Question d'origine :
L'émancipation des femmes est-elle en marche depuis le début des printemps arabes ?
Réponse du Guichet
bml_soc
- Département : Société
Le 20/12/2014 à 15h52
La dimension féministe de la "révolution arabe" a été soulignée par de nombreux observateurs.
C'était un fait nouveau et bien sûr formidablement prometteur mais au fond prévisible depuis qu'elles ont accès aux études, au contrôle des naissances et au monde grâce aux réseaux Internet (voir l’analyse des révolutions arabes faites par Emmanuel Todd dans Allah n'y est pour rien : sur les révolutions arabes et quelques autres).
Le printemps arabes a « levé le voile » sur l'image occidentale traditionnelle d’une femme arabe soumise à une attitude de silence et de soumission dans l’espace privé comme dans l’espace public et a montré qu’il existe un nouveau modèle, particulièrement actif, de participation féminine. Des femmes de tout genre et de toutes conditions sociales sont descendues dans la rue pour lutter non seulement contre la tyrannie et les injustices des États, mais aussi contre les principes conservateurs des sociétés dans lesquelles elles vivent. Nombre d’entre elles ont été victimes de menaces, parfois proférées par leur propre famille, d’autres ont même été violées, voire assassinées. Elles ont fait preuve, malgré tout, de détermination et de courage.(Le rôle des femmes dans le printemps arabe)
Aussi, y-a-t-il eu une autre révolution dans la révolution du printemps arabe, moins visible, moins bruyante, mais bien réelle et plus historique encore que la formidable leçon donnée par "la rue arabe" en Tunisie, Egypte, Yémen, Bahreïn, Libye, Syrie et autres pays musulmans du pourtour méditerranéen ? Une révolution des femmes qui ne réclament pas de droits spécifiques mais exigent une citoyenneté à part entière, à part égale, dans tous les domaines, politiques, économiques, juridiques, familiaux.
Les manifestations plus récentes des femmes au Bahreïn et au Yémen montrent que ces revendications ne se sont pas tues. Des milliers de femmes, invisibles jusque-là, ont défié sans relâche le pouvoir. Elles ont jusqu'à brûlé leurs voiles sur la place publique pour demander plus d’égalité. Une jeune Bahreïnie a également manifesté en inscrivant sur son ventre et son buste «I took off my Abaya for Amina», en guise de soutien à Amina, la première à rejoindre le mouvement Femen Tunisie. Alors que les Egyptiennes ont, dès février 2011, dénoncé les agressions dont elles étaient victimes place Tahrir - oscillant entre viol et tests de virginité - elles continuent le combat. L'objectif : que la mention «égalité» et non «complémentarité» apparaisse dans la Constitution égyptienne.
Entretien avec Bassma Kodmani, co-fondatrice du Conseil nation syrien, autour des lendemains de la révolution arabes pour les femmes :
« Le rôle des femmes a été déterminant et l’est toujours dans la mobilisation de la société qui a eu lieu dans «tous les pays du printemps arabes. Elles ont été très actives dans l’organisation des mouvements pacifiques, des manifestations, de toutes les stratégies non violentes de défi au régime. Elles sont descendues dans la rue, voilées ou non.En général, le discours des femmes sur la révolution est très imprégné des valeurs démocratiques, des droits de l’homme, de la mobilisation de la société civile, et du caractère civique de la mobilisation. Le contraste entre leur contribution à la mobilisation et leur participation politique ensuite est assez saisissant puisqu’elles sont très mal représentées dans les partis politiques. C’est un phénomène de développement social plus que tout autre chose puisque ce n’est pas une caractéristique des mouvements islamistes. C’est assez généralisé. Tous les mouvements, laïcs ou non, ont une très faible représentation des femmes. Les partis d’oppositions traditionnels, qui existaient avant en Egypte, au Yemen, en Tunisie, avaient déjà une représentation faible des femmes. Donc on part avec un handicap si l’on s’en remet aux forces politiques traditionnelles. Mais je ne condamne pas que les islamistes dans cette affaire, le machisme est présent aussi bien chez les laïcs. En revanche, dans la rue, la mobilisation est très forte pour les femmes. Le véritable défi est : comment ces mouvements qui se sont manifestés dans la rue vont organiser leur représentation politique ? Cette représentation politique n’est pas encore organisée. Elle est très fortement jeune, avec une présence féminine très large. Il s’agit de traduire la présence des femmes dans les institutions politiques. On est très en retard sur la représentation démocratique de toute la société puisque les femmes en constituent 50%.»
Cependant, force est de constater le désenchantement dans les pays arabes quelques années après l’effondrement des régimes dictatoriaux. Et les femmes sont les premières menacées dans leurs droits par les régimes islamistes qui ont pris le pouvoir.
En novembre 2013, la Thomson Reuters Fondation publie son classement sur le droit des femmes dans les pays arabes. En queue de classement, l’Égypte, où, comme dans les autre pays du Printemps arabe, la condition des femmes s’est détériorée depuis la Révolution.
La même désillusion apparait dans le bilan dressé par le 6e Forum International des femmes méditerranéennes* qui s’est tenu du 21 au 23 juin 2013 à Fès au Maroc. Sur le thème « Droits des femmes après les révolutions arabes », les 18 pays représentés (Algérie, Tunisie, Lybie, Mauritanie, Egypte, Liban, Yémen, Palestine, Jordanie, Turquie, Iran, France, Belgique, Italie, Pays Bas, Canada, Etats-Unis, Maroc) ont d’une part reconnu l’existence d’un mouvement féministe en Méditerranée de plus en plus visible, et d’autre part que ces femmes qui avaient massivement participé aux révolutions se retrouvaient aujourd’hui flouées : en Tunisie comme en Egypte, les assemblée élues sont très largement masculines et les projets de constitution menacent leurs libertés.
Les droits des femmes constituent la boussole la plus sensible pour identifier les orientations des révolutions arabes quant aux revendications de justice sociale et de démocratie portées par les peuples. Le cas tunisien est, à cet effet, très instructif, comme nous explique la sociologue et écrivaine d’origine iranienne, Chahla Chafiq.
La Constitution Tunisienne s'inscrit, comme l'affirme son préambule, dans « les objectifs de la révolution, de la liberté et de la dignité, révolution du 17 décembre 2010-14 janvier 2011 ». Elle consacre un exécutif bicéphale et accorde une place réduite à l'islam. Pour la première fois dans le monde arabe est introduit un objectif de parité hommes-femmes dans les assemblées élues.
Corinne Fortier (Femmes arabes des progrès, mais), anthropologue, revient sur d’autres évolutions récentes dans le monde arabo-musulman. Les femmes musulmanes se sont réapproprié l’espace public, mais aussi leur propre corps.
Le livre La révolution du plaisir de Shereen El Fek montre également que si les changements en matière de mœurs sont encore plus lents que sur le plan politique, on assiste à une ouverture dans le discours et même le comportement envers la sexualité La révolution sexuelle aura-t-elle lieu dans le monde arabe.
« Après la médiatisation des viols en marge des manifestations place Tahrir en 2011, cette question est désormais présente dans le débat public. Grace au travail des ONG sur place, plus de femmes osent s'exprimer ouvertement sur ce sujet. La question de la violence conjugale est également abordée. Cela s'est même traduit par un changement dans la loi au Liban, où la violence domestique est désormais criminalisée, bien que cette loi soit seulement une étape sur le long chemin de changement sur le terrain. En Tunisie, une jeune femme tunisienne violée par des policiers, et qui risquait d'être inculpée pour atteinte à la pudeur, a finalement bénéficié d'un non-lieu. Ses agresseurs ont, eux, écopé de sept ans de prison. Une condamnation sans doute pas encore assez sévère, mais il y a quelques années, les policiers auraient probablement été relaxés. De manière générale, on constate de véritables progrès en matière de liberté d'expression. Les gens parlent malgré la répression des gouvernements. Les réseaux sociaux ont joué un grand rôle dans cette libération de la parole. […] Le terme de «liberté sexuelle» n'a pas le même sens en Orient et en Occident. Par exemple, les revendications des hommes et femmes homosexuels sont très éloignées de l'activisme LGBT occidental. […] Les gens doivent trouver leur voie petit à petit. Je crois que le chemin suivi par l'Occident n'est pas incontournable et il n'est pas obligatoire que nous arrivions à la même destination. Le défi est d'ancrer dans nos sociétés la liberté de choix individuel et d' informer. Nous avons une histoire et une tradition propre que nous devons rédecouvrir."
Pour aller plus loin :
L'automne des femmes arabesde Djemila Benhabib
Histoires minuscules des révolutions arabe, sous la direction de Wassyla Tamzali; avec Noria Adel, Malika Allel, Aïcha Armaout
Le combat pour les droits des femmes dans le monde arabe, Hafidha Chekir, N°70 | juin 2014
Vous pouvez écouter également cette émission de France culture de fevrier 2012 (1h22) Les Femmes et les révolutions arabes: Quels enjeux ? Quelles perspectives ?
...et lire ce très beau texte de l’écrivaine syrienne Maha Hassan: Printemps arabe : Les femmes vont-elles faire leur révolution ?.
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