Question d'origine :
Bonjour, Je viens de réaliser une reliure de conservation pour différents petits ouvrages de la « Collection des Moralistes anciens », A Paris, chez Didot l’ainé, imprimeur du clergé suv , Rue Pavé S.A et De Bure l’ainé, quai des Augustins X.DCC.LXXXII (1782) Un volume reprend la parution en 1794, en faisant dans l’introduction allusion à la situation politique ; le choix du texte étant orienté dans ce sens. La marque des imprimeurs a changé (hélas je ne peux vous joindre de photos) et des détails tels que la numérotation des cahiers passent des lettres aux chiffres et la date n'est plus en chiffres romains Chaque fois que je fais une reliure de conservation, je glisse une petite feuille éclairant soit le texte, soit l’édition selon les renseignements que je réunis. Dans le cas présent j’aimerais savoir de quel Didot s’agit-il ? Ces livres sont édités avant la création de la police de Firmin Didot car selon Wikipedia [i]« Les premiers caractères Didot sont gravés et fondus à Paris par Firmin Didot entre 1784 et 1811, et utilisés par l’imprimeur Pierre Didot, son frère. »[/i] Dans quelle police sont imprimés ces livres ? Évidemment, si vous aviez des renseignements sur cette collection cela m’intéresserait beaucoup. J’imagine qu’il s’agit de tirage relativement populaire ? Etait-il vendu broché ? Avec mes remerciements , recevez mes meilleurs sentiments. Christine Lemaire
Réponse du Guichet
La paternité du premier ouvrage de 1782, issu de la collection des Moralistes anciens, et dont vous ne citez que l'adresse bibliographique revient à
Cet imprimeur-libraire, en activité de de 1753 à 1789, obtient de Louis XVI en 1783 la possibilité d’imprimer la collection des Classiques latins et français pour l’éducation du Dauphin, dont il va assurer la publication de 17 volumes.
Il va également publier au début de cette décennie pré-révolutionnaire une collection des Moralistes anciens, dont la genèse et la teneur sont richement évoquées par ce blog de bibliophilie : « En 1781, François-Ambroise Didot sollicite l’approbation pour un nouvel ouvrage, qui sera le premier d’une nouvelle collection dédiée au Roi : une collection de Moralistes Anciens. L’approbation est donnée le 15 octobre 1781, et le premier volume de la collection, le Manuel d’Epictète, paraît en début d’année 1782.»
Didot fournit dans son avis inséré dans le volume quelques précisions sur la portée de la collection et sa présentation typographique : « Tous ces ouvrages seront imprimés dans le même format, du même caractère, & sur le même papier que le Manuel d’Epictète ; & l’on n’épargnera aucun soin pour qu’ils le soient aussi correctement. On donnera tous les six mois la notice des auteurs qui auront été imprimés dans cet intervalle. »
Une autre précision d’ordre typographique est donnée à la fin de l’ouvrage : « Cette collection des Moralistes a été imprimée par Fr. Amb. Didot l’aîné, sur du papier de France, de la fabrique de MM. Mattieu Johannot d’Annonai ; avec des caractères gravés sous François I par Claude Garamond, & fondus par M. Fournier l’aîné ».
En fait de Garamond, Didot a utilisé des caractères revus et gravés à sa demande par Pierre-Louis Vafflard (ou Wafflard). C’est en effet vers 1780 que l’imprimeur-libraire cherche à améliorer considérablement la qualité de ses travaux en engageant des recherches expérimentales qui vont aboutir à la construction du premier modèle de presse à un coup, la fabrication d’un nouveau papier sur toile de laiton par Mathieu Johannot, afin de faire disparaître pontuseaux et vergeures, et la fonte de nouveaux caractères d’imprimerie par Vafflard.
Laissons Jeanne Veyrin-Forrer (« Les premiers caractères de François-Ambroise Didot (1781-1785) » in Mélanges d'histoire du livre et des bibliothèques offerts à Monsieur Frantz Calot…, Paris, librairie d'Argences, 1960, p. 159-173) évoquer cette aventure typographique : « Les premiers types que réalise la collaboration de Didot et de Vafflard, sont un compromis très habile et extrêmement élégant des formes hérités de la Renaissance [caractères de Claude Garamond] et du « goût nouveau » professé par le XVIIIe siècle [caractères de Baskerville], en même temps qu’ils font pressentir la rigueur du XIXe. Du style ancien, ils ont gardé les empattements obliques, la rondeur des courbes et la hauteur des hampes » (Veyrin-Forrer, p. 163).
Ces premiers caractères auraient été disponibles à la fin de l’année 1781, et sans doute utilisés pour l’impression du premier volume de de la collection des Moralistes anciens.
Le Mercure de France, dans un article dithyrambique du 11 janvier 1783, loue la beauté de ces caractères utilisés entre autres pour la collection des Moralistes anciens : « On sait que cette collection qui sera continuée est imprimée sur papier de France, de la fabrique de MM. Johannot d’Annonay et avec des caractères gravés sous François Ier, par Claude Garamont, fondus par M. Fournier l’aîné. On a pu remarquer, en voyant ces caractères, que depuis François Ier jusqu’à nos jours, la gravure typographique n’avoit pas fait un pas de plus vers la perfection. On n’avoit rien fait de mieux nulle part. Les connoisseurs ont prononcé entre les types de Garamont et ceux de Baskerville. C’est à M . Didot l’aîné qu’étoit réservé l’honneur de faire faire de véritables progrès à cet art intéressant. Les caractères qu’il a gravés […] sont d’une beauté et d’une perfection dont rien n’a approché jusqu’ici ; il paroit impossible d’aller plus loin et il y a lieu de croire qu’ils formeront les dernières limites de l’art » (Veyrin-Forrer, p. 164).
Entretemps, une seconde fonte de caractères gravés par Vafflard, appelés Gros-Romain, est achevée en 1782. « Plus étroits, plus légers encore que les précédents, avec leur empattements horizontaux singulièrement courts à la partie supérieure, ils marquaient une seconde manière et confirmaient l’évolution du style » (Veyrin-Forrer, p. 164).
Plusieurs nouveaux caractères viennent enrichir en 1784 la fonderie Didot dont un deuxième Gros-Romain : « La forme des traits est à peu près la même ; mais leur épaisseur est modifiée. Les pleins s’accentuent, formant un contraste plus marqué avec les déliés. C’est la caractéristique des Didot classiques qui se manifeste ici pour la première fois, sans l’excès qu’on lui connaîtra par la suite. » (Veyrin-Forrer, p. 171). Cela n’empêche pas François-Ambroise Didot de continuer à utiliser d’anciens caractères au gré de ses publications.
C’est à partir de 1785 qu’il va quasi exclusivement utiliser une nouvelle fonte due à son fils
L’aîné des fils de François-Ambroise,
Si le tirage de la collection des Classiques latins et français est assez restreint, de l’ordre de 200 à 500 exemplaires, il ne semble pas en être de même avec la collection des Moralistes anciens. Le blog de bibliophilie déjà cité précise ainsi que "le tirage de cette collection n’a pas été limité ; il semble considérable, et des volumes ont pu être écoulés des années après leur impression" jusqu'à la fin du XIXe siècle. Faute de documents d’archives précis portés à notre connaissance, on peut envisager un tirage supérieur à la moyenne de l’époque, celle-ci étant de 1200 à 1500 exemplaires, comme nous le rappelions dans cette précédente question du Guichet du Savoir.
Le blog de bibliophilie donne encore quelques précisions sur le tirage : "La collection existe en plusieurs papiers : un papier courant, et un papier fin, de meilleure qualité (c’est le papier mentionné dans le premier Avis). Il existe un tirage sur papier vélin, limité à douze exemplaires ; au moins pour les volumes imprimés en 1782 et 1783".
Comme la plupart du temps, on peut supposer que ces ouvrages étaient vendus en cahiers non reliés, avec une couverture dite d'attente. A charge de l'acheteur de faire relier les volumes plus ou moins luxueusement, en fonction de ses moyens.
Nous espérons avoir pu vous apporter quelques lumières sur ces ouvrages.