Question d'origine :
Bonjour,
Je voudrais avoir une définition claire de l'intersubjectivité d'un point de vu psycho-pathologique et d'autre part savoir quels auteurs ont travaillé sur ce sujet.
Merci d'avance pour votre réponse.
A.wo
Réponse du Guichet
bml_civ
- Département : Civilisation
Le 08/10/2004 à 12h58
Vous trouverez cette définition dans l'article de Bernard Golse publié par la revue Carnet Psy
« La notion d'intersubjectivité est une notion relativement récente ou plutôt, une notion qui a connu un développement considérable dans le champ de la psychologie développementale et de la psychiatrie du nourrisson.
De fait, elle n'appartient pas au corpus métapsychologique classique et les psychanalystes ne la prennent que relativement peu en considération dans la mesure où ils s'intéressent bien davantage à l'intrapsychique qu'à l'interpersonnel. Il faut dire cependant que tout le courant d'une psychanalyse dite "développementale" considère que le champ de l'intersubjectivité s'avère absolument nécessaire à prendre en compte pour approcher au mieux les mécanismes intimes de l'ontogénèse de la personne, c'est-à-dire de la mise en place de la psyché. Cette ontogénèse de la psyché repose en effet sur une double différenciation qui, dans la perspective des principaux auteurs européens, ne peut être que lente et graduelle car très coûteuse sur le plan énergétique. Il faut d'ailleurs remarquer que ce n'est pas parce que ces processus se voient menés à bien dans la plupart des cas -fort heureusement, d'ailleurs !- qu'ils sont pour autant simples et aisés : les enfants qui s'y enlisent nous le montrent clairement par les risques autistiques et psychotiques qu'ils encourent alors …
Qu'en est-il donc de cette double différenciation ? Sous ce terme, on entend généralement l'instauration conjointe d'une différenciation dite intrapsychique d'une part, et d'une différenciation dite extrapsychique d'autre part. La première correspond au mouvement qui permet la spécification progressive des diverses fonctions psychiques soit, dans le registre psychodynamique, des diverses instances intrapsychiques (ça, moi, surmoi par exemple ou inconscient, préconscient et système perception-conscience). La deuxième qui nous intéresse davantage -au regard de l'intersubjectivité- correspond au mouvement qui permet au futur objet de se dégager de la symbiose originelle et de prendre peu à peu conscience de la séparation existentielle ou, pour dire les choses plus simplement, de prendre conscience que soi et autrui ne sont pas confondus, ne l'ont pas vraiment été et ne le seront jamais plus.
Sur le plan linguistique, cette différenciation extrapsychique qui permet l'accès à l'intersubjectivité se reflètera ultérieurement, vers l'âge de trois ans, par l'acquisition du "Je". Pouvoir dire "Je" témoigne en effet de l'acquisition du sentiment d'exister en tant que personne singulière, spécifique, unique en son genre et individualisée et ceci, même s'il ne saurait y avoir de superposition rigoureuse entre le sujet grammatical et le sujet dit phénoménologique.
Malgré tout, pouvoir dire "Je" signe le fait que l'individu se vit désormais comme séparé et distinct d'autrui, c'est-à-dire comme non inclus dans l'autre, non collé à lui.
Cela suppose à la fois une reconnaissance de l'autre comme d'un objet à part entière (et qui se vit lui-même comme un sujet) et un constat de l'écart et de la béance entre soi et l'autre.
Ce processus, éminemment dynamique, débute chez l'infans soit bien avant l'avènement du langage (qui ne fera que reprendre et refléter ce mouvement dans un second temps) et ce sont les racines de cette intersubjectivité qui se trouvent, depuis quelques décennies, au cœur de toute une série de travaux et de recherches importants du point de vue de la croissance et la maturation psychiques de l'enfant en devenir.
En son temps, un auteur comme M. Mahler avait déjà parlé du processus "d'éclosion psychique" qu'elle situait approximativement à la jonction du premier et du deuxième trimestre de la vie. Selon elle, la gestation anatomique qui se conclut par l'accouchement se poursuivait ensuite par une période de "gestation psychique", l'enfant étant alors étroitement contenu dans le psychisme de la mère, ce que D.W. Winnicott, de son côté, a conceptualisé en termes de "préoccupation maternelle primaire". Le système projectif réciproque entre la mère et l'enfant est alors tellement intense et tellement serré qu'il n'est guère possible pour l'enfant de se ressentir comme un objet distinct et séparé. D'autres auteurs, comme N. Abello et M. Perez-Sanchez, ont pu parler ici "d’unité originaire".
Quoi qu'il en soit, au bout de quelques mois, grâce à l'établissement de son "sentiment d'une continuité d'exister" (D.W. Winnicott), lequel se met en place sur le fond de l'expérience par l'enfant des absences de la mère, l'enfant va prendre conscience qu'il existe au dehors de lui une instance ou un principe maternant, qu'il n'est pas seul au monde en quelque sorte (fantasme d'autarcie mégalomaniaque) et ceci va remanier de fond en comble son système de communication qui va ainsi passer d'une communication initiale de type syncrétique à une communication désormais plus interactive et renvoyant précisément à l'inscription psychique par l'enfant d'un certain écart intersubjectif.
Les processus d'attachement se voient surtout intégrés au premier type de communication tandis que les interactions affectives ou fantasmatiques le sont surtout au deuxième type de communication.
Les indices comportementaux qui marquent ainsi cet accès graduel à l'intersubjectivité sont par exemple les conduites de coopération aux soins (repas, bain, change…), conduites de coopération qui vont bien au-delà des simples comportements d'imitation ou même d'anticipation mimétique lesquels ne sont en effet sous-tendus que par une adhésivité qui se joue en-deçà de toute intersubjectivité.
Ces conduites de coopération, souvent émouvantes pour l'adulte qui en est le témoin et qui les remarque, incitent à penser que désormais l'enfant est devenu capable de prêter à l'autre des désirs, des intentions, des projets le concernant et que cet autre a donc un espace psychique interne personnel, découverte qui va probablement de pair pour l'enfant avec, dès lors, la prise en compte de l'existence d'un espace psychique interne pour lui-même.
Comme on le sent, c'est le règne de la tridimensionnalité psychique (D. Meltzer) qui s'ouvre ici et ces considérations ont pu être reprises dans une perspective cognitiviste et intégrées au modèle de la "théorie de l'esprit" (S. Baron-Cohen, U. Frith).
Dans une toute autre optique, les travaux de D.N. Stern ont beaucoup apporté à la question de l'émergence de l'intersubjectivité et l'on sait, que pour cet auteur, les processus "d'accordage affectif" ou "d'harmonisation des affects" (affective atunement) ne deviennent véritablement opérationnels qu'à partir du troisième trimestre de la vie, en dépit de précurseurs probables plus précoces, dans la mesure où ils conditionnent et signent tout à la fois la mise en jeu d'une intersubjectivité efficiente.
L'intersubjectivité constitue donc actuellement un concept central pour l'étude du développement précoce. Son étude n'est pas dissociable de celle de l'émergence des représentations mentales.
Elle conditionne l'avènement du langage -puisqu'il n'y a pas de langage possible tant que le futur sujet se vit en interpénétration ou en collage avec autrui, sans zone aucune de "transitionnalité" (D.W Winnicott)- mais le langage viendra ensuite à son tour la refléter. Enfin, actuellement, l'une des questions majeures de la psychologie et de la psychiatrie du développement précoce est celle de mieux comprendre les modalités de passage de l'intersubjectivité à l'intrapsychique. »
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