Question d'origine :
Est-ce qu'on naît drôle (comique, marrant, désopilant), ou le devient-on ?
Réponse du Guichet
bml_civ
- Département : Civilisation
Le 21/05/2016 à 08h26
Bonjour,
La revue Psychologies a consacré un article à la question, dont voici quelques extraits :
"L’humour : en avoir ou pas"
Face à l’humour, nous sommes inégaux. Les uns en ont, d’autres pas. Pourquoi ?
" Pour faire de l’humour, il faut être capable d’observer le monde de loin, afin de sentir ce que les faits et gestes des humains ont de risible, explique Catherine Mathelin. Les gens possédant un léger fond dépressif y sont particulièrement aptes, car leurs états d’âme les distancient du reste de l’univers. Leur seul véritable souci, c’est eux-mêmes – leur ego, leurs angoisses. Ou leur maladie, s’ils sont hypocondriaques. Ces préoccupations leur accordent toute latitude pour rire du reste qui, en comparaison, leur paraît dérisoire."
A cause d’une éducation rigide, certains individus sont la proie d’un "surmoi" (conscience morale intériorisée) tyrannique, qui engendre en eux de fortes tendances à la culpabilisation et à l’anxiété. "Pour survivre psychiquement, ils s’efforcent de mettre en scène leurs démons intérieurs, explique le psychanalyste Alain Marquet. D’où l’humour à la Woody Allen ou à la Kafka, description tragicomique d’un univers où les relations à autrui –amoureuses, professionnelles, conjugales, familiales– sont d’une complexité folle."
[...]
Selon la pédopsychiatre Paule Aimard, qui étudie l’humour enfantin, celui-ci émerge pour signifier le refus d’accepter passivement les règles imposées par les adultes. Et ce, dès les premiers mois de la vie. En renversant la cuillère de purée ou de soupe tendue par l’adulte –geste qu’il trouve très comique–, le petit monstre exprime sa volonté de maîtriser ce qu’il avale ou rejette. Vers l’âge de 1 an, après avoir cassé le vase offert par Mamie, il feint l’innocence par un "Oh !" navré… qui signifie poliment : "Je te dis bien des choses."
Dès qu’il saisit que tel mot ou telle chose est tabou, sale, interdit, l’enfant s’en empare. Voilà pourquoi, vers 2-3 ans, "pipi caca popo crotte" le rend hilare. Cet "humour" élémentaire l’aide à mieux assumer cette expérience non négociable de la vie en société qu’est l’apprentissage des convenances.
Contrairement au comique, qui peut être muet et se contenter de quelques grimaces ou tartes à la crème, l’humour est affaire de mots. Impossible de s’y exercer si l’on n’est pas suffisamment à l’aise dans le maniement du langage. Donc "pas d’humour, au sens propre du terme, avant l’âge de 8 ou 9 ans", déclare Catherine Mathelin.
[...]
Au-delà de la psychologie individuelle, il faut compter avec le poids de la psychologie collective. " On naît – on est – dans le bain du mot d’esprit à la faveur d’une transmission familiale ou culturelle ", explique le rabbin philosophe Marc-Alain Ouaknin, auteur d’une Bible de l’humour juif (J’ai lu, 1998 ) en deux volumes.
Pourquoi, traditionnellement, les juifs ont-ils autant d’humour ? Parce que, persécutés depuis des millénaires, ils ont dû se trouver un " truc " pour rire malgré tout ? Pas seulement. " L’humour a permis à des millions d’individus de préserver leur identité, la blague faisant office de signe de reconnaissance. Mais depuis toujours, la tradition juive insiste également sur sa valeur pédagogique. Il est recommandé de faire débuter chaque séance d’étude des textes sacrés par une histoire drôle, car on considère que l’humour ouvre l’esprit. “Seigneur, tu nous as choisis entre tous les peuples”, rappelle la prière du matin. “Mais pourquoi fallait-il que ça tombe sur nous !” "
Les Anglais comme les juifs font de l’humour un mode de rapport à la vie. Un véritable sport qu’ils pratiquent essentiellement sous la forme du trait d’esprit (le " wit "), court mais efficace. Le wit sert à passer outre les impératifs d’une conscience morale tatillonne – d’un surmoi sévère – qui, éthique protestante oblige, impose un contrôle de soi sans faille. Résultat : un humour noir qui permet de dire des horreurs avec flegme et décontraction. Dans son dernier livre, Wit Spirit (Mots et Cie, 2000), consacré à l’humour anglais, Jean-Loup Chiflet nous en propose des centaines d’exemples : " Après douze ans de thérapie, mon psychiatre m’a dit quelque chose qui m’a mis les larmes aux yeux : “No hablo inglès.” (Je ne parle pas anglais) " Ou encore : " J’ai expliqué à mon médecin que je m’étais cassé la jambe en deux endroits. Il m’a interdit d’y retourner. "
[...]
Pour aller plus loin, nous vous conseillons la lecture de :
- Les bébés de l'humour de Paule Aimard (citée plus haut)
- Histoire du rire et de la dérision de Georges Minois
- Le rire d'Eric-Jean-Victor Smadja
- etc.
Et puisque nous sommes dans l'humour, voici une petite anecdote (parmi tant d'autres) racontée par une bibliothécaire de notre connaissance.
La bibliothécaire, qui travaille au rayon Sciences et techniques de sa bibliothèque, accueille une jeune fille qui lui demande le livre de Frankenstein. La bibliothécaire répond que pour cela, il faut aller au rayon littérature puisqu'il s'agit d'un roman. La jeune fille insiste, se fâche quasiment et dit "mais tout le monde sait que c'est un grand scientifique". La bibliothécaire réalise alors de quoi il s'agit et informe la jeune personne que Einstein ne s'appelait pas Frank mais Albert...
La revue Psychologies a consacré un article à la question, dont voici quelques extraits :
"L’humour : en avoir ou pas"
Face à l’humour, nous sommes inégaux. Les uns en ont, d’autres pas. Pourquoi ?
" Pour faire de l’humour, il faut être capable d’observer le monde de loin, afin de sentir ce que les faits et gestes des humains ont de risible, explique Catherine Mathelin. Les gens possédant un léger fond dépressif y sont particulièrement aptes, car leurs états d’âme les distancient du reste de l’univers. Leur seul véritable souci, c’est eux-mêmes – leur ego, leurs angoisses. Ou leur maladie, s’ils sont hypocondriaques. Ces préoccupations leur accordent toute latitude pour rire du reste qui, en comparaison, leur paraît dérisoire."
A cause d’une éducation rigide, certains individus sont la proie d’un "surmoi" (conscience morale intériorisée) tyrannique, qui engendre en eux de fortes tendances à la culpabilisation et à l’anxiété. "Pour survivre psychiquement, ils s’efforcent de mettre en scène leurs démons intérieurs, explique le psychanalyste Alain Marquet. D’où l’humour à la Woody Allen ou à la Kafka, description tragicomique d’un univers où les relations à autrui –amoureuses, professionnelles, conjugales, familiales– sont d’une complexité folle."
[...]
Selon la pédopsychiatre Paule Aimard, qui étudie l’humour enfantin, celui-ci émerge pour signifier le refus d’accepter passivement les règles imposées par les adultes. Et ce, dès les premiers mois de la vie. En renversant la cuillère de purée ou de soupe tendue par l’adulte –geste qu’il trouve très comique–, le petit monstre exprime sa volonté de maîtriser ce qu’il avale ou rejette. Vers l’âge de 1 an, après avoir cassé le vase offert par Mamie, il feint l’innocence par un "Oh !" navré… qui signifie poliment : "Je te dis bien des choses."
Dès qu’il saisit que tel mot ou telle chose est tabou, sale, interdit, l’enfant s’en empare. Voilà pourquoi, vers 2-3 ans, "pipi caca popo crotte" le rend hilare. Cet "humour" élémentaire l’aide à mieux assumer cette expérience non négociable de la vie en société qu’est l’apprentissage des convenances.
Contrairement au comique, qui peut être muet et se contenter de quelques grimaces ou tartes à la crème, l’humour est affaire de mots. Impossible de s’y exercer si l’on n’est pas suffisamment à l’aise dans le maniement du langage. Donc "pas d’humour, au sens propre du terme, avant l’âge de 8 ou 9 ans", déclare Catherine Mathelin.
[...]
Au-delà de la psychologie individuelle, il faut compter avec le poids de la psychologie collective. " On naît – on est – dans le bain du mot d’esprit à la faveur d’une transmission familiale ou culturelle ", explique le rabbin philosophe Marc-Alain Ouaknin, auteur d’une Bible de l’humour juif (J’ai lu, 1998 ) en deux volumes.
Pourquoi, traditionnellement, les juifs ont-ils autant d’humour ? Parce que, persécutés depuis des millénaires, ils ont dû se trouver un " truc " pour rire malgré tout ? Pas seulement. " L’humour a permis à des millions d’individus de préserver leur identité, la blague faisant office de signe de reconnaissance. Mais depuis toujours, la tradition juive insiste également sur sa valeur pédagogique. Il est recommandé de faire débuter chaque séance d’étude des textes sacrés par une histoire drôle, car on considère que l’humour ouvre l’esprit. “Seigneur, tu nous as choisis entre tous les peuples”, rappelle la prière du matin. “Mais pourquoi fallait-il que ça tombe sur nous !” "
Les Anglais comme les juifs font de l’humour un mode de rapport à la vie. Un véritable sport qu’ils pratiquent essentiellement sous la forme du trait d’esprit (le " wit "), court mais efficace. Le wit sert à passer outre les impératifs d’une conscience morale tatillonne – d’un surmoi sévère – qui, éthique protestante oblige, impose un contrôle de soi sans faille. Résultat : un humour noir qui permet de dire des horreurs avec flegme et décontraction. Dans son dernier livre, Wit Spirit (Mots et Cie, 2000), consacré à l’humour anglais, Jean-Loup Chiflet nous en propose des centaines d’exemples : " Après douze ans de thérapie, mon psychiatre m’a dit quelque chose qui m’a mis les larmes aux yeux : “No hablo inglès.” (Je ne parle pas anglais) " Ou encore : " J’ai expliqué à mon médecin que je m’étais cassé la jambe en deux endroits. Il m’a interdit d’y retourner. "
[...]
Pour aller plus loin, nous vous conseillons la lecture de :
- Les bébés de l'humour de Paule Aimard (citée plus haut)
- Histoire du rire et de la dérision de Georges Minois
- Le rire d'Eric-Jean-Victor Smadja
- etc.
Et puisque nous sommes dans l'humour, voici une petite anecdote (parmi tant d'autres) racontée par une bibliothécaire de notre connaissance.
La bibliothécaire, qui travaille au rayon Sciences et techniques de sa bibliothèque, accueille une jeune fille qui lui demande le livre de Frankenstein. La bibliothécaire répond que pour cela, il faut aller au rayon littérature puisqu'il s'agit d'un roman. La jeune fille insiste, se fâche quasiment et dit "mais tout le monde sait que c'est un grand scientifique". La bibliothécaire réalise alors de quoi il s'agit et informe la jeune personne que Einstein ne s'appelait pas Frank mais Albert...
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