Le spectre de Hamlet est-il maléfique ?
LANGUES ET LITTÉRATURES
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Le 25/06/2020 à 04h24
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Question d'origine :
Bonjour,
Je me pose une question au sujet du spectre de Hamlet : est-il maléfique ? ou au contraire, peut-il venir du ciel ? un ordre de commettre un homicide ou un acte de vengeance peut-il être considéré comme venant du ciel à l'époque élisabéthaine ?
Merci d'avance pour votre réponse !
Réponse du Guichet
bml_litt
- Département : Langues et Littératures
Le 27/06/2020 à 11h01
Bonjour,
Tout d’abord, voici quelques éléments pour replacer le contexte général de la pièce de Shakespeare et l’apparition du spectre dans Hamlet.
Le père de Hamlet, roi du Danemark décède. La succession sur le trône revient à Claudius, oncle de Hamlet et frère de son père. Claudius épouse Gertrude, veuve du défunt roi, et devient ainsi le beau-père de Hamlet. Le spectre (il s'agit d'une apparition fantastique d’un mort ou d’un esprit) de l’ancien roi, père d’Hamlet apparaît alors à son fils et lui dévoile avoir été assassiné par Claudius. Trois personnages sont témoins de l’apparition du spectre avant qu’il n’apparaisse à Hamlet : les sentinelles Bernardo et Marcellus ainsi que Horatio (ami du prince Hamlet) qu’ils font venir comme témoin. Suite à l’apparition du spectre de son père, le prince Hamlet se trouve alors investi de la mission de venger son père.
Par « ce qui vient du ciel », vous semblez désigner dans votre question une influence ou une action divine par définition bienveillante, bienfaisante ou bénéfique. Au contraire, un phénomène qualifié de maléfique serait diabolique et exercerait une influence malfaisante, pourrait porter malheur ou bien apporter la mort. Vous opposez donc « ce qui vient du ciel » à « maléfique ».
Autrement dit, vous vous demandez d’une part dans quelle mesure le spectre dans Hamlet est maléfique et d’autre part, si sous le règne de la reine Elisabeth Premier en Angleterre dans la deuxième partie du XVIe siècle et à l’aube du XVIIe siècle, il pouvait être d’usage de penser qu’une action de vengeance ou un homicide soit considéré comme « venant du ciel », fruit d’une action divine ou dictée par le Bien.
Concernant la dimension maléfique ou diabolique du spectre, nous vous proposons ci-dessous des pistes d’analyse et de lecture.
Voici tout d’abord cet article de Pierre Kapitaniak intitulé "Contre une diabolisation du spectre dans Hamlet" (issu de la revue électronique Sillages critiques, « La lettre et le fantôme : Le spectral dans la littérature et les arts (Angleterre, États-Unis) », n°8, 2006).
A travers cette analyse, Pierre Kapitaniak propose une relecture de la scène du cellier (qui fait suite à l’entrevue entre Hamlet et le spectre) et tend à démontrer, selon ses termes, que « cette scène ne se prête pas nécessairement à une lecture démonologique, mais renvoie plutôt à des traditions dramatiques médiévales ». Dans un premier temps, il analyse les surnoms ou « sobriquets » qui pourraient apparaître de premier abord diaboliques en proposant des clés de lectures divergentes, puis il montre ensuite que cette scène est fortement teintée d’une dimension comique.
Voici quatre propos extraits de cet article de Pierre Kapitaniak que vous retrouverez en lisant l’intégralité de sa démonstration :
« La scène du cellier, qui suit l’entretien entre Hamlet et le spectre, met en jeu ce dernier de manière fort ambiguë et déconcertante : pierre d’achoppement de toutes les théories sur la nature de l’apparition, ce court passage continue de résister aux efforts de clarification. »
« Il est généralement admis que le couple formé par Hamlet et le spectre rappelle celui du Vice et du Diable qui hantait les scènes médiévales. Il existe de nos jours un consensus à ce sujet, mais l’influence des moralités est toujours affirmée de manière extrêmement vague, en évoquant simplement une convention encore très présente à l’esprit du public élisabéthain. »
« À l’époque de Hamlet, le couple formé par le Vice et le Diable apparaît donc comme une tradition relativement récente et, somme toute, assez peu répandue. Cela n’empêche pas pour autant que ce motif ait joui d’une grande popularité auprès du public (…) »
« Même ceux qui rejettent la thèse du diable admettent que la scène invite à soupçonner l’honnêteté du spectre. »
Nous vous invitons également à lire cet article de Gilles Mathis sur la nature du spectre intitulé "Hamlet : anatomie d'un fantôme, ou le spectre du sens" extrait de la revue "XVII-XVIII Revue de la Société d'études anglo-américaines des XVIIe et XVIIIe siècles" (Année 1996, n° 43 pp. 21-38). Gilles Mathis propose ici une analyse plus générale sur le spectre (ou fantôme) comme « signe linguistique, poétique, littéraire et théâtral (…) ».
Voici quelques considérations caractérisant le spectre évoquées par l’analyste Gilles Mathis :
« (…) dans Hamlet, le fantôme du Roi reste le principal moteur de l’action et quand celle-ci piétine et / ou dérive (lorsque Hamlet s’en prend trop violemment à sa mère), il revient même une fois en milieu de pièce pour la relancer ou redresser son cours. » (pp. 22-23)
« La lecture biblique de l’entrevue spectre / Hamlet nous invite à relire, à redire notre interprétation du « beckoning » comme un signe religieux, une sorte d’onction appliquée à distance sur le front du fils, faisant de lui, à l’instar du Samson miltonien un Nazaréen (…) ; Marqué d’un signe sacré qui en fait symboliquement un attribut du Père, (…) il portera tout naturellement l’insigne du Roi, dans le navire qui l’emmène en Angleterre, accessoire de la fonction royale et symbole du pouvoir, y compris celui de juger et de punir. » (p. 36).
« (…) retenons simplement que l’alternance neutre / humain contribue à créer une atmosphère de mystère autour d’un « personnage » qui restera longtemps un sujet de perplexité y compris pour Hamlet. » (p. 29)
Pour aller plus loin, vous trouverez ci-dessous les références de différents ouvrages d’analyse de Hamlet :
- "Hamlet ou la Tentation du possible : essai" / Ion Omesco
- "An approach to "Hamlet" " / L. C. Knights
- "Hamlet et Hamlet : une interprétation psychanalytique de la représentation" / André Green
- "Enquête sur Hamlet : le dialogue de sourds" / Pierre Bayard
- " "Hamlet" ou le texte en question : actes du colloque d'Aix-en-Provence, 22-24 novembre 1996" / Etudes réunies par Gilles Mathis et Pierre Sahel
- "What happens in Hamlet" / John Dover Wilson
Concernant la deuxième partie de votre question, nous vous proposons ci-dessous quelques pistes de lectures d’ouvrages historiques sur l’Angleterre de l’époque élisabéthaine :
- "L'Angleterre élisabéthaine" / Henri Suhamy
- "Shakespeare et l'Angleterre élisabéthaine" / Robert Payne ; traduit de l'américain par Marie Tadié
- "Shakespeare et la fête : essai d'archéologie du spectacle dans l'Angleterre élisabéthaine" / François Laroque
- "Histoire sociale de l'Angleterre : six siècles d'histoire de Chaucer à la reine Victoria" / G. M. Trevelyan ; trad. de l'anglais par Odile Demange
Nous vous souhaitons bonne lecture.
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