Question d'origine :
Cher guichet,
Je lis dans Pierre Ordoni,le pouvoir militaire,Albatros tome 2 page 193 qu'en 1906,la solde de chef de bataillon ,père de trois enfants s'élève à 459 francs par mois.
Ma question: les officiers étaient-ils à cette époque bien payés
Réponse du Guichet
bml_civ
- Département : Civilisation
Le 30/01/2015 à 11h57
Bonjour,
Les officiers étaient-ils bien payés à la veille de la guerre ? Et bien la réponse pourrait être : oui et non.
Comparons d’abord avec quelques autres revenus à la même époque :
« Les renseignements sur les salaires nominaux deviennent plus précis avec la création de l’office du Travail en 1891. Le mineur qui gagnait en moyenne 840F par an en 1869, en touche 1330 en 1900 et 1562 en 1912. La moyenne des salaires était en 1872 de 4.5 F par jour à Paris, de 3F en province ; elle passe à 7 et 4,50 en 1901 à 8 et 5.25 en 1913. »
Voir la suite de cette précédente question au Guichet du Savoir : Salaire moyen en 1886
Sur la page L’instituteur, un homme à tout faire, site Histoire en questions, on peut lire : « Son salaire annuel s'élevait à 1800 francs, plus une gratification de 300 francs pour le secrétariat de mairie. »
Dans Gendarmerie, états et société au XIXe siècle, sous la direction de Jean-Noël Luc on apprend qu’ « à la veille de la guerre, un gendarme gagne moins de 1500F par an »
Dans Le travail en France 1880-2000, Oliver Marchand, donne le salaire mensuel moyen d’un ouvrier qui est de 1870 francs de 1995 soit selon le Convertisseur de l’Insee 90,38 F de 1906
Autres exemples de salaires et de revenus avant-guerre :
-Salaire d’un contremaître en 1909
- Les métiers en 1900, site associatif.
Jusque là, on pourrait dire que le chef de bataillon de votre livre est plutôt très bien payé.
Mais première relativisation, on peut voir sur le croquis en pièce jointe : Evolution comparée du traitement des juges et de la solde des officiers (1837-1913), p. 8 du pdf, que c’est un traitement finalement plutôt bas pour un officier, et qu’il y a donc déjà de grandes disparités selon les grades.
Ensuite, autre bémol, on peut voir aussi que « pour pouvoir mener le train de vie qui convenait à leur place dans la société, les officiers devaient bénéficier, par héritage ou par mariage d'une certaine fortune personnelle. Parmi les conditions que devait remplir la future épouse d'un officier figurait la clause suivante : "la dot de la future ne doit jamais être inférieure à un revenu personnel et non viager de 1200 F au minimum »
Voir en ligne : Etude d’un groupe social. Les officiers de marine à Toulon, Nelly Maitre.
et aussi : Principaux textes relatifs au mariage des militaires, site personnel.
Les officiers ont donc des frais de représentation, doublés s’ils sont mariés, et plus s’ils ont des enfants, qui font que leur solde peut ne pas paraître à la hauteur.
Le livre Les officiers français dans la nation 1848-1914 explicite en détails et les revenus et les frais et les obligations des officiers, et revient sur les disparités de grade.
Voici des extraits d’un très bon résumé de l’ouvrage, qui relativise cependant à son tour ces difficultés à la fin :
« C'est en effet davantage sur les difficultés de la condition d'officier qu'insiste M. Serman. A certains égards, d'abord, les officiers apparaissent comme des citoyens de seconde zone. Jusqu'en 1910, il leur est interdit de publier des écrits sous leur signature, sans accord de leurs chefs. Ils sont obligés de demander une autorisation pour se marier, ce qui implique enquête de moralité sur la future et justification d'une dot réglementaire, cette dernière exigence n'étant abrogée qu'en 1900. Au hasard des affectations, ils sont enfin astreints à changer si fréquemment de domicile que l'on a pu parler de nomadisme pour caractériser leurs conditions de vie. Enfin, après que, à l'occasion des élections notamment, les divers régimes aient exercé des pressions politiques sur les officiers, comme sur tous les fonctionnaires d'ailleurs, la IIIème République enleva aux officiers en activité le droit de vote et l'éligibilité : les républicains semblaient considérer que l'exercice de la démocratie politique était incompatible avec la discipline militaire. Aux restrictions réglementaires s'ajoute l'effet d'un rituel qui restreint la liberté individuelle et dont le relent archaïque est de plus en plus mal supporté : obligation de porter l'uniforme, même en dehors du service, de prendre les repas en commun, nécessité de célébrer à ses frais toute promotion et toute mutation, participation à une vie mondaine astreignante, fût -elle réduite aux rapports avec les autres officiers. L'observation de ces rites était souvent pénible pour tous ceux qui manquaient de fortune ou tout simplement d'usages. Ce style de vie contribuait au maintien dans l'armée d'idéaux aristocratiques et, pour l'officier, tenir son rang était une nécessité impérative, qui n'était pas sans répercussion sur le déroulement des carrières. Les pressions d'ordre idéologique et moral constituent le troisième volet des contraintes pesant sur l'officier. » […] « C'est sur un constat d'échec que se termine l'ouvrage. L'état d'officier n'est que faux-semblants. A de rares exceptions près, la carrière exige une soumission aveugle à des directives gouvernementales changeantes et à des usages mal adaptés aux possibilités matérielles et aux aspirations profondes de la majorité des officiers, obligés de vivre au-dessus de leurs moyens et de défendre des valeurs auxquelles ils deviennent étrangers : à la veille de la Grande Guerre, malgré la démocratisation du recrutement, les officiers français apparaissent donc comme situés quelque peu en marge de la nation. » […] « En fait, l'image donnée par M. Serman nous paraît un peu poussée au noir, peut-être parce que l'auteur a voulu s'enfermer dans le monde militaire, sans faire de comparaison systématique avec des milieux voisins et en ne soulignant pas assez la complexité de la nation à laquelle appartenaient les officiers. Affirmer d'entrée de jeu que, au XIXème siècle, « les officiers perdent de leur considération dans une société hiérarchisée par l'argent », c'est oublier qu'en France, jusqu'en 1914 et au-delà, l'argent, revenu ou capital, n'était qu'un des éléments de la hiérarchie sociale. Ajoutons, mais c'est presqu'un corollaire, que, en dépit des contraintes particulières imposées aux officiers, la vie de ces derniers n'était pas sensiblement plus difficile, à rang égal, que celle de toute une partie de la bourgeoisie salariée sans fortune qui, dans la fonction publique notamment, s'efforçait de vivre dignement et d'établir correctement ses enfants, au prix de sacrifices aussi réels, mais moins souvent évoqués que ceux des ménages d'officier. L'ensemble de la société bourgeoise de l'époque, jusque dans ses tréfonds les plus modestes est partagée entre des tendances démocratiques et des valeurs aristocratiques. »
Daumard Adeline. W. Serman, Les Officiers français dans la nation (1848-1914). In: Romantisme, 1985, n°48. pp. 116-117.
Pour finir, un livre pour souligner à quel point la guerre va révéler les énormes disparités qui creusent alors la société française :
1914-1918 : la guerre des classes, Jacques R. Pauwels
Bonnes lectures !
Les officiers étaient-ils bien payés à la veille de la guerre ? Et bien la réponse pourrait être : oui et non.
Comparons d’abord avec quelques autres revenus à la même époque :
« Les renseignements sur les salaires nominaux deviennent plus précis avec la création de l’office du Travail en 1891. Le mineur qui gagnait en moyenne 840F par an en 1869, en touche 1330 en 1900 et 1562 en 1912. La moyenne des salaires était en 1872 de 4.5 F par jour à Paris, de 3F en province ; elle passe à 7 et 4,50 en 1901 à 8 et 5.25 en 1913. »
Voir la suite de cette précédente question au Guichet du Savoir : Salaire moyen en 1886
Sur la page L’instituteur, un homme à tout faire, site Histoire en questions, on peut lire : « Son salaire annuel s'élevait à 1800 francs, plus une gratification de 300 francs pour le secrétariat de mairie. »
Dans Gendarmerie, états et société au XIXe siècle, sous la direction de Jean-Noël Luc on apprend qu’ « à la veille de la guerre, un gendarme gagne moins de 1500F par an »
Dans Le travail en France 1880-2000, Oliver Marchand, donne le salaire mensuel moyen d’un ouvrier qui est de 1870 francs de 1995 soit selon le Convertisseur de l’Insee 90,38 F de 1906
Autres exemples de salaires et de revenus avant-guerre :
-Salaire d’un contremaître en 1909
- Les métiers en 1900, site associatif.
Jusque là, on pourrait dire que le chef de bataillon de votre livre est plutôt très bien payé.
Mais première relativisation, on peut voir sur le croquis en pièce jointe : Evolution comparée du traitement des juges et de la solde des officiers (1837-1913), p. 8 du pdf, que c’est un traitement finalement plutôt bas pour un officier, et qu’il y a donc déjà de grandes disparités selon les grades.
Ensuite, autre bémol, on peut voir aussi que « pour pouvoir mener le train de vie qui convenait à leur place dans la société, les officiers devaient bénéficier, par héritage ou par mariage d'une certaine fortune personnelle. Parmi les conditions que devait remplir la future épouse d'un officier figurait la clause suivante : "la dot de la future ne doit jamais être inférieure à un revenu personnel et non viager de 1200 F au minimum »
Voir en ligne : Etude d’un groupe social. Les officiers de marine à Toulon, Nelly Maitre.
et aussi : Principaux textes relatifs au mariage des militaires, site personnel.
Les officiers ont donc des frais de représentation, doublés s’ils sont mariés, et plus s’ils ont des enfants, qui font que leur solde peut ne pas paraître à la hauteur.
Le livre Les officiers français dans la nation 1848-1914 explicite en détails et les revenus et les frais et les obligations des officiers, et revient sur les disparités de grade.
Voici des extraits d’un très bon résumé de l’ouvrage, qui relativise cependant à son tour ces difficultés à la fin :
« C'est en effet davantage sur les difficultés de la condition d'officier qu'insiste M. Serman. A certains égards, d'abord, les officiers apparaissent comme des citoyens de seconde zone. Jusqu'en 1910, il leur est interdit de publier des écrits sous leur signature, sans accord de leurs chefs. Ils sont obligés de demander une autorisation pour se marier, ce qui implique enquête de moralité sur la future et justification d'une dot réglementaire, cette dernière exigence n'étant abrogée qu'en 1900. Au hasard des affectations, ils sont enfin astreints à changer si fréquemment de domicile que l'on a pu parler de nomadisme pour caractériser leurs conditions de vie. Enfin, après que, à l'occasion des élections notamment, les divers régimes aient exercé des pressions politiques sur les officiers, comme sur tous les fonctionnaires d'ailleurs, la IIIème République enleva aux officiers en activité le droit de vote et l'éligibilité : les républicains semblaient considérer que l'exercice de la démocratie politique était incompatible avec la discipline militaire. Aux restrictions réglementaires s'ajoute l'effet d'un rituel qui restreint la liberté individuelle et dont le relent archaïque est de plus en plus mal supporté : obligation de porter l'uniforme, même en dehors du service, de prendre les repas en commun, nécessité de célébrer à ses frais toute promotion et toute mutation, participation à une vie mondaine astreignante, fût -elle réduite aux rapports avec les autres officiers. L'observation de ces rites était souvent pénible pour tous ceux qui manquaient de fortune ou tout simplement d'usages. Ce style de vie contribuait au maintien dans l'armée d'idéaux aristocratiques et, pour l'officier, tenir son rang était une nécessité impérative, qui n'était pas sans répercussion sur le déroulement des carrières. Les pressions d'ordre idéologique et moral constituent le troisième volet des contraintes pesant sur l'officier. » […] « C'est sur un constat d'échec que se termine l'ouvrage. L'état d'officier n'est que faux-semblants. A de rares exceptions près, la carrière exige une soumission aveugle à des directives gouvernementales changeantes et à des usages mal adaptés aux possibilités matérielles et aux aspirations profondes de la majorité des officiers, obligés de vivre au-dessus de leurs moyens et de défendre des valeurs auxquelles ils deviennent étrangers : à la veille de la Grande Guerre, malgré la démocratisation du recrutement, les officiers français apparaissent donc comme situés quelque peu en marge de la nation. » […] « En fait, l'image donnée par M. Serman nous paraît un peu poussée au noir, peut-être parce que l'auteur a voulu s'enfermer dans le monde militaire, sans faire de comparaison systématique avec des milieux voisins et en ne soulignant pas assez la complexité de la nation à laquelle appartenaient les officiers. Affirmer d'entrée de jeu que, au XIXème siècle, « les officiers perdent de leur considération dans une société hiérarchisée par l'argent », c'est oublier qu'en France, jusqu'en 1914 et au-delà, l'argent, revenu ou capital, n'était qu'un des éléments de la hiérarchie sociale. Ajoutons, mais c'est presqu'un corollaire, que, en dépit des contraintes particulières imposées aux officiers, la vie de ces derniers n'était pas sensiblement plus difficile, à rang égal, que celle de toute une partie de la bourgeoisie salariée sans fortune qui, dans la fonction publique notamment, s'efforçait de vivre dignement et d'établir correctement ses enfants, au prix de sacrifices aussi réels, mais moins souvent évoqués que ceux des ménages d'officier. L'ensemble de la société bourgeoise de l'époque, jusque dans ses tréfonds les plus modestes est partagée entre des tendances démocratiques et des valeurs aristocratiques. »
Daumard Adeline. W. Serman, Les Officiers français dans la nation (1848-1914). In: Romantisme, 1985, n°48. pp. 116-117.
Pour finir, un livre pour souligner à quel point la guerre va révéler les énormes disparités qui creusent alors la société française :
1914-1918 : la guerre des classes, Jacques R. Pauwels
Bonnes lectures !
Pièces jointes
DANS NOS COLLECTIONS :
Commentaires 0
Connectez-vous pour pouvoir commenter.
Se connecter