Question d'origine :
Bonjour,
Qu'est-ce qu'un "bon" taux de rotation des documents en bibliothèque (si cela existe seulement...) ?
Plus largement - je triche, je pose deux questions en une - avez-vous des ressources en lignes sur les statistiques en bibliothèque qui permettent de cerner et d'objectiver au mieux le fonctionnement du lieu (public, collection, fréquentation...) ?
Bonne fin de journée,
GR200
Réponse du Guichet
gds_ctp
- Département : Equipe du Guichet du Savoir
Le 11/02/2020 à 15h59
Bonjour,
Un taux de rotation optimal valable pour toute bibliothèque en tout lieu et en tout temps n'existe pas. En fait, la notion elle-même n'a pas de sens.
Voici une bonne définition du taux de rotation donnée dans le manuel Techniques documentaires et gestion des médiathèques, lisible sur le site de l’université Paris-Nanterre :
«Le taux de rotation d'un document indique le nombre de fois que ce document a été emprunté sur une durée donnée, le plus souvent une année. Plus le chiffre est élevé, plus le taux d'utilisation est intensif. En pratique, il se calcule rarement pour un seul document mais plutôt pour une partie de la collection. C'est un indicateur qui permet d'évaluer l'adéquation de la collection à la demande du public. Il permet donc de mesurer l'intérêt que le public porte à chaque fonds. Comment le calculerLe taux de rotation correspond donc au nombre total de prêts dans la collection considérée, divisée par le nombre total des documents de cette collection. Par exemple une bibliothèque qui possède un fonds de 30 000 documents et qui a réalisé 60 000 prêts,obtient un taux de rotationde 2. Cette méthode de calcul est décrite par la norme ISO 11620 (International Standard Organisation) : Indicateurs de performance des bibliothèques, disponible auprès de l'Association française de normalisation (AFNOR) : La rotation des collections est égale à : A / B où A est le nombre de prêts enregistrés dans la collection considérée et B le nombre total de documents dans la collection considérée"
Comment l'analyser ? Une fois les chiffres produits,il faudra rester très prudent lors de leur analyse . En effet de nombreux facteurs propres à chaque établissement peuvent influencer ce taux : la durée du prêt, la facilité ou pas de le prolonger, le nombre d'exemplaires d'un même titre, l'état de la collection prise en compte, ses objectifs, etc.
On peut néanmoins penser qu'un taux élevé de sorties, par exemple, plus de neuf sorties par an, signifie qu’il n’y a pas assez d’offre pour la demande, un taux trop bas, inférieur à 3 révèle une offre inadaptée en qualité ou en quantité . Du point de vue des lecteurs, le taux de satisfaction dépend du délai entre la demande et la fourniture d’un document (par achat, réservation ou prêt entre bibliothèques). »
Le taux de rotation n’est pas un indicateur absolu, s’il n’est pas croisé avec d’autres critères comme il est précisé avec clarté et humour une note du blog de notre regretté collègue Bertrand Calenge :
« C’est bon, ou pas ?
Venons-en à la question qui taraude tant de collègues : ce TxR [taux de rotation], c’est la honte, ou c’est la gloire ? Ben on ne peut pas dire !! Tout simplement parce que le TxR n’est pas fait pour ça. Le nombre obtenu dans une bibliothèque lambda est un raccourci qui pourrait s’exprimer ainsi : « résumé lapidaire de l’activité d’emprunt portant sur une collection particulière dans un environnement social et culturel donné, et selon la politique voulue par cette bibliothèque » : on ne peut pas comparer la situation d’une banlieue chic avec 70 % des adultes ayant fait des études supérieures, et une cité ghettoïsée , comme on ne peut pas comparer une bibliothèque qui ouvre 10 h par semaine et une autre qui ouvre 50 h, ou encore une bibliothèque bien située et un établissement excentré, ou enfin une ville qui fait payer cher le doit d’emprunter et une qui s’offre gratuitement. Bref, c’est un indicateur profondément contextualis é, et il n’existe pas de TxR moyen pour les bibliothèques (heureusement, d’ailleurs : si vous en voyez un, c’est une escroquerie intellectuelle !)
En outre, il n’a même pas de valeur lorsqu’il est calculé sur l’ensemble des collections prêtables d’une bibliothèque une année donnée. Ce TxR global servira de point de repère pour analyser les différents TxR des différents segments de la collections : par supports (les disques, les livres,…), par contenus (la philo, les sciences, …), etc. Sans d’ailleurs qu’on puisse dire de tel ou tel TxR « il est très bon », ou « il est mauvais » : par exemple, qui s’attend à ce que les ouvrages de poésie « tournent » plus que les bandes dessinées ?
Marée haute, marée basse
Bon, peut-être, mais comment interpréter les TxR même en renant compte de ces contraintes ? J’analyse mes résultats, et je constate un TxR moyen de 4, avec un TxR des DVD qui monte à 18 et un TxR de l’économie qui est à 1,2 : qu’est-ce que ça veut dire quand c’est (relativement) élevé ou (relativement) bas ?
→ C’est beaucoup plus élevé que le TxR moyen = c’est très simple à analyser ! Cela signifie que tout va bien ou même – si c’est très élevé – qu’il n’y a pas assez de documents pour répondre à la demande. Pour donner une image (fausse), un TxR de 18 signifie que tout le segment de collection est emprunté intégralement tous les 20 jours ! Attention, cela ne signifie pas pour autant qu’il faille acheter plus de ces documents (en plus, si on en achète trop on peut arriver à un seuil de rupture : c’est « l’effet Deriez » – du nom d’un consultant que j’avais connu et qui avait montré qu’une augmentation massive des livres à succès, accompagnée d’une diminution correspondante des autres titres, conduisait à terme à faire chuter les prêts. Tiens, j’y reviendrai un jour).
→ C’est beaucoup plus bas que le TxR moyen = c’est très complexe à analyser ! En effet, il peut y avoir des tas de raisons, éventuellement concommitantes :
• la première raison possible, c’est qu’il y a trop de documents par rapport au public concerné (10 000 romans dans une ville de 2 000 habitants, par exemple)
• la nature de l’usage documentaire peut jouer : un rayon de droit peut se prêter davantage à l’étude (donc à une consultation), alors que des disques sont éminemment empruntables (et copiables !!)
• le fonds peut être vieilli (à Lyon, 75 % des prêts de livres portent sur des titres de moins de 10 ans), obsolète, inadéquat (tiens, comme c’est bizarre, les thèses en section jeunesse ne sortent pas ?!), …
• la présentation est peut-être désastreuse (rayonnages mal éclairés, disposition inefficace, …)
• les heures d’ouverture sont insuffisantes par rapport à la taille du fonds (et c’est pire si en plus on limite drastiquement le nombre d’emprunts simultanés)
– c’est unbon signal d’alarme dans la durée , pour signaler les secteurs qui méritent attention soit par leur succès croissant démesurément soit surtout par leur désaffection progressive. Ce signal d’alarme ne permet évidemment pas de faire l’économie de l’analyse des raisons ;
– il permet de mesurer l’objectif ou l’efficacité d’une politique d’acquisition (et de désherbage) dans un secteur orienté délibérément vers le prêt, à condition de l’associer à d’autres indicateurs, comme par exemple le signale Pierre Meunier : « Nombre de livres requis en fonction d’un Taux de rotation X et d’un taux de prêt per capita anticipé Y—le tout pouvant faire l’objet d’un indice consolidé tenant compte de l’utilisation et du vieillissement des collections en regard d’un niveau de service visé ou d’un taux d’utilisation ciblé ».
C’est un indicateur utile, sans doute, à condition de bien le considérer dans le contexte du service de prêt à domicile, et de l’associer à d’autres indicateurs, répétons-le, comme le signale Pierre Carbone à propos de la norme 11620 : « pour l’évaluation de la performance d’un même service ou d’une même activité, il est souhaitable de croiser les résultats de plusieurs indicateurs afin de s’assurer que les différents aspects sont bien pris en compte. Ainsi, à la rotation des collections sont associés le taux d’utilisation des documents, la disponibilité des titres demandés, ainsi que les documents en prêt par personne de la population à desservir ». »
Rappelons toutefois que nous sommes un service générique et que nos collègues du service Questions ? Réponses ! de l’Enssib sauront sans doute mieux vous aiguiller pour toute question bibliothéconomique (voir leur réponse à une question proche de la vôtre, dans les liens ci-dessous).
Pour aller plus loin :
- Claude Poissenot, « Les Collections à l’épreuve des emprunteurs », BBF
- Marc Maisonneuve , « Les Statistiques d’activité des bibliothèques : pour qui ? pour quoi ? », BBF
- Fiche pratique « Utiliser les statistiques en bibliothèque » sur enssib.fr
- Lucie Daudin et Sophie Mazens, « Évaluation des collections en bibliothèque », Évaluer la bibliothèque, 2012), consultable en bibliothèque sur Cairn
- « Recommandations quant à l'utilisation optimale d'une collection et taux de rotation » sur enssib.fr
- « Données et statistiques », Association des bibliothèques publiques du Québec [/url)
- « Dossier : statistiques sur la musique en bibliothèque, le marché du disque, et les pratiques musicales (édition 2014) »
- « Comment mesurer le succès de sa bibliothèque : méthode pour une mesure d'impact réussie », Archimag
- « Manifeste pour les statistiques en bibliothèque », IFLA
Et, pour avoir de nombreuses données à traiter, résutat de la requête « statistiques bibliothèques » sur le portail Livre et lecture du Ministère de la Culture
Bonne journée.
Un taux de rotation optimal valable pour toute bibliothèque en tout lieu et en tout temps n'existe pas. En fait, la notion elle-même n'a pas de sens.
Voici une bonne définition du taux de rotation donnée dans le manuel Techniques documentaires et gestion des médiathèques, lisible sur le site de l’université Paris-Nanterre :
«
Comment l'analyser ? Une fois les chiffres produits,
Le taux de rotation n’est pas un indicateur absolu, s’il n’est pas croisé avec d’autres critères comme il est précisé avec clarté et humour une note du blog de notre regretté collègue Bertrand Calenge :
« C’est bon, ou pas ?
Venons-en à la question qui taraude tant de collègues : ce TxR [taux de rotation], c’est la honte, ou c’est la gloire ? Ben on ne peut pas dire !! Tout simplement parce que le TxR n’est pas fait pour ça. Le nombre obtenu dans une bibliothèque lambda est un raccourci qui pourrait s’exprimer ainsi : « résumé lapidaire de l’activité d’emprunt portant sur une collection particulière dans un environnement social et culturel donné, et selon la politique voulue par cette bibliothèque » :
En outre, il n’a même pas de valeur lorsqu’il est calculé sur l’ensemble des collections prêtables d’une bibliothèque une année donnée. Ce TxR global servira de point de repère pour analyser les différents TxR des différents segments de la collections : par supports (les disques, les livres,…), par contenus (la philo, les sciences, …), etc. Sans d’ailleurs qu’on puisse dire de tel ou tel TxR « il est très bon », ou « il est mauvais » : par exemple, qui s’attend à ce que les ouvrages de poésie « tournent » plus que les bandes dessinées ?
Bon, peut-être, mais comment interpréter les TxR même en renant compte de ces contraintes ? J’analyse mes résultats, et je constate un TxR moyen de 4, avec un TxR des DVD qui monte à 18 et un TxR de l’économie qui est à 1,2 : qu’est-ce que ça veut dire quand c’est (relativement) élevé ou (relativement) bas ?
→ C’est beaucoup plus élevé que le TxR moyen = c’est très simple à analyser ! Cela signifie que tout va bien ou même – si c’est très élevé – qu’il n’y a pas assez de documents pour répondre à la demande. Pour donner une image (fausse), un TxR de 18 signifie que tout le segment de collection est emprunté intégralement tous les 20 jours ! Attention, cela ne signifie pas pour autant qu’il faille acheter plus de ces documents (en plus, si on en achète trop on peut arriver à un seuil de rupture : c’est « l’effet Deriez » – du nom d’un consultant que j’avais connu et qui avait montré qu’une augmentation massive des livres à succès, accompagnée d’une diminution correspondante des autres titres, conduisait à terme à faire chuter les prêts. Tiens, j’y reviendrai un jour).
→ C’est beaucoup plus bas que le TxR moyen = c’est très complexe à analyser ! En effet, il peut y avoir des tas de raisons, éventuellement concommitantes :
• la première raison possible, c’est qu’il y a trop de documents par rapport au public concerné (10 000 romans dans une ville de 2 000 habitants, par exemple)
• la nature de l’usage documentaire peut jouer : un rayon de droit peut se prêter davantage à l’étude (donc à une consultation), alors que des disques sont éminemment empruntables (et copiables !!)
• le fonds peut être vieilli (à Lyon, 75 % des prêts de livres portent sur des titres de moins de 10 ans), obsolète, inadéquat (tiens, comme c’est bizarre, les thèses en section jeunesse ne sortent pas ?!), …
• la présentation est peut-être désastreuse (rayonnages mal éclairés, disposition inefficace, …)
• les heures d’ouverture sont insuffisantes par rapport à la taille du fonds (et c’est pire si en plus on limite drastiquement le nombre d’emprunts simultanés)
– c’est un
– il permet de mesurer l’objectif ou l’efficacité d’une politique d’acquisition (et de désherbage) dans un secteur orienté délibérément vers le prêt, à condition de l’associer à d’autres indicateurs, comme par exemple le signale Pierre Meunier : « Nombre de livres requis en fonction d’un Taux de rotation X et d’un taux de prêt per capita anticipé Y—le tout pouvant faire l’objet d’un indice consolidé tenant compte de l’utilisation et du vieillissement des collections en regard d’un niveau de service visé ou d’un taux d’utilisation ciblé ».
C’est un indicateur utile, sans doute, à condition de bien le considérer dans le contexte du service de prêt à domicile, et de l’associer à d’autres indicateurs, répétons-le, comme le signale Pierre Carbone à propos de la norme 11620 : « pour l’évaluation de la performance d’un même service ou d’une même activité, il est souhaitable de croiser les résultats de plusieurs indicateurs afin de s’assurer que les différents aspects sont bien pris en compte. Ainsi, à la rotation des collections sont associés le taux d’utilisation des documents, la disponibilité des titres demandés, ainsi que les documents en prêt par personne de la population à desservir ». »
Rappelons toutefois que nous sommes un service générique et que nos collègues du service Questions ? Réponses ! de l’Enssib sauront sans doute mieux vous aiguiller pour toute question bibliothéconomique (voir leur réponse à une question proche de la vôtre, dans les liens ci-dessous).
- Claude Poissenot, « Les Collections à l’épreuve des emprunteurs », BBF
- Marc Maisonneuve , « Les Statistiques d’activité des bibliothèques : pour qui ? pour quoi ? », BBF
- Fiche pratique « Utiliser les statistiques en bibliothèque » sur enssib.fr
- Lucie Daudin et Sophie Mazens, « Évaluation des collections en bibliothèque », Évaluer la bibliothèque, 2012), consultable en bibliothèque sur Cairn
- « Recommandations quant à l'utilisation optimale d'une collection et taux de rotation » sur enssib.fr
- « Données et statistiques », Association des bibliothèques publiques du Québec [/url)
- « Dossier : statistiques sur la musique en bibliothèque, le marché du disque, et les pratiques musicales (édition 2014) »
- « Comment mesurer le succès de sa bibliothèque : méthode pour une mesure d'impact réussie », Archimag
- « Manifeste pour les statistiques en bibliothèque », IFLA
Et, pour avoir de nombreuses données à traiter, résutat de la requête « statistiques bibliothèques » sur le portail Livre et lecture du Ministère de la Culture
Bonne journée.
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