Question d'origine :
Bonjour
Une femme mariée pouvait-elle faire l achat d'un commerce dans les années 1920
JE vous remercie
CORDIALEMENT
Réponse du Guichet
gds_db
- Département : Equipe du Guichet du Savoir
Le 07/07/2016 à 16h09
Bonjour,
Au début du XXe siècle, le Code civil de 1804, qui consacre l’incapacité juridique de la femme, est encore en vigueur : les femmes mariées sont sous la tutelle de leur mari. Elles ne peuvent signer un contrat, gérer des biens, travailler, exercer le commerce sans l’autorisation de leur mari. Voici trois extraits de documents qui expliquent bien quelles étaient les contraintes imposées aux femmes mariées :
Dans l'ouvrage intitulé Le guide juridique du créateur d'entreprise, Delphine Brach-Thiel revient sur l'Evolution des droits de la femme mariée par rapport au commerce :
A titre liminaire, il convient de rappeler la législation relative à l’exercice du commerce pour une femme mariée. S’il va de soi aujourd’hui qu’une femme peut être commerçante ou gérer une société, il n’en a pas toujours été ainsi. Sous l’empire du Code civil, la femme mariée ne pouvait exercer le commerce sans l’autorisation de son mari. Une loi du 22 septembre 1942 a ensuite remplacé le système de l’autorisation par celui de l’opposition : le mari pouvait former opposition à l’exercice du commerce par son épouse.
Une loi du 13 juillet 1965 a ensuite modifié l’article 4 du Code de commerce : « La femme mariée peut librement exercer son commerce. »
Enfin, une loi du 10 juillet 1982 a finalement supprimé toute référence à la femme mariée. Celle-ci est désormais placée sur le même plan que le mari. Elle est commerçante, si elle exerce des actes de commerce et en fait sa profession habituelle.
Dans « Femmes, entreprises et dépendances. Les entrepreneuses étrangères à Paris dans l'entre-deux-guerres » (Travail, genre et sociétés 1/2005 (N° 13) , p. 51-74), Claire Zalc explique les enjeux du consentement du mari :
Les hommes sont très largement majoritaires parmi les entrepreneurs inscrits au Registre du commerce de la Seine au lendemain de la première guerre mondiale puisqu’ils forment 82 % des individus immatriculés entre juillet 1920 et décembre 1921. En effet, dans toute l’Europe, la propriété de boutiques par les femmes décline depuis la première moitié du XIXème siècle. [...]
La forte masculinité de la petite entreprise parisienne dans l’entre-deux-guerres semble en effet nettement due au phénomène de sous-inscription des femmes, dans le cas d’un commerce ou d’un atelier tenu par les deux époux. Or il convient, pour éclairer ce fait, de rappeler le rôle du cadre juridique qui régit l’activité commerciale des femmes en France depuis le Code du Commerce de 1803. Certes, depuis la loi du 6 février 1893, il n’existe plus d’incapacité commerciale tenant au sexe. À partir de cette date, les filles, les veuves et les femmes divorcées ou séparées de corps deviennent pleinement capables du point de vue commercial, comme du point de vue civil. Il est intéressant, en outre, de noter que les femmes disposent du droit de vote aux élections consulaires dès la fin du XIXe siècle. La femme est en effet électrice dans les tribunaux de commerce depuis 1898. Elle ne peut néanmoins y être élue qu’à partir de 1931.
Mais le cas de la femme mariée continue de poser problème puisque le consentement du mari est requis pour pouvoir exercer une activité commerciale (article 4 du Code du commerce). La loi de 1907 qui établit pour la femme mariée la libre disposition des produits de son travail engendre de multiples débats et controverses parmi les juristes quant à son application dans le champ commercial.
D’une part, certains juristes se font l’écho de la position qui tend à faciliter l’accès de la femme mariée à la profession, en simplifiant les formes du consentement du mari : l’autorisation pourrait alors être tacite, autrement dit le silence du mari impliquerait son approbation. D’ailleurs, la jurisprudence admet généralement qu’une autorisation de justice peut suppléer à celle du mari lorsqu’on constate une incapacité ou une absence de ce dernier. La guerre de 1914-1918 a, de ce point de vue, joué un rôle important. "Les circonstances économiques de la guerre et de l’après-guerre ont montré, par des exemples innombrables, que les mineurs et les femmes mariées, en prenant la place des pères et des maris absents ou disparus, avaient permis de maintenir l’activité commerciale du pays". Les impératifs économiques poussent alors à favoriser l’activité commerciale des femmes dont l’essor correspond également au mouvement général d’émancipation féminine consécutif de la première guerre mondiale.
D’autre part, le droit commercial vise à limiter la liberté professionnelle de la femme mariée, arguant essentiellement du risque financier encouru par le conjoint. Les commentaires de la loi de 1907 insistent dans ce cas sur la solidarité financière du couple qui prévaut dans le cadre du régime matrimonial de la communauté : le mari peut certes profiter des bénéfices du commerce mais il est également responsable de ses dettes . Cet argument permet de défendre l’interprétation, dominante, selon laquelle la loi de 1907 ne suspend pas l’obligation du consentement du mari lors de l’exercice de l’activité commerciale. La liberté de disposition du produit du travail n’équivaudrait en rien au libre choix d’une profession. Ainsi, si la femme mariée peut librement disposer de son salaire depuis 1907, elle ne peut ester en justice, signer un contrat, vendre ni acquérir gratuitement, sans l’autorisation de son mari. Ce contexte social et culturel de minorisation des femmes explique pourquoi l’inscription au Registre du commerce est prioritairement faite par un entrepreneur de sexe masculin.
Le 13 juillet 1965, le régime matrimonial de 1804 était réformé et la femme devenait presque l'égal de son mari . [...]
Avant la loi, les femmes sous la tutelle de leur mari. Dans la France de 1965, cela fait vingt ans que les femmes ont obtenu le droit de vote mais une femme mariée ne peut ni ouvrir un compte bancaire, ni signer un contrat de travail sans avoir reçu l'accord préalable de son époux. Et pour cause : c'est le Code civil napoléonien de 1804 légèrement modifié en 1938 qui fait loi sur les régimes matrimoniaux. Le mariage s'apparente alors à une forme de tutelle pour la femme. En 1965, le gouvernement Pompidou, pourtant exclusivement composé d'hommes, dépose un projet de loi réformant les régimes matrimoniaux pour mettre fin à cet état de fait misogyne. Les politiques avaient pris soin au préalable de commander un sondage pour s'assurer que l'opinion était majoritairement favorable à cette avancée.
Des changements majeurs. Les changements introduits par la loi du 13 juillet 1965 sont considérables : désormais, une femme peut ouvrir un compte bancaire en son nom propre et sans l'accord préalable de son mari. Elle peut aussi travailler sans le consentement de son époux. Enfin,en obtenant l'égalité juridique, les femmes peuvent dès lors gérer elles-mêmes leurs biens personnels . Autre avancée : l'autorisation des deux conjoints est désormais nécessaire pour les décisions les plus importantes comme la vente d'un bien immobilier.
source : Europe 1
Pour aller plus loin, lire aussi :
- Femmes commerçantes et femmes de commerçants : une étude sur le genre en droit commercial / Jean-Christophe Duhamel in La loi et le genre : études critiques de droit français / sous la direction de Stéphanie Hennette-Vauchez, Marc Pichard et Diane Roman
- « À propos de la libre-disposition du salaire de la femme mariée, les ambiguïtés d’une loi (1907) », / Florence Rochefort, Clio. Histoire‚ femmes et sociétés, 7 - 1998
- Egalité des droits dans la sphère privée
- « Les différentes phases du travail des femmes dans l'industrie » / Wailly Jeanne-Marie, Innovations 2/2004 (no 20) , p. 131-146
Bonne journée.
Au début du XXe siècle, le Code civil de 1804, qui consacre l’incapacité juridique de la femme, est encore en vigueur : les femmes mariées sont sous la tutelle de leur mari. Elles ne peuvent signer un contrat, gérer des biens, travailler, exercer le commerce sans l’autorisation de leur mari. Voici trois extraits de documents qui expliquent bien quelles étaient les contraintes imposées aux femmes mariées :
Dans l'ouvrage intitulé Le guide juridique du créateur d'entreprise, Delphine Brach-Thiel revient sur l'
A titre liminaire, il convient de rappeler la législation relative à l’exercice du commerce pour une femme mariée. S’il va de soi aujourd’hui qu’une femme peut être commerçante ou gérer une société, il n’en a pas toujours été ainsi. Sous l’empire du Code civil, la femme mariée ne pouvait exercer le commerce sans l’autorisation de son mari. Une loi du 22 septembre 1942 a ensuite remplacé le système de l’autorisation par celui de l’opposition : le mari pouvait former opposition à l’exercice du commerce par son épouse.
Une loi du 13 juillet 1965 a ensuite modifié l’article 4 du Code de commerce : « La femme mariée peut librement exercer son commerce. »
Enfin, une loi du 10 juillet 1982 a finalement supprimé toute référence à la femme mariée. Celle-ci est désormais placée sur le même plan que le mari. Elle est commerçante, si elle exerce des actes de commerce et en fait sa profession habituelle.
Dans « Femmes, entreprises et dépendances. Les entrepreneuses étrangères à Paris dans l'entre-deux-guerres » (Travail, genre et sociétés 1/2005 (N° 13) , p. 51-74), Claire Zalc explique les enjeux du consentement du mari :
Les hommes sont très largement majoritaires parmi les entrepreneurs inscrits au Registre du commerce de la Seine au lendemain de la première guerre mondiale puisqu’ils forment 82 % des individus immatriculés entre juillet 1920 et décembre 1921. En effet, dans toute l’Europe, la propriété de boutiques par les femmes décline depuis la première moitié du XIXème siècle. [...]
La forte masculinité de la petite entreprise parisienne dans l’entre-deux-guerres semble en effet nettement due au phénomène de sous-inscription des femmes, dans le cas d’un commerce ou d’un atelier tenu par les deux époux. Or il convient, pour éclairer ce fait, de rappeler le rôle du cadre juridique qui régit l’activité commerciale des femmes en France depuis le Code du Commerce de 1803. Certes, depuis la loi du 6 février 1893, il n’existe plus d’incapacité commerciale tenant au sexe. À partir de cette date, les filles, les veuves et les femmes divorcées ou séparées de corps deviennent pleinement capables du point de vue commercial, comme du point de vue civil. Il est intéressant, en outre, de noter que les femmes disposent du droit de vote aux élections consulaires dès la fin du XIXe siècle. La femme est en effet électrice dans les tribunaux de commerce depuis 1898. Elle ne peut néanmoins y être élue qu’à partir de 1931.
Mais le cas de la femme mariée continue de poser problème puisque le consentement du mari est requis pour pouvoir exercer une activité commerciale (article 4 du Code du commerce). La loi de 1907 qui établit pour la femme mariée la libre disposition des produits de son travail engendre de multiples débats et controverses parmi les juristes quant à son application dans le champ commercial.
D’une part, certains juristes se font l’écho de la position qui tend à faciliter l’accès de la femme mariée à la profession, en simplifiant les formes du consentement du mari : l’autorisation pourrait alors être tacite, autrement dit le silence du mari impliquerait son approbation. D’ailleurs, la jurisprudence admet généralement qu’une autorisation de justice peut suppléer à celle du mari lorsqu’on constate une incapacité ou une absence de ce dernier. La guerre de 1914-1918 a, de ce point de vue, joué un rôle important. "Les circonstances économiques de la guerre et de l’après-guerre ont montré, par des exemples innombrables, que les mineurs et les femmes mariées, en prenant la place des pères et des maris absents ou disparus, avaient permis de maintenir l’activité commerciale du pays". Les impératifs économiques poussent alors à favoriser l’activité commerciale des femmes dont l’essor correspond également au mouvement général d’émancipation féminine consécutif de la première guerre mondiale.
D’autre part, le droit commercial vise à limiter la liberté professionnelle de la femme mariée, arguant essentiellement du risque financier encouru par le conjoint. Les commentaires de la loi de 1907 insistent dans ce cas sur la solidarité financière du couple qui prévaut dans le cadre du régime matrimonial de la communauté : le mari peut certes profiter des bénéfices du commerce mais il est également responsable de ses dettes . Cet argument permet de défendre l’interprétation, dominante, selon laquelle la loi de 1907 ne suspend pas l’obligation du consentement du mari lors de l’exercice de l’activité commerciale. La liberté de disposition du produit du travail n’équivaudrait en rien au libre choix d’une profession. Ainsi,
Avant la loi, les femmes sous la tutelle de leur mari. Dans la France de 1965, cela fait vingt ans que les femmes ont obtenu le droit de vote mais une femme mariée ne peut ni ouvrir un compte bancaire, ni signer un contrat de travail sans avoir reçu l'accord préalable de son époux. Et pour cause : c'est le Code civil napoléonien de 1804 légèrement modifié en 1938 qui fait loi sur les régimes matrimoniaux. Le mariage s'apparente alors à une forme de tutelle pour la femme. En 1965, le gouvernement Pompidou, pourtant exclusivement composé d'hommes, dépose un projet de loi réformant les régimes matrimoniaux pour mettre fin à cet état de fait misogyne. Les politiques avaient pris soin au préalable de commander un sondage pour s'assurer que l'opinion était majoritairement favorable à cette avancée.
Des changements majeurs. Les changements introduits par la loi du 13 juillet 1965 sont considérables : désormais, une femme peut ouvrir un compte bancaire en son nom propre et sans l'accord préalable de son mari. Elle peut aussi travailler sans le consentement de son époux. Enfin,
source : Europe 1
Pour aller plus loin, lire aussi :
- Femmes commerçantes et femmes de commerçants : une étude sur le genre en droit commercial / Jean-Christophe Duhamel in La loi et le genre : études critiques de droit français / sous la direction de Stéphanie Hennette-Vauchez, Marc Pichard et Diane Roman
- « À propos de la libre-disposition du salaire de la femme mariée, les ambiguïtés d’une loi (1907) », / Florence Rochefort, Clio. Histoire‚ femmes et sociétés, 7 - 1998
- Egalité des droits dans la sphère privée
- « Les différentes phases du travail des femmes dans l'industrie » / Wailly Jeanne-Marie, Innovations 2/2004 (no 20) , p. 131-146
Bonne journée.
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