Question d'origine :
Bonjour,
Dans la langue française du XVIème et du XVIIème siècle, il n'est pas rare que le pronom personnel objet soit placé devant un verbe conjugué + infinitif, plutôt qu'entre les deux :
Ah ! c'est un crime encor dont je la veux punir.
Il y a pléthore d'exemples dans le théâtre classique (même si les dramaturges et poètes avaient également recours à la forme aujourd'hui canonique).
Ma question est la suivante : de telles constructions étaient-elles possibles avec n'importe quel verbe ?
Vouloir, pouvoir, savoir, falloir, devoir, et aller sont les plus communs. Mais Molière aurait-il pu écrire :
Quand sur une personne on se prétend régler, plutôt que Quand sur une personne on prétend se régler?
(Et même s'il disposait d'une telle latitude, pourquoi ce choix plutôt qu'un autre, dans la mesure où cela n'altère en rien le mètre et que le pronom personnel précède le groupe verbal dans le vers qui suit :
C'est par les beaux côtés qu'il lui faut ressembler. ?)
Réponse du Guichet
bml_litt
- Département : Langues et Littératures
Le 10/11/2016 à 08h01
Bonjour,
Pour vous répondre nous avons consulté l’Histoire de la langue française des origines à nos jours, fruit d’un travail gigantesque du linguiste et philologue français Ferdinand Brunot.
Nous avons plus précisément compulser La formation de la langue classique 1600-1660 (Tome III, 2ème partie) et La langue classique 1660-1715 (Tome IV, 2ème partie) :
Au chapitre intitulé « L’ordre des mots », une partie est consacrée à la place du pronom :
- Dans le tome III
Dans la première moitié du siècle [donc du 17e], de sérieux efforts sont faits par les grammairiens pour déterminer la place du pronom, non du pronom complément de l’indicatif, dont la place était déjà à peu près fixe, mais du pronom complément de l’impératif ou de l’infinitif.
[…]
Avec l’infinitif – Le pronom atone, complément d’un infinitif régi lui-même par un des verbes aller, devoir, savoir, pouvoir, venir, vouloir, est mieux placé, selon Vaugelas*, devant le verbe principal (à un temps simple) que devant l’infinitif ; c’est la syntaxe ordinaire jusque-là. Est-ce l’autorité de Vaugelas qui la maintint ? En tout cas les exemples de l’ordre prescrit par lui sont en majorité, et pour longtemps encore.
« tes yeux lors qu’ils me vont blesser » (Téoph. II,68)
« l’Egypte le va voir me présenter ses vœux » (Corn., IV, 44, Pomp., v. 404)
- Dans le tome IV
Pronom personnel atone avec infinitif. Longtemps encore la règle de Vaugelas maintint la construction : je ne le veux pas écouter. Cependant Andry*, tout en accordant que cet ordre était « le plus naturel », estimait qu’on devait s’en rapporter à l’oreille. Il cite une foule d’exemples. Bary* n’a point non plus de préférence systématique. Il est inutile de produire des textes en grand nombre, une statistique minutieuse pourrait seule décider si dès cette époque se marque une tendance à faire prévaloir l’ordre nouveau. Je remarquerai seulement qu’une circonstance favorisait celui-ci. Quand deux verbes se suivaient, dont le premier seul était réfléchi, comme dans cette phrase : Comment il se faut former à la patience et combattre les convoitises, on trouvait tout naturellement qu’il valait mieux déplacer le pronom et dire : comment il faut se former.
La place du pronom se stabilise au cours du XVIIIe siècle comme l’atteste cet extrait du tome VI (2ème partie) Le XVIIIe siècle :
La nouvelle syntaxe, qui sépare l’infinitif du verbe régissant, l’emporte peu à peu. […] D’Olivet* constate que « presque tous nos écrivains aujourd’hui se font une loi de placer immédiatement ces pronoms avant l’infinitif qui les régit ».
En ce qui concerne la phrase de Molière, il s’agit du verbe pronominal « se régler » (et non « se prétendre ») ; le dramaturge écrit donc logiquement : « Quand sur une personne on prétend se régler…»
*Claude Favre de Vaugelas
Nicolas Andry de Boisregard
René Bary
Pierre-Joseph Thoulier d'Olivet
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