature, le CO2 en faisant partie) à gérer qu’ils n’en sont capables sans dommages ou diminution forte de leur qualité de vie par rapport à la nôtre.
En partant de ce postulat, à quoi ressemblerait très concrètement une société énergétiquement vertueuse ?
Dans le cadre d’une tentative, nécessairement modeste, de clarification (ou plutôt de débroussaillage à la serpe) du débat, j’ai essayé de lister ci-dessous quelques implications que cela engendrerait pour notre vie au quotidien, pour l’économie et pour l’individu lambda.
Ce qui suit n’est pas destiné à être un « vade-mecum » pour dictateur écologiste mais juste ce qui constituerait quelques conséquences plus ou moins logiques d’un choix de « vertu énergétique ». Ce choix n’est bien entendu pas « obligatoire » (sinon ce n’est plus un choix).
A quelles énergies « avons-nous droit » dans une société énergétiquement vertueuse ?
Nous n’avons probablement pas droit au niveau actuel de consommation énergétique.
On ne produit pas d’énergie sans produire de déchets ou d’effets indésirables : il n’existe de ce fait aucune source d’énergie qui soit totalement propre. […]
D’aucuns trouveront curieux, probablement, que je ne qualifie pas l’énergie nucléaire comme très dangereuse. Mais une analyse objective des chiffres montre que c’est pour le moment une des formes les plus propres qui soit de production d’électricité concentrée :
• le nucléaire français produit 80% de notre électricité et engendre 110 m3 de déchets de haute activité par an (soit un carré de 10 m de côté et de 1 m d’épaisseur, ou encore le volume de 10 voitures). Par comparaison :
o l’industrie française produit environ 10 millions de m3 de déchets toxiques par an, soit 10.000 fois plus (chaque Français est indirectement responsable de 3 tonnes de déchets industriels par an, environ),
o la même électricité faite au charbon – sans parler des émissions de gaz à effet de serre – engendrerait de l’ordre de 20 à 30 millions de m3 de cendres, soit 20.000 fois plus, cendres qui sont aussi toxiques (elles contiennent des tas de résidus dangereux) et dont le lessivage par la pluie, par exemple, conduit à des pollutions de nappes phréatiques.
• le nucléaire civil a tué quelques centaines de personnes (Tchernobyl compris) dans toute son histoire (Les Nations Unies en mentionnent 35 ; Nations Unies/APELL). En comparaison :
o Les mines chinoises de charbon tuent probablement quelques milliers de personnes par an (l’ordre de grandeur m’a été confirmé par des charbonniers, mais le chiffre exact est très difficile à obtenir), et les mines ukrainiennes quelques centaines.
o Conduire en voiture tue près de 100.000 personnes par an dans les pays de l’OCDE (soit un peu moins de 300 par jour) sans compter la pollution, que l’on soupçonne d’en tuer deux fois plus (Rapport au Conseil de l’Europe de M. Tiuri)
o 30.000 américains meurent chaque année à cause des armes à feu ;
o il mourrait le même nombre de personnes à cause des centrales à charbon dans ce même pays (à cause de la pollution aux particules fines notamment),
o enfin plus d’un million de personnes meurent chaque année à cause de l’alcool et du tabac dans les pays développés (6 millions dans le monde), sans mentionner l’obésité qui se présente comme un bon challenger….
• Les dégâts constatés du nucléaire civil ne sont donc pas significatifs dans l’ensemble des nuisances que nous nous infligeons et la focalisation des médias sur cette forme de production d’électricité n’est pas représentative de ses inconvénients réels. Faut-il y voir un amalgame avec le nucléaire militaire, dont les avantages sont par contre nettement plus discutables ?
Sur la base des chiffres les inconvénients du nucléaire sont finalement très peu gênants à leur niveau actuel, et force est de constater qu’il y a un décalage important entre les risques réels et les risques perçus sur cette technologie.
Cela étant, généraliser à l’ensemble de la planète le niveau de consommation énergétique qui est le nôtre conduirait à une multiplication de la consommation d’énergie par 4, ce qui, même avec les sources les moins sales possibles, poserait probablement problème, comme on le verra ci-dessous.
Dans une société énergétiquement vertueuse, nous n’avons plus droit aux ressources fossiles
Elles sont responsables de 65% de la contribution humaine à l’accroissement de l’effet de serre, phénomène qui aura des conséquences irréversibles à l’échelle d’une vie humaine, et potentiellement dévastatrices,
Elles sont limitées : dans un monde restant fortement dépendant de cette source d’énergie, l’accès aux ressources ultimes engendrera des foires d’empoigne dont on ne peut écarter qu’elles débouchent sur des conflits armés, y compris entre pays riches, ou des liens de dépendance s’assimilant à une forme d’esclavage (également y compris entre pays riches).
Il faut savoir que la prolongation tendancielle de la consommation actuelle (mondiale) de combustibles fossiles (en conservant une croissance de quelques % de la consommation chaque année) nous conduit à consommer toutes les réserves connues en 50 ans (et une partie des réserves additionnelles supposées), avec donc des tensions qui apparaîtront bien avant.
Ce raisonnement est valable quelle que soit l’énergie fossile, et s’applique donc aussi au gaz.
Nous avons droit au solaire
• il est peu probable que l’on perturbe gravement le système climatique avec une production significative d’énergie solaire : la Terre reçoit chaque jour du soleil 20 fois la consommation énergétique annuelle de l’humanité toute entière (le pourcentage de ce que nous utiliserions en étant 100% solaire serait donc de l’ordre de 0,01% de l’énergie reçue). En outre, quasiment toute l’énergie solaire qui parvient au sol est naturellement transformée en chaleur (la seule exception est la photosynthèse : une fraction de % de l’énergie reçue par la végétation), et l’utiliser pour chauffer des maisons ne perturberait pas significativement les cycles naturels, pas plus que de convertir l’énergie solaire en électricité – qui finit aussi par devenir de la chaleur (et la perturbation serait bien inférieure à celle engendrée par les émissions de gaz à effet de serre : il y a deux à trois ordres de grandeur de différence entre les deux !),
• La source est renouvelable à l’infini (elle durera plus longtemps que notre civilisation : encore quelques milliards d’années pour le soleil ; je ne parierais pas mes petites économies que l’espèce humaine survivra sur cette durée !).
• A part pour la fabrication et la fin de vie des capteurs (panneaux photovoltaïques ou chauffe-eau solaires), qui peut quand même représenter une pollution non négligeable pour le photovoltaïque, le fonctionnement des dispositifs de conversion n’émet quasiment aucun déchet solide, liquide ou gazeux (et pas de bruit non plus),
• Les surfaces requises pour disposer d’un appoint significatif sont compatibles avec les surfaces disponibles, même en cas de report d’une partie de la consommation d’hydrocarbures sur de l’électricité (véhicules électriques par exemple) qui engendrerait une augmentation de la consommation globale d’électricité « toutes choses égales par ailleurs ». Par contre des avancées technologiques – en vue – sont encore nécessaires avant que les rendements nets (c’est à dire l’énergie produite par un panneau sur sa durée de vie moins l’énergie consommée par la fabrication du même panneau) soient bons.
• Cette forme d’énergie permettrait aux pays du tiers monde, qui disposent de zones généralement mieux insolées que chez nous, de disposer d’une puissance par habitant très significative – et donc de se « développer » – en émettant peu de CO2.
Nous avons un peu droit à l’hydraulique
• La source est renouvelable à l’infini, puisqu’il s’agit d’un dérivé de l’énergie solaire,
• Le fonctionnement normal n’émet quasiment aucun déchet (solide, liquide ou gazeux), et pas de bruit,
• Une certaine forme de production décentralisée est possible par le biais de micro-centrales (mais le potentiel est limité),
• Par contre cela requiert des infrastructures lourdes (les barrages) dont l’implantation est traumatisante pour l’environnement (inondation de fonds de vallées, déplacement de populations, impact sur les populations piscicoles, etc), et qui peuvent causer des accidents graves (quelques ruptures de barrage ont provoqué plus de 2000 morts),
• le nombre de sites éligibles n’est pas infini.
• Si en outre ces barrages servent à l’irrigation cela peut conduire à des impacts écologiques locaux très forts (cas de la Mer d’Aral qui a vu sa taille divisée par 2 à la suite des prélèvements pour l’irrigation) mais cela est une conséquence de la gestion des ressources en eau, non de la seule politique énergétique.
Nous avons droit à la biomasse, mais pas dans n’importe quelles conditions
• La source est renouvelable à l’infini, puisqu’il s’agit aussi d’une certaine manière d’un dérivé de l’énergie solaire, mais à condition de replanter. Si elle représente actuellement entre 10 et 15% de l’approvisionnement énergétique mondial, la biomasse n’est pas, aujourd’hui, dans la majeure partie des cas, une énergie renouvelable : elle correspond à l’usage comme bois de feu des arbres issus de parcelles défrichée pour l’agriculture. S’il n’est pas replanté, le bois conduit aussi à des émissions massives de CO2 ! […]
• Certaines filières, notamment l’obtention de carburants liquides, nécessitent d’importantes surfaces agricoles, ce qui ne permet pas d’espérer un approvisionnement significatif au regard de notre consommation actuelle d’hydrocarbures, et en outre le bilan et de certains biocarburants est négatif sur les émissions de gaz à effet de serre (soit ils demandent des consommations intermédiaires d’énergie qui sont supérieures à l’énergie restituée par le biocarburant, soit les biocarburants conduisent à des émissions de méthane et de protoxyde d’azote très supérieures à ce qu’elles sont avec les carburants fossile).
• l’utilisation comme bois de chauffe offre des possibilités certaines, même dans un pays comme le nôtre, mais il faut alors moins manger de viande ou se passer de bois d’oeuvre.
• Enfin selon les usages le bilan peut être mauvais pour l’effet de serre : par exemple pour certains carburants d’origine agricole une réduction des émissions de CO2 par rapport aux fossiles peut être concomitante de l’augmentation d’autres gaz à effet de serre (protoxyde d’azote, méthane) dont les pouvoirs radiatifs sont nettement plus importants que ceux du CO2 ; le bilan global est alors plus mauvais que celui des carburants fossiles.
Nous avons droit au nucléaire, au moins dans les sociétés possédant une bonne culture de la discipline collective
• Les réserves d’uranium sont limitées, mais avec la surgénération (soit avec du plutonium, ou mieux avec du thorium), même en supposant que le nucléaire passe de 5% (pourcentage actuel de l’énergie consommée dans le monde d’origine nucléaire) à 100%, nous disposerions de plusieurs milliers d’années de consommation devant nous (l’horizon de visibilité des hydrocarbures est de quelques dizaines d’années, toute considération sur les émissions de CO2 mise à part).
• Les déchets produits sont solides et liquides, et très concentrés, donc confinables, ce qui n’est pas le cas des gaz à effet de serre,
• La quantité de déchets produites par kW, qui n’est déjà pas considérable, peut être diminuée,
• Les occupations d’espace requises ne sont pas colossales, même pour une utilisation durant quelques siècles,
• Le problème de la sécurité est objectivement un faux problème en temps de paix (cf. ci-dessus), au moins dans les pays riches (qui consomment 80% de l’énergie),
• La prolifération (utiliser les technologies nucléaires à des fins militaires) est pour le coup un vrai problème, mais qui a peu à voir avec le nucléaire civil : 80% de l’énergie étant consommée dans les pays riches, qui ont déjà la bombe ou la capacité à l’avoir, le fait que ces pays augmentent leur parc de centrales (USA, Japon et Allemagne en tête) n’a (hélas !) plus aucune incidence sur la prolifération nucléaire. En outre un certain nombre de pays « pauvres », dont les 2 premiers en termes de population (la Chine et l’Inde) ont déjà la bombe, donc la prolifération pour ce qui les concerne est un problème tranché (on peut le déplorer, et du reste je déplore qu’une arme aussi terrible soit devenue aussi répandue, mais c’est ainsi, et l’on ne refera pas l’histoire ; renoncer au nucléaire civil avec l’espoir que du coup tout le monde renoncera aussi au nucléaire militaire me parait être une illusion).
• Par contre le nucléaire civil pose quand même quelques problèmes :
o avec les technologies actuelles (utilisant des noyaux fissiles) l’horizon de ressources n’est que de quelques centaines d’années pour une contribution de 5 à 10% au bilan énergétique mondial (en supposant que la consommation mondiale n’augmente pas),
o il requiert une société stable et disposant d’un minimum de moyens (Tchernobyl est plus un accident soviétique qu’un accident purement technologique), car il requiert une surveillance constante des centrales et des déchets, ce qui est un inconvénient dans les pays qui n’ont pas de culture forte de la sécurité (mais ces pays peuvent, si le monde occidental – où cette discipline existe – se nucléarise fortement à court terme, utiliser le gaz),
o on peut se demander si, en cas de conflit armé, il ne serait pas tentant pour un ennemi de bombarder les centrales pour désorganiser le pays et le priver des approvisionnements en électricité (comme ce que les Américains ont fait en Serbie, de manière plus « soft », mais tous nos ennemis futurs ne seront peut-être pas aussi prévenants), avec des effets induits potentiellement très graves (une parade pouvant être d’enterrer les centrales).
o enfin une centrale nucléaire a besoin d’eau pour fonctionner (pour le refroidissement). Si le changement climatique en cours venait à assécher de manière fréquente les cours d’eau utilisés par les centrales, cela les empêcherait de fonctionner. NB : ceci a été écrit en 2001, pas en septembre 2003 !
Nous avons un peu droit à l’éolien, mais il ne faut pas en attendre de miracles
• A part pour la fabrication des éoliennes le fonctionnement n’émet quasiment aucun déchet dont la dissémination pose problème,
• L’emprise au sol est en fait assez faible : le rotor se situe en altitude et n’empêche pas d’utiliser l’espace au sol pour autre chose (cultures notamment, mais aussi voies de communication…),
• A titre d’exemple le potentiel récupérable est estimé, en France, à 50 TWh par an (1 TWh = 1 milliards de kWh ; la France en consomme 450 environ), soit 10% de notre production électrique actuelle (ou 2% de notre consommation actuelle d’énergie finale), mais au prix d’une consommation d’espace importante si l’on souhaite passer à un stade industriel,
• Enfin l’éolien ne peut s’envisager de manière autonome, car il faut prévoir un dispositif de remplacement pour les jours sans vent. De fait ce dispositif ne peut être que de l’hydroélectricité, ou des centrales thermiques à flamme (voir pourquoi sur le bas de la page détaillée sur l’éolien).
L’énergie éolienne est probablement moins intéressante que le solaire pour les raisons suivantes :
• elle partage avec le solaire le caractère intermittent de la production d’électricité, qu’il faut donc stocker si la contribution devient significative, mais ne permet pas, comme le solaire, une production directe de chaleur, dont le rendement est plus élevé que la production d’électricité,
• elle cause plus de dommages au paysage,
• elle requiert encore des infrastructures de transport (lignes moyennes tension), ce qui est un point de vulnérabilité du système par rapport au solaire qui n’en nécessite pas, du moins pas pour la production individuelle.
Enfin notons que le prix au kW retenu actuellement n’internalise :
• ni les dommages au paysage (ni….le temps et l’énergie dépensés pour se battre contre les opposants pour ces raisons d’atteinte !)
• ni les dispositifs de stockage ou les moyens de production complémentaire (alors que pour le solaire on prend en compte les coûts de stockage pour l’électrification des sites isolés). »
Vous trouverez également sur la page Wikipedia qui lui est consacrée une synthèse des idées qu’il défend, ainsi que de nombreuses références pour aller plus loin.
Bonne journée.
Il vous suffira d’explorer le site internet de Jean-Marc Jancovici pour vous faire une idée des solutions qu’il propose, et de son point de vue sur l’énergie nucléaire.
Voici par exemple le début d’un billet où il présente sa vision d’un monde qui serait « énergétiquement vertueux » :
« Il est de fait que la consommation d’énergie que connaît le monde actuellement – et plus encore celle qu’il s’apprête à connaître si nous prolongeons les tendances – est excessive si nous entendons que notre monde soit « durable ». Cette assertion se base notamment sur un triple constat, désormais bien connu :
• les ressources énergétiques que nous utilisons actuellement sont essentiellement (plus des trois quarts) des ressources fossiles (charbon, pétrole, gaz). Ce sont des énergies de stock (nous nous en servons par ponction sur un stock), et le stock, quoi qu’inconnu avec précision, est limité. A une échéance indéterminée, mais de manière certaine, nous ferons sans.
• ces ressources fossiles contribuent puissamment à l’accroissement de l’effet de serre (lecture conseillée avant ce qui suit), dont les effets sont irréversibles à l’échelle d’une vie humaine. La différence entre ce que nous émettons actuellement et ce qu’il faudrait émettre pour stabiliser les concentrations n’est pas mince !
• Le mode de vie des sociétés « en développement » et le nôtre étant destiné à converger, par suite de la circulation rapide de l’information (je suis de ceux qui pensent que, en laissant les choses se faire d’elles mêmes, la société de l’information renforce la société de consommation), il n’est pas possible qu’il converge vers un niveau de consommation qui est le nôtre actuellement : appliquer à 9 milliards d’individus mon style de vie ou le vôtre ne permet pas de « tenir dans la boîte » (quelques calculs peuvent se trouver ici)
Un monde « énergétiquement vertueux » serait donc un monde compatible avec l’idée du développement durable (encore que d’aucuns feront remarquer, non sans raison, que le développement est, par essence, non durable, et qu’il vaudrait mieux parler de « sous-développement acceptable » !). Nous devrions en particulier éviter :
• de créer ou accroître une dépendance peu réversible à court terme envers une énergie de stock (les énergies fossiles en font partie), un tel système débouchant inéluctablement sur la pénurie,
• de laisser aux générations futures (à commencer par nos enfants et petits enfants) plus de déchets (de toute nature, le CO2 en faisant partie) à gérer qu’ils n’en sont capables sans dommages ou diminution forte de leur qualité de vie par rapport à la nôtre.
En partant de ce postulat, à quoi ressemblerait très concrètement une société énergétiquement vertueuse ?
Dans le cadre d’une tentative, nécessairement modeste, de clarification (ou plutôt de débroussaillage à la serpe) du débat, j’ai essayé de lister ci-dessous quelques implications que cela engendrerait pour notre vie au quotidien, pour l’économie et pour l’individu lambda.
Ce qui suit n’est pas destiné à être un « vade-mecum » pour dictateur écologiste mais juste ce qui constituerait quelques conséquences plus ou moins logiques d’un choix de « vertu énergétique ». Ce choix n’est bien entendu pas « obligatoire » (sinon ce n’est plus un choix).
Nous n’avons probablement pas droit au niveau actuel de consommation énergétique.
On ne produit pas d’énergie sans produire de déchets ou d’effets indésirables : il n’existe de ce fait aucune source d’énergie qui soit totalement propre. […]
D’aucuns trouveront curieux, probablement, que je ne qualifie pas l’énergie nucléaire comme très dangereuse. Mais une analyse objective des chiffres montre que c’est pour le moment une des formes les plus propres qui soit de production d’électricité concentrée :
• le nucléaire français produit 80% de notre électricité et engendre 110 m3 de déchets de haute activité par an (soit un carré de 10 m de côté et de 1 m d’épaisseur, ou encore le volume de 10 voitures). Par comparaison :
o l’industrie française produit environ 10 millions de m3 de déchets toxiques par an, soit 10.000 fois plus (chaque Français est indirectement responsable de 3 tonnes de déchets industriels par an, environ),
o la même électricité faite au charbon – sans parler des émissions de gaz à effet de serre – engendrerait de l’ordre de 20 à 30 millions de m3 de cendres, soit 20.000 fois plus, cendres qui sont aussi toxiques (elles contiennent des tas de résidus dangereux) et dont le lessivage par la pluie, par exemple, conduit à des pollutions de nappes phréatiques.
• le nucléaire civil a tué quelques centaines de personnes (Tchernobyl compris) dans toute son histoire (Les Nations Unies en mentionnent 35 ; Nations Unies/APELL). En comparaison :
o Les mines chinoises de charbon tuent probablement quelques milliers de personnes par an (l’ordre de grandeur m’a été confirmé par des charbonniers, mais le chiffre exact est très difficile à obtenir), et les mines ukrainiennes quelques centaines.
o Conduire en voiture tue près de 100.000 personnes par an dans les pays de l’OCDE (soit un peu moins de 300 par jour) sans compter la pollution, que l’on soupçonne d’en tuer deux fois plus (Rapport au Conseil de l’Europe de M. Tiuri)
o 30.000 américains meurent chaque année à cause des armes à feu ;
o il mourrait le même nombre de personnes à cause des centrales à charbon dans ce même pays (à cause de la pollution aux particules fines notamment),
o enfin plus d’un million de personnes meurent chaque année à cause de l’alcool et du tabac dans les pays développés (6 millions dans le monde), sans mentionner l’obésité qui se présente comme un bon challenger….
• Les dégâts constatés du nucléaire civil ne sont donc pas significatifs dans l’ensemble des nuisances que nous nous infligeons et la focalisation des médias sur cette forme de production d’électricité n’est pas représentative de ses inconvénients réels. Faut-il y voir un amalgame avec le nucléaire militaire, dont les avantages sont par contre nettement plus discutables ?
Sur la base des chiffres les inconvénients du nucléaire sont finalement très peu gênants à leur niveau actuel, et force est de constater qu’il y a un décalage important entre les risques réels et les risques perçus sur cette technologie.
Cela étant, généraliser à l’ensemble de la planète le niveau de consommation énergétique qui est le nôtre conduirait à une multiplication de la consommation d’énergie par 4, ce qui, même avec les sources les moins sales possibles, poserait probablement problème, comme on le verra ci-dessous.
Elles sont responsables de 65% de la contribution humaine à l’accroissement de l’effet de serre, phénomène qui aura des conséquences irréversibles à l’échelle d’une vie humaine, et potentiellement dévastatrices,
Elles sont limitées : dans un monde restant fortement dépendant de cette source d’énergie, l’accès aux ressources ultimes engendrera des foires d’empoigne dont on ne peut écarter qu’elles débouchent sur des conflits armés, y compris entre pays riches, ou des liens de dépendance s’assimilant à une forme d’esclavage (également y compris entre pays riches).
Il faut savoir que la prolongation tendancielle de la consommation actuelle (mondiale) de combustibles fossiles (en conservant une croissance de quelques % de la consommation chaque année) nous conduit à consommer toutes les réserves connues en 50 ans (et une partie des réserves additionnelles supposées), avec donc des tensions qui apparaîtront bien avant.
Ce raisonnement est valable quelle que soit l’énergie fossile, et s’applique donc aussi au gaz.
• il est peu probable que l’on perturbe gravement le système climatique avec une production significative d’énergie solaire : la Terre reçoit chaque jour du soleil 20 fois la consommation énergétique annuelle de l’humanité toute entière (le pourcentage de ce que nous utiliserions en étant 100% solaire serait donc de l’ordre de 0,01% de l’énergie reçue). En outre, quasiment toute l’énergie solaire qui parvient au sol est naturellement transformée en chaleur (la seule exception est la photosynthèse : une fraction de % de l’énergie reçue par la végétation), et l’utiliser pour chauffer des maisons ne perturberait pas significativement les cycles naturels, pas plus que de convertir l’énergie solaire en électricité – qui finit aussi par devenir de la chaleur (et la perturbation serait bien inférieure à celle engendrée par les émissions de gaz à effet de serre : il y a deux à trois ordres de grandeur de différence entre les deux !),
• La source est renouvelable à l’infini (elle durera plus longtemps que notre civilisation : encore quelques milliards d’années pour le soleil ; je ne parierais pas mes petites économies que l’espèce humaine survivra sur cette durée !).
• A part pour la fabrication et la fin de vie des capteurs (panneaux photovoltaïques ou chauffe-eau solaires), qui peut quand même représenter une pollution non négligeable pour le photovoltaïque, le fonctionnement des dispositifs de conversion n’émet quasiment aucun déchet solide, liquide ou gazeux (et pas de bruit non plus),
• Les surfaces requises pour disposer d’un appoint significatif sont compatibles avec les surfaces disponibles, même en cas de report d’une partie de la consommation d’hydrocarbures sur de l’électricité (véhicules électriques par exemple) qui engendrerait une augmentation de la consommation globale d’électricité « toutes choses égales par ailleurs ». Par contre des avancées technologiques – en vue – sont encore nécessaires avant que les rendements nets (c’est à dire l’énergie produite par un panneau sur sa durée de vie moins l’énergie consommée par la fabrication du même panneau) soient bons.
• Cette forme d’énergie permettrait aux pays du tiers monde, qui disposent de zones généralement mieux insolées que chez nous, de disposer d’une puissance par habitant très significative – et donc de se « développer » – en émettant peu de CO2.
• La source est renouvelable à l’infini, puisqu’il s’agit d’un dérivé de l’énergie solaire,
• Le fonctionnement normal n’émet quasiment aucun déchet (solide, liquide ou gazeux), et pas de bruit,
• Une certaine forme de production décentralisée est possible par le biais de micro-centrales (mais le potentiel est limité),
• Par contre cela requiert des infrastructures lourdes (les barrages) dont l’implantation est traumatisante pour l’environnement (inondation de fonds de vallées, déplacement de populations, impact sur les populations piscicoles, etc), et qui peuvent causer des accidents graves (quelques ruptures de barrage ont provoqué plus de 2000 morts),
• le nombre de sites éligibles n’est pas infini.
• Si en outre ces barrages servent à l’irrigation cela peut conduire à des impacts écologiques locaux très forts (cas de la Mer d’Aral qui a vu sa taille divisée par 2 à la suite des prélèvements pour l’irrigation) mais cela est une conséquence de la gestion des ressources en eau, non de la seule politique énergétique.
• La source est renouvelable à l’infini, puisqu’il s’agit aussi d’une certaine manière d’un dérivé de l’énergie solaire, mais à condition de replanter. Si elle représente actuellement entre 10 et 15% de l’approvisionnement énergétique mondial, la biomasse n’est pas, aujourd’hui, dans la majeure partie des cas, une énergie renouvelable : elle correspond à l’usage comme bois de feu des arbres issus de parcelles défrichée pour l’agriculture. S’il n’est pas replanté, le bois conduit aussi à des émissions massives de CO2 ! […]
• Certaines filières, notamment l’obtention de carburants liquides, nécessitent d’importantes surfaces agricoles, ce qui ne permet pas d’espérer un approvisionnement significatif au regard de notre consommation actuelle d’hydrocarbures, et en outre le bilan et de certains biocarburants est négatif sur les émissions de gaz à effet de serre (soit ils demandent des consommations intermédiaires d’énergie qui sont supérieures à l’énergie restituée par le biocarburant, soit les biocarburants conduisent à des émissions de méthane et de protoxyde d’azote très supérieures à ce qu’elles sont avec les carburants fossile).
• l’utilisation comme bois de chauffe offre des possibilités certaines, même dans un pays comme le nôtre, mais il faut alors moins manger de viande ou se passer de bois d’oeuvre.
• Enfin selon les usages le bilan peut être mauvais pour l’effet de serre : par exemple pour certains carburants d’origine agricole une réduction des émissions de CO2 par rapport aux fossiles peut être concomitante de l’augmentation d’autres gaz à effet de serre (protoxyde d’azote, méthane) dont les pouvoirs radiatifs sont nettement plus importants que ceux du CO2 ; le bilan global est alors plus mauvais que celui des carburants fossiles.
• Les réserves d’uranium sont limitées, mais avec la surgénération (soit avec du plutonium, ou mieux avec du thorium), même en supposant que le nucléaire passe de 5% (pourcentage actuel de l’énergie consommée dans le monde d’origine nucléaire) à 100%, nous disposerions de plusieurs milliers d’années de consommation devant nous (l’horizon de visibilité des hydrocarbures est de quelques dizaines d’années, toute considération sur les émissions de CO2 mise à part).
• Les déchets produits sont solides et liquides, et très concentrés, donc confinables, ce qui n’est pas le cas des gaz à effet de serre,
• La quantité de déchets produites par kW, qui n’est déjà pas considérable, peut être diminuée,
• Les occupations d’espace requises ne sont pas colossales, même pour une utilisation durant quelques siècles,
• Le problème de la sécurité est objectivement un faux problème en temps de paix (cf. ci-dessus), au moins dans les pays riches (qui consomment 80% de l’énergie),
• La prolifération (utiliser les technologies nucléaires à des fins militaires) est pour le coup un vrai problème, mais qui a peu à voir avec le nucléaire civil : 80% de l’énergie étant consommée dans les pays riches, qui ont déjà la bombe ou la capacité à l’avoir, le fait que ces pays augmentent leur parc de centrales (USA, Japon et Allemagne en tête) n’a (hélas !) plus aucune incidence sur la prolifération nucléaire. En outre un certain nombre de pays « pauvres », dont les 2 premiers en termes de population (la Chine et l’Inde) ont déjà la bombe, donc la prolifération pour ce qui les concerne est un problème tranché (on peut le déplorer, et du reste je déplore qu’une arme aussi terrible soit devenue aussi répandue, mais c’est ainsi, et l’on ne refera pas l’histoire ; renoncer au nucléaire civil avec l’espoir que du coup tout le monde renoncera aussi au nucléaire militaire me parait être une illusion).
• Par contre le nucléaire civil pose quand même quelques problèmes :
o avec les technologies actuelles (utilisant des noyaux fissiles) l’horizon de ressources n’est que de quelques centaines d’années pour une contribution de 5 à 10% au bilan énergétique mondial (en supposant que la consommation mondiale n’augmente pas),
o il requiert une société stable et disposant d’un minimum de moyens (Tchernobyl est plus un accident soviétique qu’un accident purement technologique), car il requiert une surveillance constante des centrales et des déchets, ce qui est un inconvénient dans les pays qui n’ont pas de culture forte de la sécurité (mais ces pays peuvent, si le monde occidental – où cette discipline existe – se nucléarise fortement à court terme, utiliser le gaz),
o on peut se demander si, en cas de conflit armé, il ne serait pas tentant pour un ennemi de bombarder les centrales pour désorganiser le pays et le priver des approvisionnements en électricité (comme ce que les Américains ont fait en Serbie, de manière plus « soft », mais tous nos ennemis futurs ne seront peut-être pas aussi prévenants), avec des effets induits potentiellement très graves (une parade pouvant être d’enterrer les centrales).
o enfin une centrale nucléaire a besoin d’eau pour fonctionner (pour le refroidissement). Si le changement climatique en cours venait à assécher de manière fréquente les cours d’eau utilisés par les centrales, cela les empêcherait de fonctionner. NB : ceci a été écrit en 2001, pas en septembre 2003 !
• A part pour la fabrication des éoliennes le fonctionnement n’émet quasiment aucun déchet dont la dissémination pose problème,
• L’emprise au sol est en fait assez faible : le rotor se situe en altitude et n’empêche pas d’utiliser l’espace au sol pour autre chose (cultures notamment, mais aussi voies de communication…),
• A titre d’exemple le potentiel récupérable est estimé, en France, à 50 TWh par an (1 TWh = 1 milliards de kWh ; la France en consomme 450 environ), soit 10% de notre production électrique actuelle (ou 2% de notre consommation actuelle d’énergie finale), mais au prix d’une consommation d’espace importante si l’on souhaite passer à un stade industriel,
• Enfin l’éolien ne peut s’envisager de manière autonome, car il faut prévoir un dispositif de remplacement pour les jours sans vent. De fait ce dispositif ne peut être que de l’hydroélectricité, ou des centrales thermiques à flamme (voir pourquoi sur le bas de la page détaillée sur l’éolien).
L’énergie éolienne est probablement moins intéressante que le solaire pour les raisons suivantes :
• elle partage avec le solaire le caractère intermittent de la production d’électricité, qu’il faut donc stocker si la contribution devient significative, mais ne permet pas, comme le solaire, une production directe de chaleur, dont le rendement est plus élevé que la production d’électricité,
• elle cause plus de dommages au paysage,
• elle requiert encore des infrastructures de transport (lignes moyennes tension), ce qui est un point de vulnérabilité du système par rapport au solaire qui n’en nécessite pas, du moins pas pour la production individuelle.
Enfin notons que le prix au kW retenu actuellement n’internalise :
• ni les dommages au paysage (ni….le temps et l’énergie dépensés pour se battre contre les opposants pour ces raisons d’atteinte !)
• ni les dispositifs de stockage ou les moyens de production complémentaire (alors que pour le solaire on prend en compte les coûts de stockage pour l’électrification des sites isolés). »
Vous trouverez également sur la page Wikipedia qui lui est consacrée une synthèse des idées qu’il défend, ainsi que de nombreuses références pour aller plus loin.
Bonne journée.
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