Comment a évolué le confucianisme en Chine au au 19ème s?
DIVERS
+ DE 2 ANS
Le 03/04/2016 à 14h56
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Question d'origine :
Comment a évolué le confucianisme en Chine au 19ème siècle voir au 20ème siècle. Comment s'est il adapté, réinventé durant cette nouvelle époque?
Réponse du Guichet
gds_et
- Département : Équipe du Guichet du Savoir
Le 05/04/2016 à 13h11
Bonjour,
A partir de la seconde moitié du XIXe siècle, la Chine connaît plusieurs défaites face aux puissances occidentale, ce qui provoque une crise de son identité culturelle et nationale. Parmi les intellectuels chinois, plusieurs visions différentes s’opposent, dans lesquelles le confucianisme est considéré soit comme une réponse au défi occidental, soit comme l’ennemi de la réforme et / ou de la modernité :
Pendant des siècles, le confucianisme fut l’une des principales forces à façonner la société chinoise. Toutefois, bien que le maoïsme ait tenté d’en effacer l’influence, son déclin a commencé bien avant l’avènement de la République populaire. En effet, dans la seconde moitié du XIXe siècle, une partie de l’intelligentsia chinoise tira rapidement les conclusions de la confrontation douloureuse de la Chine avec les puissances occidentales : la Chine n’était plus la puissance la plus avancée du monde et ce, pour certains penseurs, en raison de l’inadéquation entre le confucianisme et la modernité.
Selon ces intellectuels, la Chine devait donc abandonner ses traditions, étudier les théories occidentales et embrasser la modernisation industrielle afin de retrouver son rang. Deux courants idéologiques finirent par émerger et supplanter les autres : le nationalisme, associé au capitalisme industriel, et le marxisme. Ce dernier finit par l’emporter avec la victoire du Parti communiste chinois en 1949 et l’interprétation de Marx par Mao Zedong devint la nouvelle doctrine officielle.
Source : Maoïsme et confucianisme en Chine contemporaine : une introduction, Laurent Hou
A la recherche d’une identité culturelle
Bien que les intellectuels chinois n’aient pas toujours été d’accord sur la manière de répondre au défi occidental, presque tous ceux qui se sont intéressés à l’histoire de la Chine s’accordent sur certains aspects qu’ils considèrent faire partie intégrante de l’identité culturelle et nationale chinoise (à l’exception peut-être des premiers marxistes) : Parmi ces aspects, on peut citer : l’histoire millénaire de la Chine — au moins quatre ou cinq mille ans ; l’identité du peuple han comme descendant du légendaire Empereur jaune ; la continuité du concept d’empire chinois à travers tous les changements de dynastie et l’occupation étrangère ; la spécificité de la langue chinoise ; la tradition de religion et de philosophie (ou pensée chinoise) ; la littérature chinoise, la poésie, la peinture, l’art de la céramique, la musique, etc. ; le nombre impressionnant d’inventions dans des domaines tels que la médecine, l’armement, la construction navale, la porcelaine qui dans bien des cas n’ont pas été surpassées avant la Renaissance ; en dépit des variances régionales, une culture quotidienne commune, qui va jusqu’à englober la cuisine.
Au début, la perception que les Chinois avaient d’eux-mêmes n’était pas tant de nature ethnique – l’appartenance à l’ethnie han – que culturelle – l’appartenance à un Kulturkreis (univers culturel) chinois, ce qui traduisait une forme de culturalisme. En d’autres termes, la culture chinoise était tellement attrayante qu’elle prédominait depuis longtemps sur toutes les nations et tribus qui entouraient le pays. Cette prédominance, ainsi que le sentiment de supériorité sur les autres nations, étaient des composantes d’une identité développée au fil des siècles.
C’est pourquoi la Chine vécut comme une profonde humiliation (xiuru 羞辱) la perte de son hégémonie en Asie. D’abord, elle perdit des Etats tributaires comme l’Annam, le Siam, le Laos et la Corée qui devinrent des colonies occidentales ou japonaises, puis elle fut contrainte de signer les « traités inégaux » par lesquels les puissances occidentales lui imposèrent unilatéralement leurs conditions. Cette humiliation fut d’ailleurs plus tard « inculquée dans l’esprit des élèves » pour susciter des sentiments nationalistes. Ce sentiment d’humiliation est devenu un élément de l’identité nationale chinoise.
La défaite de la Chine dans la Guerre de l’opium en 1840 marqua, pour les intellectuels, le début d’une longue crise identitaire qui perdure encore. Cette crise provoquée par l’Occident était différente des autres crises traversées par l’empire, comme les occupations mongole et mandchoue, et ne pouvait conduire à la même réponse, à savoir l’assimilation et l’acculturation des « barbares », qui devinrent finalement chinois. Alors que les empereurs mandchous n’aient jamais remis en question l’identité culturelle de l’élite instruite chinoise – ils l’ont au contraire promue de diverses façons parce qu’ils avaient besoin d’elle pour gouverner le pays – l’Occident défiait l’essence même de la culture chinoise et les fondements de l’élite. La recherche d’une réponse à la menace occidentale a globalement traversé cinq périodes :
Pendant la première période
(du milieu du XIXe siècle à 1895), le paradigme classique était « le savoir chinois comme essence (ou constitution) et le savoir occidental comme application (ou fonction) » (Zhongxue weiti, xixue weiyong 中學為體、西學為用). Ce slogan prônait une adoption des aspects technologiques et scientifiques de la civilisation occidentale, alors que le « savoir chinois » et la culture chinoise traditionnelle devaient rester l’essence de la vie de chaque individu, de la société et de l’Etat. Pour faire face à la menace occidentale, il suffisait à la Chine de « tirer des leçons de la supériorité des étrangers pour limiter leur supériorité » (Zhang Zhidong, 1837-1909).
L’élite politique commença alors à bâtir une industrie d’armement moderne et à préparer l’industrialisation de l’empire en construisant des arsenaux, des mines, des voies ferrées, etc. Ces politiques de modernisation, qui furent mises en œuvre entre 1861 et 1894 sous les slogans « Mouvement d’autorenforcement » (ziqiang yundong 自強運動) et « Mouvement des affaires occidentales » (Yangwu yundong 洋務運動) avaient pour objectifs :- la protection de l’intégrité territoriale de l’empire chinois, alors menacée, - la protection du rôle prédominant de la culture chinoise contre l’influence prétendument subversive des idées occidentales et, enfin, - la préservation du système de gouvernement confucéen en place dans l’intérêt des élites politiques et sociales.
Comme nous le savons aujourd’hui, cette modernisation conservatrice et partielle se traduisit par un échec. Les usines construites à cette époque fonctionnaient mal et, en 1894-1895, la Chine perdit une nouvelle guerre, cette fois contre le Japon, pays qui s’était engagé sur la voie d’une réforme non seulement économique mais aussi politique, avec l’introduction d’une monarchie constitutionnelle.
La deuxième période (1895-1911)
se caractérise par un changement de cap. Certains intellectuels comme Kang Youwei (1858-1927), Liang Qichao (1873-1929) et Tan Sitong (1865-1898) concédèrent qu’il n’était pas suffisant d’adopter les technologies occidentales, et qu’une réforme politique était nécessaire. Toutefois, pour le grand réformateur Kang Youwei, une rupture radicale avec la tradition n’était pas concevable. Il préféra se tourner vers les classiques confucéens pour trouver une réponse au défi occidental. Dans son essai Confucius réformateur (Kongzi gaizhikao 孔子改製考), publié en 1897, il présenta l’idée selon laquelle le maître avait lui-même été un partisan du changement institutionnel. Sous le slogan « changer les institutions en se prévalant des enseignements du passé » (tuogu gaizhi 托古改製), Kang tenta de gagner la légitimité idéologique nécessaire au changement politique en adoptant un confucianisme réformé. Dans ses mémoires à l’empereur, qui le nomma conseiller en 1898, il recommanda une série de réformes qui avaient pour objectif trois changements importants.
Tout d’abord, l’abolition d’une vue traditionnelle du monde centrée sur la Chine et la reconnaissance des puissances étrangères comme des Etats jouissant de droits égaux.
Ensuite, l’égalité des savoir chinois et occidental. Kang exigea la mise en place d’institutions éducatives inspirées du modèle occidental et la création d’une université à Pékin (devenue plus tard Beida).
Enfin, la transformation de l’empire en une monarchie constitutionnelle.La « réforme des cent jours » en 1898 échoua, en partie parce qu’elle fut menée avec hâte, mais aussi parce qu’elle se heurta à la résistance des milieux conservateurs de la Cour. Néanmoins, il est évident que Kang Youwei et ses réformateurs avaient compris au moins une chose : la seule adoption de la technologie occidentale ne suffisait pas à maintenir le système politique en place et à sauver le pays. Pour la première fois, les intellectuels chinois mirent le savoir chinois et le savoir occidental sur un pied d’égalité.
La troisième période
couvre la première République de 1911 à 1949. A nos yeux, il s’agit de la période la plus importante. Jamais auparavant — ni depuis – les intellectuels chinois n’avaient débattu les idées occidentales et la culture chinoise de manière si profonde et exhaustive. Tous les groupes politiques, à droite comme à gauche, s’efforcèrent de trouver une solution aux problèmes de la Chine. Quatre groupes principaux émergèrent.
Les confucéens comme Gu Hongming (1827-1928), allié de longue date de Zhang Zhidong et critique virulent de l’occidentalisation, et Zhang Junmai (Carsun Chang, 1887-1969), partisan du néoconfucianisme, une forme profondément idéaliste et mystique du confucianisme qui remonte à Zhu Xi (1130-1200) et Wang Yangming (1472-1528). Gu accusait les intellectuels radicaux de trahir le pays et de détruire la plus vieille civilisation au monde. Pour lui, la civilisation européenne était un « monstre matérialiste » qui, tel un cheval de Troie, s’apprêtait à détruire la civilisation chinoise de l’intérieur. La civilisation chinoise, en revanche, était perçue comme supérieure, non seulement parce qu’elle était spirituelle (jingshen) mais aussi parce qu’elle pouvait aider l’Occident à se libérer du carcan de l’idéologie matérialiste. Zhang croyait également en la supériorité de la « culture spirituelle chinoise » (jingshen wenhua 精神文化) sur la « culture matérielle » (wuzhi wenhua 物質文化) de l’Occident, surtout dans le domaine des sciences naturelles mécanistes. Notons que Zhang faisait déjà la distinction entre l’Allemagne et l’Occident et préconisait une adoption sélective de la science et de la philosophie idéaliste occidentale, en privilégiant en particulier l’idéalisme allemand et le modèle allemand de développement social et économique.
Les nationalistes proches de Sun Yatsen (1866-1925) et de son parti, le Kuomintang. Dans son traité Sanminzhuyi 三民主義 (Les Trois principes du peuple) Sun proposa une synthèse entre tradition confucéenne et libéralisme politique occidental. Lui aussi était convaincu que la culture chinoise était supérieure, mais il était prêt à introduire les institutions démocratiques occidentales en Chine dans le cadre d’un gouvernement national.
Les penseurs libéraux comme Hu Shi (1861-1962), influencés par le pragmatisme américain. Contrairement aux néoconfucéens, ils étaient convaincus que seules une plus grande scientificité de la pensée chinoise dans tous les domaines et une occidentalisation totale (quanpan xihua 全盤西化) de la civilisation chinoise, alliées à l’adoption du libéralisme politique et d’un capitalisme contrôlé, permettraient à la Chine de retrouver sa grandeur d’antan. Hu Shi, influencé par John Dewey, fut aussi le premier à préconiser pour la Chine une structure politique fédérale fondée sur l’autonomie des provinces (liansheng zizhi 聯省自治) plutôt qu’un système politique centralisé.
Les marxistes comme Chen Duxiu, Li Daozhao, Mao Zedong et d’autres, pour qui le modèle à suivre était celui de l’Union soviétique. Leur objectif était de faire table rase de la culture féodale chinoise, notamment du confucianisme (dadao kongjiao 打倒孔教) et d’inculquer une nouvelle identité socialiste fondée sur le marxisme-léninisme.
Ces groupes s’affrontèrent à plusieurs reprises : lors du « Mouvement du 4 Mai » en 1919 ; à l’occasion des controverses « entre culture orientale et culture occidentale » et « entre la science et la métaphysique » au début des années 1920 ; enfin, pendant le débat sur l’« Occidentalisation » dans les années 1930. Dans tous ces discours, la tradition culturelle chinoise devint une composante essentielle de l’identité nationale. L’élite comprit qu’il était nécessaire d’imposer une langue nationale pour protéger la culture chinoise, de développer une éducation nationale et, si possible, de prouver que la science par laquelle l’Occident avait démontré sa supériorité avait des racines aussi en Chine. Seule une profonde réforme de la culture et des institutions chinoises permettrait de faire face à la menace occidentale. Linguistes, historiens, archéologues, artistes et scientifiques étaient appelés à devenir les architectes de la nouvelle identité culturelle et nationale chinoise. Nous nous pencherons ici uniquement sur la question des sciences, mais d’autres domaines comme la sociologie, la philosophie, la langue et la littérature jouent un rôle similaire dans la quête d’une identité culturelle.
Source : Réflexions sur la quête d’une identité culturelle et nationale en Chine du XIXe siècle à aujourd’hui, Werner Meissner, Perspectives chinoises, 97, septembre-décembre 2006
Pour approfondir ce sujet, nous vous conseillons de parcourir dans son intégralité l’article de Werner Meissner. Vous pouvez éventuellement compléter avec la lecture des documents suivants :
- La tentation de la Chine : nouvelles idées reçues sur un pays en mutation, Stéphanie Balme
(« La Chine est restée confucéenne », en partie consultable sur Google Books)
- Le confucianisme et la Chine actuelle : l’héritage de Zhang Dainian (1909-2004), Frédéric Wang, Histoire, monde et cultures religieuses 2/2011 (n°18) , p. 69-87 (consultable sur Cairn)
- L’image de la Chine dans la pensée européenne du XVIIIe siècle : de l’apologie à la philosophie pratique, Zhan Shi, Annales historiques de la Révolution française, 347, janvier-mars 2007, mis en ligne le 01 mars 2010
Bonne journée.
A partir de la seconde moitié du XIXe siècle, la Chine connaît plusieurs défaites face aux puissances occidentale, ce qui provoque une crise de son identité culturelle et nationale. Parmi les intellectuels chinois, plusieurs visions différentes s’opposent, dans lesquelles le confucianisme est considéré soit comme une réponse au défi occidental, soit comme l’ennemi de la réforme et / ou de la modernité :
Pendant des siècles, le confucianisme fut l’une des principales forces à façonner la société chinoise. Toutefois, bien que le maoïsme ait tenté d’en effacer l’influence, son déclin a commencé bien avant l’avènement de la République populaire. En effet, dans la seconde moitié du XIXe siècle, une partie de l’intelligentsia chinoise tira rapidement les conclusions de la confrontation douloureuse de la Chine avec les puissances occidentales : la Chine n’était plus la puissance la plus avancée du monde et ce, pour certains penseurs, en raison de l’inadéquation entre le confucianisme et la modernité.
Selon ces intellectuels, la Chine devait donc abandonner ses traditions, étudier les théories occidentales et embrasser la modernisation industrielle afin de retrouver son rang. Deux courants idéologiques finirent par émerger et supplanter les autres : le nationalisme, associé au capitalisme industriel, et le marxisme. Ce dernier finit par l’emporter avec la victoire du Parti communiste chinois en 1949 et l’interprétation de Marx par Mao Zedong devint la nouvelle doctrine officielle.
Source : Maoïsme et confucianisme en Chine contemporaine : une introduction, Laurent Hou
Bien que les intellectuels chinois n’aient pas toujours été d’accord sur la manière de répondre au défi occidental, presque tous ceux qui se sont intéressés à l’histoire de la Chine s’accordent sur certains aspects qu’ils considèrent faire partie intégrante de l’identité culturelle et nationale chinoise (à l’exception peut-être des premiers marxistes) : Parmi ces aspects, on peut citer : l’histoire millénaire de la Chine — au moins quatre ou cinq mille ans ; l’identité du peuple han comme descendant du légendaire Empereur jaune ; la continuité du concept d’empire chinois à travers tous les changements de dynastie et l’occupation étrangère ; la spécificité de la langue chinoise ; la tradition de religion et de philosophie (ou pensée chinoise) ; la littérature chinoise, la poésie, la peinture, l’art de la céramique, la musique, etc. ; le nombre impressionnant d’inventions dans des domaines tels que la médecine, l’armement, la construction navale, la porcelaine qui dans bien des cas n’ont pas été surpassées avant la Renaissance ; en dépit des variances régionales, une culture quotidienne commune, qui va jusqu’à englober la cuisine.
Au début, la perception que les Chinois avaient d’eux-mêmes n’était pas tant de nature ethnique – l’appartenance à l’ethnie han – que culturelle – l’appartenance à un Kulturkreis (univers culturel) chinois, ce qui traduisait une forme de culturalisme. En d’autres termes, la culture chinoise était tellement attrayante qu’elle prédominait depuis longtemps sur toutes les nations et tribus qui entouraient le pays. Cette prédominance, ainsi que le sentiment de supériorité sur les autres nations, étaient des composantes d’une identité développée au fil des siècles.
C’est pourquoi la Chine vécut comme une profonde humiliation (xiuru 羞辱) la perte de son hégémonie en Asie. D’abord, elle perdit des Etats tributaires comme l’Annam, le Siam, le Laos et la Corée qui devinrent des colonies occidentales ou japonaises, puis elle fut contrainte de signer les « traités inégaux » par lesquels les puissances occidentales lui imposèrent unilatéralement leurs conditions. Cette humiliation fut d’ailleurs plus tard « inculquée dans l’esprit des élèves » pour susciter des sentiments nationalistes. Ce sentiment d’humiliation est devenu un élément de l’identité nationale chinoise.
La défaite de la Chine dans la Guerre de l’opium en 1840 marqua, pour les intellectuels, le début d’une longue crise identitaire qui perdure encore. Cette crise provoquée par l’Occident était différente des autres crises traversées par l’empire, comme les occupations mongole et mandchoue, et ne pouvait conduire à la même réponse, à savoir l’assimilation et l’acculturation des « barbares », qui devinrent finalement chinois. Alors que les empereurs mandchous n’aient jamais remis en question l’identité culturelle de l’élite instruite chinoise – ils l’ont au contraire promue de diverses façons parce qu’ils avaient besoin d’elle pour gouverner le pays – l’Occident défiait l’essence même de la culture chinoise et les fondements de l’élite. La recherche d’une réponse à la menace occidentale a globalement traversé cinq périodes :
(du milieu du XIXe siècle à 1895), le paradigme classique était « le savoir chinois comme essence (ou constitution) et le savoir occidental comme application (ou fonction) » (Zhongxue weiti, xixue weiyong 中學為體、西學為用). Ce slogan prônait une adoption des aspects technologiques et scientifiques de la civilisation occidentale, alors que le « savoir chinois » et la culture chinoise traditionnelle devaient rester l’essence de la vie de chaque individu, de la société et de l’Etat. Pour faire face à la menace occidentale, il suffisait à la Chine de « tirer des leçons de la supériorité des étrangers pour limiter leur supériorité » (Zhang Zhidong, 1837-1909).
L’élite politique commença alors à bâtir une industrie d’armement moderne et à préparer l’industrialisation de l’empire en construisant des arsenaux, des mines, des voies ferrées, etc. Ces politiques de modernisation, qui furent mises en œuvre entre 1861 et 1894 sous les slogans « Mouvement d’autorenforcement » (ziqiang yundong 自強運動) et « Mouvement des affaires occidentales » (Yangwu yundong 洋務運動) avaient pour objectifs :- la protection de l’intégrité territoriale de l’empire chinois, alors menacée, - la protection du rôle prédominant de la culture chinoise contre l’influence prétendument subversive des idées occidentales et, enfin, - la préservation du système de gouvernement confucéen en place dans l’intérêt des élites politiques et sociales.
Comme nous le savons aujourd’hui, cette modernisation conservatrice et partielle se traduisit par un échec. Les usines construites à cette époque fonctionnaient mal et, en 1894-1895, la Chine perdit une nouvelle guerre, cette fois contre le Japon, pays qui s’était engagé sur la voie d’une réforme non seulement économique mais aussi politique, avec l’introduction d’une monarchie constitutionnelle.
se caractérise par un changement de cap. Certains intellectuels comme Kang Youwei (1858-1927), Liang Qichao (1873-1929) et Tan Sitong (1865-1898) concédèrent qu’il n’était pas suffisant d’adopter les technologies occidentales, et qu’une réforme politique était nécessaire. Toutefois, pour le grand réformateur Kang Youwei, une rupture radicale avec la tradition n’était pas concevable. Il préféra se tourner vers les classiques confucéens pour trouver une réponse au défi occidental. Dans son essai Confucius réformateur (Kongzi gaizhikao 孔子改製考), publié en 1897, il présenta l’idée selon laquelle le maître avait lui-même été un partisan du changement institutionnel. Sous le slogan « changer les institutions en se prévalant des enseignements du passé » (tuogu gaizhi 托古改製), Kang tenta de gagner la légitimité idéologique nécessaire au changement politique en adoptant un confucianisme réformé. Dans ses mémoires à l’empereur, qui le nomma conseiller en 1898, il recommanda une série de réformes qui avaient pour objectif trois changements importants.
Tout d’abord, l’abolition d’une vue traditionnelle du monde centrée sur la Chine et la reconnaissance des puissances étrangères comme des Etats jouissant de droits égaux.
Ensuite, l’égalité des savoir chinois et occidental. Kang exigea la mise en place d’institutions éducatives inspirées du modèle occidental et la création d’une université à Pékin (devenue plus tard Beida).
Enfin, la transformation de l’empire en une monarchie constitutionnelle.La « réforme des cent jours » en 1898 échoua, en partie parce qu’elle fut menée avec hâte, mais aussi parce qu’elle se heurta à la résistance des milieux conservateurs de la Cour. Néanmoins, il est évident que Kang Youwei et ses réformateurs avaient compris au moins une chose : la seule adoption de la technologie occidentale ne suffisait pas à maintenir le système politique en place et à sauver le pays. Pour la première fois, les intellectuels chinois mirent le savoir chinois et le savoir occidental sur un pied d’égalité.
couvre la première République de 1911 à 1949. A nos yeux, il s’agit de la période la plus importante. Jamais auparavant — ni depuis – les intellectuels chinois n’avaient débattu les idées occidentales et la culture chinoise de manière si profonde et exhaustive. Tous les groupes politiques, à droite comme à gauche, s’efforcèrent de trouver une solution aux problèmes de la Chine. Quatre groupes principaux émergèrent.
Les confucéens comme Gu Hongming (1827-1928), allié de longue date de Zhang Zhidong et critique virulent de l’occidentalisation, et Zhang Junmai (Carsun Chang, 1887-1969), partisan du néoconfucianisme, une forme profondément idéaliste et mystique du confucianisme qui remonte à Zhu Xi (1130-1200) et Wang Yangming (1472-1528). Gu accusait les intellectuels radicaux de trahir le pays et de détruire la plus vieille civilisation au monde. Pour lui, la civilisation européenne était un « monstre matérialiste » qui, tel un cheval de Troie, s’apprêtait à détruire la civilisation chinoise de l’intérieur. La civilisation chinoise, en revanche, était perçue comme supérieure, non seulement parce qu’elle était spirituelle (jingshen) mais aussi parce qu’elle pouvait aider l’Occident à se libérer du carcan de l’idéologie matérialiste. Zhang croyait également en la supériorité de la « culture spirituelle chinoise » (jingshen wenhua 精神文化) sur la « culture matérielle » (wuzhi wenhua 物質文化) de l’Occident, surtout dans le domaine des sciences naturelles mécanistes. Notons que Zhang faisait déjà la distinction entre l’Allemagne et l’Occident et préconisait une adoption sélective de la science et de la philosophie idéaliste occidentale, en privilégiant en particulier l’idéalisme allemand et le modèle allemand de développement social et économique.
Les nationalistes proches de Sun Yatsen (1866-1925) et de son parti, le Kuomintang. Dans son traité Sanminzhuyi 三民主義 (Les Trois principes du peuple) Sun proposa une synthèse entre tradition confucéenne et libéralisme politique occidental. Lui aussi était convaincu que la culture chinoise était supérieure, mais il était prêt à introduire les institutions démocratiques occidentales en Chine dans le cadre d’un gouvernement national.
Les penseurs libéraux comme Hu Shi (1861-1962), influencés par le pragmatisme américain. Contrairement aux néoconfucéens, ils étaient convaincus que seules une plus grande scientificité de la pensée chinoise dans tous les domaines et une occidentalisation totale (quanpan xihua 全盤西化) de la civilisation chinoise, alliées à l’adoption du libéralisme politique et d’un capitalisme contrôlé, permettraient à la Chine de retrouver sa grandeur d’antan. Hu Shi, influencé par John Dewey, fut aussi le premier à préconiser pour la Chine une structure politique fédérale fondée sur l’autonomie des provinces (liansheng zizhi 聯省自治) plutôt qu’un système politique centralisé.
Les marxistes comme Chen Duxiu, Li Daozhao, Mao Zedong et d’autres, pour qui le modèle à suivre était celui de l’Union soviétique. Leur objectif était de faire table rase de la culture féodale chinoise, notamment du confucianisme (dadao kongjiao 打倒孔教) et d’inculquer une nouvelle identité socialiste fondée sur le marxisme-léninisme.
Ces groupes s’affrontèrent à plusieurs reprises : lors du « Mouvement du 4 Mai » en 1919 ; à l’occasion des controverses « entre culture orientale et culture occidentale » et « entre la science et la métaphysique » au début des années 1920 ; enfin, pendant le débat sur l’« Occidentalisation » dans les années 1930. Dans tous ces discours, la tradition culturelle chinoise devint une composante essentielle de l’identité nationale. L’élite comprit qu’il était nécessaire d’imposer une langue nationale pour protéger la culture chinoise, de développer une éducation nationale et, si possible, de prouver que la science par laquelle l’Occident avait démontré sa supériorité avait des racines aussi en Chine. Seule une profonde réforme de la culture et des institutions chinoises permettrait de faire face à la menace occidentale. Linguistes, historiens, archéologues, artistes et scientifiques étaient appelés à devenir les architectes de la nouvelle identité culturelle et nationale chinoise. Nous nous pencherons ici uniquement sur la question des sciences, mais d’autres domaines comme la sociologie, la philosophie, la langue et la littérature jouent un rôle similaire dans la quête d’une identité culturelle.
Source : Réflexions sur la quête d’une identité culturelle et nationale en Chine du XIXe siècle à aujourd’hui, Werner Meissner, Perspectives chinoises, 97, septembre-décembre 2006
Pour approfondir ce sujet, nous vous conseillons de parcourir dans son intégralité l’article de Werner Meissner. Vous pouvez éventuellement compléter avec la lecture des documents suivants :
- La tentation de la Chine : nouvelles idées reçues sur un pays en mutation, Stéphanie Balme
(« La Chine est restée confucéenne », en partie consultable sur Google Books)
- Le confucianisme et la Chine actuelle : l’héritage de Zhang Dainian (1909-2004), Frédéric Wang, Histoire, monde et cultures religieuses 2/2011 (n°18) , p. 69-87 (consultable sur Cairn)
- L’image de la Chine dans la pensée européenne du XVIIIe siècle : de l’apologie à la philosophie pratique, Zhan Shi, Annales historiques de la Révolution française, 347, janvier-mars 2007, mis en ligne le 01 mars 2010
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