Question d'origine :
jean-Paul Sartre a-t-il rencontré Martin Heidegger ? Pourquoi l’a-t-il défendu dans les « Temps modernes » lorsque les catholiques menaient une offensive contre le penseur nazi ?
Réponse du Guichet
bml_civ
- Département : Civilisation
Le 11/12/2019 à 15h57
Bonjour,
Pour resituer le débat concernant la position de Sartre face à l’engagement national-socialiste de Heidegger, vous pouvez lire cet article accessible en ligne surCairn
« … Sartre lui-même, dès janvier 1946, dans notre alors jeune revue, Les Temps Modernes. Il y écrivait, annonçant la publication d’une série de témoignages et de textes contradictoires sur Heidegger : « […] c’est le même homme qui philosophe et qui choisit en politique. Il est possible, il sera nécessaire de rechercher ce qui dans l’existentialisme de Heidegger pouvait motiver l’acceptation du nazisme. Faite pour Hegel, cette analyse lave de toute suspicion l’essentiel de sa philosophie, la pensée dialectique. Quand on la fera pour Heidegger, elle lavera de toute suspicion l’essentiel de sa philosophie, la pensée existentielle […] Davantage : elle montrera peut-être qu’une politique “existentielle” est aux antipodes du nazisme […]. » Ce débat, il le poursuivit en lui-même, au fil du temps et de son œuvre. Autant il est passionnant d’assister, dans les Carnets de la drôle de guerre, le journal qu’il tint, en 1939-1940, pendant sa mobilisation, à sa découverte progressive et émerveillée du « néant » par la lecture de « Qu’est-ce que la métaphysique ? », dette incalculable d’où naquit la liberté de L’Etre et le Néant, autant, dans la Critique de la raison dialectique, quelques vingt ans après, la formule de sa lucidité à propos de cette pensée heideggérienne qui, dit-il, fait de l’homme « le porteur de l’ouverture de l’Etre » est lapidaire et tranchante : « Toute philosophie qui subordonne l’humain à l’Autre que l’homme […] a pour fondement et pour conséquence la haine de l’humain. »Heidegger aux Temps modernes cité dans Les Temps Modernes 2008/4 (n° 650), pages 1 à 3.
Au sommaire dunuméro de janvier 1946 , on trouve en effet 2 articles signés de Maurice de Gandillac, Entretien avec Martin Heidegger, et Frédéric de Towarnicki, Visite à Martin Heidegger.
Dans sa biographie d’Heidegger,Guillaume Payen évoque la publication dès 1946 des articles de ces auteurs dans la revue Les Temps Modernes créée en octobre 1945 par Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir :
« Frédéric de Towarnicki et Maurice de Gandillac furent parmi les premiers Français qui vinrent le rencontrer ; chacun en tira un récit, publié en janvier 1946 dans Les Temps modernes. (…) Venu le rencontrer également à l’automne 1945, Frédéric de Towarnicki se concevait, lui, comme un « agent de liaison philosophique » : il apporta des écrits de Sartre, l’invitant à le rencontrer à Todtnauberg,ce qui ne se fit pas . » (p. 455-456).
Voir aussi le livreSartre et "Les temps modernes" d’Anna Boschetti.
Né dans une famille catholique, novice chez les Jésuites puis étudiant à la faculté théologique de Fribourg, Heidegger, bien que prenant ses distances avec le catholicisme en nouant des relations intellectuelles avec des penseurs et théologiens protestants puis avec le christianisme même, a toujours conservé une pensée de Dieu, si ce n'est « théologique » (voir par exemple sa Lettre sur l'humanisme, 1947).
S’appuyant sur ses lectures de Saint-Paul et Luther, concernant notamment le message paulinien de l’imminence de la fin des temps et de la Révélation, il a pu reprocher au christianisme son dévoiement de la philosophie grecque et du christianisme primitif, et son incapacité à dépasser la métaphysique. En effet, l’autonomie de la philosophie passerait par son dégagement de la théologie, du moins dans sa forme dogmatique.
Si Dieu est mort, comme le prétend Nietzsche qu’Heidegger étudie, réfugié dans une abbaye, ou si les dieux se sont « enfuis » comme le chante Hölderlin qu’il découvre au tournant des années 30, il n’en demeure pas moins pour lui une figure divine, celle d’un « autre Dieu » que celui, créateur, du christianisme, ou Dieu « causa sui » de la métaphysique. Ce « dernier Dieu », « autrement divin », insaisissable, fugace, ne peut être appréhendé que dans l’attente, qui est une autre forme de sa présence, et prend, dans les œuvres tardives de Heidegger, une place aux côtés de la terre, du ciel, des mortels, et des dieux (Quadriparti).
Toutes ces conceptions, très brièvement résumées, sont à l’opposé de la conception du dieu créateur et incarné du catholicisme !
Pour aller plus loin :
- deux articles : - Heidegger et la théologie , où sont exposées les controverses suscitées par ses positions face aux théologies protestantes et catholiques, et cet autre sur sa conception du divin .
-Heidegger, pensée de l'être et origine de la subjectivité de Maxence Caron.
- Heidegger à plus forte raison .
- l’article Heidegger duDictionnaire critique de théologie sous la dir. de Jean-Yves Lacoste.
Ne pas oublier,le lexique de Martin Heidegger et Le dictionnaire Martin Heidegger , ça peut aider !
Bonnes lectures !
Pour resituer le débat concernant la position de Sartre face à l’engagement national-socialiste de Heidegger, vous pouvez lire cet article accessible en ligne sur
« … Sartre lui-même, dès janvier 1946, dans notre alors jeune revue, Les Temps Modernes. Il y écrivait, annonçant la publication d’une série de témoignages et de textes contradictoires sur Heidegger : « […] c’est le même homme qui philosophe et qui choisit en politique. Il est possible, il sera nécessaire de rechercher ce qui dans l’existentialisme de Heidegger pouvait motiver l’acceptation du nazisme. Faite pour Hegel, cette analyse lave de toute suspicion l’essentiel de sa philosophie, la pensée dialectique. Quand on la fera pour Heidegger, elle lavera de toute suspicion l’essentiel de sa philosophie, la pensée existentielle […] Davantage : elle montrera peut-être qu’une politique “existentielle” est aux antipodes du nazisme […]. » Ce débat, il le poursuivit en lui-même, au fil du temps et de son œuvre. Autant il est passionnant d’assister, dans les Carnets de la drôle de guerre, le journal qu’il tint, en 1939-1940, pendant sa mobilisation, à sa découverte progressive et émerveillée du « néant » par la lecture de « Qu’est-ce que la métaphysique ? », dette incalculable d’où naquit la liberté de L’Etre et le Néant, autant, dans la Critique de la raison dialectique, quelques vingt ans après, la formule de sa lucidité à propos de cette pensée heideggérienne qui, dit-il, fait de l’homme « le porteur de l’ouverture de l’Etre » est lapidaire et tranchante : « Toute philosophie qui subordonne l’humain à l’Autre que l’homme […] a pour fondement et pour conséquence la haine de l’humain. »
Au sommaire du
Dans sa biographie d’Heidegger,
« Frédéric de Towarnicki et Maurice de Gandillac furent parmi les premiers Français qui vinrent le rencontrer ; chacun en tira un récit, publié en janvier 1946 dans Les Temps modernes. (…) Venu le rencontrer également à l’automne 1945, Frédéric de Towarnicki se concevait, lui, comme un « agent de liaison philosophique » : il apporta des écrits de Sartre, l’invitant à le rencontrer à Todtnauberg,
Voir aussi le livre
Né dans une famille catholique, novice chez les Jésuites puis étudiant à la faculté théologique de Fribourg, Heidegger, bien que prenant ses distances avec le catholicisme en nouant des relations intellectuelles avec des penseurs et théologiens protestants puis avec le christianisme même, a toujours conservé une pensée de Dieu, si ce n'est « théologique » (voir par exemple sa Lettre sur l'humanisme, 1947).
S’appuyant sur ses lectures de Saint-Paul et Luther, concernant notamment le message paulinien de l’imminence de la fin des temps et de la Révélation, il a pu reprocher au christianisme son dévoiement de la philosophie grecque et du christianisme primitif, et son incapacité à dépasser la métaphysique. En effet, l’autonomie de la philosophie passerait par son dégagement de la théologie, du moins dans sa forme dogmatique.
Si Dieu est mort, comme le prétend Nietzsche qu’Heidegger étudie, réfugié dans une abbaye, ou si les dieux se sont « enfuis » comme le chante Hölderlin qu’il découvre au tournant des années 30, il n’en demeure pas moins pour lui une figure divine, celle d’un « autre Dieu » que celui, créateur, du christianisme, ou Dieu « causa sui » de la métaphysique. Ce « dernier Dieu », « autrement divin », insaisissable, fugace, ne peut être appréhendé que dans l’attente, qui est une autre forme de sa présence, et prend, dans les œuvres tardives de Heidegger, une place aux côtés de la terre, du ciel, des mortels, et des dieux (Quadriparti).
Toutes ces conceptions, très brièvement résumées, sont à l’opposé de la conception du dieu créateur et incarné du catholicisme !
Pour aller plus loin :
- deux articles : -
-
-
- l’article Heidegger du
Ne pas oublier,
Bonnes lectures !
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