Légende Arthurienne
DIVERS
+ DE 2 ANS
Le 12/06/2020 à 23h19
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Question d'origine :
Bonjour à vous mes chers amis du Guichet du Savoir.
Je viens de me rendre compte que je n'avais jamais vraiment tout compris aux légendes Arthuriennes, à la quête du Graal, et aux chevaliers de la Table Ronde etc...
J'ai survolé la série Kaamelott, vu quelques films et autres œuvres qui se basent sur la légende, mais ça ne permet pas vraiment d'avoir une connaissance approfondie du sujet.
Bref, j'aimerais en savoir plus.
En faisant quelques recherches sur Google, je vois que le sujet est vaste, très vaste. Ça part dans tous les sens, des textes médiévaux aux adaptations douteuses, en passant par quelques livres qui ont l'air sérieux. Mais je suis un peu perdu dans tout ça.
Auriez-vous l'amabilité de ma guider dans ma quête de savoir ? Par quel livre devrais-je commencer si je souhaite connaître la légende initiale, celle depuis laquelle découle tout le reste, sans aller farfouiller dans des pages écrites en latin ?
De plus, j'ai cru comprendre que l'histoire était inachevée. Si c'est le cas, quel est (ou quels sont) selon vous le(s) meilleur(s) ouvrage(s) qui tente(nt) de continuer la légende et même de la conclure ?
Merci à vous pour votre travail formidable.
Bien à vous.
Réponse du Guichet
gds_et
- Département : Équipe du Guichet du Savoir
Le 15/06/2020 à 15h08
Bonjour,
Pour vous assister dans votre quête nous avons consulté quelques documents de notre fonds, parmi ceux qui nous paraissaient les plus synthétiques et les plus accessibles pour un.e néophyte.
Dans Les romans de la table ronde, Ariane Carrère nous emmène dans l’Europe du XIIe siècle, qui a vu apparaître les premiers romans inspirés de la « matière de Bretagne » :
« En Europe, au XIIe siècle…
C’est la grande époque de la féodalité et des châteaux forts. Rois et seigneurs rassemblent autour d’eux des chevaliers qui sont leurs vassaux. Des liens très forts les unissent. Le chevalier, devenu vassal de son seigneur au cours de la cérémonie de l’hommage, lui doit désormais assistance en temps de guerre et aide financière pour marier sa fille ou partir en croisade. En retour, le seigneur lui remet un fief, c’est-à-dire une terre, ou un revenu, et lui assure sa protection.
Ces chevaliers qui mettent leur épée au service de Dieu et des plus faibles ne sont pas seulement de rudes guerriers. Par amour pour une dame, ils se mettent parfois à son service. Obéissant alors au rituel extrêmement codé de l’amour courtois, ils sont prêts à accomplir des exploits pour témoigner de leur attachement. Lors des tournois, il leur arrive de porter, en gage de leur amour, les couleurs de leur dame ou un mouchoir lui appartenant : ils affichent ainsi qu’ils combattent pour celle qu’ils aiment et respectent.
Les premiers romans
Ils tiennent leur nom de la langue dans laquelle ils sont écrits, en roman (c’est-à-dire en ancien français) et se différencient des textes scientifiques, religieux ou juridiques qui, au Moyen Âge, sont rédigés en latin. Les auteurs du Moyen Âge brodent et composent leurs récits en s’inspirant de trois grands fonds littéraires : la matière de Rome qui rapporte les légendes latines, la matière de France qui conte l’histoire du royaume (cf. La Chanson de Roland), et la matière de Bretagne ou Légende du roi Arthur. Chantés à la cour des grands seigneurs par des jongleurs ou des ménestrels, ces romans mettent en scène l’idéal chevaleresque et l’amour courtois.
Très souvent, les poètes écrivent à la demande d’un puissant protecteur auquel ils dédicacent leur ouvrage. Ainsi, Chrétien de Troyes, l’un des plus grands poètes du Moyen Âge, dédie son roman Le Chevalier de la charrette à Marie de Champagne, tandis qu’Aliénor d’Aquitaine accueille à sa cour un autre grand poète, le troubadour Bernard de Ventadour.
Nombreux sont les textes écrits au Moyen Âge qui ont été perdus. En effet, les livres étaient alors rares et très précieux. L’imprimerie n’existait pas encore : chaque exemplaire était transcrit à la main par un copiste et illustré d’enluminures et de lettrines. Les textes que nous lisons aujourd’hui ont été traduits en français moderne. […]
La légende du roi Arthur
Historiquement, Arthur serait un chef guerrier ayant vécu en Angleterre vers 490 après Jésus-Christ. La tradition en a fait un roi légendaire. C’est d’abord en pays celte (la Bretagne) que s’est construite la figure mythique du roi Arthur avant d’être enrichie et remaniée par les écrivains du Moyen Âge.
Vers 1135, Geoffroy de Monmouth transcrit la légende celtique du roi Arthur dans un ouvrage intitulé Historia Regum Britanniae (Histoire du roi de Bretagne). Ce texte écrit en latin est très rapidement traduit et enrichi par le poète normand Wace. Son Roman de Brut (vers 1155) connaît un succès immédiat et sert de pont entre la matière historique et la littérature médiévale. Dans les années qui suivent, cette matière de Bretagne, très à la mode, inspire de nombreux écrivains qui enrichissent la légende et créent de nouveaux épisodes. Parmi tous ces romans bretons dont la plupart sont restés anonymes, ceux en vers de Chrétien de Troyes restent les plus beaux (Lancelot ou le chevalier de la charrette, Yvain, le chevalier au lion, Perceval ou le conte du Graal). »
Toujours dans le livre d’Ariane Carrère, sont cités plusieurs extraits des Romans de la table ronde adaptés par Jacques Boulenger, spécialiste de la littérature médiévale et de la Renaissance.
Sur l’origine de la « matière de Bretagne », voici ce que nous lisons dans La quête du Graal d’Albert Béguin et Yves Bonnefoy :
« On sait bien peu des circonstances dans lesquelles s’est développée, au milieu du XIIe siècle, ce que les conteurs ont nommé la matière de Bretagne.
Ils désignaient par ces mots, pour les opposer aux récits renouvelés de l’antique, ou à d’autres romans dont les personnages étaient français, de longues histoires merveilleuses, par convention associées à une Cornouaille, un Pays de Galles, une Angleterre mythiques. Un monde de forêts, de vallons et de rivières, jalonné de châteaux aux fantastiques prestiges, où des chevaliers errants cherchaient à longueur d’année aventure, rencontrant de temps à autre aussi bien des ermites avertis du sens des songes que de hardies et savantes demoiselles, bizarrement solitaires. Certains des romans bretons, ceux de Tristan et d’Ysaut, échappent par bien des traits à ce décor et à cette structure. Mais tous les autres s’y plient, et forment un vaste cycle, celui du Roi Arthur et de ses chevaliers de la Table Ronde.
Arthur est le souverain de la Bretagne. C’est certes le meilleur roi qui fut jamais. Sa femme est Guenièvre, son neveu le vaillant Gauvain, sa cour un certain nombre de chevaliers qui prennent avec lui leurs repas autour d’une table ronde. Alentour (aux portes mêmes du palais, dirait-on parfois) rôdent des chevaliers inconnus, des nains, des pucelles aux durs caprices et aux redoutables champions, des enchanteurs. La cour arthurienne n’est pas à l’abri de leurs maléfices, puisque (dans le Conte de la charrette) la reine est audacieusement enlevée, puisque (dans le Conte du Graal) elle a été bafouée par un chevalier à l’armure rouge, venu du monde des morts. Mais souvent aussi se présentent devant le roi de jeunes garçons, des « valets » qui brûlent de faire preuve de leur valeur. Ils fournissent alors le sujet des contes, par les épreuves dont ils triomphent avant d’épouser quelque demoiselle et de prendre rang auprès du roi.
D’où vient ce mythe d’Arthur, et ces légendes si primitives, si nettement magiques, si barbares souvent en dépit du vernis courtois ? Peut-on penser, avec les adversaires de « l’origine celtique », qu’elles ont été imaginées au XIIe siècle, et par des conteurs français ? Il est certain que les anciens chroniqueurs de l’histoire bretonne ne font que de rares allusions à un Arthur, plutôt d’ailleurs général (dux bellorum) que roi, adversaire des Saxons au début du VIe siècle : si bien que lorsque Geoffroy de Monmouth publie vers 1135 son Historia regum Britanniae où Arthur, ses conquêtes qui le conduisirent jusqu’aux portes de Rome, et son désastre final sous les coups de la trahison, occupent de très loin la première place, il est permis de penser d’abord qu’il ne fut, comme l’affirmait M. Faral, qu’un Mac Pherson. Mais la légende n’est pas l’histoire. Et l’on a le droit de supposer qu’en marge des chroniqueurs qui essayaient de fixer l’incertaine histoire bretonne s’était développée, sous le signe du fantastique, et sous l’obscure action du paganisme celtique en cours de métamorphose, une légende arthurienne. Beaucoup de signes le montrent. Quand, vingt ans après l’Historia regum Britanniae, son adaptateur en vers français, Wace, fait allusion pour la première fois à la Table Ronde, c’est pour ajouter aussitôt que les Bretons ont à son sujet « maintes fables ». Et n’a-t-on pas démontré qu’un roman arthurien gallois, Kulhwch et Olwen, est plus ancien que Geoffroy ? D’ailleurs les spécialistes de la littérature celtique ont établi que la tradition des récits était orale. Et l’on peut légitimement affirmer aujourd’hui qu’un grand nombre des mythes qui affleurent les romans arthuriens ont été apportés par des harpistes gallois et des conteurs. De l’ancienne Irlande peut-être au Pays de Galles (s’il est vrai que beaucoup de ces mythes sont en fin de compte irlandais), du pays de Galles en France dans le cadre historique du royaume anglo-normand, telles furent les voies d’expansion de la légende celtique.
Il reste – et ceci est essentiel – que bien d’autres éléments ont eu part à la création des romans bretons. D’un côté des emprunts à l’antiquité, à une mythologie classique déformée, même à des légendes orientales. D’autre part, et surtout, l’esprit courtois. On sait quelle éthique nouvelle, quelle civilisation approfondie s’étaient ébauchées au début du siècle chez les troubadours de Provence ; et à quel point le XIIe siècle fut dans la France du nord une quasi-Renaissance, où l’influence des femmes put se donner libre cours. Les premiers romans bretons ne cessent pas d’offrir le plus saisissant contraste entre leur matière souvent brutale et leur esprit de galanterie, de soumission absolue au bon vouloir de la dame, de légère ironie rectifiant d’un trait sceptique le rude contour du récit ancien. Tout se passe en vérité – et cette première spiritualisation n’est pas sans évoquer celle que tentera plus tard dans un tout autre sens, cette fois chrétien, la Quête du Saint-Graal – comme si l’humanisme cherchait dans ces aventures magiques et nocturnes à affronter les instincts mauvais et aberrants, les forces les plus troubles de l’inconscient. Une sorte de catharsis, c’est par ce trait que les meilleurs des romans bretons furent des œuvres originales. Je pense avant tout à Chrétien de Troyes.
Il écrivait entre 1160 et 1180. Ses premiers ouvrages, perdus, imitaient Ovide. Cligès, ensuite, semble hésiter entre l’inspiration bretonne et les procédés du roman antique. Mais Erec, Lancelot, Yvain, Perceval sont purement des romans bretons. N’est-ce pas Chrétien de Troyes qui créa le genre, au moins qui lui donna sa véritable grandeur ? Il y a tout lieu de le penser. Cet homme de culture et d’ironie, mais amateur de merveilles, a bouleversé de bien des façons l’avenir de la poésie médiévale.
Qu’il me suffise de rappeler qu’une de ses idées, la plus belle et la plus obscure, a permis la naissance du vaste cycle du Graal. »
Nous avons à peine gratté la surface en évoquant la naissance de la légende arthurienne. Mais vous vous interrogez aussi sur les continuations du conte du Graal, resté inachevé.
« Les continuations du Conte du Graal
Chrétien de Troyes a laissé les aventures du Conte du Graal inachevées.
Quatre Continuations, rédigées par Wauchier de Denain, Manessier et Gerbert de Montreuil entre la fin du XIIe siècle et les années 1230, ont donc essayé de les mener à leur terme. Elles essayent d’élucider les mystères laissés en suspens par Chrétien (la lance qui saigne, l’épée brisée, le roi blessé), en développant le caractère chrétien et miraculeux du Graal, et en transformant les aventures chevaleresques en quête mystique. Ces romans qui succèdent à l'œuvre du maître, mettant en scène les personnages de Perceval et de Gauvain, semblent témoigner d'un effort sans cesse renouvelé pour clore le roman tout en suggérant l'impossibilité de l'achever.
Le Roman de l'Histoire du Graal
Au tournant du XIIe et du XIIIe siècle, le Roman de l'Estoire dou Graal en vers puis le Joseph d'Arimathie et l'Estoire del Saint Graal en prose vont plus loin dans la christianisation du graal. Robert de Boron identifie pour la première fois avec le calice dans lequel Joseph d’Arimathie aurait recueilli le sang du Christ sur la Croix.
Plusieurs éléments sont alors assimilés dans le Graal : l'écuelle où Jésus mangea avec les Apôtres lors de la Cène, le récipient où fut recueilli son sang sur la croix par Joseph d'Arimathie, le calice de la messe ainsi que le ciboire qui sert à porter l'hostie.
D'autres œuvres en prose proposent leur version de la quête du Graal : dans le Perceval en prose qui clôt la trilogie attribuée à Robert de Boron, le héros éponyme est l'élu du graal, tandis que dans le Haut livre du Graal, c'est Perlesvaus qui occupe cette fonction.
Chez Robert de Boron, le Graal émet un rayonnement divin, une lumière due à la présence mystique du Christ. Avec le mythe du Graal apparaît donc l'espoir de la rédemption et la croyance que le monde pourra être libéré du mal. La quête du Graal devient la quête de la vérité ultime, de la Connaissance, pour un monde qui va vers son achèvement.
Composé en prose française dans les années 1220-1230, un immense cycle du Graal – appelé "Lancelot-Graal", "Lancelot en prose", ou "Grand Saint-Graal" – compile toutes les légendes arthuriennes dans une perspective chrétienne. Cette Vulgate constitue la forme la plus répandue de la légende arthurienne, comme l'atteste sa riche transmission manuscrite. Elle est constituée de cinq romans : l'Histoire du Saint Graal, le Merlin en prose, le Lancelot en prose, la Quête du Saint Graal et la Mort du roi Arthur, qui jouent un rôle décisif dans la diffusion de la légende du Graal et sa mise en forme. L'ensemble donne ainsi un tableau extensif et chronologique de l'histoire du Graal et de sa translation d'Orient en Occident, depuis les temps christiques jusqu'à la fin du royaume arthurien, en particulier dans l'Histoire, qui raconte les origines du Graal, et dans la Quête qui raconte les aventures des chevaliers arthuriens partis à la recherche de cet objet saint.
L'Histoire du Saint-Graal
Le prologue de l'Histoire s'efforce de sacraliser sa matière et se sert du Graal pour détourner à son profit l'autorité du texte biblique. L'Histoire transforme le Graal en relique christique sacrée et vénérée mise sur le même plan que les instruments de la passion qui sont l'objet d'une dévotion particulière au Moyen Âge. La définition du Graal et sa caractérisation se font de manière progressive au cours du roman. Le "graal" n'est d'abord mentionné que comme la sainte "écuelle" jusqu'à la conversion des premiers Sarrasins. Il est alors désigné comme un "vase" (vaissel), avant de prendre définitivement le nom de "graal". Petit à petit, on ne représente plus le Graal comme une écuelle ou un plat, mais comme une coupe ou un ciboire. Le Graal est une relique dotée d'un double caractère sacré puisque le Christ y a pris son dernier repas et que Joseph d'Arimathie l'utilise comme réceptacle du Précieux Sang. Il est en outre conservé dans une arche sainte dotée de propriétés merveilleuses et interdite d'accès au commun des mortels, qui n'est pas sans rappeler l'arche d'alliance conservant les Tables de la Loi données à Moise et au peuple d'Israël dans le désert. Derrière le service sacré du Graal se lit le rituel eucharistique avec une insistance sur la distinction entre les hommes justes, purs, élus par Dieu, dignes d'y accéder, et les pécheurs qui en sont écartés.
La Quête du Graal
Dans la Quête du Saint Graal, récit allégorique et mystique où se font sentir l'influence cléricale et l'esprit cistercien, les aventures "célestielles" s'opposent aux entreprises terriennes et la figure de Galaad prend le pas sur celle de Lancelot. C'est à partir de la mise en série des différentes tables du Graal que se développent les aventures arthuriennes. À la Cène où le Christ a pris son dernier repas en compagnie de ses apôtres, préfiguration de son sacrifice eucharistique, a succédé du temps de Joseph d'Arimathie le service du Graal. Dans la Quête, c'est l'assemblée des chevaliers de la Table ronde qui est honorée du passage du Graal à travers une célébration merveilleuse. Cette épiphanie suscite le départ des chevaliers arthuriens en quête du Graal, conservé au château de Corbénic par la lignée des rois du Graal. Toutes les aventures inachevées mises en place dans l'Histoire du Saint Graal vont alors connaître leur résolution grâce à la venue du chevalier élu, Galaad le pur, le fils de Lancelot et de la fille du roi Pellès. La perte du Graal et son retour en Orient dans la ville de Sarras résultent de la corruption des habitants de Grande-Bretagne et correspondent à la fin des aventures merveilleuses associées à cet objet. Après la mort de Galaad, le dernier roman du cycle s'achemine ainsi inéluctablement vers la mort du roi Arthur, la disparition de ses chevaliers, et la destruction de son royaume. »
Source: la légende du roi Arthur, exposition virtuelle de la BnF
Pour poursuivre vos recherches sur les continuations du roman du Graal, nous vous laissons parcourir également Les secrets du Graal : introduction aux romans médiévaux français du Graal d’Edina Bozóky.
Bonnes lectures.
Pour vous assister dans votre quête nous avons consulté quelques documents de notre fonds, parmi ceux qui nous paraissaient les plus synthétiques et les plus accessibles pour un.e néophyte.
Dans Les romans de la table ronde, Ariane Carrère nous emmène dans l’Europe du XIIe siècle, qui a vu apparaître les premiers romans inspirés de la « matière de Bretagne » :
« En Europe, au XIIe siècle…
C’est la grande époque de la féodalité et des châteaux forts. Rois et seigneurs rassemblent autour d’eux des chevaliers qui sont leurs vassaux. Des liens très forts les unissent. Le chevalier, devenu vassal de son seigneur au cours de la cérémonie de l’hommage, lui doit désormais assistance en temps de guerre et aide financière pour marier sa fille ou partir en croisade. En retour, le seigneur lui remet un fief, c’est-à-dire une terre, ou un revenu, et lui assure sa protection.
Ces chevaliers qui mettent leur épée au service de Dieu et des plus faibles ne sont pas seulement de rudes guerriers. Par amour pour une dame, ils se mettent parfois à son service. Obéissant alors au rituel extrêmement codé de l’amour courtois, ils sont prêts à accomplir des exploits pour témoigner de leur attachement. Lors des tournois, il leur arrive de porter, en gage de leur amour, les couleurs de leur dame ou un mouchoir lui appartenant : ils affichent ainsi qu’ils combattent pour celle qu’ils aiment et respectent.
Les premiers romans
Ils tiennent leur nom de la langue dans laquelle ils sont écrits, en roman (c’est-à-dire en ancien français) et se différencient des textes scientifiques, religieux ou juridiques qui, au Moyen Âge, sont rédigés en latin. Les auteurs du Moyen Âge brodent et composent leurs récits en s’inspirant de trois grands fonds littéraires : la matière de Rome qui rapporte les légendes latines, la matière de France qui conte l’histoire du royaume (cf. La Chanson de Roland), et la matière de Bretagne ou Légende du roi Arthur. Chantés à la cour des grands seigneurs par des jongleurs ou des ménestrels, ces romans mettent en scène l’idéal chevaleresque et l’amour courtois.
Très souvent, les poètes écrivent à la demande d’un puissant protecteur auquel ils dédicacent leur ouvrage. Ainsi, Chrétien de Troyes, l’un des plus grands poètes du Moyen Âge, dédie son roman Le Chevalier de la charrette à Marie de Champagne, tandis qu’Aliénor d’Aquitaine accueille à sa cour un autre grand poète, le troubadour Bernard de Ventadour.
Nombreux sont les textes écrits au Moyen Âge qui ont été perdus. En effet, les livres étaient alors rares et très précieux. L’imprimerie n’existait pas encore : chaque exemplaire était transcrit à la main par un copiste et illustré d’enluminures et de lettrines. Les textes que nous lisons aujourd’hui ont été traduits en français moderne. […]
La légende du roi Arthur
Historiquement, Arthur serait un chef guerrier ayant vécu en Angleterre vers 490 après Jésus-Christ. La tradition en a fait un roi légendaire. C’est d’abord en pays celte (la Bretagne) que s’est construite la figure mythique du roi Arthur avant d’être enrichie et remaniée par les écrivains du Moyen Âge.
Vers 1135, Geoffroy de Monmouth transcrit la légende celtique du roi Arthur dans un ouvrage intitulé Historia Regum Britanniae (Histoire du roi de Bretagne). Ce texte écrit en latin est très rapidement traduit et enrichi par le poète normand Wace. Son Roman de Brut (vers 1155) connaît un succès immédiat et sert de pont entre la matière historique et la littérature médiévale. Dans les années qui suivent, cette matière de Bretagne, très à la mode, inspire de nombreux écrivains qui enrichissent la légende et créent de nouveaux épisodes. Parmi tous ces romans bretons dont la plupart sont restés anonymes, ceux en vers de Chrétien de Troyes restent les plus beaux (Lancelot ou le chevalier de la charrette, Yvain, le chevalier au lion, Perceval ou le conte du Graal). »
Toujours dans le livre d’Ariane Carrère, sont cités plusieurs extraits des Romans de la table ronde adaptés par Jacques Boulenger, spécialiste de la littérature médiévale et de la Renaissance.
Sur l’origine de la « matière de Bretagne », voici ce que nous lisons dans La quête du Graal d’Albert Béguin et Yves Bonnefoy :
« On sait bien peu des circonstances dans lesquelles s’est développée, au milieu du XIIe siècle, ce que les conteurs ont nommé la matière de Bretagne.
Ils désignaient par ces mots, pour les opposer aux récits renouvelés de l’antique, ou à d’autres romans dont les personnages étaient français, de longues histoires merveilleuses, par convention associées à une Cornouaille, un Pays de Galles, une Angleterre mythiques. Un monde de forêts, de vallons et de rivières, jalonné de châteaux aux fantastiques prestiges, où des chevaliers errants cherchaient à longueur d’année aventure, rencontrant de temps à autre aussi bien des ermites avertis du sens des songes que de hardies et savantes demoiselles, bizarrement solitaires. Certains des romans bretons, ceux de Tristan et d’Ysaut, échappent par bien des traits à ce décor et à cette structure. Mais tous les autres s’y plient, et forment un vaste cycle, celui du Roi Arthur et de ses chevaliers de la Table Ronde.
Arthur est le souverain de la Bretagne. C’est certes le meilleur roi qui fut jamais. Sa femme est Guenièvre, son neveu le vaillant Gauvain, sa cour un certain nombre de chevaliers qui prennent avec lui leurs repas autour d’une table ronde. Alentour (aux portes mêmes du palais, dirait-on parfois) rôdent des chevaliers inconnus, des nains, des pucelles aux durs caprices et aux redoutables champions, des enchanteurs. La cour arthurienne n’est pas à l’abri de leurs maléfices, puisque (dans le Conte de la charrette) la reine est audacieusement enlevée, puisque (dans le Conte du Graal) elle a été bafouée par un chevalier à l’armure rouge, venu du monde des morts. Mais souvent aussi se présentent devant le roi de jeunes garçons, des « valets » qui brûlent de faire preuve de leur valeur. Ils fournissent alors le sujet des contes, par les épreuves dont ils triomphent avant d’épouser quelque demoiselle et de prendre rang auprès du roi.
D’où vient ce mythe d’Arthur, et ces légendes si primitives, si nettement magiques, si barbares souvent en dépit du vernis courtois ? Peut-on penser, avec les adversaires de « l’origine celtique », qu’elles ont été imaginées au XIIe siècle, et par des conteurs français ? Il est certain que les anciens chroniqueurs de l’histoire bretonne ne font que de rares allusions à un Arthur, plutôt d’ailleurs général (dux bellorum) que roi, adversaire des Saxons au début du VIe siècle : si bien que lorsque Geoffroy de Monmouth publie vers 1135 son Historia regum Britanniae où Arthur, ses conquêtes qui le conduisirent jusqu’aux portes de Rome, et son désastre final sous les coups de la trahison, occupent de très loin la première place, il est permis de penser d’abord qu’il ne fut, comme l’affirmait M. Faral, qu’un Mac Pherson. Mais la légende n’est pas l’histoire. Et l’on a le droit de supposer qu’en marge des chroniqueurs qui essayaient de fixer l’incertaine histoire bretonne s’était développée, sous le signe du fantastique, et sous l’obscure action du paganisme celtique en cours de métamorphose, une légende arthurienne. Beaucoup de signes le montrent. Quand, vingt ans après l’Historia regum Britanniae, son adaptateur en vers français, Wace, fait allusion pour la première fois à la Table Ronde, c’est pour ajouter aussitôt que les Bretons ont à son sujet « maintes fables ». Et n’a-t-on pas démontré qu’un roman arthurien gallois, Kulhwch et Olwen, est plus ancien que Geoffroy ? D’ailleurs les spécialistes de la littérature celtique ont établi que la tradition des récits était orale. Et l’on peut légitimement affirmer aujourd’hui qu’un grand nombre des mythes qui affleurent les romans arthuriens ont été apportés par des harpistes gallois et des conteurs. De l’ancienne Irlande peut-être au Pays de Galles (s’il est vrai que beaucoup de ces mythes sont en fin de compte irlandais), du pays de Galles en France dans le cadre historique du royaume anglo-normand, telles furent les voies d’expansion de la légende celtique.
Il reste – et ceci est essentiel – que bien d’autres éléments ont eu part à la création des romans bretons. D’un côté des emprunts à l’antiquité, à une mythologie classique déformée, même à des légendes orientales. D’autre part, et surtout, l’esprit courtois. On sait quelle éthique nouvelle, quelle civilisation approfondie s’étaient ébauchées au début du siècle chez les troubadours de Provence ; et à quel point le XIIe siècle fut dans la France du nord une quasi-Renaissance, où l’influence des femmes put se donner libre cours. Les premiers romans bretons ne cessent pas d’offrir le plus saisissant contraste entre leur matière souvent brutale et leur esprit de galanterie, de soumission absolue au bon vouloir de la dame, de légère ironie rectifiant d’un trait sceptique le rude contour du récit ancien. Tout se passe en vérité – et cette première spiritualisation n’est pas sans évoquer celle que tentera plus tard dans un tout autre sens, cette fois chrétien, la Quête du Saint-Graal – comme si l’humanisme cherchait dans ces aventures magiques et nocturnes à affronter les instincts mauvais et aberrants, les forces les plus troubles de l’inconscient. Une sorte de catharsis, c’est par ce trait que les meilleurs des romans bretons furent des œuvres originales. Je pense avant tout à Chrétien de Troyes.
Il écrivait entre 1160 et 1180. Ses premiers ouvrages, perdus, imitaient Ovide. Cligès, ensuite, semble hésiter entre l’inspiration bretonne et les procédés du roman antique. Mais Erec, Lancelot, Yvain, Perceval sont purement des romans bretons. N’est-ce pas Chrétien de Troyes qui créa le genre, au moins qui lui donna sa véritable grandeur ? Il y a tout lieu de le penser. Cet homme de culture et d’ironie, mais amateur de merveilles, a bouleversé de bien des façons l’avenir de la poésie médiévale.
Qu’il me suffise de rappeler qu’une de ses idées, la plus belle et la plus obscure, a permis la naissance du vaste cycle du Graal. »
Nous avons à peine gratté la surface en évoquant la naissance de la légende arthurienne. Mais vous vous interrogez aussi sur les continuations du conte du Graal, resté inachevé.
« Les continuations du Conte du Graal
Chrétien de Troyes a laissé les aventures du Conte du Graal inachevées.
Quatre Continuations, rédigées par Wauchier de Denain, Manessier et Gerbert de Montreuil entre la fin du XIIe siècle et les années 1230, ont donc essayé de les mener à leur terme. Elles essayent d’élucider les mystères laissés en suspens par Chrétien (la lance qui saigne, l’épée brisée, le roi blessé), en développant le caractère chrétien et miraculeux du Graal, et en transformant les aventures chevaleresques en quête mystique. Ces romans qui succèdent à l'œuvre du maître, mettant en scène les personnages de Perceval et de Gauvain, semblent témoigner d'un effort sans cesse renouvelé pour clore le roman tout en suggérant l'impossibilité de l'achever.
Le Roman de l'Histoire du Graal
Au tournant du XIIe et du XIIIe siècle, le Roman de l'Estoire dou Graal en vers puis le Joseph d'Arimathie et l'Estoire del Saint Graal en prose vont plus loin dans la christianisation du graal. Robert de Boron identifie pour la première fois avec le calice dans lequel Joseph d’Arimathie aurait recueilli le sang du Christ sur la Croix.
Plusieurs éléments sont alors assimilés dans le Graal : l'écuelle où Jésus mangea avec les Apôtres lors de la Cène, le récipient où fut recueilli son sang sur la croix par Joseph d'Arimathie, le calice de la messe ainsi que le ciboire qui sert à porter l'hostie.
D'autres œuvres en prose proposent leur version de la quête du Graal : dans le Perceval en prose qui clôt la trilogie attribuée à Robert de Boron, le héros éponyme est l'élu du graal, tandis que dans le Haut livre du Graal, c'est Perlesvaus qui occupe cette fonction.
Chez Robert de Boron, le Graal émet un rayonnement divin, une lumière due à la présence mystique du Christ. Avec le mythe du Graal apparaît donc l'espoir de la rédemption et la croyance que le monde pourra être libéré du mal. La quête du Graal devient la quête de la vérité ultime, de la Connaissance, pour un monde qui va vers son achèvement.
Composé en prose française dans les années 1220-1230, un immense cycle du Graal – appelé "Lancelot-Graal", "Lancelot en prose", ou "Grand Saint-Graal" – compile toutes les légendes arthuriennes dans une perspective chrétienne. Cette Vulgate constitue la forme la plus répandue de la légende arthurienne, comme l'atteste sa riche transmission manuscrite. Elle est constituée de cinq romans : l'Histoire du Saint Graal, le Merlin en prose, le Lancelot en prose, la Quête du Saint Graal et la Mort du roi Arthur, qui jouent un rôle décisif dans la diffusion de la légende du Graal et sa mise en forme. L'ensemble donne ainsi un tableau extensif et chronologique de l'histoire du Graal et de sa translation d'Orient en Occident, depuis les temps christiques jusqu'à la fin du royaume arthurien, en particulier dans l'Histoire, qui raconte les origines du Graal, et dans la Quête qui raconte les aventures des chevaliers arthuriens partis à la recherche de cet objet saint.
L'Histoire du Saint-Graal
Le prologue de l'Histoire s'efforce de sacraliser sa matière et se sert du Graal pour détourner à son profit l'autorité du texte biblique. L'Histoire transforme le Graal en relique christique sacrée et vénérée mise sur le même plan que les instruments de la passion qui sont l'objet d'une dévotion particulière au Moyen Âge. La définition du Graal et sa caractérisation se font de manière progressive au cours du roman. Le "graal" n'est d'abord mentionné que comme la sainte "écuelle" jusqu'à la conversion des premiers Sarrasins. Il est alors désigné comme un "vase" (vaissel), avant de prendre définitivement le nom de "graal". Petit à petit, on ne représente plus le Graal comme une écuelle ou un plat, mais comme une coupe ou un ciboire. Le Graal est une relique dotée d'un double caractère sacré puisque le Christ y a pris son dernier repas et que Joseph d'Arimathie l'utilise comme réceptacle du Précieux Sang. Il est en outre conservé dans une arche sainte dotée de propriétés merveilleuses et interdite d'accès au commun des mortels, qui n'est pas sans rappeler l'arche d'alliance conservant les Tables de la Loi données à Moise et au peuple d'Israël dans le désert. Derrière le service sacré du Graal se lit le rituel eucharistique avec une insistance sur la distinction entre les hommes justes, purs, élus par Dieu, dignes d'y accéder, et les pécheurs qui en sont écartés.
La Quête du Graal
Dans la Quête du Saint Graal, récit allégorique et mystique où se font sentir l'influence cléricale et l'esprit cistercien, les aventures "célestielles" s'opposent aux entreprises terriennes et la figure de Galaad prend le pas sur celle de Lancelot. C'est à partir de la mise en série des différentes tables du Graal que se développent les aventures arthuriennes. À la Cène où le Christ a pris son dernier repas en compagnie de ses apôtres, préfiguration de son sacrifice eucharistique, a succédé du temps de Joseph d'Arimathie le service du Graal. Dans la Quête, c'est l'assemblée des chevaliers de la Table ronde qui est honorée du passage du Graal à travers une célébration merveilleuse. Cette épiphanie suscite le départ des chevaliers arthuriens en quête du Graal, conservé au château de Corbénic par la lignée des rois du Graal. Toutes les aventures inachevées mises en place dans l'Histoire du Saint Graal vont alors connaître leur résolution grâce à la venue du chevalier élu, Galaad le pur, le fils de Lancelot et de la fille du roi Pellès. La perte du Graal et son retour en Orient dans la ville de Sarras résultent de la corruption des habitants de Grande-Bretagne et correspondent à la fin des aventures merveilleuses associées à cet objet. Après la mort de Galaad, le dernier roman du cycle s'achemine ainsi inéluctablement vers la mort du roi Arthur, la disparition de ses chevaliers, et la destruction de son royaume. »
Source: la légende du roi Arthur, exposition virtuelle de la BnF
Pour poursuivre vos recherches sur les continuations du roman du Graal, nous vous laissons parcourir également Les secrets du Graal : introduction aux romans médiévaux français du Graal d’Edina Bozóky.
Bonnes lectures.
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