16e Arrondissement
DIVERS
+ DE 2 ANS
Le 05/10/2015 à 18h13
165 vues
Question d'origine :
Bonsoir,
la rue Mallet-Stevens et les monuments conçus par ce même architecte sont-ils antérieurs ou ultérieurs à la construction des Villas La Roche/Jeanneret ?
Je vous remercie.
Réponse du Guichet
gds_et
- Département : Équipe du Guichet du Savoir
Le 07/10/2015 à 08h33
Bonjour,
D’après ce qu’indique l’ouvrage Rob Mallet-Stevens : architecte, la rue Mallet-Stevens à Auteuil fut réalisée en 1926, donc après la Maison La Roche-Jeanneret (1923-1925).
Sur son site dédié à l’architecte, la Fondation des amis de Mallet-Stevens apporte ces précisions :
RUE MALLET-STEVENS, PARIS, 1926-1934
Souvent comparée dans la presse de l’époque à la Cité Seurat, qui compte des villas modernes signées Perret et Lurçat, la voie nouvelle que Mallet-Stevens crée et bâtit dans le XVIe arrondissement repose sur une opération immobilière originale. À son origine se trouvent Daniel Dreyfus, propriétaire d’un terrain situé derrière son domicile du 71 rue de l’Assomption et susceptible d’être loti, Mallet-Stevens, qui a déjà eu ce dernier pour commanditaire lors de la rénovation de l’hôtel des Roches noires, à Trouville, ainsi que des clients potentiels appartenant à leurs cercles de relations.
Le terrain occupe une surface totale de 3 827 m2. Le projet de lotissement est approuvé en préfecture le 12 septembre 1925. À partir de ce moment, achats de terrains et dépôts de permis de construire vont s’échelonner jusque dans le courant de 1926. Un syndicat de copropriétaires est constitué, dont le rôle «d’aménageur» de la voie est effectif dès novembre 1926. Trois premiers bâtiments, destinés à Mme Reifenberg, à M. et Mme Allatini, et à M. Dreyfus, sont édifiés ensemble, suivis de ceux des familles Martel et Mallet-Stevens.
En mai 1926, alors que les chantiers sont lancés, l’architecte livre un texte concernant son projet : «La rue que j’ai la bonne fortune de construire est située à Auteuil et aboutit rue du Docteur-Blanche. Aucun commerce n’y est autorisé. Elle est exclusivement réservée à l’habitation, au repos ; on doit y trouver un calme réel, loin du mouvement et du bruit, et son aspect même, par sa structure générale, doit évoquer la placidité sans tristesse. Une rue peut être gaie, joyeuse, même, tout en étant “reposante”. Elle ne doit pas forcément emprunter ses lignes à celles d’un cimetière pour engendrer l’idée de repos ; d’ailleurs, le Campo Santo de Gênes, par son architecture compliquée, tourmentée, n’est pas “reposant”. La chaussée, pavée en éventails de grès, sera bordée de trottoirs agrandis par de larges bandes de gazon formant zone non aedificandi. Aucune barrière ne limitera ces zones, la verdure allant directement du trottoir aux maisons. L’aspect général sera donc de maisons parmi des jardins, d’hôtels particuliers au milieu d’un seul jardin. Ces hôtels, ayant chacun un programme spécial, sont très différents les uns des autres, mais conçus dans un même esprit afin de créer une unité. Si les programmes ne sont pas semblables, les exigences de chacun des habitants sont les mêmes : de l’air, de la lumière. Aussi toutes les baies sont vastes, très vastes, corrigées en tant que température par le chauffage central. Les constructions sont en béton armé, autorisant de grandes portées sans points d’appui intermédiaires, permettant des espaces libres sans poteaux. Toutes ces maisons sont couvertes en terrasse. […] La maison du “repos” doit et peut avoir un coin fleuri, un espace à ciel ouvert. Et toutes ces terrasses à différents étages, disposées en gradins, sur une rue entière, procureront un ensemble de verdure s’harmonisant avec les lignes calmes de l’architecture.»
Bien que les chantiers intérieurs des deux derniers hôtels ne soient pas achevés, la rue est inaugurée le 20 juillet 1927, en présence de M. Bokanowski, ministre du Commerce et de l’Industrie, de MM. Bouju, préfet de la Seine, et Chiappe, préfet de police, de Paul Léon, directeur des Beaux-Arts, et de Fernand Laurent, conseiller municipal d’Auteuil. «Cette manifestation d’art architectural moderne» est filmée par les actualités cinématographiques des firmes Gaumont et Pathé et abondamment couverte par la presse généraliste.
Si le traitement de la zone non aedificandi est conforme au propos de Mallet-Stevens, la réalité paysagère est en deçà des prétentions affichées. Mme Reifenberg aura beau faire planter un cèdre bleu, la rue Mallet-Stevens n’en demeure pas moins très éloignée d’une cité-jardin. Son aspect minéral, ses proportions, son unité architecturale la projettent dans une dimension urbaine affirmée. Son équipement même en fait une rue moderne : «L’éclairage sera assuré par trois candélabres en béton armé dessinés par M. Mallet-Stevens, d’un modèle analogue à ceux de l’exposition… Paris 1925, avec luminaire identique à celui de la rue La-Fontaine, Paris XVIe». «Tous ces hôtels ont été érigés en béton» : c’est ce que proclame l’architecte et que relèvent les journalistes. Pour l’un, il y a là l’affirmation de la modernité, pour les autres l’explicitation de cette esthétique nouvelle. La réalité constructive est plus nuancée, comme l’expose Mallet-Stevens : «Leur structure est nettement apparente. La pierre n’intervient jamais pour la masquer. Mais seule l’armature, c’est-à-dire le cadre fixe, est en ciment armé. Les parois qui ne supportent rien sont en brique creuse, isolant d’une parfaite étanchéité. Je compare volontiers ce mode de construction à celui d’une ombrelle, dont le cadre est en fibres métalliques, qui maintiennent la soie. Les murs mitoyens sont en pierre, ainsi que l’exige la municipalité.» Pour unifier structure et remplissage, se pose alors la question du revêtement : un crépi est choisi, par souci d’économie, mais sans doute aussi pour l’image, recherchée, de construction en ciment armé. Les surfaces sont nues et lisses, à l’exception des soubassements : un relief en cannelures horizontales file au bas de toutes les façades et les murs de la rue. Le chantier de gros œuvre est assuré dans sa totalité par l’entreprise de maçonnerie dirigée par André Lafond, et son suivi assumé principalement par Gabriel Guévrékian. Au fil des entretiens qu’il accorde, Mallet-Stevens revendique l’emploi du béton pour les grandes dimensions des ouvertures et des porte-à-faux, qu’autorise ce matériau. Il souligne constamment l’importance donnée aux éléments de second œuvre (fenêtres à glissière, canalisations encastrées, sols sans joints…), à l’équipement moderne (chauffage central, téléphone inter-communication dans chaque pièce, sirènes d’alarme anti-effraction…). Enfin, il insiste sur la cohérence architecturale de l’opération : «Renonçant à un individualisme souvent préjudiciable à l’harmonie générale, mes clients ont accepté que leurs hôtels respectifs, tout en gardant leurs caractéristiques, fissent partie d’un ensemble, c’est-à-dire d’un corps d’architecture un et indivisible. Ces hôtels ne sont pas juxtaposés au petit bonheur ou suivant les hasards d’une construction livrée à l’anarchie. Une idée commune a régi leurs rapports. Aussi forment-ils un bloc parfaitement homogène.»
C’est précisément cette dimension d’ensemble qui donne toute sa portée à la rue Mallet-Stevens. Si les photographies des bâtiments sont fréquemment reproduites dans la presse française et étrangère, si les commentaires des journalistes – séduits, dubitatifs ou défavorables – abondent, si la rue provoque même des réactions d’écrivains, l’analyse architecturale est rare et peu prolixe. Howard Robertson et Frank Yerbury font de la rue le sujet d’un de leurs voyages en architecture moderne ; Siegfried Giedion et Theo Van Doesburg, chacun dans sa visée théorique, s’emparent de cette réalisation pour reprocher à Mallet-Stevens, l’un son formalisme, l’autre son manque de rigueur théorique.
Quant au nom attribué à cette voie, l’explication est donnée par l’architecte : «Ce sont les habitants de cette rue qui ont demandé eux-mêmes à M. Qui-de-Droit l’autorisation de lui donner mon nom.»
Olivier Cinqualbre
Pour aller plus loin :
- Robert Mallet-Stevens : l'oeuvre complète : exposition, Paris, Centre Pompidou Galerie 2, 27 avril-29 août 2005, Olivier Cinqualbre
- Robert Mallet-Stevens, architecte, dir. Jean-Pierre Lyonnet; textes de Yvon Poullain, Catherine Gilbert, Andrée Putman, Jean Manusardi et al.
Bonne journée.
D’après ce qu’indique l’ouvrage Rob Mallet-Stevens : architecte, la rue Mallet-Stevens à Auteuil fut réalisée en 1926, donc après la Maison La Roche-Jeanneret (1923-1925).
Sur son site dédié à l’architecte, la Fondation des amis de Mallet-Stevens apporte ces précisions :
Souvent comparée dans la presse de l’époque à la Cité Seurat, qui compte des villas modernes signées Perret et Lurçat, la voie nouvelle que Mallet-Stevens crée et bâtit dans le XVIe arrondissement repose sur une opération immobilière originale. À son origine se trouvent Daniel Dreyfus, propriétaire d’un terrain situé derrière son domicile du 71 rue de l’Assomption et susceptible d’être loti, Mallet-Stevens, qui a déjà eu ce dernier pour commanditaire lors de la rénovation de l’hôtel des Roches noires, à Trouville, ainsi que des clients potentiels appartenant à leurs cercles de relations.
Le terrain occupe une surface totale de 3 827 m2. Le projet de lotissement est approuvé en préfecture le 12 septembre 1925. À partir de ce moment, achats de terrains et dépôts de permis de construire vont s’échelonner jusque dans le courant de 1926. Un syndicat de copropriétaires est constitué, dont le rôle «d’aménageur» de la voie est effectif dès novembre 1926. Trois premiers bâtiments, destinés à Mme Reifenberg, à M. et Mme Allatini, et à M. Dreyfus, sont édifiés ensemble, suivis de ceux des familles Martel et Mallet-Stevens.
En mai 1926, alors que les chantiers sont lancés, l’architecte livre un texte concernant son projet : «La rue que j’ai la bonne fortune de construire est située à Auteuil et aboutit rue du Docteur-Blanche. Aucun commerce n’y est autorisé. Elle est exclusivement réservée à l’habitation, au repos ; on doit y trouver un calme réel, loin du mouvement et du bruit, et son aspect même, par sa structure générale, doit évoquer la placidité sans tristesse. Une rue peut être gaie, joyeuse, même, tout en étant “reposante”. Elle ne doit pas forcément emprunter ses lignes à celles d’un cimetière pour engendrer l’idée de repos ; d’ailleurs, le Campo Santo de Gênes, par son architecture compliquée, tourmentée, n’est pas “reposant”. La chaussée, pavée en éventails de grès, sera bordée de trottoirs agrandis par de larges bandes de gazon formant zone non aedificandi. Aucune barrière ne limitera ces zones, la verdure allant directement du trottoir aux maisons. L’aspect général sera donc de maisons parmi des jardins, d’hôtels particuliers au milieu d’un seul jardin. Ces hôtels, ayant chacun un programme spécial, sont très différents les uns des autres, mais conçus dans un même esprit afin de créer une unité. Si les programmes ne sont pas semblables, les exigences de chacun des habitants sont les mêmes : de l’air, de la lumière. Aussi toutes les baies sont vastes, très vastes, corrigées en tant que température par le chauffage central. Les constructions sont en béton armé, autorisant de grandes portées sans points d’appui intermédiaires, permettant des espaces libres sans poteaux. Toutes ces maisons sont couvertes en terrasse. […] La maison du “repos” doit et peut avoir un coin fleuri, un espace à ciel ouvert. Et toutes ces terrasses à différents étages, disposées en gradins, sur une rue entière, procureront un ensemble de verdure s’harmonisant avec les lignes calmes de l’architecture.»
Bien que les chantiers intérieurs des deux derniers hôtels ne soient pas achevés, la rue est inaugurée le 20 juillet 1927, en présence de M. Bokanowski, ministre du Commerce et de l’Industrie, de MM. Bouju, préfet de la Seine, et Chiappe, préfet de police, de Paul Léon, directeur des Beaux-Arts, et de Fernand Laurent, conseiller municipal d’Auteuil. «Cette manifestation d’art architectural moderne» est filmée par les actualités cinématographiques des firmes Gaumont et Pathé et abondamment couverte par la presse généraliste.
Si le traitement de la zone non aedificandi est conforme au propos de Mallet-Stevens, la réalité paysagère est en deçà des prétentions affichées. Mme Reifenberg aura beau faire planter un cèdre bleu, la rue Mallet-Stevens n’en demeure pas moins très éloignée d’une cité-jardin. Son aspect minéral, ses proportions, son unité architecturale la projettent dans une dimension urbaine affirmée. Son équipement même en fait une rue moderne : «L’éclairage sera assuré par trois candélabres en béton armé dessinés par M. Mallet-Stevens, d’un modèle analogue à ceux de l’exposition… Paris 1925, avec luminaire identique à celui de la rue La-Fontaine, Paris XVIe». «Tous ces hôtels ont été érigés en béton» : c’est ce que proclame l’architecte et que relèvent les journalistes. Pour l’un, il y a là l’affirmation de la modernité, pour les autres l’explicitation de cette esthétique nouvelle. La réalité constructive est plus nuancée, comme l’expose Mallet-Stevens : «Leur structure est nettement apparente. La pierre n’intervient jamais pour la masquer. Mais seule l’armature, c’est-à-dire le cadre fixe, est en ciment armé. Les parois qui ne supportent rien sont en brique creuse, isolant d’une parfaite étanchéité. Je compare volontiers ce mode de construction à celui d’une ombrelle, dont le cadre est en fibres métalliques, qui maintiennent la soie. Les murs mitoyens sont en pierre, ainsi que l’exige la municipalité.» Pour unifier structure et remplissage, se pose alors la question du revêtement : un crépi est choisi, par souci d’économie, mais sans doute aussi pour l’image, recherchée, de construction en ciment armé. Les surfaces sont nues et lisses, à l’exception des soubassements : un relief en cannelures horizontales file au bas de toutes les façades et les murs de la rue. Le chantier de gros œuvre est assuré dans sa totalité par l’entreprise de maçonnerie dirigée par André Lafond, et son suivi assumé principalement par Gabriel Guévrékian. Au fil des entretiens qu’il accorde, Mallet-Stevens revendique l’emploi du béton pour les grandes dimensions des ouvertures et des porte-à-faux, qu’autorise ce matériau. Il souligne constamment l’importance donnée aux éléments de second œuvre (fenêtres à glissière, canalisations encastrées, sols sans joints…), à l’équipement moderne (chauffage central, téléphone inter-communication dans chaque pièce, sirènes d’alarme anti-effraction…). Enfin, il insiste sur la cohérence architecturale de l’opération : «Renonçant à un individualisme souvent préjudiciable à l’harmonie générale, mes clients ont accepté que leurs hôtels respectifs, tout en gardant leurs caractéristiques, fissent partie d’un ensemble, c’est-à-dire d’un corps d’architecture un et indivisible. Ces hôtels ne sont pas juxtaposés au petit bonheur ou suivant les hasards d’une construction livrée à l’anarchie. Une idée commune a régi leurs rapports. Aussi forment-ils un bloc parfaitement homogène.»
C’est précisément cette dimension d’ensemble qui donne toute sa portée à la rue Mallet-Stevens. Si les photographies des bâtiments sont fréquemment reproduites dans la presse française et étrangère, si les commentaires des journalistes – séduits, dubitatifs ou défavorables – abondent, si la rue provoque même des réactions d’écrivains, l’analyse architecturale est rare et peu prolixe. Howard Robertson et Frank Yerbury font de la rue le sujet d’un de leurs voyages en architecture moderne ; Siegfried Giedion et Theo Van Doesburg, chacun dans sa visée théorique, s’emparent de cette réalisation pour reprocher à Mallet-Stevens, l’un son formalisme, l’autre son manque de rigueur théorique.
Quant au nom attribué à cette voie, l’explication est donnée par l’architecte : «Ce sont les habitants de cette rue qui ont demandé eux-mêmes à M. Qui-de-Droit l’autorisation de lui donner mon nom.»
Olivier Cinqualbre
- Robert Mallet-Stevens : l'oeuvre complète : exposition, Paris, Centre Pompidou Galerie 2, 27 avril-29 août 2005, Olivier Cinqualbre
- Robert Mallet-Stevens, architecte, dir. Jean-Pierre Lyonnet; textes de Yvon Poullain, Catherine Gilbert, Andrée Putman, Jean Manusardi et al.
Bonne journée.
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