Question d'origine :
Bonjour,
Où un défunt était-il le plus souvent enterré quand il n'était pas inhumé dans la ville même de son décès ? Avait-il l'habitude de l'être dans sa commune,village de naissance ?
Merci infiniment pour votre aide
Réponse du Guichet
gds_alc
- Département : Equipe du Guichet du Savoir
Le 21/05/2019 à 14h25
Bonjour,
Répondre à votre question n’est pas chose aisée car si de nombreuses études portent sur les rites funéraires et prennent en compte leur évolution au cours des siècles, celles que nous avons consultées n’abordent jamais l’inhumation dans ce cadre précis. Peut-être trouveriez-vous une réponse dans l’ouvrage Le travail des morts : une histoire culturelle des dépouilles mortelles qui est actuellement emprunté.
Aussi, nous ne pouvons que nous limiter à vous présenter les principales évolutions des rites funéraires au XIXe siècle et avancer l’hypothèse que votre question concerne avant tout une catégorie sociale, celle touchée par l’exode rural.
En effet, comme le relèvent Jean-Claude Farcy et Alain Faure, dans la La mobilité d'une génération de français, c’est au début du Second Empire que commence la « décongestion » des campagnes, avec une première « poussée » significative d’exode rural, touchant particulièrement les couches les plus pauvres du monde rural (journaliers, artisans), victime de la perte d’une partie de leurs ressources .Or les études montrent que les "pauvres" terminaient dans les fosses communes.
Plus largement, sur les pratiques funéraires, notons qu’elles ont connu une profonde mutation à partir du XIXe siècle avec la mise ne place du « culte des morts ». Dans une réponse précédente portant sur le caveau nous indiquions que «Les cimetières tels que nous les connaissons aujourd'hui, à la périphérie des villes, sont donc nés au tournant des XVIIIe et XIXe siècle . L'art funéraire (et notamment les petites chapelles que vous mentionnez, inspirées des églises gothiques médiévales) se développe fin XIXe, avec un changement des mentalités induisant un certain retour à la spiritualité et davantage de considération pour les défunts :
"La relation affective entre le disparu et le survivant est devenue essentielle et le cimetière est alors un lieu de visite complètement intégré dans la vie sociale. Au long du XIXe siècle et pendant la première moitié du XXe siècle, les cimetières ont bénéficié d'une part de terrains vastes et d'autre part de la richesse que la bourgeoisie a pu acquérir grâce à l'industrialisation. Surface disponible, moyens financiers des grands capitaines d'industrie, permanence garantie, tels sont les ingrédients qui vont favoriser la commande de belles tombes et faire, des grands cimetières de villes, de Loyasse en particulier, un cimetière de riches. Partout ailleurs, les familles les plus aisées ont tendance à se regrouper, soit en bordure du mur de clôture, soit dans l'allée principale… »
Par ailleurs, dans l’article , «L'économie morale de la mort au XIXe siècle. Regards croisés sur la France et l'Angleterre, Trompette Pascale et Griffiths Robert Howell indiquent qu’à « la fin du XVIIIe siècle ouvre une période de réorganisation profonde dans les modes de gestion des morts au sein des sociétés occidentales.La croissance de la mortalité dans les grandes métropoles, associée à l’urbanisation et à l’industrialisation, augmente les risques de crises sanitaires et les peurs collectives autour des cimetières et des fosses communes comme foyers d’épidémie, contribuant à faire émerger la question des lieux d’inhumation comme « problème public . Les préoccupations concernant les cimetières, leur localisation, les conditions d’aménagement des sépultures s’intensifient avec la concentration urbaine des classes ouvrières, directement concernées par les enjeux de salubrité publique . Elles sont aussi indissociables des débats politiques et intellectuels sur le traitement de la pauvreté comme « question sociale », le droit d’être enterré dignement constituant un enjeu d’intégration en même temps que de ségrégation. La question des funérailles est ainsi traversée par des transformations culturelles profondes, associées à la montée de classes moyennes porteuses de nouvelles aspirations en matière de consommation et de pratiques culturelles
(…)
Les Recherches statistiques sur la ville de Paris (1826) témoignent de la popularité croissante des concessions, notamment auprès des classes moyennes pour lesquelles la concession temporaire permet de s’extraire du commun des mortels pour se rapprocher de l’idéal aristocratique qu’est la concession perpétuelle »
Par ailleurs, Emmanuel Fureix constate dans «La mort dans la ville que « Le processus décisif d’éloignement géographique des vivants et des morts, attesté en Occident à la fin du XVIIIe siècle, est confirmé par les deux études portant sur Mexico (au début du XIXe siècle surtout) et Beyrouth (vers 1835, sous occupation égyptienne). Pour des raisons qui tiennent à l’insalubrité et aux miasmes putrides dégagés par les cimetières paroissiaux mais aussi à l’affinement des sensibilités à l’odorat, les théories infectionnistes en vogue gagnent du terrain, en Occident et ailleurs, et poussent les administrateurs à l’action. En France, le célèbre arrêt du Parlement de Paris en 1763, commenté par Philippe Ariès, prescrit l’éloignement des cimetières existants hors de la ville. Inappliqué dans un premier temps, il fut confirmé par la Déclaration royale de 1776, et concrétisé par la fermeture des cimetières des Innocents (1780), de Saint-Roch et de Saint-Sulpice (1781).
(…)
Jusqu’au XVIIIe siècle en effet, l’inhumation se faisait en terre consacrée à l’intérieur des églises ou dans les cimetières qui jouxtaient les églises paroissiales et les couvents, auprès de la communauté des vivants
(…)
Les pressions hygiénistes et politiques de la fin du XVIIIe siècle vinrent mettre un terme à ce désordre apparent. En France, après le chaos funéraire laissé par la Révolution, pour ne pas parler des cimetières engorgés de la Terreur, le concours de l’Institut de 1800 sur les funérailles et les lieux de sépultures et surtout le très grand décret organique du 23 prairial an XII (12 juin 1804) définirent avec précision le cadre du cimetière moderne. Ce décret fut le fruit d’une synthèse entre les préoccupations strictement hygiénistes du ministre de l’Intérieur Chaptal et la volonté moralisante de la section de l’Intérieur du Conseil d’État. Hors de l’enceinte des villes, le cimetière du XIXe siècle, clos et aéré, doit désormais séparer les vivants et les morts, mais aussi les morts entre eux. Les sépultures, ne pouvant être ouvertes avant cinq ans, sont désormais séparées et hiérarchisées. Les fosses communes disparaissent au profit de « tranchées gratuites » avec sépultures individuelles temporaires20, éventuellement dotées de signes distinctifs tels que des croix portant le nom du défunt.
(…)
Cette expulsion des sépultures hors de la ville ne rompt pas pour autant le lien commémoratif qui unit les vivants et les morts. À l’âge romantique, la visite au cimetière prestigieux, tel le Père-Lachaise devenu lieu de promenade historique et civique, ne se limite plus à la commémoration des proches, ni même à la méditation morale en forme de memento mori. (…) Reste que cette révolution funéraire ne s’est pas opérée sans résistances, même si ces dernières semblent avoir été plus vives à la campagne qu’en ville. L’exil des morts dans les années 1780 s’est heurté d’abord au sentiment psychologique d’une perte de la communauté des ancêtres. En outre, les conditions nouvelles de transport des corps, sur un char funèbre, heurtaient l’habitude du port à bras du cercueil. L’exhumation des ossements des anciens charniers parut parfois manquer de dignité. Enfin, le clergé paroissial critiquait une sécularisation insidieuse de la mort chrétienne et voyait dans le cimetière hygiéniste extra-muros une invention de « philosophes ». On retrouve après la Révolution ce dernier argument. L’expérience de l’émigration s’est accompagnée, il est vrai, d’une nostalgie de la sépulture ad sanctos, dont on trouve des traces dans le Génie du christianisme
Pour approfondir la question nous vous laissons aussi parcourir :
• Cuchet Guillaume, La communication avec l'au-delà au XIXe siècle. La religion des morts, religion de la sortie du catholicisme ? », Romantisme, 2012/4 (n°158), p. 43-57. DOI : 10.3917/rom.158.0043. URL
• Moreaux Pascal, Quelques aspects de l'histoire funéraire dans la civilisation judéo-chrétienne en France », Études sur la mort, 2004/1 (no 125), p. 9-21.
• Philippe Ariès, l’homme devant la mort : Le temps des gisants.
• et cimetières en France de l'Ancien régime à nos jours] : le territoire des morts / Madeleine Lassère.
• Des réponses du Guichet du Savoir sur soldats blessés et morts pendant la guerre et condamné guillotiné.
Répondre à votre question n’est pas chose aisée car si de nombreuses études portent sur les rites funéraires et prennent en compte leur évolution au cours des siècles, celles que nous avons consultées n’abordent jamais l’inhumation dans ce cadre précis. Peut-être trouveriez-vous une réponse dans l’ouvrage Le travail des morts : une histoire culturelle des dépouilles mortelles qui est actuellement emprunté.
Aussi, nous ne pouvons que nous limiter à vous présenter les principales évolutions des rites funéraires au XIXe siècle et avancer l’hypothèse que votre question concerne avant tout une catégorie sociale, celle touchée par l’exode rural.
En effet, comme le relèvent Jean-Claude Farcy et Alain Faure, dans la La mobilité d'une génération de français, c’est au début du Second Empire que commence la « décongestion » des campagnes, avec une première « poussée » significative d’exode rural, touchant particulièrement les couches les plus pauvres du monde rural (journaliers, artisans), victime de la perte d’une partie de leurs ressources .Or les études montrent que les "pauvres" terminaient dans les fosses communes.
Plus largement, sur les pratiques funéraires, notons qu’elles ont connu une profonde mutation à partir du XIXe siècle avec la mise ne place du « culte des morts ». Dans une réponse précédente portant sur le caveau nous indiquions que «
"La relation affective entre le disparu et le survivant est devenue essentielle et le cimetière est alors un lieu de visite complètement intégré dans la vie sociale. Au long du XIXe siècle et pendant la première moitié du XXe siècle, les cimetières ont bénéficié d'une part de terrains vastes et d'autre part de la richesse que la bourgeoisie a pu acquérir grâce à l'industrialisation. Surface disponible, moyens financiers des grands capitaines d'industrie, permanence garantie, tels sont les ingrédients qui vont favoriser la commande de belles tombes et faire, des grands cimetières de villes, de Loyasse en particulier, un cimetière de riches. Partout ailleurs, les familles les plus aisées ont tendance à se regrouper, soit en bordure du mur de clôture, soit dans l'allée principale… »
Par ailleurs, dans l’article , «L'économie morale de la mort au XIXe siècle. Regards croisés sur la France et l'Angleterre, Trompette Pascale et Griffiths Robert Howell indiquent qu’à « la fin du XVIIIe siècle ouvre une période de réorganisation profonde dans les modes de gestion des morts au sein des sociétés occidentales.
(…)
Les Recherches statistiques sur la ville de Paris (1826) témoignent de la popularité croissante des concessions, notamment auprès des classes moyennes pour lesquelles la concession temporaire permet de s’extraire du commun des mortels pour se rapprocher de l’idéal aristocratique qu’est la concession perpétuelle »
Par ailleurs, Emmanuel Fureix constate dans «La mort dans la ville que « Le processus décisif d’éloignement géographique des vivants et des morts, attesté en Occident à la fin du XVIIIe siècle, est confirmé par les deux études portant sur Mexico (au début du XIXe siècle surtout) et Beyrouth (vers 1835, sous occupation égyptienne). Pour des raisons qui tiennent à l’insalubrité et aux miasmes putrides dégagés par les cimetières paroissiaux mais aussi à l’affinement des sensibilités à l’odorat, les théories infectionnistes en vogue gagnent du terrain, en Occident et ailleurs, et poussent les administrateurs à l’action. En France, le célèbre arrêt du Parlement de Paris en 1763, commenté par Philippe Ariès, prescrit l’éloignement des cimetières existants hors de la ville. Inappliqué dans un premier temps, il fut confirmé par la Déclaration royale de 1776, et concrétisé par la fermeture des cimetières des Innocents (1780), de Saint-Roch et de Saint-Sulpice (1781).
(…)
Jusqu’au XVIIIe siècle en effet, l’inhumation se faisait en terre consacrée à l’intérieur des églises ou dans les cimetières qui jouxtaient les églises paroissiales et les couvents, auprès de la communauté des vivants
(…)
Les pressions hygiénistes et politiques de la fin du XVIIIe siècle vinrent mettre un terme à ce désordre apparent. En France, après le chaos funéraire laissé par la Révolution, pour ne pas parler des cimetières engorgés de la Terreur, le concours de l’Institut de 1800 sur les funérailles et les lieux de sépultures et surtout le très grand décret organique du 23 prairial an XII (12 juin 1804) définirent avec précision le cadre du cimetière moderne. Ce décret fut le fruit d’une synthèse entre les préoccupations strictement hygiénistes du ministre de l’Intérieur Chaptal et la volonté moralisante de la section de l’Intérieur du Conseil d’État. Hors de l’enceinte des villes, le cimetière du XIXe siècle, clos et aéré, doit désormais séparer les vivants et les morts, mais aussi les morts entre eux. Les sépultures, ne pouvant être ouvertes avant cinq ans, sont désormais séparées et hiérarchisées. Les fosses communes disparaissent au profit de « tranchées gratuites » avec sépultures individuelles temporaires20, éventuellement dotées de signes distinctifs tels que des croix portant le nom du défunt.
(…)
Cette expulsion des sépultures hors de la ville ne rompt pas pour autant le lien commémoratif qui unit les vivants et les morts. À l’âge romantique, la visite au cimetière prestigieux, tel le Père-Lachaise devenu lieu de promenade historique et civique, ne se limite plus à la commémoration des proches, ni même à la méditation morale en forme de memento mori. (…) Reste que cette révolution funéraire ne s’est pas opérée sans résistances, même si ces dernières semblent avoir été plus vives à la campagne qu’en ville. L’exil des morts dans les années 1780 s’est heurté d’abord au sentiment psychologique d’une perte de la communauté des ancêtres. En outre, les conditions nouvelles de transport des corps, sur un char funèbre, heurtaient l’habitude du port à bras du cercueil. L’exhumation des ossements des anciens charniers parut parfois manquer de dignité. Enfin, le clergé paroissial critiquait une sécularisation insidieuse de la mort chrétienne et voyait dans le cimetière hygiéniste extra-muros une invention de « philosophes ». On retrouve après la Révolution ce dernier argument. L’expérience de l’émigration s’est accompagnée, il est vrai, d’une nostalgie de la sépulture ad sanctos, dont on trouve des traces dans le Génie du christianisme
Pour approfondir la question nous vous laissons aussi parcourir :
• Cuchet Guillaume, La communication avec l'au-delà au XIXe siècle. La religion des morts, religion de la sortie du catholicisme ? », Romantisme, 2012/4 (n°158), p. 43-57. DOI : 10.3917/rom.158.0043. URL
• Moreaux Pascal, Quelques aspects de l'histoire funéraire dans la civilisation judéo-chrétienne en France », Études sur la mort, 2004/1 (no 125), p. 9-21.
• Philippe Ariès, l’homme devant la mort : Le temps des gisants.
• et cimetières en France de l'Ancien régime à nos jours] : le territoire des morts / Madeleine Lassère.
• Des réponses du Guichet du Savoir sur soldats blessés et morts pendant la guerre et condamné guillotiné.
DANS NOS COLLECTIONS :
Ça pourrait vous intéresser :
Commentaires 0
Connectez-vous pour pouvoir commenter.
Se connecter