Usage des conjonctions
DIVERS
+ DE 2 ANS
Le 18/06/2019 à 14h40
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Question d'origine :
Connaissez-vous des mesures de l'évolution de l'utilisation des conjonctions (de coordination, de subordination) ?
Dans "mais ou et donc or ni car", plusieurs semblent devenir désuettes. Je n'imagine pas un adolescent de langue française de 2019 user naturellement de "or", "car" ou "donc".
Ces conjonctions supposent de mettre en relation les propositions de sa pensée, et il me semble que leur usage décline. C'est une interrogation sans nostalgie et peut-être infondée.
Existe-t-il des éléments pour étayer cette impression ? Si oui, par quoi les conjonctions seraient-elles remplacées ?
Merci d'avance.
Réponse du Guichet
gds_et
- Département : Équipe du Guichet du Savoir
Le 19/06/2019 à 14h11
Bonjour,
Pour chercher une réponse à votre question, nous avons commencé par nous intéresser aux écarts entre langue parlée et écrite : en effet les emplois (ou non) des conjonctions de coordinations dans la langue peuvent refléter des emplois différents de ces termes selon le contexte (oral VS écrit ; langage courant et familier VS langage soutenu).
Il nous semblait en particulier que « car » et « or » sont très rarement employés « naturellement » dans un contexte informel (à l’oral surtout, mais aussi à l’écrit : sms, email ou courrier personnel…), quel que soit l’âge du locuteur.
De manière générale, on observe bien un écart entre l’emploi des différentes conjonctions entre le français oral et écrit. Grâce au travail de Dominique Labbé réalisé en 2003 : Coordination et subordination en français oral, nous pouvons comparer entre l’oral et l’écrit les fréquences d’emploi des trois conjonctions qui vous paraissent particulièrement délaissées :
« car » présente l’écart le plus significatif entre l’oral et l’écrit (-88%). A l’écrit il a une fréquence de 0,46%, et à l’oral il tombe à 0,05%.
« or » est dans la même tendance : 0,11% à l’écrit, contre 0,03% à l’oral, soit un écart de -69% entre oral et écrit.
En revanche, « donc » est beaucoup plus employé à l’oral qu’à l’écrit : 0,83% à l’écrit contre 4,39% à l’oral, soit un écart de +428% en faveur de l’oral.
Pour avoir une vision d’ensemble, voici un classement des conjonctions répertoriées par Dominique Labbé selon l'écart entre oral et écrit (les premières en "+" étant plus employées à l'oral qu'à l'écrit, les suivantes en "-" plus employées à l’écrit qu'à l'oral) :
Sinon (+1071)
Parce que (+1059)
Donc (+428)
Quand (+303)
Mais (+121)
Si (+77)
Puisque (+59)
Que (+53)
Ou (+31)
Comme (+12)
Et (-36)
Quoique (-36)
Tandis que (-43)
Lorsque (-52)
Ni (-58)
Or (-69)
Car (-88)
Cependant (-95)
N’étant pas nous-mêmes linguistes, nous nous contenterons de reproduire l’analyse de Dominique Labbé :
« En ce qui concerne la subordination, les mouvements internes sont de très grande ampleur et, comme pour les pronoms, ils tendent à la simplification : "lorsque" et "tandis que" ou "quoique" n'occupent plus qu'une place marginale. En fait, le système se réduit à : que, parce que, quand et puisque.
Les concordances montrent l'importance des petites locutions conjonctives du type "à condition que". Avec la difficulté que ces locutions sont parfois difficilement distinguables d'un groupe nominal "libre". Par exemple, dans le corpus on rencontre : "le fait que vous mentionnez" (pronom) et "le fait que vous veniez..." (conjonction). Il est donc essentiel que l'automate chargé de l'étiquetage ne soude pas automatiquement ces locutions. Elles peuvent ensuite aisément être retrouvées grâce aux concordances.
Les conditions particulières à l'oral expliquent en partie ces mouvements. L'oral est toujours une discussion, une explication ("parce que", "puisque") ou un récit ("quand") et comporte de nombreuses marques d'énonciation (dire que, penser que, faire que...).
Au total, la croissance de "que" est exactement corrélée à l'augmentation du groupe verbal et, au sein de celui-ci, des verbes pouvant introduire une subordonnée. C'est même une autre caractéristique qui permet de détecter avec certitude un texte oral spontané.
En ce qui concerne la coordination, la stabilité globale du groupe des coordonnants est la résultante de mouvements contradictoires de forte ampleur.
Même si son poids reste considérable à l'oral,la conjonction "et" pâtit clairement de la faible densité du groupe nominal. En effet, l'examen des concordances montre que la grande majorité de ses emplois sont du type "nom et nom" ou "nom adjectif et adjectif". C'est pourquoi son recul est pratiquement de même ampleur que celui du couple substantif + adjectif. Autrement dit, la copule est l'instrument privilégié pour la construction du groupe nominal complexe et ce groupe est plutôt une caractéristique du français écrit (tout comme l'usage "soutenu" du "et" dont cette phrase donne un exemple).
Trois autres conjonctions semblent bien appartenir au français écrit :car, ni et or . Pour "car" et "or", il s'agit même plutôt d'un registre soutenu (on en trouve surtout dans le corpus littéraire), ce qui explique leur quasi-disparition à l'oral.
Trois conjonctions connaissent un mouvement inverse dont l'ampleur compense globalement les reculs considérables que nous venons de signaler :"ou" et surtout les conjonctions "mais" et "donc" qui explosent littéralement.
Un cas limite : "donc"
Le cas le plus intéressant est probablement offert par "donc". La théorie souligne habituellement que ce mot peut avoir au moins deux fonctions différentes :
(1) conjonction établissant un lien logique entre deux éléments de la phrase (A -> B ) ;
(2) adverbe apportant une nuance à un verbe ("entrez donc") ou à un groupe verbal : "il est donc idiot". La "fonction adverbiale" est considérée comme particulièrement nette quand le mot est inséré entre l'auxiliaire et le participe passé ("il est donc arrivé") ;
A titre anecdotique, on peut aussi le voir employé comme un nom : “ce "donc" qui nous occupe actuellement”...
Remarquons que :
- on peut supposer qu'à l'oral (2) est en augmentation sensible puisque l'oral se caractérise par un suremploi du verbe et des adverbes...
- si effectivement, dans les corpus représentatifs, du français écrit et oral, il apparaissait que les emplois adverbiaux de "donc" sont fréquents et nettement disjoints de la conjonction, il faudrait modifier la nomenclature des dictionnaires et les grammaires afin d'avoir deux entrées ("donc, adv." et "donc, cj."). Au passage, nous serions également obligés d'introduire une homographie de plus dans notre logiciel d'étiquetage...
Quel est "donc" le poids relatif de (1) et de (2) dans le corpus "français oral" ?
Nous pouvons répondre à cette question grâce aux concordances. Dans le corpus oral, il y a 9 936 occurrences de "donc". Les tris sur les mots placés immédiatement devant et derrière clarifient considérablement les choses. Les tableaux ci-dessous présentent les principaux emplois que l'on pourrait considérer comme "adverbiaux" avec leurs effectifs puis ceux qui sont, sans contestation, des conjonctions.
La conjonction présente une très grande mobilité dont ne rend pas totalement compte le tableau IX ci-dessus. En fait, la majorité des emplois de cette conjonction montre qu'en français, elle joue un rôle de "macro-coordonnant". C'est la raison pour laquelle on en trouve tant en début de phrase. Mieux : près d'une centaine de fois, on rencontre "donc" en début de réponse.
On peut interpréter cet emploi particulier comme :
"(Vous me demandez A) donc je vous réponds B"
L'avantage est évident : on ne répète pas A ; on suppose implicitement acquis entre les participants à l'interlocution tout ce qui précède la conséquence que l'on va présenter.
En définitive, tous les emplois "adverbiaux" peuvent être interprété ainsi. Quand, dans l'une des enquêtes citées, un enquêté déclare "mon chauffage est donc déréglé", il n'emploie pas "donc" pour renforcer le groupe verbal — comme le ferait un adverbe du type "bien" ou "vraiment" à la place de "donc" —, il tire la conclusion logique des phrases précédentes qui décrivent les dysfonctionnements de son appareil A l'oral, "donc" placé derrière un verbe renvoie toujours au schéma (A -> B ), c'est un coordonnant, pas un adverbe.
L'examen des concordances de "mais" montre que, dans la majorité des cas, le fonctionnement est sensiblement le même, simplement on pose une contradiction logique au lieu d'une déduction logique.
A cette fonction, on rattache tous les cas où "donc" ouvre une phrase. Au milieu d'un propos, commencer une période par "donc" consiste à dire à son auditoire : "de tout ce qui précède (A),je tire logiquement ce qui suit (B)". L'annexe III en donne plusieurs exemples.
Si l'on y ajoute tous les "donc" placés derrière une ponctuation faible (ie au sein d'une même période, pour lier deux propositions), on a plus des deux tiers des emplois de "donc" dans le français oral ! Ils lient ensemble plusieurs arguments complexes en établissant entre eux un lien logique, ce que ne fait pas, ou plus difficilement, la copule "et", d'où la désaffection relative qui la frappe à l'oral.
En définitive,la communication orale fonctionne suivant un principe d'économie . Avec les petites conjonctions "donc" et "mais", on peut indiquer à l'interlocuteur que l'on présuppose partagées certaines choses et s'épargner de les dire. Commencer une réponse par "donc" consiste à dire à l'interlocuteur : "puisque vous me posez cette question, voici ma réponse". En revanche, ouvrir sa réponse par "mais", c'est lui dire : "vous venez de dire A, je ne suis pas d'accord". A elle seule, cette fonction d'embrayage entre les propos des deux interlocuteurs pèse plus lourd que tous les "donc" placés entre l'auxiliaire et le participe passé !
Ainsi s'expliquent les très nombreux "et donc". Ces constructions sont d'ailleurs beaucoup plus nombreuses que les emplois prétendument adverbiaux de "donc". Or toutes les grammaires du français indiquent que "les conjonctions (de coordination) ne peuvent se cumuler entre elles"(par exemple : Arrivé & Al, p. 191). Elles en font même un trait caractéristique de la conjonction en français. En fait, notre corpus montre que cette "loi" ne vaut pas à l'oral, au moins pour "et" ou "mais" qui peuvent être combinés avec "ni" et "donc".
Pour compléter le tableau de la coordination en français, il faudrait encore examiner les ponctuations. En effet, dans la transcription de l'oral, la virgule correspond à une pause pas trop marquée suivie d'une reprise sans variation notable du ton. A l'examen, il semble qu'on peut pratiquement toujours remplacer cette ponctuation faible par une conjonction du type "et", "ou", "donc", sans altérer le sens de la phrase.
Au-delà, ce sont les structures de phrases qui devraient être prises en compte. Cela est maintenant possible puisque l'étiquette attachée à chaque mot permet de reconstituer finement ces structures. Les programmes informatiques sont en cours de développement, mais un autre exposé serait nécessaire pour évoquer ces questions.
Conclusions
La conclusion essentielle apparaît clairement :par rapport à l'écrit, le français oral se caractérise par une simplification du vocabulaire et de la syntaxe . Certains mots outils —principalement pronoms, adverbes et conjonctions — servent non pas surtout à construire des phrases complexes, comme à l'écrit, mais d'abord à établir des liens logiques entre les propos de chacun des interlocuteurs et avec les objets qu'ils désignent par la voix ou par le geste . »
Notons que le corpus utilisé par Dominique Labbé inclut des écrits du XXe siècle à hauteur de 60%, et des textes littéraires (XVIIe au XXe) dans la même proportion. En revanche il ne permet pas de mesurer l’évolution de la langue sur les périodes couvertes, ou de la comparer à des périodes antérieures. Il semble qu’une telle étude, de plus grande ampleur et plus fine, reste à faire. Nos recherches sont en tout cas restées vaines.
Ce corpus ne nous permet pas non plus de distinguer les différentes générations (par exemple : adolescents du XXIe VS locuteurs contemporains du Général De Gaulle). Dans un tel comparatif, il faudrait également pouvoir distinguer le langage parlé, courant et / ou familier (voire codé) que les adolescents emploient entre eux, du langage « de l’école » qui se situe sur un registre soutenu : devoirs écrits, exposés oraux, etc. En effet ils passent aisément d’un style à l’autre, selon les exigences du contexte. Estelle Liogier en fait la remarque dans son article La variation stylistique dans le langage d'adolescents de cité, paru dans Langage et société, vol. 128, no. 2, 2009, pp. 121-140 :
« Pour notre part, enseignant depuis 11 ans dans un collège de La Courneuve (93), nous constatons que nos élèves passent aisément de la langue « du quartier » à celle « de l'école ». C'est ce qu'observe également Zsuzsanna Fagyal qui a, elle aussi, enseigné à La Courneuve : « Bien au contraire, mes notes et mes enregistrements témoignent d'une situation langagière qui m'a fait conclure que les élèves que j'ai rencontrés, dont la plupart sont effectivement issus de l'immigration, maîtrisent le français […] Ces documents montrent sans équivoque qu'en fonction de la situation où ils se trouvent et de l'identité de la personne à qui ils s'adressent, les élèves passent facilement d'un registre plutôt soigné (par exemple face à des inconnus) à un registre moins soigné qu'ils utilisent dans leurs groupes de pairs. […] j'en suis donc certaine : ces manifestations de compétence sont largement incompatibles avec l'idée d'un français défectueux si souvent attribué à ces élèves. J'ai cependant également enregistré des « fautes ». Mais de façon symptomatique, il s'agit de fautes que l'on corrige aussi chez les enfants français depuis plusieurs générations. » (Fagyal, 2003 : 48)
Lorsque l'on s'intéresse au français parlé par les jeunes des cités, on doit être conscient que trois types de variation s'interpénètrent :
• Une variation diastratique « de classe » : le français parlé par les enfants des milieux populaires présente un certain nombre de spécificités, particulièrement au niveau morphologique et syntaxique.
• Une variation diastratique « de groupe » : l'affirmation identitaire d'appartenance aux groupes « jeune de cité », « issu de l'immigration », « émancipé », (…) passe par un certain nombre de marques lexicales, phonologiques, intonatives, voire morphologiques et syntaxiques.
• Une variation diaphasique (de style) : comme tous les locuteurs du français, les jeunes accommodent leur langage en fonction de la formalité de la situation. »
Pour aller plus loin sur la dichotomie entre langage écrit et parlé chez les adolescents et les enfants, vous pourriez consulter les articles suivants :
- Darrault-Harris, Ivan. « S'engendrer par le langage. La parole adolescente », Enfances & Psy, vol. 36, no. 3, 2007, pp. 41-49.
- Bidaud, Eric, et Hakima Megherbi. « De l'oral à l'écrit », La lettre de l'enfance et de l'adolescence, vol. no 61, no. 3, 2005, pp. 19-24.
Bonne journée.
Pour chercher une réponse à votre question, nous avons commencé par nous intéresser aux écarts entre langue parlée et écrite : en effet les emplois (ou non) des conjonctions de coordinations dans la langue peuvent refléter des emplois différents de ces termes selon le contexte (oral VS écrit ; langage courant et familier VS langage soutenu).
Il nous semblait en particulier que « car » et « or » sont très rarement employés « naturellement » dans un contexte informel (à l’oral surtout, mais aussi à l’écrit : sms, email ou courrier personnel…), quel que soit l’âge du locuteur.
De manière générale, on observe bien un écart entre l’emploi des différentes conjonctions entre le français oral et écrit. Grâce au travail de Dominique Labbé réalisé en 2003 : Coordination et subordination en français oral, nous pouvons comparer entre l’oral et l’écrit les fréquences d’emploi des trois conjonctions qui vous paraissent particulièrement délaissées :
« car » présente l’écart le plus significatif entre l’oral et l’écrit (-88%). A l’écrit il a une fréquence de 0,46%, et à l’oral il tombe à 0,05%.
« or » est dans la même tendance : 0,11% à l’écrit, contre 0,03% à l’oral, soit un écart de -69% entre oral et écrit.
En revanche, « donc » est beaucoup plus employé à l’oral qu’à l’écrit : 0,83% à l’écrit contre 4,39% à l’oral, soit un écart de +428% en faveur de l’oral.
Pour avoir une vision d’ensemble, voici un classement des conjonctions répertoriées par Dominique Labbé selon l'écart entre oral et écrit (les premières en "+" étant plus employées à l'oral qu'à l'écrit, les suivantes en "-" plus employées à l’écrit qu'à l'oral) :
Sinon (+1071)
Parce que (+1059)
Quand (+303)
Si (+77)
Puisque (+59)
Que (+53)
Comme (+12)
Quoique (-36)
Tandis que (-43)
Lorsque (-52)
Cependant (-95)
N’étant pas nous-mêmes linguistes, nous nous contenterons de reproduire l’analyse de Dominique Labbé :
« En ce qui concerne la subordination, les mouvements internes sont de très grande ampleur et, comme pour les pronoms, ils tendent à la simplification : "lorsque" et "tandis que" ou "quoique" n'occupent plus qu'une place marginale. En fait, le système se réduit à : que, parce que, quand et puisque.
Les concordances montrent l'importance des petites locutions conjonctives du type "à condition que". Avec la difficulté que ces locutions sont parfois difficilement distinguables d'un groupe nominal "libre". Par exemple, dans le corpus on rencontre : "le fait que vous mentionnez" (pronom) et "le fait que vous veniez..." (conjonction). Il est donc essentiel que l'automate chargé de l'étiquetage ne soude pas automatiquement ces locutions. Elles peuvent ensuite aisément être retrouvées grâce aux concordances.
Les conditions particulières à l'oral expliquent en partie ces mouvements. L'oral est toujours une discussion, une explication ("parce que", "puisque") ou un récit ("quand") et comporte de nombreuses marques d'énonciation (dire que, penser que, faire que...).
Au total, la croissance de "que" est exactement corrélée à l'augmentation du groupe verbal et, au sein de celui-ci, des verbes pouvant introduire une subordonnée. C'est même une autre caractéristique qui permet de détecter avec certitude un texte oral spontané.
En ce qui concerne la coordination, la stabilité globale du groupe des coordonnants est la résultante de mouvements contradictoires de forte ampleur.
Même si son poids reste considérable à l'oral,
Trois autres conjonctions semblent bien appartenir au français écrit :
Trois conjonctions connaissent un mouvement inverse dont l'ampleur compense globalement les reculs considérables que nous venons de signaler :
Le cas le plus intéressant est probablement offert par "donc". La théorie souligne habituellement que ce mot peut avoir au moins deux fonctions différentes :
(1) conjonction établissant un lien logique entre deux éléments de la phrase (A -> B ) ;
(2) adverbe apportant une nuance à un verbe ("entrez donc") ou à un groupe verbal : "il est donc idiot". La "fonction adverbiale" est considérée comme particulièrement nette quand le mot est inséré entre l'auxiliaire et le participe passé ("il est donc arrivé") ;
A titre anecdotique, on peut aussi le voir employé comme un nom : “ce "donc" qui nous occupe actuellement”...
Remarquons que :
- on peut supposer qu'à l'oral (2) est en augmentation sensible puisque l'oral se caractérise par un suremploi du verbe et des adverbes...
- si effectivement, dans les corpus représentatifs, du français écrit et oral, il apparaissait que les emplois adverbiaux de "donc" sont fréquents et nettement disjoints de la conjonction, il faudrait modifier la nomenclature des dictionnaires et les grammaires afin d'avoir deux entrées ("donc, adv." et "donc, cj."). Au passage, nous serions également obligés d'introduire une homographie de plus dans notre logiciel d'étiquetage...
Quel est "donc" le poids relatif de (1) et de (2) dans le corpus "français oral" ?
Nous pouvons répondre à cette question grâce aux concordances. Dans le corpus oral, il y a 9 936 occurrences de "donc". Les tris sur les mots placés immédiatement devant et derrière clarifient considérablement les choses. Les tableaux ci-dessous présentent les principaux emplois que l'on pourrait considérer comme "adverbiaux" avec leurs effectifs puis ceux qui sont, sans contestation, des conjonctions.
La conjonction présente une très grande mobilité dont ne rend pas totalement compte le tableau IX ci-dessus. En fait, la majorité des emplois de cette conjonction montre qu'en français, elle joue un rôle de "macro-coordonnant". C'est la raison pour laquelle on en trouve tant en début de phrase. Mieux : près d'une centaine de fois, on rencontre "donc" en début de réponse.
On peut interpréter cet emploi particulier comme :
"(Vous me demandez A) donc je vous réponds B"
L'avantage est évident : on ne répète pas A ; on suppose implicitement acquis entre les participants à l'interlocution tout ce qui précède la conséquence que l'on va présenter.
En définitive, tous les emplois "adverbiaux" peuvent être interprété ainsi. Quand, dans l'une des enquêtes citées, un enquêté déclare "mon chauffage est donc déréglé", il n'emploie pas "donc" pour renforcer le groupe verbal — comme le ferait un adverbe du type "bien" ou "vraiment" à la place de "donc" —, il tire la conclusion logique des phrases précédentes qui décrivent les dysfonctionnements de son appareil A l'oral, "donc" placé derrière un verbe renvoie toujours au schéma (A -> B ), c'est un coordonnant, pas un adverbe.
L'examen des concordances de "mais" montre que, dans la majorité des cas, le fonctionnement est sensiblement le même, simplement on pose une contradiction logique au lieu d'une déduction logique.
A cette fonction, on rattache tous les cas où "donc" ouvre une phrase. Au milieu d'un propos, commencer une période par "donc" consiste à dire à son auditoire : "de tout ce qui précède (A),je tire logiquement ce qui suit (B)". L'annexe III en donne plusieurs exemples.
Si l'on y ajoute tous les "donc" placés derrière une ponctuation faible (ie au sein d'une même période, pour lier deux propositions), on a plus des deux tiers des emplois de "donc" dans le français oral ! Ils lient ensemble plusieurs arguments complexes en établissant entre eux un lien logique, ce que ne fait pas, ou plus difficilement, la copule "et", d'où la désaffection relative qui la frappe à l'oral.
En définitive,
Ainsi s'expliquent les très nombreux "et donc". Ces constructions sont d'ailleurs beaucoup plus nombreuses que les emplois prétendument adverbiaux de "donc". Or toutes les grammaires du français indiquent que "les conjonctions (de coordination) ne peuvent se cumuler entre elles"(par exemple : Arrivé & Al, p. 191). Elles en font même un trait caractéristique de la conjonction en français. En fait, notre corpus montre que cette "loi" ne vaut pas à l'oral, au moins pour "et" ou "mais" qui peuvent être combinés avec "ni" et "donc".
Pour compléter le tableau de la coordination en français, il faudrait encore examiner les ponctuations. En effet, dans la transcription de l'oral, la virgule correspond à une pause pas trop marquée suivie d'une reprise sans variation notable du ton. A l'examen, il semble qu'on peut pratiquement toujours remplacer cette ponctuation faible par une conjonction du type "et", "ou", "donc", sans altérer le sens de la phrase.
Au-delà, ce sont les structures de phrases qui devraient être prises en compte. Cela est maintenant possible puisque l'étiquette attachée à chaque mot permet de reconstituer finement ces structures. Les programmes informatiques sont en cours de développement, mais un autre exposé serait nécessaire pour évoquer ces questions.
Conclusions
La conclusion essentielle apparaît clairement :
Notons que le corpus utilisé par Dominique Labbé inclut des écrits du XXe siècle à hauteur de 60%, et des textes littéraires (XVIIe au XXe) dans la même proportion. En revanche il ne permet pas de mesurer l’évolution de la langue sur les périodes couvertes, ou de la comparer à des périodes antérieures. Il semble qu’une telle étude, de plus grande ampleur et plus fine, reste à faire. Nos recherches sont en tout cas restées vaines.
Ce corpus ne nous permet pas non plus de distinguer les différentes générations (par exemple : adolescents du XXIe VS locuteurs contemporains du Général De Gaulle). Dans un tel comparatif, il faudrait également pouvoir distinguer le langage parlé, courant et / ou familier (voire codé) que les adolescents emploient entre eux, du langage « de l’école » qui se situe sur un registre soutenu : devoirs écrits, exposés oraux, etc. En effet ils passent aisément d’un style à l’autre, selon les exigences du contexte. Estelle Liogier en fait la remarque dans son article La variation stylistique dans le langage d'adolescents de cité, paru dans Langage et société, vol. 128, no. 2, 2009, pp. 121-140 :
« Pour notre part, enseignant depuis 11 ans dans un collège de La Courneuve (93), nous constatons que nos élèves passent aisément de la langue « du quartier » à celle « de l'école ». C'est ce qu'observe également Zsuzsanna Fagyal qui a, elle aussi, enseigné à La Courneuve : « Bien au contraire, mes notes et mes enregistrements témoignent d'une situation langagière qui m'a fait conclure que les élèves que j'ai rencontrés, dont la plupart sont effectivement issus de l'immigration, maîtrisent le français […] Ces documents montrent sans équivoque qu'en fonction de la situation où ils se trouvent et de l'identité de la personne à qui ils s'adressent, les élèves passent facilement d'un registre plutôt soigné (par exemple face à des inconnus) à un registre moins soigné qu'ils utilisent dans leurs groupes de pairs. […] j'en suis donc certaine : ces manifestations de compétence sont largement incompatibles avec l'idée d'un français défectueux si souvent attribué à ces élèves. J'ai cependant également enregistré des « fautes ». Mais de façon symptomatique, il s'agit de fautes que l'on corrige aussi chez les enfants français depuis plusieurs générations. » (Fagyal, 2003 : 48)
Lorsque l'on s'intéresse au français parlé par les jeunes des cités, on doit être conscient que trois types de variation s'interpénètrent :
• Une variation diastratique « de classe » : le français parlé par les enfants des milieux populaires présente un certain nombre de spécificités, particulièrement au niveau morphologique et syntaxique.
• Une variation diastratique « de groupe » : l'affirmation identitaire d'appartenance aux groupes « jeune de cité », « issu de l'immigration », « émancipé », (…) passe par un certain nombre de marques lexicales, phonologiques, intonatives, voire morphologiques et syntaxiques.
• Une variation diaphasique (de style) : comme tous les locuteurs du français, les jeunes accommodent leur langage en fonction de la formalité de la situation. »
Pour aller plus loin sur la dichotomie entre langage écrit et parlé chez les adolescents et les enfants, vous pourriez consulter les articles suivants :
- Darrault-Harris, Ivan. « S'engendrer par le langage. La parole adolescente », Enfances & Psy, vol. 36, no. 3, 2007, pp. 41-49.
- Bidaud, Eric, et Hakima Megherbi. « De l'oral à l'écrit », La lettre de l'enfance et de l'adolescence, vol. no 61, no. 3, 2005, pp. 19-24.
Bonne journée.
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