Derrière le rideau de fer des dirigeants milliardaires !!!
DIVERS
+ DE 2 ANS
Le 29/07/2019 à 14h40
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Question d'origine :
Bonjour,
Staline et autres dirigeants se prononcent « communistes» ont des fortunes colossales qui dépassent même des fortunes «capitalistes». Difficile à croire ce scandale de siècle !
Comment ont pu tromper tout le monde ?
Merci et bonne journée.
Réponse du Guichet
gds_et
- Département : Équipe du Guichet du Savoir
Le 31/07/2019 à 08h40
Bonjour,
Voici à quoi se montaient les revenus de Staline d’après l’historien Oleg Khevniouk :
« Aujourd'hui les historiens parviennent à se faire une idée du revenu des leaders soviétiques.
« En décembre 1947, le salaire de Staline en tant que président du Conseil des ministres était de 10 000 roubles. On ne sait pas, par contre, si cette somme incluait ses revenus en tant que Secrétaire général du Parti communiste – soit 8 000 roubles », note Oleg Khlevniouk, spécialiste de la période stalinienne.
Le Secrétaire général devait également tirer des revenus importants des millions de tirages de ses travaux. On sait notamment que Staline a envoyé 40 000 roubles à ses amis d'enfance en Géorgie, ce qui était une somme considérable pour l'époque.
À titre de comparaison, le salaire annuel moyen des citoyens soviétiques à cette époque était d'environ 7 200 roubles, soit 600 roubles mensuels. Les rentrées d'argent des paysans en 1950 représentaient moins de cent roubles mensuels par personne.
Oleg Khlevniouk souligne que les revenus officiels des dirigeants soviétiques n’ont pas signification réelle. En effet, des millions de roubles étaient dépensés pour l'entretien de leurs villas, leur sécurité et leur service.
« Après 1947 mon père me demandait parfois, lors de nos rares rencontres, si j'avais besoin d'argent. Je répondais que non », raconte dans ses mémoires la fille de Staline, Svetlana Allilouïeva. Ne me raconte pas d'histoires, disait-il. De combien tu as besoin ? ».
« Je ne savais pas quoi répondre. Il ne connaissait pas la valeur réelle de l'argent ni combien coûtait quoi que ce soit. Il vivait dans une représentation d'avant la révolution, quand cent roubles étaient une fortune. Quand il me donnait deux ou trois mille roubles pour le mois, six mois ou deux semaines, il pensait me donner un million… », raconte-t-elle.
Et de poursuivre : « Tout son salaire mensuel finissait dans des sacs sur son bureau. Je ne sais pas s'il tenait des comptes mais je ne pense pas. Il ne dépensait pas d'argent lui même – il n'avait rien à acheter. Tout ce qui l'entourait – ses maisons de campagne, ses villas, ses domestiques, sa nourriture et ses vêtements étaient payés par le gouvernement ». »
Source : Combien gagne le président russe? rbth.com
Ajoutons que Staline répartissait les ressources de manière à privilégier les hauts fonctionnaires. Ces privilèges, associés à une répression brutale, lui permettaient d’exercer sur son entourage un contrôle absolu :
« Le politologue Gratchev lie la dictature de Staline à la pénurie permanente de la Russie soviétique, héritée de la Russie tsariste ravagée par des famines récurrentes, aggravées par la guerre et la guerre civile : « Plus les réserves à distribuer sont maigres, écrit-il, et plus sa dimension de distributeur en chef devient imposante. » L’explication est certes un peu courte, mais, de fait, Staline reprend à un niveau jamais atteint la fonction exercée pendant des siècles par des monarques, rois, empereurs ou sultans. Ces élus de Dieu répartissaient la pénurie au profit des parasites de leur cour, de la noblesse et du haut clergé, qui, en retour, les bénissaient, les couvraient d’encens et qualifiaient cette inégalité d’ordre voulu par Dieu lui-même. L’originalité frauduleuse de Staline, répartiteur brutal d’une pénurie permanente au bénéfice d’une nouvelle aristocratie privilégiée, consiste à présenter cette fonction traditionnelle des vieilles monarchies comme la répartition socialement juste d’une abondance mythique, promise pour un avenir proche et radieux, et à dissimuler cette fonction sociale sous une phraséologie communiste.
Le pouvoir absolu de Staline s’est forgé sur la crise du ravitaillement de 1928, sur la catastrophe alimentaire engendrée par la collectivisation forcée, sur les milliers de révoltes paysannes écrasées à la mitrailleuse, sur la famine qui ravage l’Ukraine, le Kazakhstan et une partie de la Sibérie en 1932-1933, sur la peur que cette réalité sème dans l’appareil dirigeant et qui devient panique lorsque Hitler accède au pouvoir en janvier 1933 et se propose d’abattre le « bolchevisme » et l’URSS. La bureaucratie affolée serre les rangs autour d’un sauveur suprême, une situation que ses collaborateurs approuveront jusqu’à sa mort. La législation terroriste d’une violence inouïe que Staline édicte de 1929 à sa mort et la brutalité de la répression contre quiconque grogne, et même ne dit rien mais pourrait le faire, reflètent la peur profonde d’un régime qui a accumulé contre lui des flots de haine depuis la fin des années 1920. Pour y faire face, la bureaucratie a plus encore besoin de se rassembler autour d’un chef qui veut en même temps lui démontrer sa toute-puissance. Ce besoin répond donc à des circonstances à la fois extérieures et intérieures.
Staline s’acharne à éliminer tout concurrent éventuel alors qu’aucun n’a d’autre politique à proposer : il liquide les anciens dirigeants de quelque envergure et ne garde que les fonctionnaires obtus, voire les brutes que sont Molotov et Kaganovitch, fait fusiller l’état-major de l’Armée rouge, dans les rangs duquel aurait pu apparaître un autre sauveur suprême, et promeut une nouvelle génération de cadres dociles qui lui doivent tout et n’aspirent qu’à conserver le poste auquel ils sont accédé de façon inespérée.
[…] Les hauts dignitaires de la bureaucratie vivent dès lors dans une abondance dissimulée aux regards d’une population qui vivote péniblement, entassée dans des appartements communautaires, dans des izbas souvent délabrées, dans des baraques en planches ou des zemlianki – une zemlianka est une énorme fosse creusée dans le sol et recouverte de planches ou de tôle. Ainsi, Berty Albrecht, reçue en URSS en 1934, raconte : « Le banquet que Staline nous a donné jusqu’à 4 heures du matin dans un déluge de caviar et de vodka m’a fait penser au temps des tsars. » En 1937, le NKVD ouvre des magasins spéciaux secrets où il met en vente à bas prix pour ses agents les biens raflés chez les victimes de la répression, arrêtés, déportés ou fusillés, et dont on envoie toute la famille au Goulag et les enfants en bas âge à l’orphelinat pour que le nettoyage soit complet.
La répression politique recouvre un pillage et un parasitisme que le communiste hongrois Eugène Varga, membre du Comité exécutif du Comintern et académicien, décrit avec dégoût : « Près de Moscou, sur d’énormes parcelles de terrain, on construit des datchas gouvernementales protégées par des gardes. Dans ces datchas travaillent des jardiniers, des cuisiniers, des femmes de chambre, des médecins spécialisés, des infirmières, un personnel d’une cinquantaine d’individus, tout cela payé par l’Etat. Des trains spéciaux personnels, des avions personnels, des criques personnelles, des yatchs personnels, une ribambelle d’automobiles destinées aux dirigeants et aux membres de leur famille. Ils reçoivent quasiment gratuitement tous les produits d’alimentation et d’usage courant. Pour s’assurer un tel niveau de vie en Amérique, il faut être multimillionnaire. »
Mais tous ces biens appartiennent à l’Etat et dépensent donc de son chef suprême, Staline ; l’heureux bénéficiaire de ces largesses perd tout s’il tombe en disgrâce. Il fait donc son possible pour éviter ce sort fâcheux et se montre d’une docilité exemplaire. Radzinsky, qui cite les lignes ci-dessus, commente : « Les mœurs démocratiques des premières années d’Octobre (les membres des familles des dirigeants se déplaçant dans les transports en commun, faisant la queue avec leurs concitoyens, le manque d’argent) […] tout cela s’est enfui dans un passé révolu. »
Source : Staline, 1878-1953 : mensonges et mirages, Jean-Jacques Marie
L’émergence de cette nouvelle classe privilégiée n’était pas vraiment un secret, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur de l’URSS :
« Datchas, voitures, meubles... la nouvelle classe dirigeante communiste disposait sans complexe des biens matériels estampillés propriété d'Etat.
La question des privilèges gênait ceux des communistes qui avaient de la mémoire et une certaine sensibilité. Dans les années 20, on avait beaucoup parlé, dans les milieux communistes, de la «dégénérescence» du parti après son arrivée au pouvoir et de la mort de l'esprit révolutionnaire. Trotski, en émigration, approfondit cette réflexion en parlant dans La révolution trahie de l'émergence d'une nouvelle classe privilégiée. De nombreux membres de la vieille garde bolchevique auraient probablement été sensibles à ces critiques, s'ils avaient eu la possibilité de lire son livre. Mais si on considère l'ensemble du parti, cette question des privilèges semble avoir posé moins de problèmes qu'on pourrait le croire. De nombreux communistes avaient le sentiment qu'ils avaient besoin du statut spécial qui était le leur, et que ce statut était mérité.
Les communistes soviétiques des années 30 pratiquaient ce que Pierre Bourdieu a appelé la «méconnaissance» des privilèges. On peut parler de méconnaissance quand un groupe désigne une réalité qui pourrait le gêner ou dont il pourrait avoir honte d'un nom autre que son nom habituel et élabore un cadre intellectuel nouveau afin de comprendre cette réalité. La manière dont fonctionnait cette méconnaissance des privilèges est illustrée par ces souvenirs de l'épouse d'un haut responsable du Komsomol, rédigés un demi-siècle après les faits: «Nous disposions, comme on dit de nos jours, de privilèges. Il y avait des commandes spéciales que l'on distribuait rue Kirov à l'emplacement de la librairie actuelle. Nous étions éloignés de la détresse des gens, il nous semblait qu'il fallait qu'il en soit ainsi. Et puis, je me disais: ''Vasilovski a des responsabilités, il travaille beaucoup, souvent tard le soir, il ne s'économise pas, il contribue à la gloire de la Patrie." Bien sûr, une voiture venait le chercher au travail. Nous vivions rue Sretenka, dans la maison des spécialistes étrangers. Il y avait de grandes pièces, une bibliothèque, des meubles que l'on nous avait donnés à l'entrepôt. Nous n'avions rien à nous, tout était lié à la fonction [...]. Grichka recevait le ''maximum du parti", 1 200 roubles, me semble-t-il [...]. Je touchais 560 roubles. Je ne dirais pas que nous vivions dans le luxe [...].»
Le fait que les automobiles, les appartements, les datchas qui facilitaient la vie des dirigeants ne leur appartenaient pas personnellement mais étaient la propriété de l'Etat était essentiel, parce que cela permettait aux communistes de la nomenklatura de ne pas se considérer comme les membres d'une nouvelle noblesse ou d'une nouvelle classe dirigeante. En effet, les communistes étaient des gens qui ne possédaient rien! Même leurs meubles appartenaient à l'Etat: ils ne les choisissaient pas, on les leur attribuait, chaque meuble étant muni «d'une petite plaque ovale dorée portant un numéro, fixée avec deux clous», comme l'a écrit Elena Bonner. Il était relativement facile pour des membres de l'élite de se considérer comme indifférents aux choses matérielles quand il n'y avait pas de question de propriété en jeu. Pour reprendre des remarques sarcastiques critiquant le luxe de la datcha des dirigeants de Kazan: «Tout était gratuit: les petits déjeuners, les déjeuners, les dîners, les zakouski et les boissons, les draps. Les hôtes accueillants l'étaient au compte de l'Etat: ils n'avaient aucune dépense matérielle [...].»
Louis Fischer, un journaliste américain qui avait des sympathies pour l'Union soviétique, éprouva un certain embarras face aux signes témoignant de l'émergence de privilèges. «Il semble qu'une nouvelle classe soit en voie de formation», écrivait-il en 1935. Mais il se rappelait les arguments tendant à prouver que ces privilèges n'étaient qu'un phénomène transitoire, une étape sur la voie de l'enrichissement universel.
«Le récent accroissement de l'approvisionnement en marchandises et des commodités de toutes sortes a octroyé à ces privilèges une importance considérable. [...] Mais un nouvel accroissement supprimera beaucoup de privilèges; ainsi, lorsque les appartements seront en nombre suffisant, ce ne sera plus un privilège d'en avoir un. Le privilège est le résultat de la pénurie. Pourtant il marque aussi le commencement de la fin de la pénurie, et par là même le commencement de sa propre fin.»
En parlant du goût nouveau des ouvriers pour les marchandises de qualité, un écrivain soviétique, Pavel Niline, se demanda si celles-ci devaient être qualifiées de produits de luxe. La réponse était non. Le luxe, comme la Grande Encyclopédie soviétique «l'expliquait avec autorité», est un concept relatif. «Avec la croissance des forces productives, les objets de luxe pourront devenir des objets de nécessité», et c'était exactement ce qui était en train de se passer en Union soviétique.
Staline contribua personnellement à cette «méconnaissance» en employant le terme d' «intelligentsia» à propos des élites soviétiques dans leur ensemble, conférant ainsi implicitement aux fonctionnaires communistes la même supériorité culturelle qu'aux académiciens et aux écrivains. Cette fusion entre les élites du pouvoir et celles de la culture n'était pas un simple tour de passe-passe et révèle un aspect important du climat des années 30. Elle montrait que la hiérarchie sociale était pensée en termes de culture. Ainsi, l'intelligentsia soviétique (dans l'acception élargie du mot, celle de Staline) était privilégiée non pas parce qu'elle était une classe dirigeante ou une élite, mais parce qu'elle était le groupe le plus cultivé, le plus avancé au sein d'une société arriérée.
Elle était privilégiée en tant qu'avant-garde culturelle - comme l'étaient les stakhanovistes dont les privilèges montraient bien que ceux-ci n'étaient pas réservés à une élite. Les ouvriers et les paysans qui avaient rejoint les rangs de l'intelligentsia grâce aux mesures de discrimination positive ajoutaient une nouvelle dimension à cette image d'avant-garde: comme les stakhanovistes, ils étaient la fraction la plus avancée des masses dans la marche vers la culture. «Nous sommes pourtant des ouvriers, dit la femme d'un directeur dans un roman de la fin de la période stalinienne, en oubliant les fonctions exercées par son mari et le mode de vie bourgeois dont elle vient de se vanter. Nous suivons le même chemin que l'Etat. Il était pauvre, nous l'étions, il est devenu riche, nous avons repris courage.»
Bien sûr, ces arguments ne convainquaient pas tout le monde. La méconnaissance n'était guère pratiquée en dehors du cercle des privilégiés, et les mouvements d'humeur contre les privilèges étaient fréquents. «Les communistes de Moscou vivent en seigneurs, ils portent des zibelines et utilisent des cannes serties d'argent.» «Qui vit bien? Seulement les hauts responsables et les spéculateurs.» Certains propos rapportés par la police secrète faisaient explicitement allusion à la formation d'une nouvelle classe privilégiée. Au ministère de l'Agriculture, par exemple, l'existence de tables séparées à la cantine pour ceux qui avaient droit à des rations supplémentaires fut très mal perçue. Selon un rapport de police, les gens disaient: «Voilà le but de la suppression de l'égalité. Créer des classes: celle des communistes (ou des anciens nobles) et la nôtre, celle des mortels.»
Pendant les purges de 1937-1938, le régime reprit à son compte ce rejet populaire des privilèges et présenta les dirigeants communistes tombés en disgrâce comme des gens qui avaient abusé de leur pouvoir et qui avaient été corrompus par les avantages dont ils bénéficiaient. Cette récupération pourrait être perçue comme du pur cynisme, mais certains signes indiquent le contraire. Revenant sur ce sujet dans ses souvenirs, Viatcheslav Molotov, le plus proche collaborateur de Staline dans les années 30, pensait vraiment que beaucoup de dirigeants communistes condamnés s'étaient ramollis au pouvoir et laissé corrompre par leurs privilèges. Une résolution inédite du Politburo de 1938 sur l'excès des privilèges semble indiquer que ce fut une attitude collective plutôt qu'individuelle. Certains dirigeants du parti tombés en disgrâce, notait la résolution, s'étaient «construit de grandioses datchas-palais [...]. Ils y vivaient dans le luxe et y dépensaient à tort et à travers l'argent du peuple en faisant la preuve de leur corruption et de leur dégénérescence complètes dans la vie quotidienne.» De plus, peut-on lire un peu plus loin, «le désir de posséder de telles datchas-palais persiste et s'accroît même dans certains milieux» de responsables du gouvernement et du parti. Pour combattre cette tendance, le Politburo ordonna que les datchas n'aient jamais plus de sept ou huit pièces, et recommanda la confiscation des datchas dépassant la norme et leur transformation en maisons de repos appartenant à l'Etat.
Les privilèges accordés aux stakhanovistes étaient souvent très difficilement acceptés par les autres ouvriers. Les stakhanovistes étaient considérés comme des gens qui «gagnaient de l'argent aux dépens des autres ouvriers» et «ôtaient le pain de la bouche des ouvrières». Des violences furent parfois exercées contre des stakhanovistes ou contre leurs machines. »
Source : Le stalinisme au quotidien, lexpress.fr
Pour aller plus loin :
- Staline, Robert Service
- Staline, François Kersaudy
- Staline, Oleg Khlevniuk
- Les années Staline, Mark Grosset
- Joseph Staline à la une : l'histoire vue par les archives de presse et de propagande, textes de Olivier Luciani et Irina Zoteeva-Maugrin
Bonne journée.
Voici à quoi se montaient les revenus de Staline d’après l’historien Oleg Khevniouk :
« Aujourd'hui les historiens parviennent à se faire une idée du revenu des leaders soviétiques.
« En décembre 1947, le salaire de Staline en tant que président du Conseil des ministres était de 10 000 roubles. On ne sait pas, par contre, si cette somme incluait ses revenus en tant que Secrétaire général du Parti communiste – soit 8 000 roubles », note Oleg Khlevniouk, spécialiste de la période stalinienne.
Le Secrétaire général devait également tirer des revenus importants des millions de tirages de ses travaux. On sait notamment que Staline a envoyé 40 000 roubles à ses amis d'enfance en Géorgie, ce qui était une somme considérable pour l'époque.
À titre de comparaison, le salaire annuel moyen des citoyens soviétiques à cette époque était d'environ 7 200 roubles, soit 600 roubles mensuels. Les rentrées d'argent des paysans en 1950 représentaient moins de cent roubles mensuels par personne.
Oleg Khlevniouk souligne que les revenus officiels des dirigeants soviétiques n’ont pas signification réelle. En effet, des millions de roubles étaient dépensés pour l'entretien de leurs villas, leur sécurité et leur service.
« Après 1947 mon père me demandait parfois, lors de nos rares rencontres, si j'avais besoin d'argent. Je répondais que non », raconte dans ses mémoires la fille de Staline, Svetlana Allilouïeva. Ne me raconte pas d'histoires, disait-il. De combien tu as besoin ? ».
« Je ne savais pas quoi répondre. Il ne connaissait pas la valeur réelle de l'argent ni combien coûtait quoi que ce soit. Il vivait dans une représentation d'avant la révolution, quand cent roubles étaient une fortune. Quand il me donnait deux ou trois mille roubles pour le mois, six mois ou deux semaines, il pensait me donner un million… », raconte-t-elle.
Et de poursuivre : « Tout son salaire mensuel finissait dans des sacs sur son bureau. Je ne sais pas s'il tenait des comptes mais je ne pense pas. Il ne dépensait pas d'argent lui même – il n'avait rien à acheter. Tout ce qui l'entourait – ses maisons de campagne, ses villas, ses domestiques, sa nourriture et ses vêtements étaient payés par le gouvernement ». »
Source : Combien gagne le président russe? rbth.com
Ajoutons que Staline répartissait les ressources de manière à privilégier les hauts fonctionnaires. Ces privilèges, associés à une répression brutale, lui permettaient d’exercer sur son entourage un contrôle absolu :
« Le politologue Gratchev lie la dictature de Staline à la pénurie permanente de la Russie soviétique, héritée de la Russie tsariste ravagée par des famines récurrentes, aggravées par la guerre et la guerre civile : « Plus les réserves à distribuer sont maigres, écrit-il, et plus sa dimension de distributeur en chef devient imposante. » L’explication est certes un peu courte, mais, de fait, Staline reprend à un niveau jamais atteint la fonction exercée pendant des siècles par des monarques, rois, empereurs ou sultans. Ces élus de Dieu répartissaient la pénurie au profit des parasites de leur cour, de la noblesse et du haut clergé, qui, en retour, les bénissaient, les couvraient d’encens et qualifiaient cette inégalité d’ordre voulu par Dieu lui-même. L’originalité frauduleuse de Staline, répartiteur brutal d’une pénurie permanente au bénéfice d’une nouvelle aristocratie privilégiée, consiste à présenter cette fonction traditionnelle des vieilles monarchies comme la répartition socialement juste d’une abondance mythique, promise pour un avenir proche et radieux, et à dissimuler cette fonction sociale sous une phraséologie communiste.
Le pouvoir absolu de Staline s’est forgé sur la crise du ravitaillement de 1928, sur la catastrophe alimentaire engendrée par la collectivisation forcée, sur les milliers de révoltes paysannes écrasées à la mitrailleuse, sur la famine qui ravage l’Ukraine, le Kazakhstan et une partie de la Sibérie en 1932-1933, sur la peur que cette réalité sème dans l’appareil dirigeant et qui devient panique lorsque Hitler accède au pouvoir en janvier 1933 et se propose d’abattre le « bolchevisme » et l’URSS. La bureaucratie affolée serre les rangs autour d’un sauveur suprême, une situation que ses collaborateurs approuveront jusqu’à sa mort. La législation terroriste d’une violence inouïe que Staline édicte de 1929 à sa mort et la brutalité de la répression contre quiconque grogne, et même ne dit rien mais pourrait le faire, reflètent la peur profonde d’un régime qui a accumulé contre lui des flots de haine depuis la fin des années 1920. Pour y faire face, la bureaucratie a plus encore besoin de se rassembler autour d’un chef qui veut en même temps lui démontrer sa toute-puissance. Ce besoin répond donc à des circonstances à la fois extérieures et intérieures.
Staline s’acharne à éliminer tout concurrent éventuel alors qu’aucun n’a d’autre politique à proposer : il liquide les anciens dirigeants de quelque envergure et ne garde que les fonctionnaires obtus, voire les brutes que sont Molotov et Kaganovitch, fait fusiller l’état-major de l’Armée rouge, dans les rangs duquel aurait pu apparaître un autre sauveur suprême, et promeut une nouvelle génération de cadres dociles qui lui doivent tout et n’aspirent qu’à conserver le poste auquel ils sont accédé de façon inespérée.
[…] Les hauts dignitaires de la bureaucratie vivent dès lors dans une abondance dissimulée aux regards d’une population qui vivote péniblement, entassée dans des appartements communautaires, dans des izbas souvent délabrées, dans des baraques en planches ou des zemlianki – une zemlianka est une énorme fosse creusée dans le sol et recouverte de planches ou de tôle. Ainsi, Berty Albrecht, reçue en URSS en 1934, raconte : « Le banquet que Staline nous a donné jusqu’à 4 heures du matin dans un déluge de caviar et de vodka m’a fait penser au temps des tsars. » En 1937, le NKVD ouvre des magasins spéciaux secrets où il met en vente à bas prix pour ses agents les biens raflés chez les victimes de la répression, arrêtés, déportés ou fusillés, et dont on envoie toute la famille au Goulag et les enfants en bas âge à l’orphelinat pour que le nettoyage soit complet.
La répression politique recouvre un pillage et un parasitisme que le communiste hongrois Eugène Varga, membre du Comité exécutif du Comintern et académicien, décrit avec dégoût : « Près de Moscou, sur d’énormes parcelles de terrain, on construit des datchas gouvernementales protégées par des gardes. Dans ces datchas travaillent des jardiniers, des cuisiniers, des femmes de chambre, des médecins spécialisés, des infirmières, un personnel d’une cinquantaine d’individus, tout cela payé par l’Etat. Des trains spéciaux personnels, des avions personnels, des criques personnelles, des yatchs personnels, une ribambelle d’automobiles destinées aux dirigeants et aux membres de leur famille. Ils reçoivent quasiment gratuitement tous les produits d’alimentation et d’usage courant. Pour s’assurer un tel niveau de vie en Amérique, il faut être multimillionnaire. »
Mais tous ces biens appartiennent à l’Etat et dépensent donc de son chef suprême, Staline ; l’heureux bénéficiaire de ces largesses perd tout s’il tombe en disgrâce. Il fait donc son possible pour éviter ce sort fâcheux et se montre d’une docilité exemplaire. Radzinsky, qui cite les lignes ci-dessus, commente : « Les mœurs démocratiques des premières années d’Octobre (les membres des familles des dirigeants se déplaçant dans les transports en commun, faisant la queue avec leurs concitoyens, le manque d’argent) […] tout cela s’est enfui dans un passé révolu. »
Source : Staline, 1878-1953 : mensonges et mirages, Jean-Jacques Marie
L’émergence de cette nouvelle classe privilégiée n’était pas vraiment un secret, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur de l’URSS :
« Datchas, voitures, meubles... la nouvelle classe dirigeante communiste disposait sans complexe des biens matériels estampillés propriété d'Etat.
La question des privilèges gênait ceux des communistes qui avaient de la mémoire et une certaine sensibilité. Dans les années 20, on avait beaucoup parlé, dans les milieux communistes, de la «dégénérescence» du parti après son arrivée au pouvoir et de la mort de l'esprit révolutionnaire. Trotski, en émigration, approfondit cette réflexion en parlant dans La révolution trahie de l'émergence d'une nouvelle classe privilégiée. De nombreux membres de la vieille garde bolchevique auraient probablement été sensibles à ces critiques, s'ils avaient eu la possibilité de lire son livre. Mais si on considère l'ensemble du parti, cette question des privilèges semble avoir posé moins de problèmes qu'on pourrait le croire. De nombreux communistes avaient le sentiment qu'ils avaient besoin du statut spécial qui était le leur, et que ce statut était mérité.
Les communistes soviétiques des années 30 pratiquaient ce que Pierre Bourdieu a appelé la «méconnaissance» des privilèges. On peut parler de méconnaissance quand un groupe désigne une réalité qui pourrait le gêner ou dont il pourrait avoir honte d'un nom autre que son nom habituel et élabore un cadre intellectuel nouveau afin de comprendre cette réalité. La manière dont fonctionnait cette méconnaissance des privilèges est illustrée par ces souvenirs de l'épouse d'un haut responsable du Komsomol, rédigés un demi-siècle après les faits: «Nous disposions, comme on dit de nos jours, de privilèges. Il y avait des commandes spéciales que l'on distribuait rue Kirov à l'emplacement de la librairie actuelle. Nous étions éloignés de la détresse des gens, il nous semblait qu'il fallait qu'il en soit ainsi. Et puis, je me disais: ''Vasilovski a des responsabilités, il travaille beaucoup, souvent tard le soir, il ne s'économise pas, il contribue à la gloire de la Patrie." Bien sûr, une voiture venait le chercher au travail. Nous vivions rue Sretenka, dans la maison des spécialistes étrangers. Il y avait de grandes pièces, une bibliothèque, des meubles que l'on nous avait donnés à l'entrepôt. Nous n'avions rien à nous, tout était lié à la fonction [...]. Grichka recevait le ''maximum du parti", 1 200 roubles, me semble-t-il [...]. Je touchais 560 roubles. Je ne dirais pas que nous vivions dans le luxe [...].»
Le fait que les automobiles, les appartements, les datchas qui facilitaient la vie des dirigeants ne leur appartenaient pas personnellement mais étaient la propriété de l'Etat était essentiel, parce que cela permettait aux communistes de la nomenklatura de ne pas se considérer comme les membres d'une nouvelle noblesse ou d'une nouvelle classe dirigeante. En effet, les communistes étaient des gens qui ne possédaient rien! Même leurs meubles appartenaient à l'Etat: ils ne les choisissaient pas, on les leur attribuait, chaque meuble étant muni «d'une petite plaque ovale dorée portant un numéro, fixée avec deux clous», comme l'a écrit Elena Bonner. Il était relativement facile pour des membres de l'élite de se considérer comme indifférents aux choses matérielles quand il n'y avait pas de question de propriété en jeu. Pour reprendre des remarques sarcastiques critiquant le luxe de la datcha des dirigeants de Kazan: «Tout était gratuit: les petits déjeuners, les déjeuners, les dîners, les zakouski et les boissons, les draps. Les hôtes accueillants l'étaient au compte de l'Etat: ils n'avaient aucune dépense matérielle [...].»
Louis Fischer, un journaliste américain qui avait des sympathies pour l'Union soviétique, éprouva un certain embarras face aux signes témoignant de l'émergence de privilèges. «Il semble qu'une nouvelle classe soit en voie de formation», écrivait-il en 1935. Mais il se rappelait les arguments tendant à prouver que ces privilèges n'étaient qu'un phénomène transitoire, une étape sur la voie de l'enrichissement universel.
«Le récent accroissement de l'approvisionnement en marchandises et des commodités de toutes sortes a octroyé à ces privilèges une importance considérable. [...] Mais un nouvel accroissement supprimera beaucoup de privilèges; ainsi, lorsque les appartements seront en nombre suffisant, ce ne sera plus un privilège d'en avoir un. Le privilège est le résultat de la pénurie. Pourtant il marque aussi le commencement de la fin de la pénurie, et par là même le commencement de sa propre fin.»
En parlant du goût nouveau des ouvriers pour les marchandises de qualité, un écrivain soviétique, Pavel Niline, se demanda si celles-ci devaient être qualifiées de produits de luxe. La réponse était non. Le luxe, comme la Grande Encyclopédie soviétique «l'expliquait avec autorité», est un concept relatif. «Avec la croissance des forces productives, les objets de luxe pourront devenir des objets de nécessité», et c'était exactement ce qui était en train de se passer en Union soviétique.
Staline contribua personnellement à cette «méconnaissance» en employant le terme d' «intelligentsia» à propos des élites soviétiques dans leur ensemble, conférant ainsi implicitement aux fonctionnaires communistes la même supériorité culturelle qu'aux académiciens et aux écrivains. Cette fusion entre les élites du pouvoir et celles de la culture n'était pas un simple tour de passe-passe et révèle un aspect important du climat des années 30. Elle montrait que la hiérarchie sociale était pensée en termes de culture. Ainsi, l'intelligentsia soviétique (dans l'acception élargie du mot, celle de Staline) était privilégiée non pas parce qu'elle était une classe dirigeante ou une élite, mais parce qu'elle était le groupe le plus cultivé, le plus avancé au sein d'une société arriérée.
Elle était privilégiée en tant qu'avant-garde culturelle - comme l'étaient les stakhanovistes dont les privilèges montraient bien que ceux-ci n'étaient pas réservés à une élite. Les ouvriers et les paysans qui avaient rejoint les rangs de l'intelligentsia grâce aux mesures de discrimination positive ajoutaient une nouvelle dimension à cette image d'avant-garde: comme les stakhanovistes, ils étaient la fraction la plus avancée des masses dans la marche vers la culture. «Nous sommes pourtant des ouvriers, dit la femme d'un directeur dans un roman de la fin de la période stalinienne, en oubliant les fonctions exercées par son mari et le mode de vie bourgeois dont elle vient de se vanter. Nous suivons le même chemin que l'Etat. Il était pauvre, nous l'étions, il est devenu riche, nous avons repris courage.»
Bien sûr, ces arguments ne convainquaient pas tout le monde. La méconnaissance n'était guère pratiquée en dehors du cercle des privilégiés, et les mouvements d'humeur contre les privilèges étaient fréquents. «Les communistes de Moscou vivent en seigneurs, ils portent des zibelines et utilisent des cannes serties d'argent.» «Qui vit bien? Seulement les hauts responsables et les spéculateurs.» Certains propos rapportés par la police secrète faisaient explicitement allusion à la formation d'une nouvelle classe privilégiée. Au ministère de l'Agriculture, par exemple, l'existence de tables séparées à la cantine pour ceux qui avaient droit à des rations supplémentaires fut très mal perçue. Selon un rapport de police, les gens disaient: «Voilà le but de la suppression de l'égalité. Créer des classes: celle des communistes (ou des anciens nobles) et la nôtre, celle des mortels.»
Pendant les purges de 1937-1938, le régime reprit à son compte ce rejet populaire des privilèges et présenta les dirigeants communistes tombés en disgrâce comme des gens qui avaient abusé de leur pouvoir et qui avaient été corrompus par les avantages dont ils bénéficiaient. Cette récupération pourrait être perçue comme du pur cynisme, mais certains signes indiquent le contraire. Revenant sur ce sujet dans ses souvenirs, Viatcheslav Molotov, le plus proche collaborateur de Staline dans les années 30, pensait vraiment que beaucoup de dirigeants communistes condamnés s'étaient ramollis au pouvoir et laissé corrompre par leurs privilèges. Une résolution inédite du Politburo de 1938 sur l'excès des privilèges semble indiquer que ce fut une attitude collective plutôt qu'individuelle. Certains dirigeants du parti tombés en disgrâce, notait la résolution, s'étaient «construit de grandioses datchas-palais [...]. Ils y vivaient dans le luxe et y dépensaient à tort et à travers l'argent du peuple en faisant la preuve de leur corruption et de leur dégénérescence complètes dans la vie quotidienne.» De plus, peut-on lire un peu plus loin, «le désir de posséder de telles datchas-palais persiste et s'accroît même dans certains milieux» de responsables du gouvernement et du parti. Pour combattre cette tendance, le Politburo ordonna que les datchas n'aient jamais plus de sept ou huit pièces, et recommanda la confiscation des datchas dépassant la norme et leur transformation en maisons de repos appartenant à l'Etat.
Les privilèges accordés aux stakhanovistes étaient souvent très difficilement acceptés par les autres ouvriers. Les stakhanovistes étaient considérés comme des gens qui «gagnaient de l'argent aux dépens des autres ouvriers» et «ôtaient le pain de la bouche des ouvrières». Des violences furent parfois exercées contre des stakhanovistes ou contre leurs machines. »
Source : Le stalinisme au quotidien, lexpress.fr
- Staline, Robert Service
- Staline, François Kersaudy
- Staline, Oleg Khlevniuk
- Les années Staline, Mark Grosset
- Joseph Staline à la une : l'histoire vue par les archives de presse et de propagande, textes de Olivier Luciani et Irina Zoteeva-Maugrin
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