Question d'origine :
Bonjour, je souhaite savoir qui a financé Hitler et les nazis pendant la 2nd guerre mondial? Merci.
Réponse du Guichet
bml_civ
- Département : Civilisation
Le 01/02/2017 à 15h58
Bonjour,
Etant donnée la complexité de votre question et la multiplicité des sources disponibles, il va nous être délicat de vous proposer des affirmations. En effet, les historiens de différents pays impliqués dans la Seconde Guerre mondiale travaillent encore sur cette question ; nous vous donnerons donc des pistes de réflexion, notamment en regardant vers le passé puisque l'on ne peut parler de financement du régime nazi durant la seconde guerre mondiale sans comprendre les événements antérieurs, notamment la fin de la première guerre mondiale.
Dans le Nazisme des origines à 1945, nous lisons :
Le 20 février 1933, en présence de Göring et du Dr Schatcht, nouveau président de la Reichsbank, Hitler rencontre les grands patrons de l'industrie et leur promet un "avenir tranquille", "le réarmement", et "pour les dix, voir les cent prochaines années", la suppression des élections. Si la communauté de vues est limitée - et le mépris réciproque évident-, ils ont suffisamment d'intérêts communs pour que leur alliance soit durable. Hitler entend néanmoins imposer la primauté du politique sur l’économie
La suite du développement de cet ouvrage nous présente entre autres le plan de quatre ans (programme national-socialiste d'armement et de préparation à la Seconde Guerre mondiale. Il fut proposé au Reichstag en 1936 et appliqué en octobre de la même année. Son but était d'accélérer le réarmement du Troisième Reich et d'orienter l'économie du Troisième Reich vers l'autarcie, car le pays n'aurait pu mener de guerre du fait de sa dépendance aux matières premières. Les stipulations centrales du plan étaient que l'armée allemande doit être prête en quatre ans et que l'économie allemande doit être prête à soutenir une guerre en quatre ans).
L'objectif visé est donc bien l'autarcie et la fin de la dépendance aux autres puissances économiques (France, Grande-Bretagne et Etats-Unis) en redessinant la carte économique de l'Allemagne. En l'espace de trois ans, armée et industriels se trouvent otages du parti. "La plupart des historiens s'accorde pour reconnaitre qu'il ne s'agit pas seulement d'un changement d'intensité mais bien d'une nouvelle gestion de l'économie dans son ensemble marquant le début de l"'économie de guerre en temps de paix".
Débute ainsi un effort d'autosuffisance avec des restrictions aux échanges internationaux, des aides à l'agriculture, la compression des salaires et le désengagement de l'état sur les dépenses sociales (logement) voire la suppression de certaines aides à certains éléments de population, dits "non-aryens" ou asociaux"...
(Source : Histoire économique de l'Allemagne)
Ces éléments sont évoqués dans l'ouvrage d'Adam Tooze, le Salaire de la destruction : "Selon un préjugé profondément enraciné dans la conscience historique populaire comme dans la littérature historique, le changement de politique économique vraiment important entre la république de Weimar et le IIIe Reich aurait été l'application, après 1933, des programmes de redressement national et de création de travail".
Tooze n'oublie pas cependant la "commission Dawes réunie en 1924 à Paris pour mettre en place un système viable permettant à l'Allemagne de payer les réparations (de la première guerre) sans compromettre sa stabilité financière"
Cet essai de Tooze (plus de 700 pages) analyse le problème suivant : la catastrophe de 39-45 est-elle née de la puissance implacable de l'Allemagne nazie ou bien a-t-elle été précipitée par ses faiblesses économiques ? La table des matières est en ligne.
De nombreux comptes rendus de lecture sont disponibles en ligne ; ainsi sur le site de La vie des idées :
Quant au gigantesque effort de guerre, il a été largement financé par les particuliers et les entreprises. Il le fut aussi par une fuite en avant des grandes entreprises allemandes vers des engagements débiteurs qui ne pourraient être couverts qu’en cas de victoire totale et donc d’exploitation économique de l’Europe asservie. En développant cela, chiffres à l’appui, Adam Tooze bat en brèche les démonstrations de l’historien Götz Aly, qui a tenté de montrer que les Allemands ordinaires avaient bénéficié largement du pillage des biens juifs et de l’exploitation économique des pays occupés, le Troisième Reich ayant jeté les bases de l’État-providence. [...] Comme Adam Tooze le décrit très bien, l’économie allemande sous le Troisième Reich a été constamment au bord d’une crise grave, soit à cause des difficultés d’approvisionnement en devises, soit à cause des déficits divers. Il revint à Hjalmar Schacht, président de la Reichsbank et ministre de l’Économie, de trouver des solutions ingénieuses et autoritaires pour écarter ces menaces. Plus que le « magicien » qu’il a prétendu être dans ses mémoires, il fut en fait un talentueux manipulateur de cours et de chiffres. Dès 1933, le budget de la Défense fut placé en dehors du contrôle du ministère des Finances. L’énorme effort d’armement fut en réalité financé par ces crédits discrets, mais surtout par la fiscalité, l’épargne forcée imposée aux ménages, puis par l’exploitation ponctuelle des territoires annexés et occupés.
D'autres analyses sont à lire sur les Clionautes, Les Echos, Le Temps...
D'autres éléments sont avancés par Adam Tooze : "L’augmentation des prélèvements fiscaux de 1941-1942, de pair avec les contributions toujours plus lourdes des territoires occupés, permit au ministère des Finances du Reich de financer sur ses recettes 54% des dépenses en 1942 et 44% en 1943. En 1942, les recettes fiscales étaient si florissantes que le Reich put bel et bien diminuer sa dépendance à l’égard de l’emprunt par rapport à 1941. Jusqu’en 1943, de surcroît, l’épargne des ménages fut suffisant pour permettre de financer au moins 17% des dépenses publiques totales par des emprunts sûrs à long terme"(p. 613-614).
Vous trouverez ces informations et quelques autres sous la forme d'une fiche synthétique destinée aux lycéens de 1ère ES sur le site Calaméo
D'autre part, nous vous conseillons vivement la lecture de l'article de l'encyclopédie universalis écrit par Yohann Chapoutot (Johann CHAPOUTOT, « NAZISME », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 31 janvier 2017.) : Volontarisme, héroïsme sacrificiel, volonté "d’acier" : tous les poncifs nazis disent cette tension vers la guerre qui est inscrite au fondement de cette culture politique réactionnaire, biologisante et belliciste. La guerre désigne tout d’abord le légitime combat contre le traité de Versailles : Hitler le répète depuis 1919 : l’ordre versaillais, qualifié de « diktat », doit être mis à bas, et l’Allemagne doit redevenir une grande puissance. Ce faisant, il flatte le corps des officiers de la Reichswehr, très réservés au départ à son égard, qu’il rallie par ses projets militaires et par le renforcement d’une armée allemande dont la croissance est nécessairement gage de carrières prometteuses et d’avancements accélérés. Cette politique de puissance (Machtpolitik) comble également d’aise les milieux patronaux allemands, qui ne savent comment répondre aux commandes massives d’acier, de charbon, de caoutchouc, d’essence synthétique et de composants électriques. Ce sont tous les fleurons de la première et de la seconde révolution industrielle allemande qui sont ainsi sollicités : sidérurgie et chimie, industries mécanique et électrique, construction automobile et aéronautique, chantiers navals doivent ainsi répondre à l’immense effort de réarmement allemand, pour leur plus grand profit. Les inquiétudes très orthodoxes, anti-inflationnistes et attentives à l’équilibre budgétaire de la Reichsbank et du ministère des Finances du Reich ne pèsent rien face aux ambitions nazies. Pour un Göring, responsable du "Plan de quatre ans" depuis 1936, il est clair que ces dépenses massives sont gagées, à crédit, sur les spoliations imposées à la communauté juive allemande, puis autrichienne et tchèque, ainsi que sur les prédations futures ‒ les prélèvements qui seront imposés aux territoires conquis. (La suite de l'article est disponible sur la version numérique d'Universalis dans toutes les bibliothèques de Lyon)
Voyez également de M. Chapoutot, Le nazisme : une idéologie en actes / Johann Chapoutot.
Enfin, en 2005 a paru un numéro de Histoire, économie & société, traitant des entreprises allemandes durant la seconde guerre mondiale (La bibliothèque est abonnée à Cairn, accès possible au sein des bibliothèques de Lyon).
PS : Lorsque plus haut nous avons parlé des industriels allemands, nous n’avons cité aucune entreprise, marque ou enseigne, et cela volontairement. Lorsque des entreprises sont nommées dans les ouvrages mentionnés ci-dessus, leur histoire ou leur participation à l’économie du IIIe Reich est resituée dans un contexte politique, économique et social spécifique. Internet regorge d’anecdotes, de prétendues sources fiables, de théories complotistes, de légendes urbaines contre lesquelles nous vous mettons en garde.
Etant donnée la complexité de votre question et la multiplicité des sources disponibles, il va nous être délicat de vous proposer des affirmations. En effet, les historiens de différents pays impliqués dans la Seconde Guerre mondiale travaillent encore sur cette question ; nous vous donnerons donc des pistes de réflexion, notamment en regardant vers le passé puisque l'on ne peut parler de financement du régime nazi durant la seconde guerre mondiale sans comprendre les événements antérieurs, notamment la fin de la première guerre mondiale.
Dans le Nazisme des origines à 1945, nous lisons :
Le 20 février 1933, en présence de Göring et du Dr Schatcht, nouveau président de la Reichsbank, Hitler rencontre les grands patrons de l'industrie et leur promet un "avenir tranquille", "le réarmement", et "pour les dix, voir les cent prochaines années", la suppression des élections. Si la communauté de vues est limitée - et le mépris réciproque évident-, ils ont suffisamment d'intérêts communs pour que leur alliance soit durable. Hitler entend néanmoins imposer la primauté du politique sur l’économie
La suite du développement de cet ouvrage nous présente entre autres le plan de quatre ans (programme national-socialiste d'armement et de préparation à la Seconde Guerre mondiale. Il fut proposé au Reichstag en 1936 et appliqué en octobre de la même année. Son but était d'accélérer le réarmement du Troisième Reich et d'orienter l'économie du Troisième Reich vers l'autarcie, car le pays n'aurait pu mener de guerre du fait de sa dépendance aux matières premières. Les stipulations centrales du plan étaient que l'armée allemande doit être prête en quatre ans et que l'économie allemande doit être prête à soutenir une guerre en quatre ans).
L'objectif visé est donc bien l'autarcie et la fin de la dépendance aux autres puissances économiques (France, Grande-Bretagne et Etats-Unis) en redessinant la carte économique de l'Allemagne. En l'espace de trois ans, armée et industriels se trouvent otages du parti. "La plupart des historiens s'accorde pour reconnaitre qu'il ne s'agit pas seulement d'un changement d'intensité mais bien d'une nouvelle gestion de l'économie dans son ensemble marquant le début de l"'économie de guerre en temps de paix".
Débute ainsi un effort d'autosuffisance avec des restrictions aux échanges internationaux, des aides à l'agriculture, la compression des salaires et le désengagement de l'état sur les dépenses sociales (logement) voire la suppression de certaines aides à certains éléments de population, dits "non-aryens" ou asociaux"...
(Source : Histoire économique de l'Allemagne)
Ces éléments sont évoqués dans l'ouvrage d'Adam Tooze, le Salaire de la destruction : "Selon un préjugé profondément enraciné dans la conscience historique populaire comme dans la littérature historique, le changement de politique économique vraiment important entre la république de Weimar et le IIIe Reich aurait été l'application, après 1933, des programmes de redressement national et de création de travail".
Tooze n'oublie pas cependant la "commission Dawes réunie en 1924 à Paris pour mettre en place un système viable permettant à l'Allemagne de payer les réparations (de la première guerre) sans compromettre sa stabilité financière"
Cet essai de Tooze (plus de 700 pages) analyse le problème suivant : la catastrophe de 39-45 est-elle née de la puissance implacable de l'Allemagne nazie ou bien a-t-elle été précipitée par ses faiblesses économiques ? La table des matières est en ligne.
De nombreux comptes rendus de lecture sont disponibles en ligne ; ainsi sur le site de La vie des idées :
Quant au gigantesque effort de guerre, il a été largement financé par les particuliers et les entreprises. Il le fut aussi par une fuite en avant des grandes entreprises allemandes vers des engagements débiteurs qui ne pourraient être couverts qu’en cas de victoire totale et donc d’exploitation économique de l’Europe asservie. En développant cela, chiffres à l’appui, Adam Tooze bat en brèche les démonstrations de l’historien Götz Aly, qui a tenté de montrer que les Allemands ordinaires avaient bénéficié largement du pillage des biens juifs et de l’exploitation économique des pays occupés, le Troisième Reich ayant jeté les bases de l’État-providence. [...] Comme Adam Tooze le décrit très bien, l’économie allemande sous le Troisième Reich a été constamment au bord d’une crise grave, soit à cause des difficultés d’approvisionnement en devises, soit à cause des déficits divers. Il revint à Hjalmar Schacht, président de la Reichsbank et ministre de l’Économie, de trouver des solutions ingénieuses et autoritaires pour écarter ces menaces. Plus que le « magicien » qu’il a prétendu être dans ses mémoires, il fut en fait un talentueux manipulateur de cours et de chiffres. Dès 1933, le budget de la Défense fut placé en dehors du contrôle du ministère des Finances. L’énorme effort d’armement fut en réalité financé par ces crédits discrets, mais surtout par la fiscalité, l’épargne forcée imposée aux ménages, puis par l’exploitation ponctuelle des territoires annexés et occupés.
D'autres analyses sont à lire sur les Clionautes, Les Echos, Le Temps...
D'autres éléments sont avancés par Adam Tooze : "L’augmentation des prélèvements fiscaux de 1941-1942, de pair avec les contributions toujours plus lourdes des territoires occupés, permit au ministère des Finances du Reich de financer sur ses recettes 54% des dépenses en 1942 et 44% en 1943. En 1942, les recettes fiscales étaient si florissantes que le Reich put bel et bien diminuer sa dépendance à l’égard de l’emprunt par rapport à 1941. Jusqu’en 1943, de surcroît, l’épargne des ménages fut suffisant pour permettre de financer au moins 17% des dépenses publiques totales par des emprunts sûrs à long terme"(p. 613-614).
Vous trouverez ces informations et quelques autres sous la forme d'une fiche synthétique destinée aux lycéens de 1ère ES sur le site Calaméo
D'autre part, nous vous conseillons vivement la lecture de l'article de l'encyclopédie universalis écrit par Yohann Chapoutot (Johann CHAPOUTOT, « NAZISME », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 31 janvier 2017.) : Volontarisme, héroïsme sacrificiel, volonté "d’acier" : tous les poncifs nazis disent cette tension vers la guerre qui est inscrite au fondement de cette culture politique réactionnaire, biologisante et belliciste. La guerre désigne tout d’abord le légitime combat contre le traité de Versailles : Hitler le répète depuis 1919 : l’ordre versaillais, qualifié de « diktat », doit être mis à bas, et l’Allemagne doit redevenir une grande puissance. Ce faisant, il flatte le corps des officiers de la Reichswehr, très réservés au départ à son égard, qu’il rallie par ses projets militaires et par le renforcement d’une armée allemande dont la croissance est nécessairement gage de carrières prometteuses et d’avancements accélérés. Cette politique de puissance (Machtpolitik) comble également d’aise les milieux patronaux allemands, qui ne savent comment répondre aux commandes massives d’acier, de charbon, de caoutchouc, d’essence synthétique et de composants électriques. Ce sont tous les fleurons de la première et de la seconde révolution industrielle allemande qui sont ainsi sollicités : sidérurgie et chimie, industries mécanique et électrique, construction automobile et aéronautique, chantiers navals doivent ainsi répondre à l’immense effort de réarmement allemand, pour leur plus grand profit. Les inquiétudes très orthodoxes, anti-inflationnistes et attentives à l’équilibre budgétaire de la Reichsbank et du ministère des Finances du Reich ne pèsent rien face aux ambitions nazies. Pour un Göring, responsable du "Plan de quatre ans" depuis 1936, il est clair que ces dépenses massives sont gagées, à crédit, sur les spoliations imposées à la communauté juive allemande, puis autrichienne et tchèque, ainsi que sur les prédations futures ‒ les prélèvements qui seront imposés aux territoires conquis. (La suite de l'article est disponible sur la version numérique d'Universalis dans toutes les bibliothèques de Lyon)
Voyez également de M. Chapoutot, Le nazisme : une idéologie en actes / Johann Chapoutot.
Enfin, en 2005 a paru un numéro de Histoire, économie & société, traitant des entreprises allemandes durant la seconde guerre mondiale (La bibliothèque est abonnée à Cairn, accès possible au sein des bibliothèques de Lyon).
PS : Lorsque plus haut nous avons parlé des industriels allemands, nous n’avons cité aucune entreprise, marque ou enseigne, et cela volontairement. Lorsque des entreprises sont nommées dans les ouvrages mentionnés ci-dessus, leur histoire ou leur participation à l’économie du IIIe Reich est resituée dans un contexte politique, économique et social spécifique. Internet regorge d’anecdotes, de prétendues sources fiables, de théories complotistes, de légendes urbaines contre lesquelles nous vous mettons en garde.
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