Question d'origine :
S.V.P.
Je n'arrive toujours pas à comprendre, en quoi l'écriture inclusive, -dont on parle beaucoup depuis quelques années-, est aussi détestée de certains français dits lettrés -et pourquoi pas -, la considérant mauvaise où pire encore !
Même si certaines formules, dans un texte, sont un peu lourdes, quoique !, Puisqu'en langue française, n'existe pas le genre neutre, hélas ! Faute de mieux, dans certaines situations, utiliser l'écriture inclusive, pour ne pas paraître macho ou sexiste, semble un moindre mal ! Quelle était la situation avant ces dernières années, époque longue où on n'en parlait pas du tout, et où cela ,ne semblait pas poser problème, à qui que ce soit ? Il est vrai que dans la grammaire que nous apprenions alors, figurait cette règle, que le masculin l'emporte sur le féminin !
Il est quand même grand dommage que n'existe pas le neutre dans notre langue ; entre autre pour les noms de métiers, et bien d'autre vocables encore...Il est aussi curieux et je n'arrive toujours pas à comprendre, pourquoi, le français, qui dérive en grande partie du latin, n'en possède pas, alors que dans ce même latin - vieux souvenir - ce fameux genre neutre est omniprésent ! merci.
Réponse du Guichet
gds_db
- Département : Equipe du Guichet du Savoir
Le 10/02/2020 à 10h34
Bonjour,
Et non, la langue française n’a pas toujours été exclusive ! Elle a subi une vague de "masculinisation" aux XVIIe et le XVIIIe siècle.
« Le masculin l'emporte sur le féminin »
Cette règle de grammaire n'a pas toujours existé. Elle a été instaurée par des grammairiens du XVIIe siècle. D'ailleurs, à cette époque-là, on disait plutôt : «Lorsque les deux genres se rencontrent, il faut que le plus noble l'emporte », affirme l'abbé Bouhours en 1675. « Le genre masculin est réputé plus noble que le féminin à cause de la supériorité du mâle sur la femelle », complète en 1767 le grammairien Nicolas Beauzée.
Ces manipulations constituent une vaste et violente entreprise « imposée à la langue française […] pour qu’elle témoigne de la “noblesse” […] du genre masculin » et par là « de la plus grande noblesse du sexe masculin » (p. 103). Ainsi a été exercée la domination masculine qui a conduit à l’exclusion des femmes de l’éducation et des lieux de pouvoir ou de création : les femmes ne sauraient être auteures puisque « ce titre est le propre de l’homme » (p. 60) et encore moins autrices – terme pourtant largement utilisé, aux XVe et XVIe siècles (cf. p. 54, 57, 59, 63, 64). [...]
La France devient ainsi « pionnière » en matière de « domination masculine » (p. 26-28) et d’interventions langagières, en particulier sur le genre, si on la compare aux autres langues romanes (p. 60-61) : le genre y est immotivé (arbitraire) pour les objets inanimés (une échelle, un escabeau) alors qu’il se distribue selon le sexe pour les noms désignant des animés. Le genre féminin renvoie alors aux femmes et le masculin aux hommes, qu’il s’agisse de métiers (un gardien/une gardienne, une avocate/un avocat, etc.) ou de qualifications que les accords manifestent (un grand chien/une grande chienne, une belle femme/un bel homme, etc.). Le rapprochement du sexe et du genre se justifie donc linguistiquement, ce qui n’implique pas la domination sociale et idéologique, comme l’ont fait bien des grammairiens en promouvant « la noblesse du genre masculin » (p. 22). Ainsi Dominique Bouhours, en 1675, affirme-t-il sa supériorité sur le genre féminin : « Lorsque les deux genres se rencontrent, il faut que le plus noble l’emporte. » Nicolas Beauzée, un siècle plus tard, en 1767, révèle les fondements de cette hiérarchie : « Le genre masculin est réputé plus noble que le féminin à cause de la supériorité du mâle sur la femelle. » On n’est pas plus clair ! Des femmes s’opposèrent en vain à ces prises de pouvoir (voir Christine de Pisan, la Cité des dames, 1404 (p. 14), le grief des femmes, Marie de Gournay, 1636 (p. 37-38), ou la « requête des dames à l’Assemblée nationale » (p. 74), etc.).
source : Houdebine-Gravaud Anne-Marie, « Éliane Viennot, Non le masculin ne l’emporte pas sur le féminin ! Petite histoire des résistances de la langue française. Éditions iXe, Donnemarie-Dontilly, 2014, 119 p. », Travail, genre et sociétés, 2018/1 (n° 39), p. 219-221.
Madame de Sévigné s'en était d'ailleurs indignée à l'époque. On en trouve trace dans un dialogue entre elle et Gilles Ménage :
« Madame de Sévigné s’informant sur ma santé, je lui dis :
Madame, je suis enrhumé.
Jela suis aussi, me dit-elle.
Il me semble, Madame, que selon les règles de notre langue, il faudrait dire : je le suis.
Vous direz comme il vous plaira, ajouta-t-elle, mais pour moi, je croirais avoir de la barbe au menton si je disais autrement . »
source : Menagiana ou Les bons mots et remarques critiques, historiques, morales & d'érudition de monsieur Menage / Gilles Ménage
Avant la primauté du masculin, pourtant, existait la règle dite « de proximité » qui se pratiquait en grec ancien, en latin, et en français. Elle consiste à accorder le genre et le nombre de l’adjectif avec celui du nom, qu’il qualifie, le plus proche.
exemple :
Le camion et la voiture sont verts --> Le masculin l'emporte sur le féminin
Le camion et la voiture sont vertes --> La règle de proximité est appliquée
« Surtout j'ai cru devoir aux larmes, aux prières, consacrer cestrois jours et ces trois nuits entières », Racine in Athalie (1691)
En ce qui concerne le lexique, les formes féminines "peintresse", "philosophesse" et "autrice" existaient et étaient utilisées, au même titre que « peintre », « philosophe » et « auteur ».
sources :
« Le masculin l'emporte sur le féminin » : Bien plus qu'une règle de grammaire
L'écriture inclusive, ou le débat sur l'exclusion des femmes
Petite précision :Le neutre existait dans le latin classique mais a disparu dans le latin vulgaire et, par suite, dans le français.
cf :
- "Essai de grammaire de l'ancien français (IXe-XIVe siècles)"
- Introduction à la chronologie du latin vulgaire: étude de philologie historique / F. George Mohl
- Le latin vulgaire : les changements grammaticaux
Pour aller plus loin, nous vous recommandons la lecture de l'ouvrage écrit par Éliane Viennot : Non, le masculin ne l'emporte pas sur le féminin ! : petite histoire des résistances de la langue française ainsi que des documents suivants :
- Ecriture inclusive : le genre neutre existe-t-il vraiment en français ? / Juliette Deborde — Libération - 28 novembre 2017
- Le langage inclusif, pourquoi ? Comment ? / Eliane Viennot
- Le sexe des mots : un chemin pour l'égalité : émanciper le langage pour construire une culture de l'égalité / Claudie Baudino
- La langue française : un usage genré / Ophélie Wattier
- Pour une communication publique sans stéréotype de sexe : guide pratique / Haut conseil à l'égalité entre les hommes et les femmes, HCE - consultable en ligne au format pdf
- écriture inclusive/féministe
Bonne journée.
Et non, la langue française n’a pas toujours été exclusive ! Elle a subi une vague de "masculinisation" aux XVIIe et le XVIIIe siècle.
Cette règle de grammaire n'a pas toujours existé. Elle a été instaurée par des grammairiens du XVIIe siècle. D'ailleurs, à cette époque-là, on disait plutôt : «
Ces manipulations constituent une vaste et violente entreprise « imposée à la langue française […] pour qu’elle témoigne de la “noblesse” […] du genre masculin » et par là « de la plus grande noblesse du sexe masculin » (p. 103). Ainsi a été exercée la domination masculine qui a conduit à l’exclusion des femmes de l’éducation et des lieux de pouvoir ou de création : les femmes ne sauraient être auteures puisque « ce titre est le propre de l’homme » (p. 60) et encore moins autrices – terme pourtant largement utilisé, aux XVe et XVIe siècles (cf. p. 54, 57, 59, 63, 64). [...]
source : Houdebine-Gravaud Anne-Marie, « Éliane Viennot, Non le masculin ne l’emporte pas sur le féminin ! Petite histoire des résistances de la langue française. Éditions iXe, Donnemarie-Dontilly, 2014, 119 p. », Travail, genre et sociétés, 2018/1 (n° 39), p. 219-221.
Madame de Sévigné s'en était d'ailleurs indignée à l'époque. On en trouve trace dans un dialogue entre elle et Gilles Ménage :
« Madame de Sévigné s’informant sur ma santé, je lui dis :
Madame, je suis enrhumé.
Je
Il me semble, Madame, que selon les règles de notre langue, il faudrait dire : je
source : Menagiana ou Les bons mots et remarques critiques, historiques, morales & d'érudition de monsieur Menage / Gilles Ménage
Avant la primauté du masculin, pourtant, existait la règle dite « de proximité » qui se pratiquait en grec ancien, en latin, et en français. Elle consiste à accorder le genre et le nombre de l’adjectif avec celui du nom, qu’il qualifie, le plus proche.
exemple :
Le camion et la voiture sont verts --> Le masculin l'emporte sur le féminin
Le camion et la voiture sont vertes --> La règle de proximité est appliquée
« Surtout j'ai cru devoir aux larmes, aux prières, consacrer ces
En ce qui concerne le lexique, les formes féminines "peintresse", "philosophesse" et "autrice" existaient et étaient utilisées, au même titre que « peintre », « philosophe » et « auteur ».
sources :
« Le masculin l'emporte sur le féminin » : Bien plus qu'une règle de grammaire
L'écriture inclusive, ou le débat sur l'exclusion des femmes
Petite précision :
cf :
- "Essai de grammaire de l'ancien français (IXe-XIVe siècles)"
- Introduction à la chronologie du latin vulgaire: étude de philologie historique / F. George Mohl
- Le latin vulgaire : les changements grammaticaux
Pour aller plus loin, nous vous recommandons la lecture de l'ouvrage écrit par Éliane Viennot : Non, le masculin ne l'emporte pas sur le féminin ! : petite histoire des résistances de la langue française ainsi que des documents suivants :
- Ecriture inclusive : le genre neutre existe-t-il vraiment en français ? / Juliette Deborde — Libération - 28 novembre 2017
- Le langage inclusif, pourquoi ? Comment ? / Eliane Viennot
- Le sexe des mots : un chemin pour l'égalité : émanciper le langage pour construire une culture de l'égalité / Claudie Baudino
- La langue française : un usage genré / Ophélie Wattier
- Pour une communication publique sans stéréotype de sexe : guide pratique / Haut conseil à l'égalité entre les hommes et les femmes, HCE - consultable en ligne au format pdf
- écriture inclusive/féministe
Bonne journée.
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