Question d'origine :
Bonjour,
Travaillant sur le tourisme médical, j'aurais souhaité connaître l'historique, le commencement du tourisme médical ?
D'après mes recherches le tourisme médical aurait commencé avec les thermes, mais concernant la chirurgie esthétique je n'en ai aucune idée.
Merci d'avance.
Réponse du Guichet
gds_ctp
- Département : Equipe du Guichet du Savoir
Le 28/11/2019 à 11h58
Bonjour,
Comme nous le développions dans une précédente réponse, de plus en plus de gens vont se faire soigner à l’étranger.
Cette pratique a connu une énorme expansion au cours des dernières décennies, s’attirant les foudres des professionnels de la santé comme du secteur touristique. Pourtant, comme le rappelle Loick Menvielle dans son article « Tourisme médical : quelle place pour les pays en développement ? », paru en 2012 dans la revue Mondes en développement et consultable sur cairn.info en bibliothèque, son histoire est très ancienne :
« Contrairement aux idées reçues et à la vision souvent parcellaire véhiculée par les médias, le tourisme médical n’est pas un concept “nouveau”. L’histoire montre que ce type de pratique relève d’un usage ancestral [5][5]Ce que les détracteurs et pourfendeurs de ce concept occultent…. Dès le néolithique, les premiers hommes avaient pour habitude de parcourir de longues distances afin de bénéficier de soins. L’évolution des connaissances et des compétences, de ce que nous pouvons considérer comme les tous premiers pas de la médecine, a permis d’exploiter et de tirer profit des ressources naturelles.
Des vestiges du passé, notamment de la période antique, constituent un témoignage riche d’enseignements quant aux pratiques et aux croyances de l’époque. Les Égyptiens furent les premiers à recourir aux vertus curatives de l’eau de mer pour soigner douleurs et troubles de la santé. Néanmoins c’est aux Grecs et aux Romains que revient la longue tradition du thermalisme, de l’exploitation des bienfaits des sources minérales ou d’eaux chaudes.
Pour Smith et Kelly, « c’est l’une des plus anciennes formes de tourisme au regard des centres d’intérêt que les Romains et les Grecs allouaient à leur apparence », les amenant à parcourir de longues distances en quête d’amélioration de leur état de santé. Épidaure en Grèce, bâtit en l’honneur du dieu guérisseur Asclépios, constitue un exemple pertinent du prototype “touristico-médical” de l’époque. La renommée acquise grâce aux multiples guérisons “divines”, a contribué à l’attraction du lieu, accueillant les malades en provenance des contrées les plus lointaines et variées du monde hellénique.
C’est réellement au XVIIIe siècle que l’on redécouvre les vertus du thermalisme. Le développement de la ville de Bath en Angleterre, en est la parfaite illustration (Boyer, 1996). L’aristocratie anglaise et européenne vient alors y séjourner pour se reposer et se soigner. La France connaît, sous l’impulsion de Napoléon III et de sa famille, le même essor : les stations thermales profitent massivement de cette tendance. À partir de la fin du XIXe, c’est à la Côte d’Azur de faire profiter des bienfaits de ses rivages, comme le soulignent à la fois Smith and Kelly (2006) et Proulx (2005). Nous nous situons alors à la transition du tourisme médical moderne, que certains auteurs comme Boyer (1996) mettent en évidence en parlant de lieux de santé et de rencontre pour l’aristocratie européenne, faisant référence aux sanatoriums. »
Selon le même article, ce qui est nouveau en revanche, c’est qu’au cours du XXe siècle, le tourisme médical, précédemment apanage des riches et des puissants, s’est progressivement démocratisé. Plusieurs facteurs ont joué dans cette évolution : tout d’abord l’amélioration des moyens de communication et de transports, mais aussi la crise des systèmes de santé occidentaux, entraînant une privatisation accrue, donc une marchandisation accrue, des soins.
« Dès lors, la concurrence se situe au niveau mondial. Tunisie, Maroc, Inde, Thaïlande et Brésil, font désormais partie des piliers du domaine qu’il convient de prendre en considération. Dans un secteur compétitif, où l’avantage concurrentiel ne se situe plus uniquement au niveau des compétences médicales (considérées comme faisant partie intégrante des standards mondiaux), il devient impératif d’intégrer une offre différenciante reposant sur une infrastructure hôtelière d’exception et un service de qualité, acquis aux normes occidentales (Garcia-Altes, 2005 ; Graham, 2005). La qualité de substituabilité du personnel soignant (compétences, empathie, écoute, disponibilité) à l’égard du patient, les conditions générales de convalescence et de réadaptation du malade sont des arguments commerciaux supplétifs. Le choix entre une hospitalisation dans la grisaille de Chicago et la verdure du Kerala en Inde, ne se pose pas (Burgun, 2010 ; Connell, 2005). Pour des économies allant jusqu’à 80% des prix pratiqués pour certaines opérations aux États-Unis, les nombreux malades, très souvent issus des classes moyennes américaines, sont “encouragés” à repenser le modèle d’accès aux soins (Walker, 2006). »
Pour comprendre l’évolution récente du marché mondialisé de la santé, nous vous conseillons vivement la lecture de la thèse de Serikpa Georges Lohore, « Tourisme et santé, mise en production des territoires par le tourisme médical », consultable sur tel.archives-ouvertes.fr. L’auteur y décrit ce processus complexe comme une inversion des clientèles et des pays visités :
« Les raisons du tourisme médical sont liées dans un premier temps à l’absence de moyens de prise en charge adéquate pour certaines maladies au long cours, pendant les années 80 dans les pays en voie de développements. Les patients fortunés originaires de ces pays se rendaient à l’époque dans les pays développés, France, Allemagne, Canada, Etats-Unis, qui offraient les meilleures technologies médicales pour la prise en charge de ce type de pathologies (diabète, insuffisance rénale, problèmes cardiaques, etc.) La deuxième raison du tourisme médical est à mettre en relation avec la crise des systèmes de santé dans les pays développés.
En effet la recherche et le développement de nouvelles technologies médicales, ont contribué au renchérissement du coût de certains soins spécifiques, (soins dentaires, ophtalmologie), pour les systèmes d’assurance santé dans la plupart des pays développés (Angleterre, France, Allemagne). Le phénomène médico-touristique a connu de nouvelles inclinaisons à partir du début des années 1990. Aux mouvements du sud vers le nord des malades issus des pays en voie de développement, se sont rajoutés ceux des patients des pays européens, soumis à l’augmentation du reste-à-charge pour les soins dentaires, d’ophtalmologie, la chirurgie esthétique et d’autres soins considérés comme des soins de confort.
[…]
[Première remarque] Chaque pays pour son offre médico-touristique, a fait le choix de se concentrer sur des spécialités précises. Deuxième remarque importante, c’est que le tourisme médical apparaît comme un moyen de diversification de l’offre touristique. Tous les pays analysés dans cette étude possèdent un secteur touristique performant dans leurs économies. Enfin dernier point qui est un préalable pour les destinations médico-touristiques, il s’agit de l’existence dans ces pays de systèmes s’assurance santé qui couvrent une majorité de la population.
[…]
Afin de capter les devises issues de ce secteur, de nombreux pays en majorité des pays émergents, ont décidé de s’engager sur la voie de l’accueil des patients étrangers. Si le phénomène touche tous les continents, certains pays en ont fait une spécialité. En Asie, la Thaïlande, l’Inde, la Malaisie, Singapour, se sont bâtis une solide réputation dans ce domaine. En Amérique du sud, l’Argentine, le Mexique, le Brésil, Cuba, par exemple, sont des destinations qui comptent dans l’accueil de la patientèle internationale374. Des pays d’Europe de l’Ouest (Espagne, Belgique, Allemagne), d’Europe de l’Est, (Hongrie, République Tchèque, Pologne)et d’Afrique du Nord et d’Afrique Subsaharienne, (Maroc, Tunisie, Afrique du sud), ont décidé d’exploiter ce nouveau filon. »
Dès les années 80 les cliniques cubaines proposaient des soins à destination des classes moyennes nord-américaines. Ce qui ne manqua pas de questionner sur la différence de soins dispensés aux touristes et aux locaux. Quoi qu’il en soit, l’offre s’est peu à peu spécialisée en se développant, le Maghreb dans la chirurgie esthétique, les pays de l’est (La Pologne, la Hongrie, la Roumanie ou la République tchèque…) dans les soins dentaires et dans une moindre mesure l’optique, quant à l’Asie, elle a une solide réputation en chirurgie. Notamment la Thaïlande :
« L'histoire médicale du royaume de Siam ne date pas d'hier. «Ce pays attire depuis très longtemps des gens du monde entier qui souhaitent se faire opérer pour changer de sexe, souligne Bruno Huber, directeur général du Plaza Athénée, installé à Bangkok depuis 1986. La capitale regorge de cliniques spécialisées dont les tarifs sont dix fois inférieurs à ceux proposés ailleurs. Les gens sont ensuite venus pour se faire refaire les dents.» Au début des années 1990, de nombreux groupes privés thaïlandais ont cru faire fortune en ouvrant des hôpitaux géants. Si la crise économique de 1997 et la dévaluation du baht ont forcé de nombreux établissements à fermer leurs portes (la plupart des sociétés avaient emprunté en dollars), la Thaïlande reste un pays suréquipé dans le domaine médical. Cette nation possède ainsi plus de 400 hôpitaux privés. »
(Source : L’Express)
Ce sont d’ailleurs les soins de « confort », à l’instar de la chirurgie esthétique, qui ont inauguré le tourisme médical moderne :
«De nombreux pays, notamment asiatiques, ont commencé par offrir des prestations de confort avant de se diversifier, avec des soins plus sophistiqués, destinés à répondre à des problématiques médicales plus graves, comme les transplantations rénales ou la chirurgie cardiaque», explique la maîtresse de conférences à l’université Lyon-III Virginie Chasles, spécialiste de la géographie de la santé. Si les soins proposés sont de plus en plus variés, les principales raisons qui poussent à voyager pour sa santé sont toujours les mêmes : la réduction des temps d’attente, et surtout la quête de prix plus bas. Rien d’étonnant donc à ce que tout ait commencé avec la chirurgie esthétique, rarement remboursée par la Sécurité sociale, et se prêtant parfaitement à la marchandisation des soins.
Depuis les débuts de cette mobilité dans les années 90, l’Asie est au cœur des flux venus de pays développés, notamment l’Inde ou la Thaïlande, où l’accueil de patients étrangers est un business à part entière. Dans cette dernière, premier Etat pour le tourisme médical, le secteur représente près de 1 % du PIB. La Thaïlande attire depuis longtemps les malades avec des prix très attractifs (environ 70 % moins élevés qu’aux Etats-Unis) et des soins de grande qualité. Pour une prothèse de hanche, il faut par exemple compter environ 42 000 euros aux Etats-Unis, contre moins de 10 000 en Thaïlande. En 2002, l’hôpital Bumrungrad de Bangkok a été le premier en Asie à recevoir la principale accréditation internationale garantissant la qualité des soins. Aujourd’hui, plus de la moitié de son chiffre d’affaires provient des patients étrangers.
L’Inde a, elle, mis en place un visa médical depuis 2005, délivré à plus de 230 000 personnes en 2015, venues pour de la chirurgie orthopédique comme pour des traitements anticancer. «Ces pays ont mis en place un véritable système d’exportation de soins de santé destiné à faire rentrer des devises», analyse le professeur à l’Edhec Loick Menvielle. Ce système fait également les affaires d’agences spécialisées dans la programmation des séjours médicaux. La plupart des patients y font appel pour choisir le pays de soins, la clinique, et organiser tout leur parcours sur place, de l’accueil à l’aéroport jusqu’au suivi postopératoire, en passant par un rendez-vous préalable sur Skype avec le médecin.
Le basculement d’une mobilité de mieux-être vers le traitement de pathologies lourdes rend l’aspect «tourisme» du voyage de plus en plus anecdotique. Le terme «tourisme médical» a d’ailleurs toujours été quelque peu abusif. «La motivation première de ces mobilités, c’est recourir à un soin auquel on n’a pas accès aussi facilement là où l’on vit. L’aspect distraction est très secondaire, quand il est présent», confirme Virginie Chasles. Certains pays continuent à miser sur la combinaison des deux, comme l’Afrique du Sud, qui propose depuis les années 90 des «scalpels safaris», alliant en général opération de chirurgie esthétique, séjour dans un hôtel de luxe et un modeste safari, aménagé pour les convalescents. Une orientation luxe destinée à dédramatiser les soins, mais loin d’être représentative du profil de tous ceux qui voyagent pour leur santé.
Beaucoup ne viennent pas d’Etats riches et cherchent à l’étranger des soins inexistants ou inaccessibles dans leur pays : 80 % des étrangers qui se rendent en Inde pour se faire soigner viennent du Sud. Parmi eux beaucoup d’Africains, mais aussi des patients venus d’Irak ou d’Afghanistan, où les services de santé ont été ravagés par les guerres. «Mais il ne faut pas se leurrer, de telles pratiques ne sont accessibles qu’aux classes les plus aisées», tempère Virginie Chasles.
Aux Etats-Unis aussi, ils sont nombreux à partir se soigner à l’étranger, confrontés à des problèmes d’assurance santé. «Cela touche les classes moyennes, pas les plus pauvres, mais pas les plus riches non plus. Ce sont des gens qui s’endettent, qui hypothèquent leur maison pour aller se faire soigner à l’étranger parce que ça reste moins cher que chez eux», explique Loick Menvielle de l’Edhec.
Pour autant, «le tourisme médical demeure une mobilité socialement différenciée, pas un remède aux défaillances de systèmes de santé nationaux», rappelle Virginie Chasles. Il aurait même plutôt tendance à accroître les inégalités et à laisser de côté les populations locales les plus démunies, qui continuent à souffrir d’un faible accès à la santé publique. L’Inde des cliniques privées, où tout est prévu pour l’accueil des patients étrangers, est aussi le pays qui consacre seulement 1,4 % de son PIB à la santé, et où les habitants paient de leur poche près de 70 % de leurs frais médicaux. Et là-bas comme ailleurs, les meilleurs praticiens se dirigent souvent vers le privé, aggravant la pénurie de personnels dans les établissements publics. «Ce système est délétère, il amène les hôpitaux à se concentrer sur les actes profitables au détriment des autres, s’alarme Loick Menvielle. L’accueil de patients étrangers pourrait contribuer à une amélioration générale des systèmes de santé, mais pour cela il faudrait que ce soit régulé par l’Etat et pas par le secteur privé.»
(Source : Libération)
Comme nous l’apprend un article du Parisien, les voyages de soin à l’intérieur de l’Union Européenne ont d’ailleurs été encoragés par « par la directive datant de 2011 sur les soins transfrontaliers, qui impose le remboursement des soins des étrangers, citoyens de l'Union européenne (UE) » :
« La règle ? Que l'assuré qui se déplace soit traité selon les mêmes conditions que les ressortissants des pays concernés.
D'après l'Assurance maladie, les remboursements effectués par le CNSE (Centre national des soins à l'étranger) pour des soins dentaires sur des Français ont été, en 2011, de 2,22 MEUR, dont 2 MEUR réalisés dans l'UE. « La première destination est la Hongrie avec 540 000 EUR remboursés et 1 500 dossiers. Ils concernent principalement des soins lourds et coûteux comme des prothèses. Viennent ensuite l'Espagne et le Portugal », précise la Caisse nationale. Déplacement et séjour inclus, le coût est 50 % moins élevé en Hongrie par rapport aux devis en France.
La péninsule Ibérique est devenue la nouvelle destination populaire pour le tourisme médical et 2012 a été une année particulièrement bonne, avec 21 868 touristes internationaux ayant visité le pays pour des raisons de santé et de bien-être. Selon l'office de tourisme espagnol, ces touristes ont dépensé un total de 12,1 MEUR en 2012. La plupart sont allemands et néerlandais. Les traitements les plus demandés par les étrangers sont la procréation médicalement assistée (PMA), rendue possible grâce à la législation espagnole, la chirurgie esthétique et aussi les soins dentaires. »
Bonne journée.
Comme nous le développions dans une précédente réponse, de plus en plus de gens vont se faire soigner à l’étranger.
Cette pratique a connu une énorme expansion au cours des dernières décennies, s’attirant les foudres des professionnels de la santé comme du secteur touristique. Pourtant, comme le rappelle Loick Menvielle dans son article « Tourisme médical : quelle place pour les pays en développement ? », paru en 2012 dans la revue Mondes en développement et consultable sur cairn.info en bibliothèque, son histoire est très ancienne :
« Contrairement aux idées reçues et à la vision souvent parcellaire véhiculée par les médias, le tourisme médical n’est pas un concept “nouveau”. L’histoire montre que ce type de pratique relève d’un usage ancestral [5][5]Ce que les détracteurs et pourfendeurs de ce concept occultent…. Dès le néolithique, les premiers hommes avaient pour habitude de parcourir de longues distances afin de bénéficier de soins. L’évolution des connaissances et des compétences, de ce que nous pouvons considérer comme les tous premiers pas de la médecine, a permis d’exploiter et de tirer profit des ressources naturelles.
Des vestiges du passé, notamment de la période antique, constituent un témoignage riche d’enseignements quant aux pratiques et aux croyances de l’époque. Les Égyptiens furent les premiers à recourir aux vertus curatives de l’eau de mer pour soigner douleurs et troubles de la santé. Néanmoins c’est aux Grecs et aux Romains que revient la longue tradition du thermalisme, de l’exploitation des bienfaits des sources minérales ou d’eaux chaudes.
Pour Smith et Kelly, « c’est l’une des plus anciennes formes de tourisme au regard des centres d’intérêt que les Romains et les Grecs allouaient à leur apparence », les amenant à parcourir de longues distances en quête d’amélioration de leur état de santé. Épidaure en Grèce, bâtit en l’honneur du dieu guérisseur Asclépios, constitue un exemple pertinent du prototype “touristico-médical” de l’époque. La renommée acquise grâce aux multiples guérisons “divines”, a contribué à l’attraction du lieu, accueillant les malades en provenance des contrées les plus lointaines et variées du monde hellénique.
C’est réellement au XVIIIe siècle que l’on redécouvre les vertus du thermalisme. Le développement de la ville de Bath en Angleterre, en est la parfaite illustration (Boyer, 1996). L’aristocratie anglaise et européenne vient alors y séjourner pour se reposer et se soigner. La France connaît, sous l’impulsion de Napoléon III et de sa famille, le même essor : les stations thermales profitent massivement de cette tendance. À partir de la fin du XIXe, c’est à la Côte d’Azur de faire profiter des bienfaits de ses rivages, comme le soulignent à la fois Smith and Kelly (2006) et Proulx (2005). Nous nous situons alors à la transition du tourisme médical moderne, que certains auteurs comme Boyer (1996) mettent en évidence en parlant de lieux de santé et de rencontre pour l’aristocratie européenne, faisant référence aux sanatoriums. »
Selon le même article, ce qui est nouveau en revanche, c’est qu’au cours du XXe siècle, le tourisme médical, précédemment apanage des riches et des puissants, s’est progressivement démocratisé. Plusieurs facteurs ont joué dans cette évolution : tout d’abord l’amélioration des moyens de communication et de transports, mais aussi la crise des systèmes de santé occidentaux, entraînant une privatisation accrue, donc une marchandisation accrue, des soins.
« Dès lors, la concurrence se situe au niveau mondial. Tunisie, Maroc, Inde, Thaïlande et Brésil, font désormais partie des piliers du domaine qu’il convient de prendre en considération. Dans un secteur compétitif, où l’avantage concurrentiel ne se situe plus uniquement au niveau des compétences médicales (considérées comme faisant partie intégrante des standards mondiaux), il devient impératif d’intégrer une offre différenciante reposant sur une infrastructure hôtelière d’exception et un service de qualité, acquis aux normes occidentales (Garcia-Altes, 2005 ; Graham, 2005). La qualité de substituabilité du personnel soignant (compétences, empathie, écoute, disponibilité) à l’égard du patient, les conditions générales de convalescence et de réadaptation du malade sont des arguments commerciaux supplétifs. Le choix entre une hospitalisation dans la grisaille de Chicago et la verdure du Kerala en Inde, ne se pose pas (Burgun, 2010 ; Connell, 2005). Pour des économies allant jusqu’à 80% des prix pratiqués pour certaines opérations aux États-Unis, les nombreux malades, très souvent issus des classes moyennes américaines, sont “encouragés” à repenser le modèle d’accès aux soins (Walker, 2006). »
Pour comprendre l’évolution récente du marché mondialisé de la santé, nous vous conseillons vivement la lecture de la thèse de Serikpa Georges Lohore, « Tourisme et santé, mise en production des territoires par le tourisme médical », consultable sur tel.archives-ouvertes.fr. L’auteur y décrit ce processus complexe comme une inversion des clientèles et des pays visités :
« Les raisons du tourisme médical sont liées dans un premier temps à l’absence de moyens de prise en charge adéquate pour certaines maladies au long cours, pendant les années 80 dans les pays en voie de développements. Les patients fortunés originaires de ces pays se rendaient à l’époque dans les pays développés, France, Allemagne, Canada, Etats-Unis, qui offraient les meilleures technologies médicales pour la prise en charge de ce type de pathologies (diabète, insuffisance rénale, problèmes cardiaques, etc.) La deuxième raison du tourisme médical est à mettre en relation avec la crise des systèmes de santé dans les pays développés.
En effet la recherche et le développement de nouvelles technologies médicales, ont contribué au renchérissement du coût de certains soins spécifiques, (soins dentaires, ophtalmologie), pour les systèmes d’assurance santé dans la plupart des pays développés (Angleterre, France, Allemagne). Le phénomène médico-touristique a connu de nouvelles inclinaisons à partir du début des années 1990. Aux mouvements du sud vers le nord des malades issus des pays en voie de développement, se sont rajoutés ceux des patients des pays européens, soumis à l’augmentation du reste-à-charge pour les soins dentaires, d’ophtalmologie, la chirurgie esthétique et d’autres soins considérés comme des soins de confort.
[…]
[Première remarque] Chaque pays pour son offre médico-touristique, a fait le choix de se concentrer sur des spécialités précises. Deuxième remarque importante, c’est que le tourisme médical apparaît comme un moyen de diversification de l’offre touristique. Tous les pays analysés dans cette étude possèdent un secteur touristique performant dans leurs économies. Enfin dernier point qui est un préalable pour les destinations médico-touristiques, il s’agit de l’existence dans ces pays de systèmes s’assurance santé qui couvrent une majorité de la population.
[…]
Afin de capter les devises issues de ce secteur, de nombreux pays en majorité des pays émergents, ont décidé de s’engager sur la voie de l’accueil des patients étrangers. Si le phénomène touche tous les continents, certains pays en ont fait une spécialité. En Asie, la Thaïlande, l’Inde, la Malaisie, Singapour, se sont bâtis une solide réputation dans ce domaine. En Amérique du sud, l’Argentine, le Mexique, le Brésil, Cuba, par exemple, sont des destinations qui comptent dans l’accueil de la patientèle internationale374. Des pays d’Europe de l’Ouest (Espagne, Belgique, Allemagne), d’Europe de l’Est, (Hongrie, République Tchèque, Pologne)et d’Afrique du Nord et d’Afrique Subsaharienne, (Maroc, Tunisie, Afrique du sud), ont décidé d’exploiter ce nouveau filon. »
Dès les années 80 les cliniques cubaines proposaient des soins à destination des classes moyennes nord-américaines. Ce qui ne manqua pas de questionner sur la différence de soins dispensés aux touristes et aux locaux. Quoi qu’il en soit, l’offre s’est peu à peu spécialisée en se développant, le Maghreb dans la chirurgie esthétique, les pays de l’est (La Pologne, la Hongrie, la Roumanie ou la République tchèque…) dans les soins dentaires et dans une moindre mesure l’optique, quant à l’Asie, elle a une solide réputation en chirurgie. Notamment la Thaïlande :
« L'histoire médicale du royaume de Siam ne date pas d'hier. «Ce pays attire depuis très longtemps des gens du monde entier qui souhaitent se faire opérer pour changer de sexe, souligne Bruno Huber, directeur général du Plaza Athénée, installé à Bangkok depuis 1986. La capitale regorge de cliniques spécialisées dont les tarifs sont dix fois inférieurs à ceux proposés ailleurs. Les gens sont ensuite venus pour se faire refaire les dents.» Au début des années 1990, de nombreux groupes privés thaïlandais ont cru faire fortune en ouvrant des hôpitaux géants. Si la crise économique de 1997 et la dévaluation du baht ont forcé de nombreux établissements à fermer leurs portes (la plupart des sociétés avaient emprunté en dollars), la Thaïlande reste un pays suréquipé dans le domaine médical. Cette nation possède ainsi plus de 400 hôpitaux privés. »
(Source : L’Express)
Ce sont d’ailleurs les soins de « confort », à l’instar de la chirurgie esthétique, qui ont inauguré le tourisme médical moderne :
«De nombreux pays, notamment asiatiques, ont commencé par offrir des prestations de confort avant de se diversifier, avec des soins plus sophistiqués, destinés à répondre à des problématiques médicales plus graves, comme les transplantations rénales ou la chirurgie cardiaque», explique la maîtresse de conférences à l’université Lyon-III Virginie Chasles, spécialiste de la géographie de la santé. Si les soins proposés sont de plus en plus variés, les principales raisons qui poussent à voyager pour sa santé sont toujours les mêmes : la réduction des temps d’attente, et surtout la quête de prix plus bas. Rien d’étonnant donc à ce que tout ait commencé avec la chirurgie esthétique, rarement remboursée par la Sécurité sociale, et se prêtant parfaitement à la marchandisation des soins.
Depuis les débuts de cette mobilité dans les années 90, l’Asie est au cœur des flux venus de pays développés, notamment l’Inde ou la Thaïlande, où l’accueil de patients étrangers est un business à part entière. Dans cette dernière, premier Etat pour le tourisme médical, le secteur représente près de 1 % du PIB. La Thaïlande attire depuis longtemps les malades avec des prix très attractifs (environ 70 % moins élevés qu’aux Etats-Unis) et des soins de grande qualité. Pour une prothèse de hanche, il faut par exemple compter environ 42 000 euros aux Etats-Unis, contre moins de 10 000 en Thaïlande. En 2002, l’hôpital Bumrungrad de Bangkok a été le premier en Asie à recevoir la principale accréditation internationale garantissant la qualité des soins. Aujourd’hui, plus de la moitié de son chiffre d’affaires provient des patients étrangers.
L’Inde a, elle, mis en place un visa médical depuis 2005, délivré à plus de 230 000 personnes en 2015, venues pour de la chirurgie orthopédique comme pour des traitements anticancer. «Ces pays ont mis en place un véritable système d’exportation de soins de santé destiné à faire rentrer des devises», analyse le professeur à l’Edhec Loick Menvielle. Ce système fait également les affaires d’agences spécialisées dans la programmation des séjours médicaux. La plupart des patients y font appel pour choisir le pays de soins, la clinique, et organiser tout leur parcours sur place, de l’accueil à l’aéroport jusqu’au suivi postopératoire, en passant par un rendez-vous préalable sur Skype avec le médecin.
Le basculement d’une mobilité de mieux-être vers le traitement de pathologies lourdes rend l’aspect «tourisme» du voyage de plus en plus anecdotique. Le terme «tourisme médical» a d’ailleurs toujours été quelque peu abusif. «La motivation première de ces mobilités, c’est recourir à un soin auquel on n’a pas accès aussi facilement là où l’on vit. L’aspect distraction est très secondaire, quand il est présent», confirme Virginie Chasles. Certains pays continuent à miser sur la combinaison des deux, comme l’Afrique du Sud, qui propose depuis les années 90 des «scalpels safaris», alliant en général opération de chirurgie esthétique, séjour dans un hôtel de luxe et un modeste safari, aménagé pour les convalescents. Une orientation luxe destinée à dédramatiser les soins, mais loin d’être représentative du profil de tous ceux qui voyagent pour leur santé.
Beaucoup ne viennent pas d’Etats riches et cherchent à l’étranger des soins inexistants ou inaccessibles dans leur pays : 80 % des étrangers qui se rendent en Inde pour se faire soigner viennent du Sud. Parmi eux beaucoup d’Africains, mais aussi des patients venus d’Irak ou d’Afghanistan, où les services de santé ont été ravagés par les guerres. «Mais il ne faut pas se leurrer, de telles pratiques ne sont accessibles qu’aux classes les plus aisées», tempère Virginie Chasles.
Aux Etats-Unis aussi, ils sont nombreux à partir se soigner à l’étranger, confrontés à des problèmes d’assurance santé. «Cela touche les classes moyennes, pas les plus pauvres, mais pas les plus riches non plus. Ce sont des gens qui s’endettent, qui hypothèquent leur maison pour aller se faire soigner à l’étranger parce que ça reste moins cher que chez eux», explique Loick Menvielle de l’Edhec.
Pour autant, «le tourisme médical demeure une mobilité socialement différenciée, pas un remède aux défaillances de systèmes de santé nationaux», rappelle Virginie Chasles. Il aurait même plutôt tendance à accroître les inégalités et à laisser de côté les populations locales les plus démunies, qui continuent à souffrir d’un faible accès à la santé publique. L’Inde des cliniques privées, où tout est prévu pour l’accueil des patients étrangers, est aussi le pays qui consacre seulement 1,4 % de son PIB à la santé, et où les habitants paient de leur poche près de 70 % de leurs frais médicaux. Et là-bas comme ailleurs, les meilleurs praticiens se dirigent souvent vers le privé, aggravant la pénurie de personnels dans les établissements publics. «Ce système est délétère, il amène les hôpitaux à se concentrer sur les actes profitables au détriment des autres, s’alarme Loick Menvielle. L’accueil de patients étrangers pourrait contribuer à une amélioration générale des systèmes de santé, mais pour cela il faudrait que ce soit régulé par l’Etat et pas par le secteur privé.»
(Source : Libération)
Comme nous l’apprend un article du Parisien, les voyages de soin à l’intérieur de l’Union Européenne ont d’ailleurs été encoragés par « par la directive datant de 2011 sur les soins transfrontaliers, qui impose le remboursement des soins des étrangers, citoyens de l'Union européenne (UE) » :
« La règle ? Que l'assuré qui se déplace soit traité selon les mêmes conditions que les ressortissants des pays concernés.
D'après l'Assurance maladie, les remboursements effectués par le CNSE (Centre national des soins à l'étranger) pour des soins dentaires sur des Français ont été, en 2011, de 2,22 MEUR, dont 2 MEUR réalisés dans l'UE. « La première destination est la Hongrie avec 540 000 EUR remboursés et 1 500 dossiers. Ils concernent principalement des soins lourds et coûteux comme des prothèses. Viennent ensuite l'Espagne et le Portugal », précise la Caisse nationale. Déplacement et séjour inclus, le coût est 50 % moins élevé en Hongrie par rapport aux devis en France.
La péninsule Ibérique est devenue la nouvelle destination populaire pour le tourisme médical et 2012 a été une année particulièrement bonne, avec 21 868 touristes internationaux ayant visité le pays pour des raisons de santé et de bien-être. Selon l'office de tourisme espagnol, ces touristes ont dépensé un total de 12,1 MEUR en 2012. La plupart sont allemands et néerlandais. Les traitements les plus demandés par les étrangers sont la procréation médicalement assistée (PMA), rendue possible grâce à la législation espagnole, la chirurgie esthétique et aussi les soins dentaires. »
Bonne journée.
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