noms portugais
DIVERS
+ DE 2 ANS
Le 25/12/2019 à 08h53
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Question d'origine :
j'ai pris connaissance récemment que nombre de portugais aujourd'hui catholiques affirmés ont en fait des ancêtres juifs ayant fui l'Espagne au moment de l'inquisition pour échapper aux persécutions.
on trouve beaucoup de noms portugais qui sont des noms d'arbres comme Oliveira (olivier), Pereira(poirier), Teixera (ifs (Taxus))......etc
pourquoi ces noms ?
ces noms ont-ils un lien quelconque avec la fuite des juifs évoqués ci-dessus?
merci pour la réponse qui prendra plus de temps pendant la période des fêtes.
bonne année au guichet du savoir!
Réponse du Guichet
gds_et
- Département : Équipe du Guichet du Savoir
Le 27/12/2019 à 11h13
Bonjour,
Commençons par un rappel historique. Voici ce que nous apprend Cecil Roth, l’auteur de l’ouvrage Histoire des marranes :
« Lors de l'expulsion des juifs du pays en 1492, une très grande partie des réfugiés empruntèrent le parcours le plus facile et se rendirent au Portugal, où ils furent autorisés à s'installer moyennant paiement. Néanmoins, quelques années après en 1496/7, la politique royale du Portugal se modifia et la décision fut prise de suivre l'exemple de l'Espagne, c'est à dire imposer aux Juifs le baptême ou l'exil. En fait, il n'existait qu'une seule alternative. Afin de ne pas perdre ces sujets de valeur, tous les juifs furent baptisés sous la contrainte souvent par le simulacre d'une véritable cérémonie et furent de la sorte considérés comme chrétiens. Seulement une petite minorité fut en mesure de s'échapper du pays à temps. Ainsi le Portugal, encore bien plus que l'Espagne, se combla de "Marranos", appelés à confronter l'Inquisition qui sévira également dans ce pays au début du siècle suivant.
Dès qu'ils furent en mesure de le faire, un grand nombre de Marranos se frayèrent un chemin hors de la Péninsule vers les pays où régnait une plus grande liberté et où ils témoignèrent leur fidélité au Judaïsme. L'on peut dire que ce processus continua sans interruption au cours des deux siècles et demi à venir. Au début, les centres d'émigration Marranos se concentrèrent dans les villes italiennes et turques, où les réfugiés se joignaient aux communautés existantes et perdaient vite leur identité en s'y intégrant.
A la fin du 16e siècle, l'équilibre bascula. Les pays se trouvant au Nord, en particulier : la Hollande et l'Angleterre, étaient désormais en train de diriger le commerce mondial et ce furent ces pays qui attirèrent à présent les marchands et financiers Marranos, désirant fuir les persécutions de l'Inquisition. Ainsi donc se forma, à la fin du 16e siècle, la grande communauté espagnole et portugaise d'Amsterdam, celle de Hambourg naquit quelques années après et celle de Londres en 1656, fruit des efforts suprêmes de Menasseh ben Israël.
D'autres communautés de ce genre existaient au Sud de la France (Bordeaux et Bayonne), dans les Indes Occidentales (Jamaïque et Curaçao, etc.) et dans les colonies d'Amérique du Nord (New York, Newport, Savannah, Charleston). En Amérique du Sud, l'Inquisition sévissait dans les régions qui se trouvaient sous la domination espagnole. Bien que beaucoup de Marranos s'y installèrent, des communautés juives ne pouvaient s'y former au grand jour, quoique au Brésil, une communauté se créa dans le petit intermède de la première du 17e siècle, lorsque ce pays fut sous domination hollandaise. Cette émigration vers le Nord de l'Europe créa une autre catégorie de communautés Sefardi, qui développèrent un mode de vie caractéristique propre. Ces juifs se considéraient et furent considérés par leurs voisins comme "l'aristocratie" du monde juif. Au 17e siècle, ceux-ci furent indubitablement l'élément le plus important et en certains points l'essence du peuple juif. »
Les noms que vous citez sont des patronymes portugais répandus. Oliveira, par exemple, est le cinquième nom le plus commun au Portugal. Les noms d’arbres, ou faisant plus largement référence à la végétation, ne sont pas rares en onomastique, et on retrouve leurs équivalents en français par exemple : Olivier, Olive, Poirier, Poire, Taysse, Teysse, Tasse, Taxe, Taix, Tech, Teix…
L'origine d'un nom de famille tel que Pereira peut s'expliquer par le fait que la famille vivait près d'un verger. Il n’y a donc pas de lien particulier entre l’étymologie végétale d'un nom et l’appartenance à la communauté juive ; aussi, le fait de porter ces noms ne signifie pas nécessairement que les personnes concernées sont juives ou ont des ancêtres juifs. En revanche, il est certain que ces noms portugais (ou leurs variantes) étaient portés par des marranes et des réfugiés juifs, et à ce titre peuvent être qualifiés de noms de famille juifs séfarades :
« Aujourd’hui encore, nombre de noms de famille juifs séfarades conservent une trace de leur origine portugaise, quand bien même, dans certains cas, celle-ci est mêlée à des éléments castillans.
Les noms de famille suivants ont notamment été conservés au sein de la diaspora en Hollande et au Royaume-Uni: Abrantes, Aguilar, Andrade, Brandão, Brito, Bueno, Cardoso, Carvalho, Castro, Coutinho, Dourado, Fonseca, Furtado, Gomes, Gouveia, Granjo, Henriques, Lara, Marques, Melo e Prado, Mesquita, Mendes, Neto, Nunes,Pereira , Pinheiro, Rodrigues, Rosa, Sarmento, Silva, Soares, Teixeira et Teles.
Au sein de la diaspora latino-américaine, les noms suivants ont été également conservés: Almeida, Avelar, Bravo, Carvajal, Crespo, Duarte, Ferreira, Franco, Gato, Gonçalves, Guerreiro, Leão, Lopes, Leiria, Lobo, Lousada, Machorro, Martins, Montesino, Moreno, Mota, Macias, Miranda,Oliveira , Osório, Pardo, Pina, Pinto, Pimentel, Pizarro, Querido, Rei, Ribeiro, Salvador, Torres et Viana. »
Source : Décret-loi nº 30-A/2015 du 27 février 2015, Portail diplomatique du Portugal
« Les noms de famille portés par les ressortissants de la nation « nation Juive » de Bayonne sont en règle générale des patronymes espagnols, portugais ou galiciens (ou galaïco-portugais) très bien connus de la science onomastique […] : Alvares, Fernandes, Gonzales, Henriquez, Pereira, etc. Certains sont des noms d’origine (villages, hameaux et villes du Portugal, de Galice ou d’Espagne). »
Source : Noms de famille, de baptême et surnoms recensés à Bayonne parmi les ressortissants de la «nation juive du Bourg Saint-Esprit» au XVIIIe siècle, Hector Iglesias
Notons que la variantePereire est le résultat d’une francisation du portugais Pereira.
Source : Trésors des noms de famille, des noms de villes et de villages / Jacques Cellard, Eric Vial.
Si vous souhaitez en savoir plus sur le marranisme et les juifs portugais :
- Histoire des juifs portugais / Carsten L. Wilke
- Le marranisme. Histoire intelligible et mémoire vivante, Maurice Kriegel
- Être juif au Portugal au temps de l'Inquisition : nouveaux chrétiens, marranes, juifs, Robert Rowland and Jehanne Féblot-Augustins, [/i]Ethnologie française[/i], nouvelle serie, T. 29, No. 2, PORTUGAL: DU TAGE À LA MER DE CHINE (Avril-Juin 1999), pp. 191-203
Bonne journée, et bonne année !
Commençons par un rappel historique. Voici ce que nous apprend Cecil Roth, l’auteur de l’ouvrage Histoire des marranes :
« Lors de l'expulsion des juifs du pays en 1492, une très grande partie des réfugiés empruntèrent le parcours le plus facile et se rendirent au Portugal, où ils furent autorisés à s'installer moyennant paiement. Néanmoins, quelques années après en 1496/7, la politique royale du Portugal se modifia et la décision fut prise de suivre l'exemple de l'Espagne, c'est à dire imposer aux Juifs le baptême ou l'exil. En fait, il n'existait qu'une seule alternative. Afin de ne pas perdre ces sujets de valeur, tous les juifs furent baptisés sous la contrainte souvent par le simulacre d'une véritable cérémonie et furent de la sorte considérés comme chrétiens. Seulement une petite minorité fut en mesure de s'échapper du pays à temps. Ainsi le Portugal, encore bien plus que l'Espagne, se combla de "Marranos", appelés à confronter l'Inquisition qui sévira également dans ce pays au début du siècle suivant.
Dès qu'ils furent en mesure de le faire, un grand nombre de Marranos se frayèrent un chemin hors de la Péninsule vers les pays où régnait une plus grande liberté et où ils témoignèrent leur fidélité au Judaïsme. L'on peut dire que ce processus continua sans interruption au cours des deux siècles et demi à venir. Au début, les centres d'émigration Marranos se concentrèrent dans les villes italiennes et turques, où les réfugiés se joignaient aux communautés existantes et perdaient vite leur identité en s'y intégrant.
A la fin du 16e siècle, l'équilibre bascula. Les pays se trouvant au Nord, en particulier : la Hollande et l'Angleterre, étaient désormais en train de diriger le commerce mondial et ce furent ces pays qui attirèrent à présent les marchands et financiers Marranos, désirant fuir les persécutions de l'Inquisition. Ainsi donc se forma, à la fin du 16e siècle, la grande communauté espagnole et portugaise d'Amsterdam, celle de Hambourg naquit quelques années après et celle de Londres en 1656, fruit des efforts suprêmes de Menasseh ben Israël.
D'autres communautés de ce genre existaient au Sud de la France (Bordeaux et Bayonne), dans les Indes Occidentales (Jamaïque et Curaçao, etc.) et dans les colonies d'Amérique du Nord (New York, Newport, Savannah, Charleston). En Amérique du Sud, l'Inquisition sévissait dans les régions qui se trouvaient sous la domination espagnole. Bien que beaucoup de Marranos s'y installèrent, des communautés juives ne pouvaient s'y former au grand jour, quoique au Brésil, une communauté se créa dans le petit intermède de la première du 17e siècle, lorsque ce pays fut sous domination hollandaise. Cette émigration vers le Nord de l'Europe créa une autre catégorie de communautés Sefardi, qui développèrent un mode de vie caractéristique propre. Ces juifs se considéraient et furent considérés par leurs voisins comme "l'aristocratie" du monde juif. Au 17e siècle, ceux-ci furent indubitablement l'élément le plus important et en certains points l'essence du peuple juif. »
Les noms que vous citez sont des patronymes portugais répandus. Oliveira, par exemple, est le cinquième nom le plus commun au Portugal. Les noms d’arbres, ou faisant plus largement référence à la végétation, ne sont pas rares en onomastique, et on retrouve leurs équivalents en français par exemple : Olivier, Olive, Poirier, Poire, Taysse, Teysse, Tasse, Taxe, Taix, Tech, Teix…
L'origine d'un nom de famille tel que Pereira peut s'expliquer par le fait que la famille vivait près d'un verger. Il n’y a donc pas de lien particulier entre l’étymologie végétale d'un nom et l’appartenance à la communauté juive ; aussi, le fait de porter ces noms ne signifie pas nécessairement que les personnes concernées sont juives ou ont des ancêtres juifs. En revanche, il est certain que ces noms portugais (ou leurs variantes) étaient portés par des marranes et des réfugiés juifs, et à ce titre peuvent être qualifiés de noms de famille juifs séfarades :
« Aujourd’hui encore, nombre de noms de famille juifs séfarades conservent une trace de leur origine portugaise, quand bien même, dans certains cas, celle-ci est mêlée à des éléments castillans.
Les noms de famille suivants ont notamment été conservés au sein de la diaspora en Hollande et au Royaume-Uni: Abrantes, Aguilar, Andrade, Brandão, Brito, Bueno, Cardoso, Carvalho, Castro, Coutinho, Dourado, Fonseca, Furtado, Gomes, Gouveia, Granjo, Henriques, Lara, Marques, Melo e Prado, Mesquita, Mendes, Neto, Nunes,
Au sein de la diaspora latino-américaine, les noms suivants ont été également conservés: Almeida, Avelar, Bravo, Carvajal, Crespo, Duarte, Ferreira, Franco, Gato, Gonçalves, Guerreiro, Leão, Lopes, Leiria, Lobo, Lousada, Machorro, Martins, Montesino, Moreno, Mota, Macias, Miranda,
Source : Décret-loi nº 30-A/2015 du 27 février 2015, Portail diplomatique du Portugal
« Les noms de famille portés par les ressortissants de la nation « nation Juive » de Bayonne sont en règle générale des patronymes espagnols, portugais ou galiciens (ou galaïco-portugais) très bien connus de la science onomastique […] : Alvares, Fernandes, Gonzales, Henriquez, Pereira, etc. Certains sont des noms d’origine (villages, hameaux et villes du Portugal, de Galice ou d’Espagne). »
Source : Noms de famille, de baptême et surnoms recensés à Bayonne parmi les ressortissants de la «nation juive du Bourg Saint-Esprit» au XVIIIe siècle, Hector Iglesias
Notons que la variante
Source : Trésors des noms de famille, des noms de villes et de villages / Jacques Cellard, Eric Vial.
Si vous souhaitez en savoir plus sur le marranisme et les juifs portugais :
- Histoire des juifs portugais / Carsten L. Wilke
- Le marranisme. Histoire intelligible et mémoire vivante, Maurice Kriegel
- Être juif au Portugal au temps de l'Inquisition : nouveaux chrétiens, marranes, juifs, Robert Rowland and Jehanne Féblot-Augustins, [/i]Ethnologie française[/i], nouvelle serie, T. 29, No. 2, PORTUGAL: DU TAGE À LA MER DE CHINE (Avril-Juin 1999), pp. 191-203
Bonne journée, et bonne année !
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