Gestion des compétences chez les pionniers néo-zélandais
CIVILISATION
+ DE 2 ANS
Le 07/03/2018 à 22h31
1730 vues
Question d'origine :
Bonjour,
Dernièrement, dans un ouvrage d'informatique, j'ai lu qu'à l'époque des pionniers européens en Nouvelle-Zélande, il y avait une gestion des compétences bien particulière. Comme il y avait peu de personnes, chacun était amené à exercer son activité principale, tout en acquérant d'autres compétences secondaires qui leur permettait de soutenir d'autres activités.
Le livre en question est "More Agile Testing", de Janet Gregory et Lisa Crispin.
L'argument des pionniers de Nouvelle-Zélande est utilisé pour nous amener à envisager une équipe informatique comme une île à l'écart du monde, où il est crucial d'élargir ses compétences pour pouvoir améliorer la performance des projets ainsi que la communication entre collaborateurs.
Bref, c'est une belle image, mais je suis bien en peine de trouver des documents historiques venant confirmer le fait historique évoqué.
Pourriez-vous m'aider ?
Merci !
Réponse du Guichet
bml_civ
- Département : Civilisation
Le 10/03/2018 à 12h18
Bonjour,
Outre le livre que vous citez, on trouve en effet cette représentation des pionniers colonisateurs de la Nouvelle Zélande sur d’autres documents. Ainsi, le site newzealand.com les décrit-il comme « courageux, robustes et indépendants ». « Leur isolement et leur exposition aux éléments ont forcé ces premiers Néozélandais à devenir résistants et polyvalents ». Mais cette description émanant d’un site qui a pour but la promotion de la marque « Nouvelle-Zélande », il ne semble pas inutile de chercher quelques éléments plus « objectifs ».
1) Rappelons tout d’abord, à l’aide de Nouvelle-Zélande, Aotearoa, le pays au long nuage blanc, de Michel Lextreyt, quelques dates-clés de la colonisation européenne de l’archipel.
- En décembre 1642, le hollandais Abel Tasman est le premier européen à officiellement toucher les cotes néozélandaises.
- Octobre 1769 : « redécouverte » de la Nouvelle-Zélande par James Cook. Le capitaine de l’Endeavour sillonne les cotes et les cartographies. Les contacts avec les indigènes sont tour à tour agressifs et amicaux.
- Début XIXe : l’exploitation du pays commence par les Européens, qui y pratiquent la chasse à la baleine, aux phoques. « Dans les premier temps, l’exploitation […] se résume au pillage de ses richesse, perpétré par quelques aventuriers peu scrupuleux, d’origine anglo-saxonne pour la plupart ».
- 1814 : débarquement des premiers missionnaires anglicans.
- 1837 : création de la compagnie privée de Nouvelle-Zélande pour promouvoir et faciliter la colonisation de l’Archipel.
Les colons sont donc pour l’essentiel acheminés en Nouvelle-Zélande par cette compagnie. Voici ce que dit à ce sujet Michel Lexteyt : « Ces colons de la première époque ont été sélectionnés. On les veut plutôt jeunes, de bonne moralité, ayant des compétences mais pas forcément dans le domaine de l’agriculture, car on a besoin de tous les corps de métiers […] Jusque vers 1880, les conditions de vie sont rendues difficiles par l’isolement, l’insécurité, le manque général d’infrastructures ou les problèmes d’approvisionnement. Progressivement toutefois, cette communauté des antipodes a pris ses marques […]. Si pour beaucoup l’existence demeure difficile, faite d’intense labeur et de conditions de vie précaires, pour d’autres, plus anciens ou plus chanceux, le confort arrive peu à peu ».
2) Le mythe fondateur du « valeureux pionnier ».
Dans son ouvrage La Nouvelle-Zélande : du duel au duo ? Essai d’histoire culturelle, l’universitaire Francine Tolron, spécialiste des civilisations britanniques et du Commonwealth, fait un point précis sur ce que vous appelez une « belle image ».
« Handicapés par une trop grande rareté d’artisans indispensables, comme des menuisiers, il […] fut difficile [aux pionniers], pendant les premières années, de pratiquer un semblant d’agriculture sur des terres pour l’heure incultivables.Le pionnier – ou “new chum” ainsi qu’il sera appelé par sympathie ou dérision – vécut totalement isolé […]. Il dut trouver en lui-même ses ressources : construire […] un abri, une baraque de ponga, à partir des stipes de fougères, un toit en feuille de lin ; il lui fallut ramasser la nourriture de la forêt […], brûler les troncs pour fertiliser la terre entre les souches afin de planter du blé qu’il devait moudre sur place. Il fabriquait tout ce dont il avait besoin, depuis le beurre jusqu’aux chandelles et aux briques ».
« Le pionnier, parce qu’il a connu toutes ces difficultés et qu’ils les a surmontées, est revêtu, en Nouvelle-Zélande, comme dans toutes les colonies de peuplement, du statut mythique de fondateur du pays ».
« La Nouvelle-Zélande entretient encore, avec soin, respect et amour, toute une iconographie de la colonisation : si les manuels scolaires et les cursus universitaires enseignent désormais que celle-ci a comporté deux facettes, assez irréconciliables, l’une, rose, du valeureux pionnier, et l’autre, plus laide, de l’Européen glouton de terre qu’il s’appropria sans trop se soucier de ses premiers habitants, le pays est encore riche d’une muséologie qui exalte les pionniers leurs valeurs [caractère bien trempé, éthique du travail manuel…] et leurs modes de vie ? Nombreux sont les musées (“Settlers Museums”) […] qui donnent à voir […] des scènes de vie domestique ou de travaux des champs, qui, par la vertu de leur mise-en-vitrine, réifient un passé bien aimé. Elles le réinventent en ne montrant que ceux qui en ont récolté les fruits, en valorisant un mode de vie sain qui a formé le caractère national, c’est-à-dire en offrant une lecture positive et univoque, consensuelle et simplifiée de l’histoire pakeha, une “success story” d’humble facture ».
Comme le suggère Francine Tolron, les premiers colons de Nouvelle-Zélande ne sont pas les seuls « pionniers » à connaître ces modes de vie difficiles, entre isolement et nécessaire polyvalence pour la survie. Aussi, pourriez-vous consulter à profit :
- Le Mayflower, l’odyssée des Pères pèlerins et la naissance de l’Amérique, de Nathaniel Philibrick, aux éditions JC Lattès.
- « Tisserands, cardeurs de laine ou cordonniers, ils quittèrent l'Angleterre pour refaire leur vie de l'autre côté des mers, en territoire inconnu. Franchissant 5 000 kilomètres d'océan pour aborder, le 9 novembre 1620, au cap Cod. Soixante-cinq jours de traversée, en affrontant les tempêtes, les maladies, le manque de provisions, et en tâtonnant jusqu'au bout en raison de l'imprécision des cartes. Suivirent des moments difficiles : le choc de l'exil, l'apprentissage matériel de la condition de colon, les escarmouches avec les Indiens, puis un hiver sans ressources auquel les émigrants n'auraient pas survécu sans l'aide des autochtones, devenus un temps des voisins tolérés ». (source : Télérama)
- Colonies de peuplement, de Joël Michel, aux éditions du CNRS (en cours d’acquisition par la Bibliothèque Municipale de Lyon).
« Si l’histoire du colonialisme a le vent en poupe, celle des colons reste souvent dans l’ombre. Joël Michel jette une lumière nouvelle sur ce qu’on appelle un peu abstraitement l’impérialisme européen en étudiant la colonisation de peuplement, l’aventure de ces pionniers qui, à la différence des armées de conquête, s’installèrent, firent souche, créèrent une société différente de celle qu’ils avaient imaginée… »
- Ils ont rêvé d’un autre monde, de Laurent Vidal, aux éditions Flammarion.
« A partir de 1841 des centaines d'artisans et d'ouvriers s'embarquent pour le Brésil avec femmes et enfants, laissant tout derrière eux. Las de la répression permanente qui pèse en France sur les classes populaires, et nourris des théories de Charles Fourier, ils rêvent de fonder outre-Atlantique une société idéale et harmonieuse, en pionniers d'un nouvel âge d'or. Que deviendra l'élan utopique, le rêve communautaire de ces familles ? Résistera-t-il à l'attente interminable qui précède le départ, à l'éprouvante traversée de l'Atlantique, aux difficultés financières, à la réalité de la vie en exil, aux heurts des ambitions individuelles ? C'est l'histoire, pleine de bruit et de fureur, que raconte ce livre ».
Bonnes lectures !
Outre le livre que vous citez, on trouve en effet cette représentation des pionniers colonisateurs de la Nouvelle Zélande sur d’autres documents. Ainsi, le site newzealand.com les décrit-il comme « courageux, robustes et indépendants ». « Leur isolement et leur exposition aux éléments ont forcé ces premiers Néozélandais à devenir résistants et polyvalents ». Mais cette description émanant d’un site qui a pour but la promotion de la marque « Nouvelle-Zélande », il ne semble pas inutile de chercher quelques éléments plus « objectifs ».
1) Rappelons tout d’abord, à l’aide de Nouvelle-Zélande, Aotearoa, le pays au long nuage blanc, de Michel Lextreyt, quelques dates-clés de la colonisation européenne de l’archipel.
- En décembre 1642, le hollandais Abel Tasman est le premier européen à officiellement toucher les cotes néozélandaises.
- Octobre 1769 : « redécouverte » de la Nouvelle-Zélande par James Cook. Le capitaine de l’Endeavour sillonne les cotes et les cartographies. Les contacts avec les indigènes sont tour à tour agressifs et amicaux.
- Début XIXe : l’exploitation du pays commence par les Européens, qui y pratiquent la chasse à la baleine, aux phoques. « Dans les premier temps, l’exploitation […] se résume au pillage de ses richesse, perpétré par quelques aventuriers peu scrupuleux, d’origine anglo-saxonne pour la plupart ».
- 1814 : débarquement des premiers missionnaires anglicans.
- 1837 : création de la compagnie privée de Nouvelle-Zélande pour promouvoir et faciliter la colonisation de l’Archipel.
Les colons sont donc pour l’essentiel acheminés en Nouvelle-Zélande par cette compagnie. Voici ce que dit à ce sujet Michel Lexteyt : « Ces colons de la première époque ont été sélectionnés. On les veut plutôt jeunes, de bonne moralité, ayant des compétences mais pas forcément dans le domaine de l’agriculture, car on a besoin de tous les corps de métiers […] Jusque vers 1880, les conditions de vie sont rendues difficiles par l’isolement, l’insécurité, le manque général d’infrastructures ou les problèmes d’approvisionnement. Progressivement toutefois, cette communauté des antipodes a pris ses marques […]. Si pour beaucoup l’existence demeure difficile, faite d’intense labeur et de conditions de vie précaires, pour d’autres, plus anciens ou plus chanceux, le confort arrive peu à peu ».
2) Le mythe fondateur du « valeureux pionnier ».
Dans son ouvrage La Nouvelle-Zélande : du duel au duo ? Essai d’histoire culturelle, l’universitaire Francine Tolron, spécialiste des civilisations britanniques et du Commonwealth, fait un point précis sur ce que vous appelez une « belle image ».
« Handicapés par une trop grande rareté d’artisans indispensables, comme des menuisiers, il […] fut difficile [aux pionniers], pendant les premières années, de pratiquer un semblant d’agriculture sur des terres pour l’heure incultivables.
« La Nouvelle-Zélande entretient encore, avec soin, respect et amour, toute une iconographie de la colonisation : si les manuels scolaires et les cursus universitaires enseignent désormais que celle-ci a comporté deux facettes, assez irréconciliables, l’une, rose, du valeureux pionnier, et l’autre, plus laide, de l’Européen glouton de terre qu’il s’appropria sans trop se soucier de ses premiers habitants, le pays est encore riche d’une muséologie qui exalte les pionniers leurs valeurs [caractère bien trempé, éthique du travail manuel…] et leurs modes de vie ? Nombreux sont les musées (“Settlers Museums”) […] qui donnent à voir […] des scènes de vie domestique ou de travaux des champs, qui, par la vertu de leur mise-en-vitrine, réifient un passé bien aimé. Elles le réinventent en ne montrant que ceux qui en ont récolté les fruits, en valorisant un mode de vie sain qui a formé le caractère national, c’est-à-dire en offrant une lecture positive et univoque, consensuelle et simplifiée de l’histoire pakeha, une “success story” d’humble facture ».
Comme le suggère Francine Tolron, les premiers colons de Nouvelle-Zélande ne sont pas les seuls « pionniers » à connaître ces modes de vie difficiles, entre isolement et nécessaire polyvalence pour la survie. Aussi, pourriez-vous consulter à profit :
- Le Mayflower, l’odyssée des Pères pèlerins et la naissance de l’Amérique, de Nathaniel Philibrick, aux éditions JC Lattès.
- « Tisserands, cardeurs de laine ou cordonniers, ils quittèrent l'Angleterre pour refaire leur vie de l'autre côté des mers, en territoire inconnu. Franchissant 5 000 kilomètres d'océan pour aborder, le 9 novembre 1620, au cap Cod. Soixante-cinq jours de traversée, en affrontant les tempêtes, les maladies, le manque de provisions, et en tâtonnant jusqu'au bout en raison de l'imprécision des cartes. Suivirent des moments difficiles : le choc de l'exil, l'apprentissage matériel de la condition de colon, les escarmouches avec les Indiens, puis un hiver sans ressources auquel les émigrants n'auraient pas survécu sans l'aide des autochtones, devenus un temps des voisins tolérés ». (source : Télérama)
- Colonies de peuplement, de Joël Michel, aux éditions du CNRS (en cours d’acquisition par la Bibliothèque Municipale de Lyon).
« Si l’histoire du colonialisme a le vent en poupe, celle des colons reste souvent dans l’ombre. Joël Michel jette une lumière nouvelle sur ce qu’on appelle un peu abstraitement l’impérialisme européen en étudiant la colonisation de peuplement, l’aventure de ces pionniers qui, à la différence des armées de conquête, s’installèrent, firent souche, créèrent une société différente de celle qu’ils avaient imaginée… »
- Ils ont rêvé d’un autre monde, de Laurent Vidal, aux éditions Flammarion.
« A partir de 1841 des centaines d'artisans et d'ouvriers s'embarquent pour le Brésil avec femmes et enfants, laissant tout derrière eux. Las de la répression permanente qui pèse en France sur les classes populaires, et nourris des théories de Charles Fourier, ils rêvent de fonder outre-Atlantique une société idéale et harmonieuse, en pionniers d'un nouvel âge d'or. Que deviendra l'élan utopique, le rêve communautaire de ces familles ? Résistera-t-il à l'attente interminable qui précède le départ, à l'éprouvante traversée de l'Atlantique, aux difficultés financières, à la réalité de la vie en exil, aux heurts des ambitions individuelles ? C'est l'histoire, pleine de bruit et de fureur, que raconte ce livre ».
Bonnes lectures !
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