Question d'origine :
Bonjour, savez-vous qui des deux l'emporte dans nos manières de vivre ?
Merci
Réponse du Guichet
bml_sci
- Département : Sciences et Techniques
Le 22/08/2019 à 09h14
Bonjour,
Votre interrogation sur le rôle du striatum et du cortex dans « nos manières de vivre » repose sur la question plus générale de l’implication des aires cérébrales dans les émotions humaines. Faisons d’abord un rappel historique de l’étude des liens entre cerveau et émotions :
« L’étude des mécanismes cérébraux des émotions, chez l’homme et l’animal, a explosé au début du 21e siècle. (…) L’apparition de nouvelles technologies, comme la neuro-imagerie cérébrale fonctionnelle chez l’homme (résonance magnétique, IRM ; tomographie par émission de positrons, TEP…) ou des mesures d’activité neuronale chez l’animal (enregistrement et imagerie cellulaire, manipulation de l’activité synaptique, optogénétique, etc.), permet désormais de relier certains phénomènes affectifs ou le traitement d’information émotionnelle (parfois même inconscient) à des substrats neurobiologiques précis, venant compléter les approches plus traditionnelles qui reposent sur l’effet des lésions cérébrales, la stimulation électrique ou les manifestations cliniques de maladies psychiatriques.
Historiquement, un premier modèle neuro-anatomique proposé par James Papez (1883-1958) postulait que
Le modèle « triunique » de Paul McLean (1913-2007) proposait de distinguer
– le complexe « reptilien » centré sur des noyaux sous-corticaux (hypothalamus, tronc cérébral, ganglions de la base), responsables de réflexes instinctifs et de comportements primitifs (défense, agression) ;
– le complexe « limbique » regroupant des aires corticales « anciennes » propres aux mammifères (paléomammalien), contrôlant des fonctions motivationnelles et sociales, notamment liées à la reproduction et la parentalité (comprenant hippocampe, amygdale, gyrus cingulaire, mais aussi cortex orbito-frontal et insula) ;
– le complexe « néocortical » localisé dans les régions associatives latérales des hémisphères, propres à l’homme, responsables des capacités de langage et d’abstraction.
Cette division hiérarchique, à l’origine d’une opposition entre circuits primitifs – siège des émotions et des pulsions – et circuits plus évolués – permettant la cognition et la raison –, est dorénavant abandonnée sous cette forme.
D’autres modèles ont été influencés par les théories catégorielles selon lesquelles il existe un petit nombre d’émotions de base (peur, joie, tristesse, etc.), chacune dépendant de programmes neuronaux innés et universels au sein de l’espèce humaine, mais dérivés de systèmes motivationnels servant la survie de l’individu et sa reproduction, par conséquent conservés au travers de l’évolution. Ainsi,
– la peur avec l’amygdale (et ses connexions), une structure cruciale pour le conditionnement aversif pavlovien ;
– la tristesse avec le cortex cingulaire antérieur ventral (subgenual).
Des modèles dérivés des théories dimensionnelles des émotions (invoquant différentes mixtures des mêmes composantes de base à l’origine de toutes les émotions) ont également été avancés, impliquant l’amygdale pour le degré d’alerte (dimension calme/excitation, arousal), mais le cortex orbito-frontal pour la représentation de la valence (dimension plaisant/déplaisant).
D’autres hypothèses considèrent que le degré d’alerte dépend d’un équilibre (ou d’une combinaison) d’activité sympathique et parasympathique au sein du système nerveux végétatif, sous l’influence de signaux de noyaux sous-corticaux dans l’hypothalamus et le tronc cérébral, cet équilibre favorisant respectivement les états d’activation face au stress (plutôt que les états de repos et de digestion de l’organisme), et (ou) les processus motivationnels défensifs (plutôt que appétitifs).
Source : Patrik VUILLEUMIER, « CERVEAU ET ÉMOTION », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 22 août 2019.
Sébastien Bohler, docteur en neurosciences et rédacteur en chef du magazine Cerveau & Psycho, en a fait son objet d’étude dans Pourquoi notre cerveau nous pousse à détruire la planète et comment l'en empêcher (Robert Laffont, 2019) :
« A qui la faute si la planète est en cours de destruction ? A notre cerveau, et plus particulièrement au striatum répond Sébastien Bohler. [Le striatum] (…) fonctionne à grand renfort de dopamine et ne possède pas de fonction stop ; il y a recherche incessante du plaisir. Ainsi, avec la consommation de masse du sexe, le problème n’est plus la quantité, le problème est de s’arrêter. L’addict au sexe virtuel ne découvre l’impasse que lorsqu’il commence à souffrir de troubles sexuels et de dysphorie ; les troubles de l’érection ont doublé au cours de la dernière décennie, de façon parallèle à l’essor de la pornographie sur Internet. Il y a impossibilité de maîtriser son envie de surfer sur les sites porno, besoin d’augmenter les doses (phénomène de tolérance), symptômes de manque en cas d’impossibilité d’y accéder, perte de sensibilité aux stimulations sexuelles, et bien entendu conséquences néfastes sur le plan du couple et des relations sociales. Le striatum est fait pour que nous recherchions activement et sans limite sexe, nourriture, pouvoir, rang social, information. Quand nous les trouvons, le circuit de la récompense asperge alors les neurones avec de la dopamine et procure un plaisir addictif plus puissant que les parties raisonnables de notre cerveau. »
Source : Le Monde Blogs – Biosphere, mardi 23 avril 2019
• Matière à décision / Thomas Boraud (CNRS Editions, 2015)
• Décider en toute connaissance de soi : neurosciences et décision / Philippe Damier (Odile Jacob, 2014)
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