Pourquoi y'a-t-il des différences dans la langue des signes?
DIVERS
+ DE 2 ANS
Le 10/03/2020 à 09h44
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Question d'origine :
Pourquoi y'a-t- des différences entre la langue des signes suisse et française ou entre la langue des signes anglaise et américaine ? (certains mots ne sont pas signés pareillement pourtant il s'agit de la même langue). ?
Réponse du Guichet
gds_ctp
- Département : Equipe du Guichet du Savoir
Le 11/03/2020 à 12h04
Bonjour,
Les langues des signes, employées par les sourds de différents pays, présentent des différences car ce sont des… langues différentes, bien qu’apparentées, comme le révélait une précédente réponse de nos collègues du département Langues et Littératures :
« Les signes français font même date dans l’histoire internationale de la Langue des Signes car dès le 19ème siècle ils sont importés aux Etats-Unis. Mais la Langue des Signes n’est pas pour autant universelle. Il existe en fait, tout comme pour le langage oral, autant de langues des signes que de communautés différentes de sourds, chaque langue des signes ayant son histoire, ses unités signifiantes et son lexique. Effectivement la Langue des Signes est inhérente à la culture, si bien que le vocabulaire signé est différent pour chaque pays. Par exemple, le signe de juillet en LSF, qui symbolise les feux d’artifice est typiquement français. Par contre, la grammaire de la Langue des Signes est la même dans toutes les langues des signes : ce qui reflète une pensée commune à tous les Sourds du monde, puisqu’on retrouve les mêmes syntaxes et les mêmes règles grammaticales partout. »
Liée aux particularismes locaux de tel ou tel territoire, toute langue évolue en fonction d’eux. Il en est de même des langues des signes. On peut même aller plus loin avec Yves Delaporte, auteur de la thèqe La variation régionale en langue des signes française consultable sur halshs.archives-ouvertes.fr, ce qu’on appelle par facilité « la LSF », est un ensemble de dialectes pratiqués dans le monde francophone, mais dont on peinerait à dégager un « signer standard ». Et si le patois pratiqué à Paris tend à se prendre lui-même pour une norme, cela semble bien arbitraire :
« La manière de nommer un objet influe sur la manière dont on se le représente, et sur son destin social; cette évidence se vérifie une fois de plus avec ce que les sourds font avec leurs mains. Face au «langage gestuel» qui apparaît notamment dans le titre des ouvrages de Pierre Oléron publiés aux Éditions du CNRS, les acteurs du réveil sourd imposeront «langue» vs «langage», et «signes» vs «gestuel»: ce sera donc «langue des signes». L’expression avait d’ailleurs souvent été utilisée bien avant le congrès de Milan. L’adjectif «française» est ajouté sur le modèle de American Sign Language. Cette précision n’allait pas de soi: malgré leur grande diversité lexicale, les langues des signes de différents pays sont plus proches entre elles que ne le sont les langues vocales. De nature spatiale, la syntaxe varie peu; et, pour réduire les différences lexicales, les locuteurs disposent de différents registres plus ou moins iconiques (Cuxac, 2000), de sorte que des sourds pratiquant des langues différentes peuvent entrer rapidement en communication.
L’emprunt au modèle américain ne s’arrête pas là. L’American Sign Language est depuis longtemps nommé aux États-Unis «ASL»: la langue des signes française sera donc la «LSF». Ce sigle apparaît pour la première fois en 1975 dans un document de travail du sociologue Bernard Mottez qui, entretenant des liens étroits avec la recherche américaine, a joué un rôle important dans le réveil sourd. Or, comme toute siglaison, celle-ci tend inévitablement à réifier la réalité qu’elle recouvre: en l’occurrence, un pullulement de variations régionales. Par la masse démographique qu’elle représente, la région parisienne a regroupé le plus grand nombre d’acteurs du réveil sourd. C’est de Paris que sont partis les premiers cours destinés aux entendants, et c’est à Paris que sont situées les deux principales associations de promotion de la langue, qui depuis trente ans ont drainé des dizaines de milliers d’entendants. La «LSF» est donc tout naturellement identifiée à la langue parisienne et réciproquement. Tout signe local différant des signes pratiqués à Paris court le risque d’être stigmatisé comme «n’étant pas de la LSF». »
Aujourd’hui, de plus en plus de locuteurs suisses ou belges revendiquent leur particularisme et commencent à nommer leur langue – et nommer n’est pas anodin, comme on vient de le voir :
« En Suisse, on observe des variations lexicales analogues selon les régions en Suisse et en comparaison avec la France. La langue des signes en usage est parfois désignée comme Langue des signes de Suisse romande , en particulier par les communautés sourdes rurales qui ont été moins en contact avec des communautés sourdes françaises que ne l’est la communauté sourde de Genève par exemple. Alors que la variante signée de la Suisse francophone a été dénommée LSF, la variante signée de la Belgique Wallonne a été dénommée LSFB (Langue des signes de Belgique francophone). Aucune étude, à notre connaissance, n’évalue le pourcentage d’intercompréhension entre les communautés signeuses de France, de Suisse et de Belgique […]. »
(Source : La Langue des Signes Française (LSF): modélisations, ressources et applications, Annelies Braffort, consultable sur Google livres)
Nous vous conseillons le visionnage des numéros de l’émission Signes de la Radio-télévision suisse consacrée à ce sujet.
L’existence de parlers locaux n’est d’ailleurs pas l’apanage des langues des signes : à l’oral aussi, « Il existe de vraies différences entre la langue française en France et en Suisse », mais aussi en Belgique et au Québec, insiste swissinfo.ch, qui dénombre quelques-unes des raisons de ces variations locales :
« Les emprunts aux langues voisines (allemand en Suisse ou en Alsace, flamand en Belgique et anglais au Québec). Exemples : le 'witz', importé tel quel. 'Je te tiens les pouces', traduit mot à mot.
Les emprunts aux patois, parfois différents d'un canton à l'autre. Exemples : le 'boutefas'. L'usage du verbe 'donner' pour 'produire': 'les vignes donnent bien, cette année'.
Les archaïsmes, termes auparavant communs à toute la francophonie, mais qui ont changé en France. Exemple: 'déjeuner, dîner, souper'.
Les innovations, sous forme de création d'un nouveau mot ou d'un nouveau sens. Exemples: le 'boguet' (vélomoteur). Le 'cornet', pour signifier 'sac'. »
Bonne journée.
Les langues des signes, employées par les sourds de différents pays, présentent des différences car ce sont des… langues différentes, bien qu’apparentées, comme le révélait une précédente réponse de nos collègues du département Langues et Littératures :
« Les signes français font même date dans l’histoire internationale de la Langue des Signes car dès le 19ème siècle ils sont importés aux Etats-Unis. Mais la Langue des Signes n’est pas pour autant universelle. Il existe en fait, tout comme pour le langage oral, autant de langues des signes que de communautés différentes de sourds, chaque langue des signes ayant son histoire, ses unités signifiantes et son lexique. Effectivement la Langue des Signes est inhérente à la culture, si bien que le vocabulaire signé est différent pour chaque pays. Par exemple, le signe de juillet en LSF, qui symbolise les feux d’artifice est typiquement français. Par contre, la grammaire de la Langue des Signes est la même dans toutes les langues des signes : ce qui reflète une pensée commune à tous les Sourds du monde, puisqu’on retrouve les mêmes syntaxes et les mêmes règles grammaticales partout. »
Liée aux particularismes locaux de tel ou tel territoire, toute langue évolue en fonction d’eux. Il en est de même des langues des signes. On peut même aller plus loin avec Yves Delaporte, auteur de la thèqe La variation régionale en langue des signes française consultable sur halshs.archives-ouvertes.fr, ce qu’on appelle par facilité « la LSF », est un ensemble de dialectes pratiqués dans le monde francophone, mais dont on peinerait à dégager un « signer standard ». Et si le patois pratiqué à Paris tend à se prendre lui-même pour une norme, cela semble bien arbitraire :
« La manière de nommer un objet influe sur la manière dont on se le représente, et sur son destin social; cette évidence se vérifie une fois de plus avec ce que les sourds font avec leurs mains. Face au «langage gestuel» qui apparaît notamment dans le titre des ouvrages de Pierre Oléron publiés aux Éditions du CNRS, les acteurs du réveil sourd imposeront «langue» vs «langage», et «signes» vs «gestuel»: ce sera donc «langue des signes». L’expression avait d’ailleurs souvent été utilisée bien avant le congrès de Milan. L’adjectif «française» est ajouté sur le modèle de American Sign Language. Cette précision n’allait pas de soi: malgré leur grande diversité lexicale, les langues des signes de différents pays sont plus proches entre elles que ne le sont les langues vocales. De nature spatiale, la syntaxe varie peu; et, pour réduire les différences lexicales, les locuteurs disposent de différents registres plus ou moins iconiques (Cuxac, 2000), de sorte que des sourds pratiquant des langues différentes peuvent entrer rapidement en communication.
L’emprunt au modèle américain ne s’arrête pas là. L’American Sign Language est depuis longtemps nommé aux États-Unis «ASL»: la langue des signes française sera donc la «LSF». Ce sigle apparaît pour la première fois en 1975 dans un document de travail du sociologue Bernard Mottez qui, entretenant des liens étroits avec la recherche américaine, a joué un rôle important dans le réveil sourd. Or, comme toute siglaison, celle-ci tend inévitablement à réifier la réalité qu’elle recouvre: en l’occurrence, un pullulement de variations régionales. Par la masse démographique qu’elle représente, la région parisienne a regroupé le plus grand nombre d’acteurs du réveil sourd. C’est de Paris que sont partis les premiers cours destinés aux entendants, et c’est à Paris que sont situées les deux principales associations de promotion de la langue, qui depuis trente ans ont drainé des dizaines de milliers d’entendants. La «LSF» est donc tout naturellement identifiée à la langue parisienne et réciproquement. Tout signe local différant des signes pratiqués à Paris court le risque d’être stigmatisé comme «n’étant pas de la LSF». »
Aujourd’hui, de plus en plus de locuteurs suisses ou belges revendiquent leur particularisme et commencent à nommer leur langue – et nommer n’est pas anodin, comme on vient de le voir :
« En Suisse, on observe des variations lexicales analogues selon les régions en Suisse et en comparaison avec la France. La langue des signes en usage est parfois désignée comme Langue des signes de Suisse romande , en particulier par les communautés sourdes rurales qui ont été moins en contact avec des communautés sourdes françaises que ne l’est la communauté sourde de Genève par exemple. Alors que la variante signée de la Suisse francophone a été dénommée LSF, la variante signée de la Belgique Wallonne a été dénommée LSFB (Langue des signes de Belgique francophone). Aucune étude, à notre connaissance, n’évalue le pourcentage d’intercompréhension entre les communautés signeuses de France, de Suisse et de Belgique […]. »
(Source : La Langue des Signes Française (LSF): modélisations, ressources et applications, Annelies Braffort, consultable sur Google livres)
Nous vous conseillons le visionnage des numéros de l’émission Signes de la Radio-télévision suisse consacrée à ce sujet.
L’existence de parlers locaux n’est d’ailleurs pas l’apanage des langues des signes : à l’oral aussi, « Il existe de vraies différences entre la langue française en France et en Suisse », mais aussi en Belgique et au Québec, insiste swissinfo.ch, qui dénombre quelques-unes des raisons de ces variations locales :
« Les emprunts aux langues voisines (allemand en Suisse ou en Alsace, flamand en Belgique et anglais au Québec). Exemples : le 'witz', importé tel quel. 'Je te tiens les pouces', traduit mot à mot.
Les emprunts aux patois, parfois différents d'un canton à l'autre. Exemples : le 'boutefas'. L'usage du verbe 'donner' pour 'produire': 'les vignes donnent bien, cette année'.
Les archaïsmes, termes auparavant communs à toute la francophonie, mais qui ont changé en France. Exemple: 'déjeuner, dîner, souper'.
Les innovations, sous forme de création d'un nouveau mot ou d'un nouveau sens. Exemples: le 'boguet' (vélomoteur). Le 'cornet', pour signifier 'sac'. »
Bonne journée.
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