Question d'origine :
Bonjour,
J’ai entendu dire lors d’une émission radiophonique que l’hymne “god save the queen” trouvait son origine dans un morceau commandé par la reine afin de soutenir Louis XIV face à la douleur lié à une fistule annale.
Est ce fondé historiquement? Cette anecdote à elle aussi été relatée dans des ouvrages anglophones ?
Merci par avance pour votre réponse.
Réponse du Guichet
gds_ctp
- Département : Equipe du Guichet du Savoir
Le 08/07/2019 à 10h56
Bonjour,
Au grand regret des amateurs et amatrices d’anecdotes édifiantes que nous sommes, nous n’avons pas trouvé de sources fiables nous permettant de confirmer cette histoire… qui a tout l’air d’être apocryphe.
Certes, le numéro l’émission de France Inter La Tête au carré du 28 décembre 2018, évoque comme authentique l’anecdote selon laquelle l’hymne aurait été composé, non pas pour assister Louis XIV dans les souffrances liées à sa fistule, mais pour célébrer sa guérison suite à l’opération effectuée par le chirurgien Charles-François Félix le 18 novembre 1686. Mais si l’importance de cette opération dans la reconnaissance de la chirurgie comme l’égale de la médecine paraît exacte d’après ce qu’on a pu lire ailleurs, l’aspect musical de l’histoire semble fantaisiste. A plusieurs titres.
D’abord, le fait que « pour soutenir son époux, Madame de Maintenon [ait demandé] à Lully de composer un hymne » n’est pas impossible, puisque celui-ci n’est mort que l’année suivante. Et Lully est bien l’auteur d’un Domine salvum fac regem , motet chanté dans les messes et dont le texte a inspiré de nombreux compositeurs. Mais une écoute de celui-ci sur Youtube suffira à vous persuader que la mélodie n’a rien à voir avec celle de l’hymne britannique… et encore moins avec l’hymne de couronnement écrit par Haendel, Zadok the priest, même s’il contient bien la phrase « God save the king »… Attribuer à Haendel le plagiat d’un air non composé par sa victime putative, avant même l’invention de la notion moderne de droit d’auteur, est donc singulièrement injuste.
De plus, si les ouvrages historiques et biographiques sur Louis XIV que nous avons pu consulter accordent généralement une place non négligeable à la l’opération de la fistule, la genèse de l’hymne britannique, n’est presque jamais évoquée, ou alors comme « hypothèse » présentée comme peu crédible :
« Il faut mentionner à ce sujet une intéressante hypothèse. Mme de Brinon aurait écrit pour la maison de Saint-Cyr une traduction du Domine salvum fac regem , que l’on chantait à la messe, afin que les demoiselles puissent célébrer la guérison royale. Lully aurait composé de la musique sur ce texte. Cet air aurait inspiré Haendel pour le God save the king . Une mémorialiste du XVIIIe siècle, la marquise de Créquy, serait à l’origine de cette généalogie très contestée de l’hymne britannique.”
(Source : Dictionnaire Louis XIV [Livre] / sous la direction de Lucien Bely, article « fistule »)
Selon l’ouvrage Aux hymnes citoyens ! / Nicolas Mazuryk ; préface Denis Kessler, ce qui caractérise l’hymne « à la fois le plus ancien et le plus populaire jamais composé », c’est le mystère qui l’entoure :
« Tout ce que l’on sait, c’est que l’hymne royal était déjà très populaire dans les années 1740, notamment lors de la « rébellion jacobite » soutenue par la France […]. Londres, menacée d’être envahie par les highlanders écossais, s’étaient rassemblée autour de ce chant, qui, loin d’être encore national au sens où nous l’entendons aujourd’hui, exprimait déjà la loyauté des sujets britanniques envers la maison régnante. »
L’attribution de la paternité du morceau à Lully est présentée comme une hypothèse abandonnée parmi d’autres, peut-être la plus farfelue :
« Le futur hymne britannique peut être considéré comme un rescapé. On fait remonter ses origines le plus loin possible, jusqu’au plain-chant médiéval. Et si John Bull l’a vraiment composé, on ne saurait de nos jours en reconnaître l’air. Daté de 1619, un God save the king est effectivement inclus dans un recueil attribué au compositeur, mais avec une tout autre mélodie. L’expression God save the king figure en revanche dans la Bible de Coverdale (1525) où un passage du Psaume XX est traduit par Que Dieu sauve le roi […]. D’autres morceaux de musique plus ou moins anciens correspondent oar bribes éparses à l’hymne britannique dans sa forme actuelle. »
L’ouvrage qualifie notre anecdote d’« histoire à dormir debout qui n’a jamais pu être confirmée » et cite de nombreux compositeurs à qui la mélodie a été un temps attribuée par la légende : John Bull, Henry Carey, Purcell, Thomas Arne, etc. La musique a toutefois été publiée pour la première fois en 1744, soit 58 ans après l'opération de Louis XIV.
Concernant votre seconde question, nous manquons de sources spécialisées en anglais pour y répondre, mais après une recherche rapide sur Google Scholar et Google Livres, il nous semble que rares sont les ouvrages en anglais qui mentionnent la légende, et qu’il s’agit plutôt d’ouvrages de grande vulgarisation, plus soucieuses de pittoresque que de rigueur.
De là à penser que la persistance de la légende chez nous est une survivance de la vieille anglophobie française, il n’y a qu’un pas, que nous vous laisserons franchir si vous le souhaitez.
Bonne journée.
Au grand regret des amateurs et amatrices d’anecdotes édifiantes que nous sommes, nous n’avons pas trouvé de sources fiables nous permettant de confirmer cette histoire… qui a tout l’air d’être apocryphe.
Certes, le numéro l’émission de France Inter La Tête au carré du 28 décembre 2018, évoque comme authentique l’anecdote selon laquelle l’hymne aurait été composé, non pas pour assister Louis XIV dans les souffrances liées à sa fistule, mais pour célébrer sa guérison suite à l’opération effectuée par le chirurgien Charles-François Félix le 18 novembre 1686. Mais si l’importance de cette opération dans la reconnaissance de la chirurgie comme l’égale de la médecine paraît exacte d’après ce qu’on a pu lire ailleurs, l’aspect musical de l’histoire semble fantaisiste. A plusieurs titres.
D’abord, le fait que « pour soutenir son époux, Madame de Maintenon [ait demandé] à Lully de composer un hymne » n’est pas impossible, puisque celui-ci n’est mort que l’année suivante. Et Lully est bien l’auteur d’un Domine salvum fac regem , motet chanté dans les messes et dont le texte a inspiré de nombreux compositeurs. Mais une écoute de celui-ci sur Youtube suffira à vous persuader que la mélodie n’a rien à voir avec celle de l’hymne britannique… et encore moins avec l’hymne de couronnement écrit par Haendel, Zadok the priest, même s’il contient bien la phrase « God save the king »… Attribuer à Haendel le plagiat d’un air non composé par sa victime putative, avant même l’invention de la notion moderne de droit d’auteur, est donc singulièrement injuste.
De plus, si les ouvrages historiques et biographiques sur Louis XIV que nous avons pu consulter accordent généralement une place non négligeable à la l’opération de la fistule, la genèse de l’hymne britannique, n’est presque jamais évoquée, ou alors comme « hypothèse » présentée comme peu crédible :
« Il faut mentionner à ce sujet une intéressante hypothèse. Mme de Brinon aurait écrit pour la maison de Saint-Cyr une traduction du Domine salvum fac regem , que l’on chantait à la messe, afin que les demoiselles puissent célébrer la guérison royale. Lully aurait composé de la musique sur ce texte. Cet air aurait inspiré Haendel pour le God save the king . Une mémorialiste du XVIIIe siècle, la marquise de Créquy, serait à l’origine de cette généalogie très contestée de l’hymne britannique.”
(Source : Dictionnaire Louis XIV [Livre] / sous la direction de Lucien Bely, article « fistule »)
Selon l’ouvrage Aux hymnes citoyens ! / Nicolas Mazuryk ; préface Denis Kessler, ce qui caractérise l’hymne « à la fois le plus ancien et le plus populaire jamais composé », c’est le mystère qui l’entoure :
« Tout ce que l’on sait, c’est que l’hymne royal était déjà très populaire dans les années 1740, notamment lors de la « rébellion jacobite » soutenue par la France […]. Londres, menacée d’être envahie par les highlanders écossais, s’étaient rassemblée autour de ce chant, qui, loin d’être encore national au sens où nous l’entendons aujourd’hui, exprimait déjà la loyauté des sujets britanniques envers la maison régnante. »
L’attribution de la paternité du morceau à Lully est présentée comme une hypothèse abandonnée parmi d’autres, peut-être la plus farfelue :
« Le futur hymne britannique peut être considéré comme un rescapé. On fait remonter ses origines le plus loin possible, jusqu’au plain-chant médiéval. Et si John Bull l’a vraiment composé, on ne saurait de nos jours en reconnaître l’air. Daté de 1619, un God save the king est effectivement inclus dans un recueil attribué au compositeur, mais avec une tout autre mélodie. L’expression God save the king figure en revanche dans la Bible de Coverdale (1525) où un passage du Psaume XX est traduit par Que Dieu sauve le roi […]. D’autres morceaux de musique plus ou moins anciens correspondent oar bribes éparses à l’hymne britannique dans sa forme actuelle. »
L’ouvrage qualifie notre anecdote d’« histoire à dormir debout qui n’a jamais pu être confirmée » et cite de nombreux compositeurs à qui la mélodie a été un temps attribuée par la légende : John Bull, Henry Carey, Purcell, Thomas Arne, etc. La musique a toutefois été publiée pour la première fois en 1744, soit 58 ans après l'opération de Louis XIV.
Concernant votre seconde question, nous manquons de sources spécialisées en anglais pour y répondre, mais après une recherche rapide sur Google Scholar et Google Livres, il nous semble que rares sont les ouvrages en anglais qui mentionnent la légende, et qu’il s’agit plutôt d’ouvrages de grande vulgarisation, plus soucieuses de pittoresque que de rigueur.
De là à penser que la persistance de la légende chez nous est une survivance de la vieille anglophobie française, il n’y a qu’un pas, que nous vous laisserons franchir si vous le souhaitez.
Bonne journée.
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