Question d'origine :
Pouvez vous m'indiquer un ouvrage fiable qui fait référence à l'histoire (ou la légende) de Tony tape du cul, le marteau de porte de l'Hotel de ville. Merci.
Réponse du Guichet
bml_reg
- Département : Documentation régionale
Le 19/10/2004 à 10h16
Au même titre que le crocodile de l’Hôtel-Dieu, l’histoire de Tony-Tape-du-Cu (ou Tape-du-Cul) fait partie des légendes lyonnaises. Il paraît donc difficile de vous donner un "ouvrage fiable", mais voici ce que nous raconte ce récit populaire :
"[…] Au temps jadis, il y a probablement plus de cent trente ans, peut-être en l'année 1693, il arriva que le pain devenait tellement cher à Lyon que... c'était presque comme au jour d'aujourd'hui. Les gens en étaient alors réduits à se remplir le ventre de raves et de pelures de pommes de terre. Mais nos anciens n'étaient pas des timides. Ils commencèrent bien vite à remuer et à injurier le prévôt des marchands, les échevins et les conseillers de la ville, qui évidemment représentaient le maire, les adjoints et le conseil municipal de l'époque. Comme de juste, ces beaux messieurs faisaient mine de ne rien voir. Ils attendaient bien sûr que tout s'arrange, pour pouvoir ensuite dire que c'était grâce à eux.
Dans cette malheureuse affaire, les plus à plaindre étaient les pauvres canuts. Ils n'avaient jamais bien eu beaucoup d'argent, mais en ce temps-là, ils ne gagnaient pas seulement d'eau pour boire. Ils étaient alors de vrais crève-misère.
Un beau dimanche, sur le coup de midi, ils se réunirent tous sur la place Grenouille, à l'arrière de l'église Saint-Nizier. Oui, tous ! Non seulement ceux du quartier de la rue Quatre-Chapeaux et de la rue de l'Aumône, de la rue de la Plume et de la rue Buisson, mais aussi ceux de Saint-Jean et de Saint-Georges, ceux de Saint-Just et de Saint-Irénée, même ceux de la rue Misère et de la rue Dorée, de la rue Bourgneuf et de la montée du Tire-cul, du Gourguillon et de la Quarantaine ! […]
Tout le monde se mit alors en route pour se rendre à l'hôtel de ville. La troupe ainsi composée était impressionnante : ce ramassis d'hommes et de femmes, auquel s'étaient adjoints les truands, les vagabonds et les voyous, faisait un vacarme tel que l'on aurait cru la fin du monde proche […]
Le Tony Tomachot était un brave compagnon de Saint-Georges, un peu benêt, mais sincère, grand et fort comme le géant de Neuville, avec des épaules larges comme la porte de Saint-Just. Il avait de plus, faites excuse, un darnier [postérieur] tel qu'il n'aurait pas pu prendre un bain de siège dans le Rhône, si jamais il en avait eu besoin !
La troupe tout entière arriva sur la place des Terreaux, mais pour entrer dans l'hôtel de ville, c'était une tout autre chose. La grande porte était fermée ! […]
Le Tony Tomachot, le plus fort de toute la troupe, essaya tout d'abord d'ouvrir la porte en la remuant. Elle ne bougeait pas. Il pesa alors contre les montants de bois de toute la force de ses épaules. Mais malgré sa corpulence, il se fatigua vite. Tony prit une barre de fer et cette dernière engagée sous la porte pour faire levier, il crut pouvoir la faire sauter hors de ses gonds. La porte tenait bon.
Tout à coup, le Tomachot devint furieux. Il se retourna et, s'agrippant des deux mains à une sorte de coquille qui ornementait l'en haut de la porte, il donna quelques coups formidables de son postérieur, s'en servant comme d'un bélier, dans le bois. Toute la troupe des canuts et des canuses, des compagnons et compagnonnes, des borriauds et des borriaudes [apprentis], qui se tenait serrée sur la place des Terreaux, se mit à crier d'une même voix : "Hardi, hardi, Tony, tape du cul, tape du cul !!!".
Encouragé, le Tony reprit son élan. Une, deux, trois ! Au troisième coup, la porte vola littéralement en éclats. Sur son élan, le brave Tomachot tomba sur le dos au beau milieu du vestibule d'entrée. La foule des canuts se précipita alors dans l'hôtel de ville. Le Prévôt et les échevins avaient parfaitement entendu tout ce remue-ménage. Ils avaient aussitôt compris ce dont il s'agissait. Par force, ils durent laisser là leur vieux Juliénas, et très dignes, ils se présentèrent à la foule des canuts. Lorsque ces crève-misère, ces mangeurs de raves, virent s'avancer devant eux Messieurs les échevins dans leur robe de damas de même couleur et tous escortés par des huissiers tenant le bas de ces nombreux manteaux, afin qu'aucune étoffe ne traîne par terre, vous imaginez aisément combien les premiers furent abasourdis.
Ils restaient là, sans rien dire, rouges de confusion. Blême de peur, n'osant surtout plus prendre la parole, le père Faganat en tremblait dans ses culottes. Tony Tomachot venait juste de se relever. Il se grattait la tête d'une main, et se frottait le darnier de l'autre.
Alors le Prévôt parla. Le comportement des canuts n'était pas recommandable, si le pain était cher, lui-même n'en était pas responsable, bien au contraire même ; d'ailleurs il avait toujours pris le parti des plus pauvres. Et il fit la démonstration de sa bonne volonté : ne venait-il pas, lui le Prévôt, de faire reconstruire l'hôtel de ville qui venait de brûler, afin que toujours l'on se dise que les canuts du XVIIe siècle n'étaient pas n'importe qui, mais au contraire de braves travailleurs sur lesquels on pouvait compter ? Enfin, profondément ému par le sort des pauvres ouvriers tisseurs, et comme preuve ultime de sa sincérité, il allait faire mettre un marteau à la porte de l'hôtel de ville : désormais, si un tisseur ou tout autre Lyonnais avait besoin de quelque réconfort, il n'y avait qu'à frapper pour voir la porte s'ouvrir, ainsi que le Saint Evangile le prescrit.[…]
Le lendemain, le Prévôt fit venir un menuisier pour réparer la porte, et un sculpteur pour faire le marteau. Mais ce dernier, malin et narquois comme tout bon Lyonnais, ne trouva rien de mieux que de sculpter dans le morceau de bronze le Tony Tomachot en train d'enfoncer les portes de l'hôtel de ville"
Cette histoire est extraite des Récits et contes populaires de Lyon (Paris, Gallimard, 1978, p.81-86), ouvrage que vous retrouverez en ligne dans son intégralité. Sachez par ailleurs que l’association des amis de Guignol a consacré un article entier à "Tony-Tape-du-Cul" dans son Almanach de 1924 (p. 81-89). Enfin, la Base de presse Rhône-Alpes, dont les articles sont consultables à la Bibliothèque de la Part-Dieu, ne référence qu’un seul article : il déplore, en 1995, la disparition de ce célèbre marteau de porte en bronze, témoin involontaire de plusieurs siècles d'histoire lyonnaise... (Le Progrès de Lyon, 26 février 1995).
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