Question d'origine :
Bonjour !
Comment évoluerait la vie mémorielle d'un individu immortel ? (C'est à dire non soumis à la mort et au dépérissement biologique)
Merci !
Connor McL.
Réponse du Guichet
gds_alc
- Département : Equipe du Guichet du Savoir
Le 27/08/2019 à 10h34
Bonjour,
Sauf à vous tourner du côté de Highlander ou … des académicien-nes nous ne voyons pas comment procéder … et donc vous répondre. « A l’immortalité », Simone de Beauvoir, non élevée à cette dignité, préféra écrire que Tous les hommes sont mortels.
Immortel-les ? Espérons du moins ne pas être comme Adam et Eve dans Only lovers left alive de Jim Jarmusch. Nous aimerions bien en revanche être comme Le voyageur qui ne craint pas les balles et que l’on retrouve en 2033 puis en 2107.
Alors l’immortalité ne serait-elle que fiction ? Peut-être pas, du moins, c’est ce que nous explique le site atlantico dans "Et maintenant, Google annonce l’immortalité pour la fin du siècle" :
Il ne s'est encore jamais trompé. Ray Kurzweil, le futurologue de Google, a été l'un des premiers à prophétiser qu'un jour un ordinateur battrait un homme aux échecs. Cette fois-ci, il a développé la loi du retour accéléré, soit un progrès illimité de plus en plus rapide avec pour conséquence que l'immortalité devienne réalité.
Atlantico : Ray Kurzweil a théorisé la loi du retour accéléré. Elle fait écho à la loi de Moore du nom du co-fondateur d’Intel qui affirmait en 1965 que la puissance des ordinateurs allait croître de manière exponentielle. Que signifie la loi du retour accéléré ? Comment fonctionne-t-elle ?
Laurent Alexandre : C’est une extension de la loi de Moore à toutes les technologies liées aux nanotechnologies, aux biotechnologies, à l’informatique et aux sciences cognitives (les NBIC). Elle consiste à dire que toutes les activités humaines vont croitre dans les décennies qui viennent de façon absolument explosive comme la puissance des ordinateurs a cru de manière explosive depuis 1965. A son époque, Gordon Moore estimait que sa loi s’arrêterait en 1975. Or, en 2015 elle tient toujours. On a toujours une progression exponentielle de la puissance des microprocesseurs.
Ray Kurzweil et les transhumanistes sont persuadés que les lois identiques à cette loi de Moore sont en train d’émerger dans les sciences du cerveau, dans les nanotechnologies, dans le séquençage et la manipulation de l’ADN… L’idée c‘est que l’évolution des capacités humaines suit une succession de courbes exponentielles. Il s’agit de courbes qui montent à la verticale et de plus en plus vite. Concrètement, la loi du retour accéléré donne un pouvoir à l’homme qui devient quasi illimité sur son cerveau et sur la matière.
On observe déjà cette courbe exponentielle en génétique. Le coût du séquençage ADN s’effondre. Il a été divisé par 3 millions en 10 ans. On séquence de plus en plus vite et de moins en moins cher. Dans le domaine des modifications de l’ADN, on a aussi une courbe exponentielle puisque le coût de la manipulation de l’ADN a été divisé par 10 000 en 7 ans.
Dans le domaine des nanotechnologies, nous en sommes au tout début donc il est difficile de dire s’il y a une courbe de même nature qui est en train d’apparaitre. Idem dans les sciences du cerveau. Mais Ray Kurzweil est persuadé que dans les nanotechnologies et dans ces sciences du cerveau on va voir apparaître la même explosion des capacités technologiques.
Vincent Pinte Deregnaucourt : Les "Lois de" sont des objets empiriques mais au demeurant scientifiques, qui permettent de théoriser des concepts. La loi de Moore la plus connue (car il y en a en fait 3) postule ainsi que tous les 18 mois, le nombre de transistors dans les microprocesseurs doublent. Et depuis près de 50 ans, cette loi ne se dément pas.
Ray Kurzweil, le "Grand Manitou du Futur" chez Google a ainsi récemment postulé une loi, celle du "retour accéléré". Celui-ci étend en fait, la loi de Moore en l'incorporant dans sa propre loi : il valide cette dernière et postule que les conséquences sont-elles même exponentielles. Par exemple, l'informatique s'est développé de manière exponentielle. La biologie a bénéficié de l'informatique "à plein rendement", et donc se développe également de façon exponentielle. Ainsi, si l'on prend le tout premier séquençage de l'ADN (dont on pensait encore en 1985 qu'il serait impossible), il aura coûté 3 milliards de dollars, sollicité 20 000 chercheur et duré 13 ans pour aboutir en 2003. En 2007, nous étions déjà à 1,5 million de dollars et nous sommes désormais sous les 1000 dollars en 2013. Il n'y a pas de raison de croire que nous ne serons pas sous les 5 dollars dans un avenir proche.
Cette loi pourrait s'énoncer sous une forme plus explicite : l'utilisation de technologiques dont la croissance est exponentielle, permet, lorsqu'elle est le moyen d'étude d'un sujet, de faire progresser la connaissance de ledit sujet de façon également exponentielle.
Bien évidemment, le caractère exponentiel de ces changements, qui est une première dans l'histoire de l'humanité, change toute la donne, y compris en terme de civilisation. Imaginez par exemple que demain il n'y ait tout simplement plus de maladie. C'est d'ailleurs ce qui va se produire d'ici 5, 10 ou 30 ans. Demain, donc ! Que fera-t-on des centaines de milliers d'hôpitaux à travers le monde, et que feront les millions de médecins et personnels associés, infirmières, mais aussi, de façon connexes, les industries spécialistes de la constructions de bâtiments de santé ?
Concrètement, quelles implications peut avoir cette théorie dans notre quotidien ?
Laurent Alexandre : Dans la partie qui a déjà démontré sa véracité à savoir la loi de Moore, on a observé un bouleversement de pans entiers de l’économie. Internet, l’ordinateur individuel, le smartphone, les réseaux sociaux sont des enfants de la loi de Moore. Dans le domaine de la biologie, si les coûts continuent de s’effondrer comme c’est le cas jusqu’à présent, notre capacité de bricoler le vivant va être illimitée. Le champ des possibles va donc exploser. Il sera alors envisageable de modifier notre ADN à un prix raisonnable, de traiter beaucoup de maladies, d’augmenter l’espérance de vie humaine, d’augmenter nos capacités, etc.
Dans l’hypothèse où les lois explosives de cette nature-là se poursuivent, l’homme va avoir une capacité quasi-illimitée de modifier sa propre nature et de modifier la matière physique. L’idée des transhumanistes est que cette loi du retour accéléré va permettre de tuer la mort, d’augmenter les capacités humaines en branchant de l’intelligence artificielle sur le cerveau humain et donc de faire un humain 2.0 pour reprendre le titre du livre de Kurzweil "L’humanité 2.0". L’objectif des transhumanistes est de surfer sur cette loi pour changer l’homme et lui donner un pouvoir démiurgique.
L’immortalité ne serait plus un fantasme, la capacité d’augmenter le fonctionnement de nos yeux, de notre cerveau, de nos muscles deviendrait réalité. Et nos capacités intellectuelles grâce à l’interfaçage entre notre cerveau et des microprocesseurs deviendraient des millions de fois plus puissantes qu’aujourd’hui. Tout ceci à l’horizon de la fin du siècle ».
(…°)
Selon sa théorie, la courbe de la loi du retour accéléré atteindrait un point dit de la "Singularité". A ce moment-là, l’intelligence artificielle supplantera l’intelligence humaine. A quel moment cette période pourrait-elle être atteinte ?
Laurent Alexandre : Pour les transhumanistes, selon la loi du retour accéléré, apparait un moment vers 2045 où l’intelligence artificielle se mettra à croitre de façon exponentielle. Et en quelques heures, en quelques jours, en quelques semaines, l’intelligence artificielle progressera des milliards de fois. En janvier 2046, les ordinateurs arrivent à peine aux capacités d’un cerveau humain puis le dépasse et devient un milliard de fois plus puissant que l’intelligence humaine. La matière première de l’intelligence artificielle, le silicium, est illimité alors que fabriquer un cerveau humain c’est long et compliqué. Fabriquer un microprocesseur ce n’est pas si compliqué. Donc l’intelligence artificielle peut croître extrêmement vite. Et c’est le point que les transhumanistes appellent la Singularité. C’est un moment où l’intelligence artificielle explose en très peu de temps et bouleverse complètement la donne voire marginalise l’humanité. D‘où les craintes formulées par Bill Gates ou encore l’astrophysicien Stephen Hawking ces derniers mois avec une pétition sur l’encadrement de l’intelligence artificielle pour éviter qu’elle devienne hostile et menace l’humanité. Il s’agit d’empêcher des scénarios catastrophes à la Terminator ».
Pour aller plus loin dans la réflexion, vous pourriez parcourir les études portant sur le transhumanisme et jeter un coup d’œil à différentes approches :
• Ca va pas la tête !: cerveau, immortalité et intelligence artificielle, l'imposture du transhumanisme / Danièle Tritsch, Jean Mariani ; avec la collaboration d'Oriane Dioux, 2018 : « Depuis quelques années, un mouvement d'idées venu des États-Unis, qualifié de "Révolution transhumaniste", a pris un essor considérable. Demain, on vivra 200 ou 300 ans... et bien sûr en parfaite santé : l'immortalité n'est pas loin ! Ces prophéties s'appuient sur les avancées réelles de l'intelligence artificielle et de la recherche en biologie, en particulier dans le domaine du vieillissement, passant ainsi allègrement de l'homme préservé et/ou augmenté à un véritable homme dieu. Mais dès que l'on s'intéresse au cerveau, les données, particulièrement complexes, ne vont pas dans leur sens. Il existe une contradiction criante entre la jeunesse éternelle promise et la réalité actuelle, marquée en particulier par les échecs thérapeutiques répétés dans les maladies neurodégénératives. Forts de leur expérience et de leur autorité dans le domaine des neurosciences et du vieillissement, Danièle Tritsch et Jean Mariani dénoncent l'imposture du transhumanisme et ses excès ou délires, données scientifiques à l'appui. De façon accessible et vivante, avec de nombreux exemples de la vie quotidienne, ils démontrent que les efforts lents et soutenus de la recherche biologique et médicale - auxquels contribuera l'intelligence artificielle - restent la seule voie pour comprendre le fonctionnement du cerveau, le maintenir en bonne santé (cerveau préservé), le doter de capacités nouvelles (cerveau augmenté) et, dans un délai non prévisible, guérir ou stabiliser les maladies neurodégénératives (cerveau réparé). L'homme dieu, quant à lui, ne s'appuie sur rien de tangible ».
• La société de l'amélioration : la perfectibilité humaine des Lumières au transhumanisme / Nicolas Le Dévédec, 2015 : « Une société où l'aspiration à améliorer, maximiser, rehausser, augmenter, perfectionner l'être humain et ses performances par le biais des avancées technoscientifiques et biomédicales devient omniprésente et concrète. Ce phénomène touche toutes les composantes de notre société : usage de psychotropes pour accroître les capacités intellectuelles, sexuelles, ou mieux contrôler les émotions ; nouvelles technologies reproductives qui nourrissent de nouvelles formes d'eugénisme ; développement d'une médecine anti-âge qui œuvre à l'effacement de toute trace du vieillissement?; projet de super soldat, etc. La quête biotechnologique de la perfection, portée sur son versant extrême par le transhumanisme et financée par des géants du Web tel que Google, nourrit même le fantasme de donner naissance à un être plus qu'humain, posthumain. L'ouvrage de Nicolas Le Dévédec montre que cette aspiration contemporaine à un humain amélioré marque le renversement complet de l'idéal humaniste et politique de la perfectibilité humaine formulé au siècle des Lumières. Il ne s'agit en effet désormais plus tant d'améliorer l'être humain dans et par la société que de l'adapter en le modifiant techniquement, avec tout ce que cela implique de désinvestissement politique. Comment un tel renversement et une telle dépolitisation de la perfectibilité ont pu avoir lieu ? C'est ce que cette étude permet de mieux comprendre à travers un vaste parcours socio-historique ».
• Le transhumanisme c'est quoi ? / Dominique Folscheid, Anne Lécu, Brice de Malherbe, 2018 : « Comment est née l'idéologie transhumaniste ? Comment est-on passé de la volonté d'améliorer les conditions de la vie humaine au fantasme d'une nature humaine profondément modifiée ? Le transhumanisme est-il une utopie réalisable ? Quels en sont les fondements intellectuels ? Quels sont les dangers d'une telle entreprise ? Comment réhabiliter l'humanisme aujourd'hui ? Trois spécialistes, un médecin, un philosophe et un théologien, répondent ici aux questions que pose aujourd'hui ce sujet de société aussi crucial que fascinant. Un ouvrage accessible pour connaître et comprendre le transhumanisme. »
• Cerveau augmenté, homme diminué / Miguel Benasayag ; traduit de l'espagnol (Argentine) par Véronique Piron, 2016 : « Le cerveau humain connaît, étudie, explique et comprend, au point qu'il en est arrivé à prendre comme objet d'étude… lui-même. Et les nouvelles connaissances sur le fonctionnement du cerveau ébranlent profondément nombre de croyances au fondement de la culture occidentale. Car les remarquables avancées des neurosciences rendent en effet désormais envisageable pour certains la perspective d'améliorer le cerveau et de supprimer ses faiblesses et ses "défauts" : le rêve d'un cerveau "parfait" semble à portée de la main.Cette vision conduit à considérer notre cerveau comme un ordinateur qu'il s'agirait d'optimiser en l'améliorant par divers outils pharmacologiques ou informatiques. À partir d'une vulgarisation très pédagogique de recherches récentes souvent très "pointues" en neurosciences, Miguel Benasayag montre ici, de façon fort convaincante, pourquoi ce nouvel idéalisme du "cerveau augmenté" est en réalité une illusion dangereuse : le monde qu'entendent préparer les transhumanistes et certains scientifiques risque fort d'être surtout habité par la folie et la maladie… Une thèse critique solidement argumentée, qui a commencé à faire son chemin dans le milieu des chercheurs les plus préoccupés par les apories et les failles de ce nouveau mythe du progrès ».
Sauf à vous tourner du côté de Highlander ou … des académicien-nes nous ne voyons pas comment procéder … et donc vous répondre. « A l’immortalité », Simone de Beauvoir, non élevée à cette dignité, préféra écrire que Tous les hommes sont mortels.
Immortel-les ? Espérons du moins ne pas être comme Adam et Eve dans Only lovers left alive de Jim Jarmusch. Nous aimerions bien en revanche être comme Le voyageur qui ne craint pas les balles et que l’on retrouve en 2033 puis en 2107.
Alors l’immortalité ne serait-elle que fiction ? Peut-être pas, du moins, c’est ce que nous explique le site atlantico dans "Et maintenant, Google annonce l’immortalité pour la fin du siècle" :
Il ne s'est encore jamais trompé. Ray Kurzweil, le futurologue de Google, a été l'un des premiers à prophétiser qu'un jour un ordinateur battrait un homme aux échecs. Cette fois-ci, il a développé la loi du retour accéléré, soit un progrès illimité de plus en plus rapide avec pour conséquence que l'immortalité devienne réalité.
Atlantico : Ray Kurzweil a théorisé la loi du retour accéléré. Elle fait écho à la loi de Moore du nom du co-fondateur d’Intel qui affirmait en 1965 que la puissance des ordinateurs allait croître de manière exponentielle. Que signifie la loi du retour accéléré ? Comment fonctionne-t-elle ?
Laurent Alexandre : C’est une extension de la loi de Moore à toutes les technologies liées aux nanotechnologies, aux biotechnologies, à l’informatique et aux sciences cognitives (les NBIC). Elle consiste à dire que toutes les activités humaines vont croitre dans les décennies qui viennent de façon absolument explosive comme la puissance des ordinateurs a cru de manière explosive depuis 1965. A son époque, Gordon Moore estimait que sa loi s’arrêterait en 1975. Or, en 2015 elle tient toujours. On a toujours une progression exponentielle de la puissance des microprocesseurs.
Ray Kurzweil et les transhumanistes sont persuadés que les lois identiques à cette loi de Moore sont en train d’émerger dans les sciences du cerveau, dans les nanotechnologies, dans le séquençage et la manipulation de l’ADN… L’idée c‘est que l’évolution des capacités humaines suit une succession de courbes exponentielles. Il s’agit de courbes qui montent à la verticale et de plus en plus vite. Concrètement, la loi du retour accéléré donne un pouvoir à l’homme qui devient quasi illimité sur son cerveau et sur la matière.
On observe déjà cette courbe exponentielle en génétique. Le coût du séquençage ADN s’effondre. Il a été divisé par 3 millions en 10 ans. On séquence de plus en plus vite et de moins en moins cher. Dans le domaine des modifications de l’ADN, on a aussi une courbe exponentielle puisque le coût de la manipulation de l’ADN a été divisé par 10 000 en 7 ans.
Dans le domaine des nanotechnologies, nous en sommes au tout début donc il est difficile de dire s’il y a une courbe de même nature qui est en train d’apparaitre. Idem dans les sciences du cerveau. Mais Ray Kurzweil est persuadé que dans les nanotechnologies et dans ces sciences du cerveau on va voir apparaître la même explosion des capacités technologiques.
Vincent Pinte Deregnaucourt : Les "Lois de" sont des objets empiriques mais au demeurant scientifiques, qui permettent de théoriser des concepts. La loi de Moore la plus connue (car il y en a en fait 3) postule ainsi que tous les 18 mois, le nombre de transistors dans les microprocesseurs doublent. Et depuis près de 50 ans, cette loi ne se dément pas.
Ray Kurzweil, le "Grand Manitou du Futur" chez Google a ainsi récemment postulé une loi, celle du "retour accéléré". Celui-ci étend en fait, la loi de Moore en l'incorporant dans sa propre loi : il valide cette dernière et postule que les conséquences sont-elles même exponentielles. Par exemple, l'informatique s'est développé de manière exponentielle. La biologie a bénéficié de l'informatique "à plein rendement", et donc se développe également de façon exponentielle. Ainsi, si l'on prend le tout premier séquençage de l'ADN (dont on pensait encore en 1985 qu'il serait impossible), il aura coûté 3 milliards de dollars, sollicité 20 000 chercheur et duré 13 ans pour aboutir en 2003. En 2007, nous étions déjà à 1,5 million de dollars et nous sommes désormais sous les 1000 dollars en 2013. Il n'y a pas de raison de croire que nous ne serons pas sous les 5 dollars dans un avenir proche.
Cette loi pourrait s'énoncer sous une forme plus explicite : l'utilisation de technologiques dont la croissance est exponentielle, permet, lorsqu'elle est le moyen d'étude d'un sujet, de faire progresser la connaissance de ledit sujet de façon également exponentielle.
Bien évidemment, le caractère exponentiel de ces changements, qui est une première dans l'histoire de l'humanité, change toute la donne, y compris en terme de civilisation. Imaginez par exemple que demain il n'y ait tout simplement plus de maladie. C'est d'ailleurs ce qui va se produire d'ici 5, 10 ou 30 ans. Demain, donc ! Que fera-t-on des centaines de milliers d'hôpitaux à travers le monde, et que feront les millions de médecins et personnels associés, infirmières, mais aussi, de façon connexes, les industries spécialistes de la constructions de bâtiments de santé ?
Concrètement, quelles implications peut avoir cette théorie dans notre quotidien ?
Laurent Alexandre : Dans la partie qui a déjà démontré sa véracité à savoir la loi de Moore, on a observé un bouleversement de pans entiers de l’économie. Internet, l’ordinateur individuel, le smartphone, les réseaux sociaux sont des enfants de la loi de Moore. Dans le domaine de la biologie, si les coûts continuent de s’effondrer comme c’est le cas jusqu’à présent, notre capacité de bricoler le vivant va être illimitée. Le champ des possibles va donc exploser. Il sera alors envisageable de modifier notre ADN à un prix raisonnable, de traiter beaucoup de maladies, d’augmenter l’espérance de vie humaine, d’augmenter nos capacités, etc.
Dans l’hypothèse où les lois explosives de cette nature-là se poursuivent, l’homme va avoir une capacité quasi-illimitée de modifier sa propre nature et de modifier la matière physique. L’idée des transhumanistes est que cette loi du retour accéléré va permettre de tuer la mort, d’augmenter les capacités humaines en branchant de l’intelligence artificielle sur le cerveau humain et donc de faire un humain 2.0 pour reprendre le titre du livre de Kurzweil "L’humanité 2.0". L’objectif des transhumanistes est de surfer sur cette loi pour changer l’homme et lui donner un pouvoir démiurgique.
L’immortalité ne serait plus un fantasme, la capacité d’augmenter le fonctionnement de nos yeux, de notre cerveau, de nos muscles deviendrait réalité. Et nos capacités intellectuelles grâce à l’interfaçage entre notre cerveau et des microprocesseurs deviendraient des millions de fois plus puissantes qu’aujourd’hui. Tout ceci à l’horizon de la fin du siècle ».
(…°)
Selon sa théorie, la courbe de la loi du retour accéléré atteindrait un point dit de la "Singularité". A ce moment-là, l’intelligence artificielle supplantera l’intelligence humaine. A quel moment cette période pourrait-elle être atteinte ?
Laurent Alexandre : Pour les transhumanistes, selon la loi du retour accéléré, apparait un moment vers 2045 où l’intelligence artificielle se mettra à croitre de façon exponentielle. Et en quelques heures, en quelques jours, en quelques semaines, l’intelligence artificielle progressera des milliards de fois. En janvier 2046, les ordinateurs arrivent à peine aux capacités d’un cerveau humain puis le dépasse et devient un milliard de fois plus puissant que l’intelligence humaine. La matière première de l’intelligence artificielle, le silicium, est illimité alors que fabriquer un cerveau humain c’est long et compliqué. Fabriquer un microprocesseur ce n’est pas si compliqué. Donc l’intelligence artificielle peut croître extrêmement vite. Et c’est le point que les transhumanistes appellent la Singularité. C’est un moment où l’intelligence artificielle explose en très peu de temps et bouleverse complètement la donne voire marginalise l’humanité. D‘où les craintes formulées par Bill Gates ou encore l’astrophysicien Stephen Hawking ces derniers mois avec une pétition sur l’encadrement de l’intelligence artificielle pour éviter qu’elle devienne hostile et menace l’humanité. Il s’agit d’empêcher des scénarios catastrophes à la Terminator ».
Pour aller plus loin dans la réflexion, vous pourriez parcourir les études portant sur le transhumanisme et jeter un coup d’œil à différentes approches :
• Ca va pas la tête !: cerveau, immortalité et intelligence artificielle, l'imposture du transhumanisme / Danièle Tritsch, Jean Mariani ; avec la collaboration d'Oriane Dioux, 2018 : « Depuis quelques années, un mouvement d'idées venu des États-Unis, qualifié de "Révolution transhumaniste", a pris un essor considérable. Demain, on vivra 200 ou 300 ans... et bien sûr en parfaite santé : l'immortalité n'est pas loin ! Ces prophéties s'appuient sur les avancées réelles de l'intelligence artificielle et de la recherche en biologie, en particulier dans le domaine du vieillissement, passant ainsi allègrement de l'homme préservé et/ou augmenté à un véritable homme dieu. Mais dès que l'on s'intéresse au cerveau, les données, particulièrement complexes, ne vont pas dans leur sens. Il existe une contradiction criante entre la jeunesse éternelle promise et la réalité actuelle, marquée en particulier par les échecs thérapeutiques répétés dans les maladies neurodégénératives. Forts de leur expérience et de leur autorité dans le domaine des neurosciences et du vieillissement, Danièle Tritsch et Jean Mariani dénoncent l'imposture du transhumanisme et ses excès ou délires, données scientifiques à l'appui. De façon accessible et vivante, avec de nombreux exemples de la vie quotidienne, ils démontrent que les efforts lents et soutenus de la recherche biologique et médicale - auxquels contribuera l'intelligence artificielle - restent la seule voie pour comprendre le fonctionnement du cerveau, le maintenir en bonne santé (cerveau préservé), le doter de capacités nouvelles (cerveau augmenté) et, dans un délai non prévisible, guérir ou stabiliser les maladies neurodégénératives (cerveau réparé). L'homme dieu, quant à lui, ne s'appuie sur rien de tangible ».
• La société de l'amélioration : la perfectibilité humaine des Lumières au transhumanisme / Nicolas Le Dévédec, 2015 : « Une société où l'aspiration à améliorer, maximiser, rehausser, augmenter, perfectionner l'être humain et ses performances par le biais des avancées technoscientifiques et biomédicales devient omniprésente et concrète. Ce phénomène touche toutes les composantes de notre société : usage de psychotropes pour accroître les capacités intellectuelles, sexuelles, ou mieux contrôler les émotions ; nouvelles technologies reproductives qui nourrissent de nouvelles formes d'eugénisme ; développement d'une médecine anti-âge qui œuvre à l'effacement de toute trace du vieillissement?; projet de super soldat, etc. La quête biotechnologique de la perfection, portée sur son versant extrême par le transhumanisme et financée par des géants du Web tel que Google, nourrit même le fantasme de donner naissance à un être plus qu'humain, posthumain. L'ouvrage de Nicolas Le Dévédec montre que cette aspiration contemporaine à un humain amélioré marque le renversement complet de l'idéal humaniste et politique de la perfectibilité humaine formulé au siècle des Lumières. Il ne s'agit en effet désormais plus tant d'améliorer l'être humain dans et par la société que de l'adapter en le modifiant techniquement, avec tout ce que cela implique de désinvestissement politique. Comment un tel renversement et une telle dépolitisation de la perfectibilité ont pu avoir lieu ? C'est ce que cette étude permet de mieux comprendre à travers un vaste parcours socio-historique ».
• Le transhumanisme c'est quoi ? / Dominique Folscheid, Anne Lécu, Brice de Malherbe, 2018 : « Comment est née l'idéologie transhumaniste ? Comment est-on passé de la volonté d'améliorer les conditions de la vie humaine au fantasme d'une nature humaine profondément modifiée ? Le transhumanisme est-il une utopie réalisable ? Quels en sont les fondements intellectuels ? Quels sont les dangers d'une telle entreprise ? Comment réhabiliter l'humanisme aujourd'hui ? Trois spécialistes, un médecin, un philosophe et un théologien, répondent ici aux questions que pose aujourd'hui ce sujet de société aussi crucial que fascinant. Un ouvrage accessible pour connaître et comprendre le transhumanisme. »
• Cerveau augmenté, homme diminué / Miguel Benasayag ; traduit de l'espagnol (Argentine) par Véronique Piron, 2016 : « Le cerveau humain connaît, étudie, explique et comprend, au point qu'il en est arrivé à prendre comme objet d'étude… lui-même. Et les nouvelles connaissances sur le fonctionnement du cerveau ébranlent profondément nombre de croyances au fondement de la culture occidentale. Car les remarquables avancées des neurosciences rendent en effet désormais envisageable pour certains la perspective d'améliorer le cerveau et de supprimer ses faiblesses et ses "défauts" : le rêve d'un cerveau "parfait" semble à portée de la main.Cette vision conduit à considérer notre cerveau comme un ordinateur qu'il s'agirait d'optimiser en l'améliorant par divers outils pharmacologiques ou informatiques. À partir d'une vulgarisation très pédagogique de recherches récentes souvent très "pointues" en neurosciences, Miguel Benasayag montre ici, de façon fort convaincante, pourquoi ce nouvel idéalisme du "cerveau augmenté" est en réalité une illusion dangereuse : le monde qu'entendent préparer les transhumanistes et certains scientifiques risque fort d'être surtout habité par la folie et la maladie… Une thèse critique solidement argumentée, qui a commencé à faire son chemin dans le milieu des chercheurs les plus préoccupés par les apories et les failles de ce nouveau mythe du progrès ».
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