Question d'origine :
Bonjour,
Pourriez-vous m'expliquer pourquoi le gouvernement turc continue de nier le génocide des Arméniens ?
En vous remerciant d'avance.
Sincères salutations,
J. Lecouturier
Réponse du Guichet
gds_alc
- Département : Equipe du Guichet du Savoir
Le 05/11/2019 à 09h04
Bonjour,
Le sujet est d’actualité puisque dernièrement, Recep Tayyip Erdogan a vivement réagi après la reconnaissance par la chambre des représentants aux États-Unis du génocide arménien. Comment expliquer cette négation du génocide arménien ? Divers hypothèses sont avancées. Dans l’article Pourquoi, 100 ans après, la Turquie refuse-t-elle toujours de reconnaître le génocide arménien? publié dans 20 minutes en 2015, la question de savoir pourquoi l’évocation de ce terme provoquait la fureur de la Turquie est posée :
«La première raison est liée aux fondations de l’Etat turc moderne , explique à 20 Minutes Michel Marian, maître de conférences à Sciences Po. La république laïque fondée par Kemal en 1924 a repris en partie l’héritage du gouvernement Jeune-Turc, et embauché une grande partie de ses cadres. Or, beaucoup ont été “mouillés“ dans le génocide . Il n’y a pas de volonté de fouiller plus avant car il y a un risque de faire tomber des “icônes“», avance-t-il.
«Lors de la fondation de la Turquie contemporaine, on s’est débarrassé de la mosaïque confessionnelle -grecs, arméniens, et différents groupes religieux comme les Assyriens, les Chaldéens…- pour n’en faire que le pays des seuls Turcs», explique pour sa part Gérard Chaliand, géopoliticien spécialiste des conflits irréguliers. Un nationalisme permettant d’intégrer les populations assez nouvelles, venues des Balkans et du Caucase pour peupler la nouvelle Turquie. Par ailleurs, il existe chez certains une crainte que la reconnaissance du génocide ne contraigne à des réparations envers les familles arméniennes spoliées il y a un siècle, ajoutent les spécialistes.
«Tout cela créé une base électorale nationaliste qui ne va pas dans le sens de l’avancée vers la reconnaissance du génocide», conclue Michel Marian. Pourtant, selon lui, «depuis l’arrivée de l’AKP au pouvoir, il y a une évolution. Bien sûr, le refus viscéral, presque réflexe, de la qualification de génocide perdure, mais il y a aussi d’autres éléments qui rompent avec la ligne antérieure».
«Stratégie de négation»
En 2014, le président Recep Tayyip Erdogan, alors Premier ministre, a ainsi présenté pour la première fois des condoléances aux Arméniens. «Il l’a fait le 23 avril, veille de la date de commémoration choisie par les Arméniens, ce qui semble être une reconnaissance de la légitimité de cette commémoration, donc de la gravité de ce qui s’est passé», note le spécialiste. Des «condoléances» réitérées lundi par le bureau de l'actuel Premier ministre, Ahmet Davutoglu. Pourtant, il ne s'agit pas de déclarations officielles mais seulement de communiqués, «ce qui ressemble un peu à un artifice politique», concède-t-il.
«Il a présenté ses condoléances certes mais pas expliqué comment il pouvait y avoir des victimes s’il n’y a pas eu de bourreaux», juge pour sa part Gérard Chaliand, pour qui cette déclaration n’est «pas une avancée, mais une continuation de la stratégie de négation». «La preuve, Erdogan a décidé que le 24 avril serait la commémoration de la bataille de Gallipoli -qui soit dit en passant a eu lieu le 25 avril 1915.»
Géo revient aussi, dans un article La Turquie glorifie toujours l’esprit de conquête publié le 5 février 2019 sur l’évocation du massacre et l’impossible reconnaissance du génocide par les Turcs :
« Exactement le même argument qui avait été employé au moment de la fondation de la République kémaliste : la nécessité de fonder un récit national turc positif. Le pays n’aurait pas pu se construire sur des meurtres de masse à cette échelle . Ni, comme Taner Akçam et certains historiens turcs l’ont démontré, sur la prédation des biens arméniens qui ont permis d’enrichir la nouvelle bourgeoisie turque . Dans un premier temps, la stratégie des négationnistes a été l’évitement : on refuse d’en parler . Puis, ils ont renversé la culpabilité : ce serait les Arméniens, selon eux, qui auraient pactisé avec l’ennemi russe sur le front oriental et tué des Turcs. Les massacres perpétrés par le pouvoir ottoman se justifiaient ainsi par la légitime défense. Enfin, ce fut l’effacement, pur et simple, l’absence absolue de cet événement traumatique dans les manuels d’histoires. Au point qu’aujourd’hui, alors qu’on a dépassé le centenaire du génocide, certains Turcs sont de bonne foi lorsqu’ils le nient ..»
Dans l’ouvrage La Turquie et le fantôme arménien : sur les traces du génocide : essai / Laure Marchand et Guillaume Perrier 2017 analysent la question arménienne en Turquie. Dans la préface Taner Akçam revient sur la non reconnaissance du génocide et indique que sa réponse à la question, "pourquoi nous, les Turcs, nions encore le génocide ?", change constamment : « au début, je tentais d’expliquer la négation par le concept de "continuité" (…) ceci revenait à dire qu’une part importante des cadres fondateurs de la Turquie moderne soit participèrent directement au génocide arménien, soit s’enrichirent durant cette période en pillant les biens. Par ailleurs, ces personnes étaient pour nous des héros nationaux et des pères fondateurs. Si nous avions reconnu le génocide, nous eussions été contraints d’accepter que certaines de nos grandes figures nationales étaient des assassins et des voleurs, alors qu’elles nous avaient sortis du néant en fondant noter Etat (..) aussi bien, reconnaître le génocide équivalait à renier notre identité nationale (…) A présent, mes idées ont à nouveau un peu changé (…) la problématique me semble faire appel à quelque chose de plus profond, de plus existentiel. Comme si la réponse à la question reposait sur la dialectique de l’être et du néant … Notre existence (celle de la Turquie et d’une grande partie de ses habitants) signifie l’absence d’une autre entité, les chrétiens. Accepter « 1915 » revient à accepter que des chrétiens aient vécu sur ces terres, ce qui équivaut à proclamer notre existence ».
L’auteur parle d’une coalition du silence, d’un secret collectif crée par la société entière et explique la création, collectivement, d’un trou noir : « 1915 est le secret collectif de la société turque, et le génocide est renvoyé dans le « trou noir » (…) nous n’apprécions pas trop qu’on nous rappelle ce secret (…) en effet, si nous sommes forcés de nous confronter à notre histoire, nous serons obligés de tout remettre en question : nos institutions sociales, nos façons de penser, nos croyances, notre culture et même jusqu’à la langue que nous parlons. La société s’interrogera profondément sur la manière dont elle se perçoit. Voilà la raison pour laquelle nous n’aimons pas les « rappels ». En effet, nous vivons le « rappel » comme une intervention extérieure de contrainte et nous y réagissons avec beaucoup d’irritation.
Nous vous laissons poursuivre cette lecture – l’ouvrage est consultable à la Bibliothèque municipale de La Part-Dieu- et vous suggérons, si vous souhaitez approfondir le sujet, les études suivantes
* Exprimer le génocide des Arméniens: Connaissance, arts et engagement / De Janine Altounian, 2016 : "Etudes pluridisciplinaires sur la mémoire du génocide arménien, ses représentations littéraires et artistiques, son écho en France, son historiographie, sa place dans l'opinion publique en Turquie et en Arménie".
* Le génocide arménien : de la mémoire outragée à la mémoire partagée / Michel Marian, 2015 : "propose un éclairage et des réponses aux questions qui se posent un siècle après le génocide arménien".
* Comprendre le génocide des arméniens - 1915 à nos jours De Hamit Bozarslan, Vincent Duclert, Raymond H. Kévorkian, 2015 : "cent ans après, l'ouvrage revient sur le génocide arménien. Les auteurs, spécialistes français de l'Arménie et de la Turquie, rétablissent la chronologie des massacres et des déportations et les interprètent à partir de l'histoire de l'Empire ottoman et dans le contexte de la Première Guerre mondiale. Ils développent aussi une analyse comparative avec les autres génocides du XXe siècle".
Le sujet est d’actualité puisque dernièrement, Recep Tayyip Erdogan a vivement réagi après la reconnaissance par la chambre des représentants aux États-Unis du génocide arménien. Comment expliquer cette négation du génocide arménien ? Divers hypothèses sont avancées. Dans l’article Pourquoi, 100 ans après, la Turquie refuse-t-elle toujours de reconnaître le génocide arménien? publié dans 20 minutes en 2015, la question de savoir pourquoi l’évocation de ce terme provoquait la fureur de la Turquie est posée :
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«Lors de la fondation de la Turquie contemporaine, on s’est débarrassé de la mosaïque confessionnelle -grecs, arméniens, et différents groupes religieux comme les Assyriens, les Chaldéens…- pour n’en faire que le pays des seuls Turcs», explique pour sa part Gérard Chaliand, géopoliticien spécialiste des conflits irréguliers. Un nationalisme permettant d’intégrer les populations assez nouvelles, venues des Balkans et du Caucase pour peupler la nouvelle Turquie. Par ailleurs, i
«Tout cela créé une
«Stratégie de négation»
En 2014, le président Recep Tayyip Erdogan, alors Premier ministre, a ainsi présenté pour la première fois des condoléances aux Arméniens. «Il l’a fait le 23 avril, veille de la date de commémoration choisie par les Arméniens, ce qui semble être une reconnaissance de la légitimité de cette commémoration, donc de la gravité de ce qui s’est passé», note le spécialiste. Des «condoléances» réitérées lundi par le bureau de l'actuel Premier ministre, Ahmet Davutoglu. Pourtant, il ne s'agit pas de déclarations officielles mais seulement de communiqués, «ce qui ressemble un peu à un artifice politique», concède-t-il.
«Il a présenté ses condoléances certes mais pas expliqué comment il pouvait y avoir des victimes s’il n’y a pas eu de bourreaux», juge pour sa part Gérard Chaliand, pour qui cette déclaration n’est «pas une avancée, mais une continuation de la stratégie de négation». «La preuve, Erdogan a décidé que le 24 avril serait la commémoration de la bataille de Gallipoli -qui soit dit en passant a eu lieu le 25 avril 1915.»
Géo revient aussi, dans un article La Turquie glorifie toujours l’esprit de conquête publié le 5 février 2019 sur l’évocation du massacre et l’impossible reconnaissance du génocide par les Turcs :
« Exactement le même argument qui avait été employé au moment de la fondation de la République kémaliste :
Dans l’ouvrage La Turquie et le fantôme arménien : sur les traces du génocide : essai / Laure Marchand et Guillaume Perrier 2017 analysent la question arménienne en Turquie. Dans la préface Taner Akçam revient sur la non reconnaissance du génocide et indique que sa réponse à la question, "pourquoi nous, les Turcs, nions encore le génocide ?", change constamment : « au début, je tentais d’expliquer la négation par le
L’auteur parle d’une coalition du silence, d’un secret collectif crée par la société entière et explique la création, collectivement, d’un trou noir : «
Nous vous laissons poursuivre cette lecture – l’ouvrage est consultable à la Bibliothèque municipale de La Part-Dieu- et vous suggérons, si vous souhaitez approfondir le sujet, les études suivantes
* Exprimer le génocide des Arméniens: Connaissance, arts et engagement / De Janine Altounian, 2016 : "Etudes pluridisciplinaires sur la mémoire du génocide arménien, ses représentations littéraires et artistiques, son écho en France, son historiographie, sa place dans l'opinion publique en Turquie et en Arménie".
* Le génocide arménien : de la mémoire outragée à la mémoire partagée / Michel Marian, 2015 : "propose un éclairage et des réponses aux questions qui se posent un siècle après le génocide arménien".
* Comprendre le génocide des arméniens - 1915 à nos jours De Hamit Bozarslan, Vincent Duclert, Raymond H. Kévorkian, 2015 : "cent ans après, l'ouvrage revient sur le génocide arménien. Les auteurs, spécialistes français de l'Arménie et de la Turquie, rétablissent la chronologie des massacres et des déportations et les interprètent à partir de l'histoire de l'Empire ottoman et dans le contexte de la Première Guerre mondiale. Ils développent aussi une analyse comparative avec les autres génocides du XXe siècle".
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