Question d'origine :
Peut-on qualifier, au vu de ses choix, de ses relations et de ses actes, le Président Mitterrand comme un président d'extrême droite ? Venait-il de La Cagoule ? Sa pratique des écoutes d'artistes peut-elle être expliquée parce qu'il craignait que des gens de gauche médiatiques (ex. : Fr. Truffaut) ne révèlent sa vraie couleur politique ?
Réponse du Guichet
gds_alc
- Département : Equipe du Guichet du Savoir
Le 26/12/2019 à 10h12
Bonjour,
Votre question divise le monde intellectuel et politique et il ne sera nullement possible de vous apporter une quelconque réponse catégorique. Pour vous faire une idée de la personnalité ambiguë de François Mitterrand, il vous faudra parcourir un certain nombre d’ouvrages dont celui de Pierre Péan, Une jeunesse française : François Mitterrand, 1934-1947 par qui le scandale éclata. En effet, le livre révélait le flirt poussé de François Mitterand avec Vichy même s’il confirmait son engagement dans la résistance.
Dans l’article « L'écrivain Pierre Péan révèle les engagements nationalistes et pétainistes du futur président », publié dans Le Devoir le 6 septembre 1994, Edwy Plénel retrace le parcours controversé de François Mitterrand :
« Confronté aux nombreuses trouvailles de Pierre Péan, François Mitterrand a donc admis ce qu'il ne voulait guère reconnaître publiquement dans ses déclarations et écrits précédents: dans la période concernée, qui va de 1934 à 1947 - de l'année de ses dix-huit ans à celle de ses trente et un ans -, il fut activement engagé, non pas à l'extrême droite, mais à droite de la droite, une droite nationaliste qu'incarna le pétainisme; maréchaliste convaincu, il commença par choisir ce camp avant de basculer au courant de 1943 dans la Résistance, mais sans renier son parcours vichyssois ; jusqu'à aujourd'hui, il est resté fidèle en amitié pour ceux qui l'accompagnèrent dans ce parcours, même s'ils furent autrement compromis dans la collaboration.
... À peine arrivé à Paris, François Mitterrand devient à l'automne 1934 «volontaire national», c'est-à-dire membre actif du mouvement de jeunesse créé par le leader des Croix de feu, le colonel de La Rocque. Tous les historiens s'accordent sur ce point: inventeur de la devise «travail, famille, patrie», La Rocque n'était pas un fasciste ni un antisémite, mais le représentant d'une droite traditionnelle, nationaliste, antiparlementaire et anticommuniste. La Rocque lui-même finira par rejoindre la Résistance et sera déporté, après avoir cependant approuvé, en 1940, que le nouveau pouvoir veuille «régler la question juive».
Moins de quatre mois après son installation parisienne, François Mitterrand participe, début février 1935, à une manifestation étudiante «contre l'invasion des métèques». En 1936, il est également d'une manifestation contre un professeur de droit qui avait accepté de conseiller le Négus éthiopien dans son recours contre l'invasion italienne. Il évoquera cette période, dans un article de l'Écho de Paris du 4 juillet 1936, comme «les glorieuses journées de mars». Faisant, en plein Front populaire, ses débuts de journaliste dans les colonnes de ce journal proche du Parti social français (PSF), qui a remplacé les Croix de feu et les Volontaires nationaux, il y écrit notamment un article regrettant que le quartier latin se soit laissé envahir par le «dehors»: «Désormais, le quartier Latin est ce complexe de couleurs et de sons si désaccordés qu'on a l'impression de retrouver cette tour de Babel à laquelle nous ne voulions pas croire.»
Mais, dans un autre article, il écrit ceci, où perce le Mitterrand futur, faisant écho à l'attitude qu'il adopte maintenant sur ce passé si contraire aux opinions qu'il afficha par la suite: «Je crains le vide des formules et je ne puis m'empêcher de croire qu'il est plus important de comprendre que de classifier et d'étiqueter.» S'il établit formellement que, contrairement à d'insistantes rumeurs, François Mitterrand ne rejoignit jamais l'Action française et, encore moins la Cagoule, Pierre Péan montre qu'inévitablement le futur président croisera dans son entourage des cagoulards - notamment un certain Jean Bouvyer, fils d'amis de la famille. En 1938 en 1939, après l'incarcération de ce dernier, compromis en marge d'un des nombreux complots de la Cagoule, il ira lui rendre visite en prison et lui conservera son amitié au point d'intervenir en sa faveur lors de l'épuration.
Puis vient la guerre, le front et le camp de prisonniers. Pierre Péan établit que François Mitterrand épouse alors le climat politique de l'époque. Depuis son stalag, il rêve d'une «révolution», qui n'évoque pas celle de 1789, mais la «révolution nationale» de Vichy. Rejoignant cette ville après son évasion de 1941, il y devient un fonctionnaire du régime, non pas dans un double jeu immédiat comme il le laissa dire par ses entourages, mais dans une adhésion sincère à Pétain. Devenu au courant de 1942 fonctionnaire au Commissariat au reclassement des prisonniers, François Mitterrand aura à ce titre l'occasion de rencontrer le maréchal Pétain, à l'Hôtel du Parc en compagnie de trois de ses camarades. «Toute son action, y compris clandestine, n'était en rien opposée à la politique du Maréchal», commente Péan qui a retrouvé une photo de cette rencontre où elle paraît se résumer en un tête-à-tête entre Pétain et le jeune Mitterrand (il va alors sur ses vingt-six ans). Ce dernier va progressivement basculer, en 1943, dans la Résistance ».
François Gerber s’intéresse également à cette période de la vie de François Mitterrand dans Mitterrand, entre Cagoule et Francisque (1935-1945). Au risque de trahir la pensée de l’auteur et d’en simplifier le propos, nous vous citerons quelques passages mais il vous faudra poursuivre la lecture. François Gerber après avoir rappelé le contexte historique et familial – tous deux d’importance – cite François Mitterrand :
« On était patriote jusqu’aux saintes colères, avec, heureusement, un côté Barrès et colline inspirée, et moins heureusement, un côté René Bazin et blé qui se lève ; Soyons juste ; Barrès l’emportait sur Bazin ».
L’auteur revient sur l’analyse de l’historien Zeev Sternhell de la pensée de Barrès et indique ainsi que « Si Barrès hérite de la tradition du siècle dont il est issu, marquée par des auteurs tels que Michelet et Hugo, mais aussi Taine et Renan, si son nationalisme s’y enracine, il en rénove et en affine les contours (…) si Barrès reste un républicain, à la différence de Maurras, il adhère sans hésitation à l’antisémitisme le plus virulent et devint un antidreyfusard de pointe…»
Par ailleurs, il mentionne que « La France de la Libération – puis de la Ve République – refusera d’admettre toute prégnance fasciste sur la société française. Elle encensera els universitaires qui, pendant cinquante ans, à la suite de René Remond, expliqueront qu’il existe trois expressions de la droite dont aucune n’a trait au fascisme …»
Jeune étudiant, François Mitterrand « milite activement et participe à plusieurs manifestations de la droite et de l’extrême droite maurrassienne, dont celle du vendredi 1er février 1935 ». L’auteur poursuit en indiquant qu’il « porte haut les couleurs des Volontaires nationaux et adhère à la devise des Croix-de-Feu : « Travail, Famille, Patrie » mais dans un même temps, il relève que « les familles Mitterrand et Lorrain, en dépit de leur catholicisme, n’ont pas cédé aux sirènes du maurrassisme triomphant ni à ses excès : antisémitisme, xénophobie, exercice de la violence comme mode d’expression politique. De même, on a soutenu qu’il n’aurait jamais appartenu aux organisations Croix-de-feu, ni au PSF. Or, on sait désormais qu’il a bien été membre des Volontaires nationaux, puis adhérent au PSF à la suite des dissolutions. Mais a-t-il pris part au complot qui œuvrait à anéantir les institutions démocratiques ? A t-il appartenu à la cagoule ou simplement fréquenté quelques-uns de ses membres les plus actifs …. ? »
Nous vous laissons poursuivre cette lecture que vous pourrez compléter par François Mitterrand. Portrait d’un ambigu de Philippe Short, Les Mitterrand de Robert Schneider ou François Mitterrand. De l’intime au politique d’Eric Roussel.
Votre question divise le monde intellectuel et politique et il ne sera nullement possible de vous apporter une quelconque réponse catégorique. Pour vous faire une idée de la personnalité ambiguë de François Mitterrand, il vous faudra parcourir un certain nombre d’ouvrages dont celui de Pierre Péan, Une jeunesse française : François Mitterrand, 1934-1947 par qui le scandale éclata. En effet, le livre révélait le flirt poussé de François Mitterand avec Vichy même s’il confirmait son engagement dans la résistance.
Dans l’article « L'écrivain Pierre Péan révèle les engagements nationalistes et pétainistes du futur président », publié dans Le Devoir le 6 septembre 1994, Edwy Plénel retrace le parcours controversé de François Mitterrand :
« Confronté aux nombreuses trouvailles de Pierre Péan, François Mitterrand a donc admis ce qu'il ne voulait guère reconnaître publiquement dans ses déclarations et écrits précédents: dans la période concernée, qui va de 1934 à 1947 - de l'année de ses dix-huit ans à celle de ses trente et un ans -,
... À peine arrivé à Paris, François Mitterrand devient à l'automne 1934 «volontaire national», c'est-à-dire membre actif du mouvement de jeunesse créé par le leader des Croix de feu, le colonel de La Rocque. Tous les historiens s'accordent sur ce point: inventeur de la devise «travail, famille, patrie», La Rocque n'était pas un fasciste ni un antisémite, mais le représentant d'une droite traditionnelle, nationaliste, antiparlementaire et anticommuniste. La Rocque lui-même finira par rejoindre la Résistance et sera déporté, après avoir cependant approuvé, en 1940, que le nouveau pouvoir veuille «régler la question juive».
Moins de quatre mois après son installation parisienne, François Mitterrand participe, début février 1935, à une manifestation étudiante «contre l'invasion des métèques». En 1936, il est également d'une manifestation contre un professeur de droit qui avait accepté de conseiller le Négus éthiopien dans son recours contre l'invasion italienne. Il évoquera cette période, dans un article de l'Écho de Paris du 4 juillet 1936, comme «les glorieuses journées de mars». Faisant, en plein Front populaire, ses débuts de journaliste dans les colonnes de ce journal proche du Parti social français (PSF), qui a remplacé les Croix de feu et les Volontaires nationaux, il y écrit notamment un article regrettant que le quartier latin se soit laissé envahir par le «dehors»: «Désormais, le quartier Latin est ce complexe de couleurs et de sons si désaccordés qu'on a l'impression de retrouver cette tour de Babel à laquelle nous ne voulions pas croire.»
Mais, dans un autre article, il écrit ceci, où perce le Mitterrand futur, faisant écho à l'attitude qu'il adopte maintenant sur ce passé si contraire aux opinions qu'il afficha par la suite: «Je crains le vide des formules et je ne puis m'empêcher de croire qu'il est plus important de comprendre que de classifier et d'étiqueter.» S'il établit formellement que, contrairement à d'insistantes rumeurs, François Mitterrand ne rejoignit jamais l'Action française et, encore moins la Cagoule, Pierre Péan montre qu'inévitablement le futur président croisera dans son entourage des cagoulards - notamment un certain Jean Bouvyer, fils d'amis de la famille. En 1938 en 1939, après l'incarcération de ce dernier, compromis en marge d'un des nombreux complots de la Cagoule, il ira lui rendre visite en prison et lui conservera son amitié au point d'intervenir en sa faveur lors de l'épuration.
Puis vient la guerre, le front et le camp de prisonniers. Pierre Péan établit que François Mitterrand épouse alors le climat politique de l'époque. Depuis son stalag, il rêve d'une «révolution», qui n'évoque pas celle de 1789, mais la «révolution nationale» de Vichy. Rejoignant cette ville après son évasion de 1941, il y devient un fonctionnaire du régime, non pas dans un double jeu immédiat comme il le laissa dire par ses entourages, mais dans une adhésion sincère à Pétain. Devenu au courant de 1942 fonctionnaire au Commissariat au reclassement des prisonniers, François Mitterrand aura à ce titre l'occasion de rencontrer le maréchal Pétain, à l'Hôtel du Parc en compagnie de trois de ses camarades. «Toute son action, y compris clandestine, n'était en rien opposée à la politique du Maréchal», commente Péan qui a retrouvé une photo de cette rencontre où elle paraît se résumer en un tête-à-tête entre Pétain et le jeune Mitterrand (il va alors sur ses vingt-six ans). Ce dernier va progressivement basculer, en 1943, dans la Résistance ».
François Gerber s’intéresse également à cette période de la vie de François Mitterrand dans Mitterrand, entre Cagoule et Francisque (1935-1945). Au risque de trahir la pensée de l’auteur et d’en simplifier le propos, nous vous citerons quelques passages mais il vous faudra poursuivre la lecture. François Gerber après avoir rappelé le contexte historique et familial – tous deux d’importance – cite François Mitterrand :
« On était patriote jusqu’aux saintes colères, avec, heureusement, un côté Barrès et colline inspirée, et moins heureusement, un côté René Bazin et blé qui se lève ; Soyons juste ; Barrès l’emportait sur Bazin ».
L’auteur revient sur l’analyse de l’historien Zeev Sternhell de la pensée de Barrès et indique ainsi que « Si Barrès hérite de la tradition du siècle dont il est issu, marquée par des auteurs tels que Michelet et Hugo, mais aussi Taine et Renan, si son nationalisme s’y enracine, il en rénove et en affine les contours (…) si Barrès reste un républicain, à la différence de Maurras, il adhère sans hésitation à l’antisémitisme le plus virulent et devint un antidreyfusard de pointe…»
Par ailleurs, il mentionne que « La France de la Libération – puis de la Ve République – refusera d’admettre toute prégnance fasciste sur la société française. Elle encensera els universitaires qui, pendant cinquante ans, à la suite de René Remond, expliqueront qu’il existe trois expressions de la droite dont aucune n’a trait au fascisme …»
Jeune étudiant, François Mitterrand « milite activement et participe à plusieurs manifestations de la droite et de l’extrême droite maurrassienne, dont celle du vendredi 1er février 1935 ». L’auteur poursuit en indiquant qu’il « porte haut les couleurs des Volontaires nationaux et adhère à la devise des Croix-de-Feu : « Travail, Famille, Patrie » mais dans un même temps, il relève que « les familles Mitterrand et Lorrain, en dépit de leur catholicisme, n’ont pas cédé aux sirènes du maurrassisme triomphant ni à ses excès : antisémitisme, xénophobie, exercice de la violence comme mode d’expression politique. De même, on a soutenu qu’il n’aurait jamais appartenu aux organisations Croix-de-feu, ni au PSF. Or, on sait désormais qu’il a bien été membre des Volontaires nationaux, puis adhérent au PSF à la suite des dissolutions. Mais a-t-il pris part au complot qui œuvrait à anéantir les institutions démocratiques ? A t-il appartenu à la cagoule ou simplement fréquenté quelques-uns de ses membres les plus actifs …. ? »
Nous vous laissons poursuivre cette lecture que vous pourrez compléter par François Mitterrand. Portrait d’un ambigu de Philippe Short, Les Mitterrand de Robert Schneider ou François Mitterrand. De l’intime au politique d’Eric Roussel.
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