Question d'origine :
Bonjour,
J'aimerais savoir comment devient-on militant ?
Est-ce lié à un environnement familial ? Des facteurs environnants ? Un besoin d'imiter ses pairs ? Une valorisation sociale ? Une reconnaissance ?
Une personne non ignorante et très bien informé qui ne vote pas, n'a jamais manifesté et qui ne ressent pas le besoin ni l'envie d'un quelconque engagement peut-il ressentir un jour le besoin de s'engager ?
Comment se construit l'engagement ?
Merci
Bonne journée,
Réponse du Guichet
gds_db
- Département : Equipe du Guichet du Savoir
Le 07/04/2016 à 15h40
Bonjour,
« On ne devient pas militant par hasard »
Selon Pierre Mathiot, professeur de science politique et ancien directeur de Sciences Po, cela renvoie dans un premier temps à notre socialisation familiale. En effet, c’est souvent la famille ou les amis politisés qui donnent goût au militantisme : « on ne devient pas militant par hasard » affirme l’ancien directeur de Sciences Po Lille. On pourrait croire que ce sont les études supérieures qui donnent envie de s’initier au militantisme, mais en réalité, cet engagement s’est généralement façonné bien avant qu’on atteigne les bancs de la fac… Lorsque l’on s’engage en politique, « on est souvent soi-même issu de famille sinon militante en tout cas intéressée par les questions politiques » explique Pierre Mathiot. Cela entraîne d’ailleurs des conséquences indésirables : aujourd’hui il n’y a presque que des filles et fils de militants qui s’engagent à leur tour en politique.
source : Qui sont les jeunes qui militent encore en politique ?
L'individu engagé est le porteur d'une cause ; il se distingue par une volonté d'agir en vertu de mobiles idéologiques spécifiques. C'est un individu sujet qui souhaite devenir acteur dans son environnement (Touraine, 1992). Il se distingue par un ensemble de propriétés sociales.
Il y a certaines dispositions biographiques qui constituent un terrain favorable à la militance, comme la socialisation primaire dans un environnement militant (parents, amis, proches, eux-mêmes militants). En plus de caractéristiques communes, d'autres médiations sont souvent nécessaires pour amener un individu à s'engager dans un projet commun. Andrews (citée par Sawiscki et Siméant, 2009) identifie trois influences majeures : des stimuli intellectuels (ouvrages, films, éducation informelle...), le rôle d'organisations très visibles (organisations de jeunesse, syndicats...) et des individus identifiables. Les engagements spontanés, sans influence de proches ou médiations telles que celles décrites ci-dessus, sont plutôt rares. Les engagements s'amorcent plus généralement par une relation de proximité avec un « passeur ». Dans le monde syndical, les collègues syndiqués jouent un rôle important dans le processus d'adhésion.
Au-delà des propriétés sociales des individus, d'autres incitations conduisent à l'engagement militant : les gratifications ou les bénéfices dérivés de la militance. Chaque militant procède, en partie inconsciemment, à une évaluation personnelle d'un ensemble de coûts et de gratifications qui découlent de sa situation d'engagement. Gaxie (2005) analyse les coûts et rétributions de la militance. Ainsi, pour les militants qui occupent des positions hiérarchiques, les gratifications liées à la militance peuvent être, entre autres, le sentiment de puissance, le prestige de la fonction, mais aussi l'estime, l'affection, voire l'admiration des autres militants. Pour les militants de base, c'est d'abord le sentiment d'agir au lieu de subir, d'être en capacité de transformer la réalité. Les gratifications concernent aussi la satisfaction morale (agir pour une cause juste), le sentiment de supériorité éthique (sortir de l'apathie face à la dénégation de valeurs universelles), le développement de savoirs et de savoir-faire, l'affirmation de soi, l'accès à des réseaux sociaux, voire des espaces d'intégration, de loisirs, de convivialité, de fraternité. Militer c'est aussi apprendre, se former, entendre, découvrir et développer ainsi son capital culturel. La contribution de Laurent Willemez s'intéresse aux apprentissages militants et montre comment les savoirs acquis par les individus engagés les socialisent et transforment leur trajectoire. Enfin, militer c'est accéder à des biens symboliques comme le droit de participer à certaines réunions, d'être membre de groupes spécifiques, de se trouver dans des lieux clés, de côtoyer des personnes importantes sur la scène publique.
[...]
La motivation et les caractéristiques individuelles sont des pistes incomplètes pour comprendre l'engagement militant ou le désengagement. Si les logiques individuelles donnent du sens à l'engagement, c'est l'activité collective qui lui donne corps. Les organisations qui accueillent les militants régulent leur participation ; elles les sélectionnent, les fidélisent, les façonnent.
source : L'engagement militant / Patricia Vendramin (page 21-22)
Ce constat est aussi décrit dans Sociologie des mouvements sociaux d'Erik Neveu :
Plus un individu est déjà au contact de personnes engagées dans l'action militante, plus sa situation personnelle minimise les contraintes professionnelles et familiales, plus ses projets d’engagement reçoivent l'aval de ceux dont il est affectivement proche, plus la probabilité de le voir militer s'accroît. [...] Le soutien des proches, l'investissement d'amis dans un mouvement social est un facteur explicatif puissant des recrutements.
La dimension d’intégration sociale est également abordée ainsi que la question de la mutation du militantisme. Nous vous invitons à poursuivre la lecture de cet ouvrage.
Lire aussi :
- Associations de solidarité : les motifs de l'engagement / Bénédicte Havard Duclos et Sandrine Nicourd - Sciences Humaines - Hors-série N° 50 - Septembre - Octobre 2005
- Individualité et rapports à l’engagement militant / Pereira Irène
- Décloisonner la sociologie de l’engagement militant. Note critique sur quelques tendances récentes des travaux français / Frédéric Sawicki, Johanna Siméant
- « Bénédicte Harvard Duclos, Sandrine Nicourd, Pourquoi s'engager ? Bénévoles et militants dans les associations de solidarité » Brigitte Bleuzen, Archives de sciences sociales des religions, 134 | 2006, 147-299.
- Raison et conviction : l'engagement / Serge Moscovici, Nicole Notat, Pierre Pachet, Michelle Perrot; [sous la dir. de] Michel Wieviorka; avec la collab. de Alexandra Laignel-Lavastine
Quelques livres :
- L'engagement politique : déclin ou mutation ? / sous la dir. de Pascal Perrineau
- Les nouveaux militants / Laurent Jeanneau et Sébastien Lernould
- voir la bibliographie proposée dans la revue Sociologies pratiques - 2/2007 (n° 15) , p. 177-179 dont le dossier Comprendre les engagements aujourd’hui pourrait vous intéresser.
Pour approfondir le sujet, vous pouvez aussi consulter les articles sur Cairn et Persée ainsi que les travaux universitaires sur le SUDOC.
Une bibliographie de la BNF pour aller plus loin : Le militantisme.
Bonne journée.
« On ne devient pas militant par hasard »
Selon Pierre Mathiot, professeur de science politique et ancien directeur de Sciences Po, cela renvoie dans un premier temps à notre socialisation familiale. En effet, c’est souvent la famille ou les amis politisés qui donnent goût au militantisme : « on ne devient pas militant par hasard » affirme l’ancien directeur de Sciences Po Lille. On pourrait croire que ce sont les études supérieures qui donnent envie de s’initier au militantisme, mais en réalité, cet engagement s’est généralement façonné bien avant qu’on atteigne les bancs de la fac… Lorsque l’on s’engage en politique, « on est souvent soi-même issu de famille sinon militante en tout cas intéressée par les questions politiques » explique Pierre Mathiot. Cela entraîne d’ailleurs des conséquences indésirables : aujourd’hui il n’y a presque que des filles et fils de militants qui s’engagent à leur tour en politique.
source : Qui sont les jeunes qui militent encore en politique ?
L'individu engagé est le porteur d'une cause ; il se distingue par une volonté d'agir en vertu de mobiles idéologiques spécifiques. C'est un individu sujet qui souhaite devenir acteur dans son environnement (Touraine, 1992). Il se distingue par un ensemble de propriétés sociales.
Au-delà des propriétés sociales des individus, d'autres incitations conduisent à l'engagement militant : les gratifications ou les bénéfices dérivés de la militance. Chaque militant procède, en partie inconsciemment, à une évaluation personnelle d'un ensemble de coûts et de gratifications qui découlent de sa situation d'engagement. Gaxie (2005) analyse les coûts et rétributions de la militance. Ainsi, pour les militants qui occupent des positions hiérarchiques, les gratifications liées à la militance peuvent être, entre autres, le sentiment de puissance, le prestige de la fonction, mais aussi l'estime, l'affection, voire l'admiration des autres militants. Pour les militants de base, c'est d'abord le sentiment d'agir au lieu de subir, d'être en capacité de transformer la réalité. Les gratifications concernent aussi la satisfaction morale (agir pour une cause juste), le sentiment de supériorité éthique (sortir de l'apathie face à la dénégation de valeurs universelles), le développement de savoirs et de savoir-faire, l'affirmation de soi, l'accès à des réseaux sociaux, voire des espaces d'intégration, de loisirs, de convivialité, de fraternité. Militer c'est aussi apprendre, se former, entendre, découvrir et développer ainsi son capital culturel. La contribution de Laurent Willemez s'intéresse aux apprentissages militants et montre comment les savoirs acquis par les individus engagés les socialisent et transforment leur trajectoire. Enfin, militer c'est accéder à des biens symboliques comme le droit de participer à certaines réunions, d'être membre de groupes spécifiques, de se trouver dans des lieux clés, de côtoyer des personnes importantes sur la scène publique.
[...]
La motivation et les caractéristiques individuelles sont des pistes incomplètes pour comprendre l'engagement militant ou le désengagement. Si les logiques individuelles donnent du sens à l'engagement, c'est l'activité collective qui lui donne corps. Les organisations qui accueillent les militants régulent leur participation ; elles les sélectionnent, les fidélisent, les façonnent.
source : L'engagement militant / Patricia Vendramin (page 21-22)
Ce constat est aussi décrit dans Sociologie des mouvements sociaux d'Erik Neveu :
Plus un individu est déjà au contact de personnes engagées dans l'action militante, plus sa situation personnelle minimise les contraintes professionnelles et familiales, plus ses projets d’engagement reçoivent l'aval de ceux dont il est affectivement proche, plus la probabilité de le voir militer s'accroît. [...] Le soutien des proches, l'investissement d'amis dans un mouvement social est un facteur explicatif puissant des recrutements.
La dimension d’intégration sociale est également abordée ainsi que la question de la mutation du militantisme. Nous vous invitons à poursuivre la lecture de cet ouvrage.
Lire aussi :
- Associations de solidarité : les motifs de l'engagement / Bénédicte Havard Duclos et Sandrine Nicourd - Sciences Humaines - Hors-série N° 50 - Septembre - Octobre 2005
- Individualité et rapports à l’engagement militant / Pereira Irène
- Décloisonner la sociologie de l’engagement militant. Note critique sur quelques tendances récentes des travaux français / Frédéric Sawicki, Johanna Siméant
- « Bénédicte Harvard Duclos, Sandrine Nicourd, Pourquoi s'engager ? Bénévoles et militants dans les associations de solidarité » Brigitte Bleuzen, Archives de sciences sociales des religions, 134 | 2006, 147-299.
- Raison et conviction : l'engagement / Serge Moscovici, Nicole Notat, Pierre Pachet, Michelle Perrot; [sous la dir. de] Michel Wieviorka; avec la collab. de Alexandra Laignel-Lavastine
Quelques livres :
- L'engagement politique : déclin ou mutation ? / sous la dir. de Pascal Perrineau
- Les nouveaux militants / Laurent Jeanneau et Sébastien Lernould
- voir la bibliographie proposée dans la revue Sociologies pratiques - 2/2007 (n° 15) , p. 177-179 dont le dossier Comprendre les engagements aujourd’hui pourrait vous intéresser.
Pour approfondir le sujet, vous pouvez aussi consulter les articles sur Cairn et Persée ainsi que les travaux universitaires sur le SUDOC.
Une bibliographie de la BNF pour aller plus loin : Le militantisme.
Bonne journée.
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