Guerre des chiens
DIVERS
+ DE 2 ANS
Le 04/08/2019 à 18h08
514 vues
Question d'origine :
Bonjour
Existe-t-il des documentaires ou des romans sur la guerre des chiens "suka" qui s'est déroulée dans les goulags après la 2ème guerre mondiale entre les "vor v zakone" : les criminels mafieux russes ?
Merci.
Réponse du Guichet
gds_et
- Département : Équipe du Guichet du Savoir
Le 07/08/2019 à 09h26
Bonjour,
Commençons par rappeler ce qu’est la « guerre des chiennes » ou « guerre des sukas » :
« La guerre des Sukas (en russe : Сучьи войны ou au singulier : Сучья война) guerre des « chiennes » ou guerre des « balances » s’est déroulée à l’intérieur du goulag, le système carcéral soviétique, entre 1945 jusqu’à peu après la mort de Staline.
Le mot russe suka (сукой, ссучившимся : soukhoï, soutchivchimsia) est un mot de l’argot des criminels très péjoratif qui désigne une personne qui coopère avec les forces de l’ordre et signifie littéralement chienne ou salope. Appliqué à un humain, le mot français équivalent français serait plutôt balance. Il faut remarquer que Sophie Benech, dans sa traduction de Essais sur le monde du crime du russe, traduit systématiquement le mot par chienne. Elle indique qu'elle s'est fait conseiller en la matière par Jacques Rossi, écrivain franco-polonais qui a passé plus de vingt ans dans le goulag.
Avoir une réputation de Suka rend très difficile la vie en prison.
À l’intérieur des prisons russes, il y avait des traditions et une structure sociale qui existaient depuis l’époque tsariste.
Cette société des voleurs était très complète et très organisée. Elle était dominée par la caste des « Voleurs dans la Loi »
L’un des principes les plus importants de ce système était que les prisonniers ne collaboraient pas avec les autorités impériales ou soviétiques.
Alors que la Seconde Guerre mondiale prenait de l’ampleur, Joseph Staline offrit à un certain nombre de prisonniers leur amnistie à la fin de la guerre en échange de leur engagement dans l’Armée rouge, pour renflouer les effectifs.
À la fin de la guerre, Staline revint toutefois sur sa parole et renvoya les déportés dans leurs camps. Les vétérans qui retournèrent en prison furent déclarés suka par leurs codétenus et furent traités en paria.
Ils n’eurent d’autre choix pour survivre que de collaborer activement avec les autorités pénitentiaires pour obtenir, à l’intérieur des prisons, les meilleurs postes et se mettre en position de force.
Cela, en plus de l’engagement des Suka dans l’armée, provoqua une guerre des détenus dans les prisons soviétiques entre les vétérans et les chefs « Voleurs dans la Loi » . Elle est racontée par l'écrivain Varlam Chalamov, ancien détenu, dans son ouvrage Essais sur le monde du crime dans le chapitre La guerre des chiennes'. En 1948, les truands édictèrent une nouvelle loi qui permettait de remplir les fonctions précédemment interdites comme celles de staroste, de chef de baraque, de soldat. Ceux qui se soumettaient à cette loi devaient être adoubés lors d'une cérémonie de baiser au couteau. Apparurent ainsi deux classes de truands, les adoubés et les autres, et une guerre féroce se déclara entre eux à l'image de celle qui venait de se dérouler dans le monde.
Les autorités pénitentiaires fermèrent les yeux sur les exactions, les morts de détenus contribuant à réduire la surpopulation carcérale. De plus, étaient tellement violentes qu’ils crurent que le banditisme s’autodétruirait.
Cette guerre est réputée avoir transformé les vieilles organisations criminelles et s’acheva avec la victoire des suka et de leurs affidés. Certains estiment que 97 % des victimes étaient des tenants de l’ordre ancien. De ce fait, la déontologie de non-collaboration avec les autorités des malfrats n’existait plus. »
Source : Wikipedia
Malheureusement nos recherches du côté de la littérature de fiction sont restées vaines. Peut-être trouverez-vous une évocation de la « guerre des chiennes » dans le roman de Martin Amis, La maison des rencontres, dont voici la quatrième de couverture :
« Confession d'un vieil homme sous forme d'une lettre à la fille de sa dernière femme. Le narrateur, russe, raconte des morceaux choisis de sa vie, articulés autour de son souvenir le plus brûlant, les dix ans passés avec son frère Lev dans un goulag. Et plus précisément le souvenir d'une journée durant laquelle Lev reçoit la visite de son épouse Zoya, qui fut la maîtresse du narrateur. »
« Le lecteur retrouvera les thèmes favoris de Martin Amis dans son nouveau récit sur les goulags : corruption, violence, misère sexuelle et spirituelle. Raconté par un Russe exilé qui revient en pèlerinage dans son pays natal, La Maison des Rencontres évoque la vie dans le camp pénitentiaire de Norlag où le narrateur était détenu il y a plus d’un demi-siècle. Le récit en flash-back s’ouvre sur l’arrivée au camp de Lev, le demi-frère du narrateur. « Mon petit frère arriva au camp en 1948 (j’y étais déjà), au plus fort de la guerre entre les brutes et les chiennes... ».
Source : rfi.fr
D’autres documents, en plus de l’ouvrage de Varlam Chalamov mentionné ci-dessus, évoquent avec plus ou moins de détail ce conflit qui a marqué l’histoire des goulags :
« Au début des années 1950, les luttes entre bandes rivales de détenus prennent une ampleur jusque-là inconnue. Elles opposent les « voleurs dans la loi », ceux qui refusent le travail et respectent la règle du milieu, aux « chiennes » qui se soumettent au règlement du camp. La multiplication des factions, des rixes – on meurt désormais autant d’un coup de couteau que de maladie ou de faim – sapent la discipline et génèrent le « désordre ». […]
Jusqu’en 1950, il n’existait presque pas de cas d’affrontements organisés entre groupes de détenus. A partir de cette année, la situation, de ce point de vue, s’est considérablement dégradée. Des milliers de détenus sont aujourd’hui impliqués dans des factions rivales en lutte les unes contre les autres. Tous les camps sont touchés par ce phénomène. La lutte entre factions rivales est aujourd’hui le principal processus caractérisant la vie du camp. Les factions s’efforcent d’étendre leur influence sur les détenus qui tâchent de travailler honnêtement et de respecter le règlement intérieur. Au cours des derniers six mois, les condamnés pour crimes contre-révolutionnaires, fait nouveau, ont commencé à se joindre à ces factions – cela nous suggère que les éléments antisoviétiques tâchent d’utiliser ce processus dans des buts hostiles. Les indications dont nous disposons témoignent du fait que ce processus de factions s’organise à l’échelle de l’ensemble des camps. L’information se transmet par tous les moyens entre les partisans des factions rivales, détenus dans des camps souvent éloignés les uns des autres…
Les deux factions principales sont : ceux qui s’en tiennent aux « lois » du monde criminel (aussi appelés « voleurs dans la loi » ou « voleurs honnêtes »), et ceux qui refusent ces « lois » pour ne penser qu’à leur propre intérêt au sein du camp et dans le cadre du règlement (aussi appelés « chiennes »). Autour de ces deux factions principales tourne une constellation de groupes et groupuscules moins stables, plus informels, aux dénominations très diverses. […]
Ce conflit se manifeste principalement par le meurtre de membres de chaque camp, par l’organisation d’attaques armées de partisans d’une faction contre ceux de l’autre, par le refus de travail des brigades composées de membres d’une des factions sur des sites où travaillent des détenus appartenant à l’autre faction. Les factions usent de divers stratagèmes pour que l’administration du camp soit impliquée dans la répression des détenus appartenant au camp rival…
Quand des milliers de détenus sont impliqués dans telle ou telle faction, il est inévitable que dans les brigades, formées d’après les critères de condamnation, entrent des individus appartenant à des factions rivales. Cette situation a engendré une recrudescence des meurtres de brigadiers, conséquence de la lutte pour le contrôle de la direction des brigades ; à son tour, cette situation a créé des tensions, beaucoup de détenus refusant d’obéir aux ordres des brigadiers… A cause du grand nombre des détenus participant activement à l’une ou l’autre des deux factions, il est impossible d’isoler correctement tous les membres de ces factions. »
Source : Document : l'ensemble concentrationnaire de Norilsk en 1951, Nicolas Werth, Vingtième Siècle. Revue d'histoire, Année 1994, 43, pp. 88-99
« La « Guerre des chiennes » s’est déchaînée à partir, approximativement, de 1949 (compte non tenu de cas particuliers, mais constants, d’entr’égorgement des « voleurs » et des « chiennes »). Elle faisait rage en 1951-1952. Le monde de la pègre était morcelé en nombreuses sous-espèces : outre les « voleurs » et « chiennes » proprement dits, il y avait encore : les illimités (« voleurs sans limite ») ; les « makhnovistes » ; les cabochards ; les pivovarovistes ; les « chaperons rouges » ; les « sans chocottes » ; les « pic à la ceinture », et j’en passe.
Vers cette époque, la direction du Goulag, désormais sans illusion sur infaillible théorie de la rééducation des truands, décida apparemment de se débarrasser de ce fardeau en jouant sur les divisions, en soutenant tantôt l’un, tantôt l’autre des groupements dont elle utilisait les couteaux pour mettre à mal le reste. La tuerie avait lieu ouvertement, massivement.
Puis les truands s’adaptèrent : ou bien ne pas tuer de ses propres mains, ou bien, lorsqu’on a tué soi-même, forcer un autre à prendre la faute sur soi. C’est ainsi que de jeunes délinquants ou d’ex-soldats et ex-officiers, sous menace de se faire assassiner eux-mêmes, prirent sur eux un assassinat commis par un autre, écopèrent de vingt-cinq ans au titre de l’article pour banditisme 59-3, et y sont encore. Tandis que les voleurs chefs de groupements en sortirent blancs comme neige grâce à l’ « amnistie Vorochilov » de 1953 (mais il ne faut pas désespérer : depuis lors, ils y sont plusieurs fois retournés). »
Source : L'archipel du Goulag, Alexandre Soljénitsyne
(extrait disponible dans Google Livre)
« Au sortir du second conflit mondial, les voleurs dans la loi se sont déchirés. Une guerre interne a éclaté entre ceux qui ont accepté l’offre de Staline d’aller défendre le pays dans l’Armée rouge et ceux qui ont refusé selon les principes de leur code d’honneur. Les premiers ont été dénommés les souki, littéralement les « salopes », et cette guerre a pris le nom de « guerre des salopes », soutchia voïna. Elle fut sanglante. Dans les goulags, l’administration avait créé des espaces séparés afin que les deux camps ne se croisent pas. Ce combat sans merci a duré jusqu’à l’arrivée de Khrouchtchev au pouvoir. Forgés au combat par l’épreuve de la guerre, les souki sont sortis vainqueurs de cette lutte à mort. Et cela a changé à jamais la mentalité et la communauté des voyous. Ceux-ci se sont rapprochés des autorités, ce que les vori attachés à leur code séculaire avaient toujours refusé. A partir de là, les vori ont intégré le système. »
Source : Le livre noir du sport russe, Jean-Christophe Collin
« A son apogée, au début des années 1950, le GOULAG est confronté à une double crise : le système n’est plus en mesure de faire régner l’ordre dans les camps, ni d’assurer leur rentabilité économique. L’administration pénitentiaire se heurte à deux formes de résistance. La première émane des détenus politiques, majoritairement ukrainiens et baltes, isolés depuis 1948-1949 dans les camps spéciaux. La seconde, des criminels récidivistes de droit commun qui s’affrontent entre bandes rivales opposant les « voleurs dans la loi » - ceux qui refusent de travailler pour « respecter la loi du milieu » - aux « chiennes » - ceux qui se soumettent au règlement du camp, voire acceptent de « collaborer » avec l’administration en devenant des indicateurs ou à prendre les armes pour défendre la patrie. Ces affrontements entretiennent un climat de terreur et contribuent à désorganiser la fonction productive du camp. Plusieurs millions de journées-travail, selon les données officielles, sont perdues chaque année en raison de « divers désordres dans les camps ». A la conférence des responsables du GOULAG qui se tient à Moscou en janvier 1952, plusieurs hauts responsables reconnaissent que « l’administration des camps, qui avait jusqu’à présent su habilement tirer parti des contradictions entre les divers groupes de détenus, est une explosion d’effectifs moins aisément malléables que par le passé, à des problèmes croissants d’encadrement et de surveillance, l’administration du GOULAG rencontre de plus en plus de difficultés pour assurer une rentabilité économique toujours problématique. »
Le goulag : témoignages et archives, édition établie, annotée et présentée par Luba Jurgenson et Nicolas Werth
Pour approfondir le sujet, vous pourriez consulter les ouvrages consacrés à l’histoire du goulag ou bien effectuer une recherche avec vos propres mots clés dans Isidore.
Bonne journée.
Commençons par rappeler ce qu’est la « guerre des chiennes » ou « guerre des sukas » :
« La guerre des Sukas (en russe : Сучьи войны ou au singulier : Сучья война) guerre des « chiennes » ou guerre des « balances » s’est déroulée à l’intérieur du goulag, le système carcéral soviétique, entre 1945 jusqu’à peu après la mort de Staline.
Le mot russe suka (сукой, ссучившимся : soukhoï, soutchivchimsia) est un mot de l’argot des criminels très péjoratif qui désigne une personne qui coopère avec les forces de l’ordre et signifie littéralement chienne ou salope. Appliqué à un humain, le mot français équivalent français serait plutôt balance. Il faut remarquer que Sophie Benech, dans sa traduction de Essais sur le monde du crime du russe, traduit systématiquement le mot par chienne. Elle indique qu'elle s'est fait conseiller en la matière par Jacques Rossi, écrivain franco-polonais qui a passé plus de vingt ans dans le goulag.
Avoir une réputation de Suka rend très difficile la vie en prison.
À l’intérieur des prisons russes, il y avait des traditions et une structure sociale qui existaient depuis l’époque tsariste.
Cette société des voleurs était très complète et très organisée. Elle était dominée par la caste des « Voleurs dans la Loi »
L’un des principes les plus importants de ce système était que les prisonniers ne collaboraient pas avec les autorités impériales ou soviétiques.
Alors que la Seconde Guerre mondiale prenait de l’ampleur, Joseph Staline offrit à un certain nombre de prisonniers leur amnistie à la fin de la guerre en échange de leur engagement dans l’Armée rouge, pour renflouer les effectifs.
À la fin de la guerre, Staline revint toutefois sur sa parole et renvoya les déportés dans leurs camps. Les vétérans qui retournèrent en prison furent déclarés suka par leurs codétenus et furent traités en paria.
Ils n’eurent d’autre choix pour survivre que de collaborer activement avec les autorités pénitentiaires pour obtenir, à l’intérieur des prisons, les meilleurs postes et se mettre en position de force.
Cela, en plus de l’engagement des Suka dans l’armée, provoqua une guerre des détenus dans les prisons soviétiques entre les vétérans et les chefs « Voleurs dans la Loi » . Elle est racontée par l'écrivain Varlam Chalamov, ancien détenu, dans son ouvrage Essais sur le monde du crime dans le chapitre La guerre des chiennes'. En 1948, les truands édictèrent une nouvelle loi qui permettait de remplir les fonctions précédemment interdites comme celles de staroste, de chef de baraque, de soldat. Ceux qui se soumettaient à cette loi devaient être adoubés lors d'une cérémonie de baiser au couteau. Apparurent ainsi deux classes de truands, les adoubés et les autres, et une guerre féroce se déclara entre eux à l'image de celle qui venait de se dérouler dans le monde.
Les autorités pénitentiaires fermèrent les yeux sur les exactions, les morts de détenus contribuant à réduire la surpopulation carcérale. De plus, étaient tellement violentes qu’ils crurent que le banditisme s’autodétruirait.
Cette guerre est réputée avoir transformé les vieilles organisations criminelles et s’acheva avec la victoire des suka et de leurs affidés. Certains estiment que 97 % des victimes étaient des tenants de l’ordre ancien. De ce fait, la déontologie de non-collaboration avec les autorités des malfrats n’existait plus. »
Source : Wikipedia
Malheureusement nos recherches du côté de la littérature de fiction sont restées vaines. Peut-être trouverez-vous une évocation de la « guerre des chiennes » dans le roman de Martin Amis, La maison des rencontres, dont voici la quatrième de couverture :
« Confession d'un vieil homme sous forme d'une lettre à la fille de sa dernière femme. Le narrateur, russe, raconte des morceaux choisis de sa vie, articulés autour de son souvenir le plus brûlant, les dix ans passés avec son frère Lev dans un goulag. Et plus précisément le souvenir d'une journée durant laquelle Lev reçoit la visite de son épouse Zoya, qui fut la maîtresse du narrateur. »
« Le lecteur retrouvera les thèmes favoris de Martin Amis dans son nouveau récit sur les goulags : corruption, violence, misère sexuelle et spirituelle. Raconté par un Russe exilé qui revient en pèlerinage dans son pays natal, La Maison des Rencontres évoque la vie dans le camp pénitentiaire de Norlag où le narrateur était détenu il y a plus d’un demi-siècle. Le récit en flash-back s’ouvre sur l’arrivée au camp de Lev, le demi-frère du narrateur. « Mon petit frère arriva au camp en 1948 (j’y étais déjà), au plus fort de la guerre entre les brutes et les chiennes... ».
Source : rfi.fr
D’autres documents, en plus de l’ouvrage de Varlam Chalamov mentionné ci-dessus, évoquent avec plus ou moins de détail ce conflit qui a marqué l’histoire des goulags :
« Au début des années 1950, les luttes entre bandes rivales de détenus prennent une ampleur jusque-là inconnue. Elles opposent les « voleurs dans la loi », ceux qui refusent le travail et respectent la règle du milieu, aux « chiennes » qui se soumettent au règlement du camp. La multiplication des factions, des rixes – on meurt désormais autant d’un coup de couteau que de maladie ou de faim – sapent la discipline et génèrent le « désordre ». […]
Jusqu’en 1950, il n’existait presque pas de cas d’affrontements organisés entre groupes de détenus. A partir de cette année, la situation, de ce point de vue, s’est considérablement dégradée. Des milliers de détenus sont aujourd’hui impliqués dans des factions rivales en lutte les unes contre les autres. Tous les camps sont touchés par ce phénomène. La lutte entre factions rivales est aujourd’hui le principal processus caractérisant la vie du camp. Les factions s’efforcent d’étendre leur influence sur les détenus qui tâchent de travailler honnêtement et de respecter le règlement intérieur. Au cours des derniers six mois, les condamnés pour crimes contre-révolutionnaires, fait nouveau, ont commencé à se joindre à ces factions – cela nous suggère que les éléments antisoviétiques tâchent d’utiliser ce processus dans des buts hostiles. Les indications dont nous disposons témoignent du fait que ce processus de factions s’organise à l’échelle de l’ensemble des camps. L’information se transmet par tous les moyens entre les partisans des factions rivales, détenus dans des camps souvent éloignés les uns des autres…
Les deux factions principales sont : ceux qui s’en tiennent aux « lois » du monde criminel (aussi appelés « voleurs dans la loi » ou « voleurs honnêtes »), et ceux qui refusent ces « lois » pour ne penser qu’à leur propre intérêt au sein du camp et dans le cadre du règlement (aussi appelés « chiennes »). Autour de ces deux factions principales tourne une constellation de groupes et groupuscules moins stables, plus informels, aux dénominations très diverses. […]
Ce conflit se manifeste principalement par le meurtre de membres de chaque camp, par l’organisation d’attaques armées de partisans d’une faction contre ceux de l’autre, par le refus de travail des brigades composées de membres d’une des factions sur des sites où travaillent des détenus appartenant à l’autre faction. Les factions usent de divers stratagèmes pour que l’administration du camp soit impliquée dans la répression des détenus appartenant au camp rival…
Quand des milliers de détenus sont impliqués dans telle ou telle faction, il est inévitable que dans les brigades, formées d’après les critères de condamnation, entrent des individus appartenant à des factions rivales. Cette situation a engendré une recrudescence des meurtres de brigadiers, conséquence de la lutte pour le contrôle de la direction des brigades ; à son tour, cette situation a créé des tensions, beaucoup de détenus refusant d’obéir aux ordres des brigadiers… A cause du grand nombre des détenus participant activement à l’une ou l’autre des deux factions, il est impossible d’isoler correctement tous les membres de ces factions. »
Source : Document : l'ensemble concentrationnaire de Norilsk en 1951, Nicolas Werth, Vingtième Siècle. Revue d'histoire, Année 1994, 43, pp. 88-99
« La « Guerre des chiennes » s’est déchaînée à partir, approximativement, de 1949 (compte non tenu de cas particuliers, mais constants, d’entr’égorgement des « voleurs » et des « chiennes »). Elle faisait rage en 1951-1952. Le monde de la pègre était morcelé en nombreuses sous-espèces : outre les « voleurs » et « chiennes » proprement dits, il y avait encore : les illimités (« voleurs sans limite ») ; les « makhnovistes » ; les cabochards ; les pivovarovistes ; les « chaperons rouges » ; les « sans chocottes » ; les « pic à la ceinture », et j’en passe.
Vers cette époque, la direction du Goulag, désormais sans illusion sur infaillible théorie de la rééducation des truands, décida apparemment de se débarrasser de ce fardeau en jouant sur les divisions, en soutenant tantôt l’un, tantôt l’autre des groupements dont elle utilisait les couteaux pour mettre à mal le reste. La tuerie avait lieu ouvertement, massivement.
Puis les truands s’adaptèrent : ou bien ne pas tuer de ses propres mains, ou bien, lorsqu’on a tué soi-même, forcer un autre à prendre la faute sur soi. C’est ainsi que de jeunes délinquants ou d’ex-soldats et ex-officiers, sous menace de se faire assassiner eux-mêmes, prirent sur eux un assassinat commis par un autre, écopèrent de vingt-cinq ans au titre de l’article pour banditisme 59-3, et y sont encore. Tandis que les voleurs chefs de groupements en sortirent blancs comme neige grâce à l’ « amnistie Vorochilov » de 1953 (mais il ne faut pas désespérer : depuis lors, ils y sont plusieurs fois retournés). »
Source : L'archipel du Goulag, Alexandre Soljénitsyne
(extrait disponible dans Google Livre)
« Au sortir du second conflit mondial, les voleurs dans la loi se sont déchirés. Une guerre interne a éclaté entre ceux qui ont accepté l’offre de Staline d’aller défendre le pays dans l’Armée rouge et ceux qui ont refusé selon les principes de leur code d’honneur. Les premiers ont été dénommés les souki, littéralement les « salopes », et cette guerre a pris le nom de « guerre des salopes », soutchia voïna. Elle fut sanglante. Dans les goulags, l’administration avait créé des espaces séparés afin que les deux camps ne se croisent pas. Ce combat sans merci a duré jusqu’à l’arrivée de Khrouchtchev au pouvoir. Forgés au combat par l’épreuve de la guerre, les souki sont sortis vainqueurs de cette lutte à mort. Et cela a changé à jamais la mentalité et la communauté des voyous. Ceux-ci se sont rapprochés des autorités, ce que les vori attachés à leur code séculaire avaient toujours refusé. A partir de là, les vori ont intégré le système. »
Source : Le livre noir du sport russe, Jean-Christophe Collin
« A son apogée, au début des années 1950, le GOULAG est confronté à une double crise : le système n’est plus en mesure de faire régner l’ordre dans les camps, ni d’assurer leur rentabilité économique. L’administration pénitentiaire se heurte à deux formes de résistance. La première émane des détenus politiques, majoritairement ukrainiens et baltes, isolés depuis 1948-1949 dans les camps spéciaux. La seconde, des criminels récidivistes de droit commun qui s’affrontent entre bandes rivales opposant les « voleurs dans la loi » - ceux qui refusent de travailler pour « respecter la loi du milieu » - aux « chiennes » - ceux qui se soumettent au règlement du camp, voire acceptent de « collaborer » avec l’administration en devenant des indicateurs ou à prendre les armes pour défendre la patrie. Ces affrontements entretiennent un climat de terreur et contribuent à désorganiser la fonction productive du camp. Plusieurs millions de journées-travail, selon les données officielles, sont perdues chaque année en raison de « divers désordres dans les camps ». A la conférence des responsables du GOULAG qui se tient à Moscou en janvier 1952, plusieurs hauts responsables reconnaissent que « l’administration des camps, qui avait jusqu’à présent su habilement tirer parti des contradictions entre les divers groupes de détenus, est une explosion d’effectifs moins aisément malléables que par le passé, à des problèmes croissants d’encadrement et de surveillance, l’administration du GOULAG rencontre de plus en plus de difficultés pour assurer une rentabilité économique toujours problématique. »
Le goulag : témoignages et archives, édition établie, annotée et présentée par Luba Jurgenson et Nicolas Werth
Pour approfondir le sujet, vous pourriez consulter les ouvrages consacrés à l’histoire du goulag ou bien effectuer une recherche avec vos propres mots clés dans Isidore.
Bonne journée.
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